– D’accord.
Je suis tellement surpris d’entendre sa voix que j’oublie d’arrêter de sonner. Je n’espérais plus de réponse, je n’avais nulle part ailleurs où aller ni rien d’autre à faire. Je ne savais même plus depuis combien de temps j’étais ici. Je me contentais de sonner, comme si appuyer en continu pouvait sauver Jake.
Je jette un coup d’œil à Karen, qui m’attend dans la voiture. Elle parle au téléphone, elle a insisté pour appeler la police. Je l’ai laissée s’expliquer avec l’inspectrice Beck. Elle m’adresse un signe de tête.
Je n’ai aucune idée de ce qui peut arriver. Depuis la découverte du dessin, l’adrénaline me portait, mais maintenant je me demande ce que je vais dire à George Saunders.
Une clé tourne dans la serrure.
L’image de mon père, que je suis allé voir hier, surgit. Avec les blessures qu’il a reçues. Lui, en pleine forme et entraîné, étrillé aussi facilement par celui qui l’a frappé. Par surprise, mais tout de même. Quel poids aurais-je face à Saunders, si c’est lui ?
Je n’y ai pas assez réfléchi.
La porte s’ouvre.
Je m’attendais à une chaîne de sécurité avec mon homme à peine visible dans l’entrebâillement de la porte. Mais non, il a ouvert en grand. Son allure me décontenance : Saunders est ordinaire en tout point. Il fait plus jeune que son âge avec son air poupin, inoffensif.
– George Saunders ?
Il hoche la tête en serrant les pans de son peignoir blanc. Ses cheveux noirs sont emmêlés, comme s’il sortait du lit.
– Vous travaillez à Rose Terrace School, n’est-ce pas ?
– Exact, répond-il, légèrement agacé.
– Mon fils fréquente cette école. Vous êtes l’un de ses profs.
– Je ne suis pas chargé de cours, je suis juste assistant.
– Cours préparatoire. Jake Kennedy.
– Oui, je vois, mais c’est à son enseignante que vous devriez parler, répond-il, le front soucieux. Et à l’école. Comment avez-vous eu mon adresse ?
Saunders est pâle, il tremble malgré la chaleur de ce début de matinée. Il a vraiment l’air malade, un peu perturbé par ma présence, mais pas par moi en particulier. Il est juste mal à l’aise qu’un parent d’élève débarque chez lui.
– Ce n’est pas pour son travail scolaire que je viens vous voir.
– Quoi alors ?
– Jake a disparu.
Saunders ne comprend pas.
– Quelqu’un l’a enlevé, comme Neil Spencer.
– Mon Dieu, je suis désolé. Ça s’est passé quand ?
– Hier soir.
– Mon Dieu, répète-t-il encore en se frottant le front. C’est affreux. Affreux. Je n’ai pas souvent eu Jake dans mon groupe, mais il a l’air d’un bon garçon.
Il l’est.
Saunders emploie le présent, je commence à douter de mes soupçons à son égard. Ce qui m’a amené ici est bien mince, et Saunders en chair et en os ne ferait pas de mal à une mouche. Ne pourrait pas. Il a vraiment l’air surpris et bouleversé d’apprendre la nouvelle.
Je lui montre le dessin.
– C’est vous qui avez dessiné ce papillon pour Jake ?
– Non. Je ne l’ai jamais vu avant.
– Vous ne l’avez pas dessiné ?
– Non.
Il bat en retraite. Je brandis le dessin sous son nez d’une main tremblante, il réagit comme le ferait n’importe qui d’autre avec un type comme moi à la porte.
– Et le garçon dans la terre ?
– Quoi ?
– Le garçon dans la terre.
Il est horrifié à présent. Le genre d’épouvante qui monte graduellement en comprenant que je l’accuse d’un fait précis. S’il joue la comédie, c’est un acteur phénoménal.
J’ai fait une erreur, je pense alors.
Et pourtant…
– Jake !
– Qu’est-ce que vous…
Saunders me barre l’entrée, lui et moi sommes poitrine contre poitrine dans l’encadrement de la porte.
– Jake !
Pas de réponse.
Après quelques secondes de silence, Saunders déglutit. Le bruit est si fort que je l’entends.
– Monsieur… Kennedy ?
– Oui.
– Je peux comprendre que vous soyez énervé, je vous assure. Mais vous me faites peur. Je ne sais pas ce qui se passe, mais je crois franchement que vous devriez partir.
Il y a de la panique dans ses yeux, alors je me dis que c’est vrai. Son corps s’est figé. Saunders est le genre de timide qu’on peut faire entrer dans un trou de souris rien qu’en élevant la voix, apparemment il y est déjà à moitié.
Saunders dit la vérité.
Jake n’est pas là, et moi…
Et je…
Il faut que j’arrête.
Je suis paumé. Complètement paumé. C’était une erreur de venir ici. Je dois retourner chez Karen comme on me l’a demandé et ne plus faire d’autres conneries. Pour ne pas foutre davantage le bazar.
– Pardon.
– Monsieur Kennedy…
– Désolé. Je m’en vais.