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Ça y est, ils l’ont retrouvé, pense Pete.

Après toutes ces années.

Tony a été retrouvé.

Assis dans sa voiture, Pete regarde l’équipe de la Crim’ entrer chez Norman Collins. Pour l’instant, il n’y a pas d’autre mouvement dans la rue. Le rassemblement de policiers n’a pas encore attiré les journalistes, aucun voisin n’est sorti pour voir.

Menotté à l’arrière de la voiture, Collins observe aussi.

– Vous n’avez pas le droit de faire ça, se plaint-il.

– Taisez-vous, Norman.

Dans le confinement de l’habitacle, Pete ne peut pas éviter l’odeur de l’homme, mais il peut refuser toute conversation. Pour l’instant, Collins est arrêté pour recel de marchandises volées. Compte tenu de sa collection, c’était une charge facile à retenir contre lui et cela permettait de procéder à la perquisition. Bien sûr, ils souhaitent le coffrer pour bien plus. Pete se pose une tonne de questions, mais il ne compromettra pas l’enquête en l’interrogeant ici et maintenant. L’interrogatoire aura lieu au poste, sera enregistré, et tout sera béton.

– Ils ne trouveront rien, dit encore Collins.

Pete ignore la remarque. Justement, ils ont trouvé un squelette et Collins est mêlé à l’histoire. Ce type a toujours été obsédé par Carter et par ses crimes, il a rendu visite à l’un de ses codétenus, il a été surpris en train de rôder autour du garage où étaient cachés les restes. Collins savait, Pete en est certain. L’identification du corps suivra, mais il est convaincu qu’il s’agit de Tony Smith.

Après vingt ans, on t’a retrouvé, petit.

Ce nouveau développement aurait dû le soulager et libérer son esprit puisqu’il cherche le garçon depuis si longtemps. Mais non. Pete n’arrête pas de penser aux nombreux week-ends où il arpentait la région, écumait les sentiers, sondait les fourrés loin d’ici, alors que Tony se trouvait si proche de chez ses parents.

Ce qui signifie qu’il a zappé une étape il y a vingt ans.

Il fixe la tablette posée sur ses genoux.

Bon Dieu, ce qu’il a envie d’une bonne rasade en travers du gosier. C’est étrange de croire que l’alcool est un rempart contre les horreurs du monde. Le corps de Tony Smith vient d’être retrouvé, le meurtrier de Neil Spencer est probablement assis sur la banquette arrière, mais son envie de boire est plus forte que jamais. Il y a toujours tellement de raisons de boire… et jamais aucune de s’en abstenir.

Tu boiras plus tard. Autant que tu veux.

Il accepte. C’est simple, tout ce qui marche, il l’accepte. Au combat, on se sert de n’importe quelle arme pour remporter la bataille, ensuite on reconstitue ses forces et on aborde la suivante. Puis la suivante. Puis toutes celles qui suivent.

Tout ce qui marche.

– Je n’ai rien fait de mal, insiste Collins.

– La ferme.

Pete clique sur la tablette. Il n’y coupera pas, il a trop besoin de comprendre ce qui lui a échappé, et pourquoi. La maison de Garholt Street où sont enterrés les restes de Tony Smith constitue le point de départ.

Jusqu’à peu, la maison appartenait à une certaine Anne Shearing. Héritée de ses parents, elle n’y vivait plus, la louait depuis des années. Une longue liste de locataires suit. Pete présume qu’il peut écarter les occupants jusqu’à 1997, l’année des meurtres de Carter. En 1997, le locataire s’appelait Julian Simpson. Il a habité la maison jusqu’en 2008. Pete lance une recherche sur Simpson : mort d’un cancer en 2008, à soixante-dix ans. Le locataire suivant s’appelait Dominic Barnett, il est resté jusqu’au début de cette année.

Dominic Barnett.

Pete fronce les sourcils. Ce nom lui dit quelque chose… Les détails lui reviennent peu à peu, même si ce n’était pas lui qui était chargé de l’enquête. Barnett, une petite frappe, trafiquant de drogue, escroc, connu des services de police. Aucune condamnation, mais il n’était pas blanc comme neige pour autant. Personne n’a été surpris quand on l’a retrouvé mort. L’arme du crime, un marteau, portait des empreintes non répertoriées dans la base de données. L’enquête n’a rien donné, mais l’opinion publique ne s’en est pas inquiétée. Un acte isolé, a conclu l’équipe. Autrement dit, un règlement de comptes.

Pete avait pensé de même, la drogue était le mobile du crime, mais aujourd’hui, on peut s’interroger. Barnett vivait dans une maison où se trouvaient des restes humains. Impossible qu’il ne l’ait pas su. Pete lève les yeux et regarde Collins dans le rétroviseur. L’homme a le nez collé à la vitre.

Trois hommes à considérer : Julian Simpson, Dominic Barnett, parce qu’ils ont vécu dans la maison, et Norman Collins, qui savait ce qui s’y trouvait. Quel lien entre ces trois-là ? Que s’est-il passé il y a vingt ans ? Et entre-temps ?

Pete télécharge une carte de Featherbank.

Garholt Street se situe entre le lieu où Tony Smith a été enlevé et la direction qu’avait prise Frank Carter le jour de sa fuite. Des traces d’ADN de Tony avaient été relevées dans sa voiture. Si Carter avait eu vent de la perquisition, il avait pu se débarrasser du corps à Garholt Street avant de filer. Julian Simpson y vivait encore.

Pete n’a pas besoin de consulter sa tablette pour savoir que le nom de Simpson n’a jamais été mentionné dans l’enquête. Les nombreuses connaissances de Carter avaient toutes été soigneusement répertoriées.

Et pourtant.

Simpson avait la cinquantaine au moment des enlèvements, son âge colle avec la description confuse qu’avait donnée l’un des témoins. C’était peut-être lui le fameux complice. Si oui, il y avait forcément un lien entre les deux, sans doute ténu, que Pete n’avait pas découvert.

La sensation d’échec le frappe violemment.

Tu aurais dû le découvrir plus tôt.

Même si cela avait été le cas, cela restera sa faute. Il pourrait trouver le moyen de tourner autour du pot pour échapper à la culpabilité, la sensation restera.

Un inutile.

Bon à rien.

Tu boiras ton coup plus tard.

Son téléphone sonne. Encore Amanda.

– Willis, j’écoute… Je suis toujours devant chez Collins… OK, j’arrive.

– Les recherches, ça donne quoi ?

– Toujours en cours.

Pete doit se ressaisir, la priorité est d’épingler Collins, pas de cogiter sur ce qui lui a échappé il y a vingt ans. Ce décorticage viendra plus tard.

– J’ai le propriétaire de la maison et son fils sur les bras. Il faut leur trouver un endroit pour crécher ce soir. Vous pouvez m’aider ? demande encore Amanda.

La poisse. Pete se doute des conséquences implicites : Amanda conduira l’interrogatoire de Collins… C’est peut-être plus propre comme ça, finalement. Ils ne veulent pas risquer que son passé interfère avec l’enquête en cours.

Pete démarre la voiture. Les réponses à ses questions viendront en temps et en heure.

– Le propriétaire s’appelle Tom Kennedy. Son fils, Jake. Déposez Collins et occupez-vous de leur trouver une chambre.

Pete ne répond pas. Sa main tremble sur le volant. Il s’en rend compte.

– Pete ? Vous êtes toujours là ?

– Oui. J’arrive.

Il coupe la communication, puis jette son téléphone sur le siège du passager. Au lieu de rouler, il se range sur le bas-côté et attrape la tablette. Le passé l’absorbait trop, il en a oublié le présent.

Encore un loupé.

Le nom du propriétaire actuel.

Il rouvre le fichier, peut-être qu’il a mal compris… Non, c’est écrit.

Tom Kennedy.

Un nom qu’il reconnaît.