De retour à la maison, je me gare et fixe l’allée. Je réfléchis – j’essaye, du moins. Les faits, les idées, les explications tourbillonnent dans ma tête comme des oiseaux. Assez lentement pour que je les entrevoie, trop vite pour que je les attrape.
L’homme qui rôdait chez moi s’appelle Norman Collins. Malgré son baratin, il n’a pas grandi ici, et pour une raison inconnue il était prêt à acheter la maison bien au-dessus de son prix. Cette propriété a de l’importance pour lui.
Pourquoi ?
Le garage. C’est là qu’il essayait d’entrer quand je l’ai repéré. Le garage rempli des cochonneries de la maison. Il doit y avoir des affaires appartenant à Dominic Barnett dans ce foutoir. Était-ce Collins qui tentait de persuader Jake de lui ouvrir la nuit dernière ? Si c’est le cas, Jake n’était pas en danger, Collins cherche quelque chose de précis.
La clé sans doute.
Je décide de retourner inspecter le garage. J’ouvre grand la porte et la coince avec un pot de peinture.
À l’intérieur, ça n’a pas bougé, il y a toujours les vieux meubles, le matelas taché, les piles de cartons humides entassées au centre. Sur ma droite, la superbe toile d’araignée avec des restes de papillons coincés dans les fils.
L’un des papillons est posé sur le cadre de la fenêtre. Un autre se repose sur le côté de la boîte des décorations de Noël. Ses ailes palpitent doucement. Leur motif me rappelle celui de Jake et le fait qu’il n’a pas pu le voir ici. Mais c’est un mystère que je résoudrai plus tard.
À nous deux, Norman.
Qu’est-ce que tu espérais trouver ici ?
Je m’attaque à la première pile et commence à fouiller un carton. Cela me prend une bonne heure et demie pour les vider un à un. Le sol est glacial, comme si les genoux de mon jeans s’imbibaient d’eau.
La porte du garage claque derrière moi, je sursaute. Pourtant l’allée est vide et ensoleillée. C’est juste la brise qui pousse le battant sur ses gonds. Je reprends mon activité. Pour l’instant, rien d’intéressant, les boîtes contiennent tout un bric-à-brac inutile qui n’a pas été jeté. Les décorations de Noël, bien sûr, avec une tonne de guirlandes fanées et miteuses. Des magazines, des journaux, mais rien qui permette de les trier par dates. Des vêtements pliés qui sentent le moisi. Des rallonges électriques poussiéreuses. Tout un fatras qui ne paraît pas avoir été caché délibérément, mais plutôt emballé puis oublié.
La poisse, aucune réponse à mes questions.
Mon investigation a dérangé d’autres papillons. Cinq ou six volettent au-dessus du sol, deux autres se cognent au carreau. J’en observe un qui semble trouver le chemin de la liberté, mais l’idiot fait demi-tour avant la porte et revient atterrir près de moi, sur une brique du sol.
J’admire un moment les magnifiques couleurs de ses ailes. Il butine à la surface de la brique puis disparaît soudain dans un interstice.
Mon regard se pose alors sur le sol.
Une large bande à la surface irrégulière est remblayée avec des briques. Sans doute une fosse pour se glisser sous un moteur de voiture.
Je soulève la brique sous laquelle est parti le papillon. Un morceau de carton apparaît.
La porte du garage claque encore derrière moi.
Bon Dieu.
Cette fois-ci, je me lève pour aller vérifier l’allée. Personne en vue, mais le soleil s’est caché derrière un nuage, le monde me semble soudain plus sombre et plus froid. Une brise souffle. Dans ma main tremblante, la brique.
Je retourne à l’intérieur et entreprends de dégager la fosse, brique par brique. Un carton se trouve dessous, de la même taille que les autres, mais scellé avec du ruban adhésif. Je sors mon trousseau de clés pour m’en servir de cutter.
C’est ça que tu cherchais, Norman ?
Je fais glisser la pointe d’une clé pour entamer le Scotch, puis le retire d’un coup sec. Je regarde dedans.
Et je m’assois sur mes talons, incapable ou bien rétif à comprendre ce que je viens de voir. Je repense à ce que disait Jake. Je veux te faire peur. Je croyais que la petite fille était revenue dans nos vies.
Une portière de voiture claque. Un véhicule est garé au bout de mon allée, un homme et une femme se dirigent vers le garage.
C’était pas elle, m’a dit mon fils.
C’était le garçon dans la terre.
– Monsieur Kennedy ? appelle la femme.
Au lieu de lui répondre, je fixe la boîte qui est devant moi.
Sur les os qui sont à l’intérieur.
Sur le petit crâne qui me fixe.
Et sur le merveilleux papillon aux couleurs chatoyantes qui butine, volette, se pose, sur ses ailes qui respirent doucement, comme les battements d’un cœur d’enfant endormi.