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Furieux, Francis file dans sa chambre enfiler un peignoir. Il est censé être en arrêt maladie. Il s’impose le calme pour cacher sa rage. Il sait la maintenir juste sous la surface. Accessible. Au cas où il en aurait besoin.

Cette putain de sonnette.

Qui continue de sonner. Il descend, convaincu que ce n’est pas la police. Si les flics se ramenaient ici, ils ne feraient pas autant de manières. Il jette un coup d’œil dans le judas, les coups stridents de la sonnette lui cassent les oreilles. La vue en angle élargi sur les marches et le jardin lui permet d’apprécier l’air déterminé de Tom Kennedy qui garde le doigt appuyé sur la sonnette. Francis recule. Comment Kennedy l’a-t-il trouvé ? Pourquoi lui et pas les flics ?

Et d’ailleurs, pourquoi veut-il récupérer son fils ?

Inutile d’ouvrir, Kennedy se lassera. C’est même insensé qu’il s’acharne.

Le carillon continue de sonner.

La tête que tire Kennedy. Il est dérangé, pense Francis. La réaction à retardement de celui qui vient de perdre son enfant. Un enfant pourtant aussi mal traité que Jake.

Francis se serait-il trompé ?

Il appuie le front contre la porte, quelques centimètres d’épaisseur le séparent de son visiteur. La présence de Kennedy lui picote le front. Jake était donc aimé ? Ce père qui se soucie tant de lui au point d’en arriver à de telles extrémités ? L’idée même déclenche une explosion de désespoir chez Francis. Ce serait injuste si c’était vrai. Rien de tout cela n’est juste. Les petits garçons ne comptent pas tant. Francis le sait depuis toujours, au plus profond de lui, il en est certain. Ils sont inutiles. Ils ne méritent rien d’autre que…

La sonnette continue de retentir.

– D’accord ! s’exclame-t-il.

Kennedy l’a sûrement entendu mais il ne se calme pas pour autant. Francis court à la cuisine choisir dans l’égouttoir un petit couteau aiguisé qu’il glisse ensuite dans la poche de son peignoir. Les coups de sonnette s’arrêtent enfin. Francis repousse le désespoir au profit de la colère, qu’il maintient à fleur de peau.

Se débarrasser de lui.

S’occuper ensuite du garçon.

Il se compose son meilleur visage et va ouvrir la porte.