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– Désolé. Je m’en vais.

Je ne sais même pas à qui j’adresse mes excuses. À Saunders, je suppose, pour l’avoir dérangé chez lui, accusé, paniqué sans preuve tangible. Mais elles sont plus profondes. Elles sont pour Jake. Pour Rebecca. Pour moi aussi. Parce que je nous ai tous laissés tomber.

Karen est toujours au téléphone et m’adresse un signe de tête.

– C’est bon, dit Saunders. Et je vous l’ai déjà dit, je sais que vous êtes sur les nerfs. Je n’ose pas imaginer ce que vous vivez en ce moment, mais… je parlerai à la police. J’espère que vous retrouverez votre fils et que tout ça n’est qu’une erreur.

– Merci.

Je suis à deux pas de la voiture quand j’entends un bruit derrière moi, dans la maison. Je m’arrête. C’est un bruit sourd, des coups frappés et des cris, mais si vague qu’il est à peine audible.

Saunders l’a entendu aussi. L’expression de son visage a changé quand j’avais le dos tourné, il n’a plus l’air ni malade ni affable ni innocent. Comme si l’humanité de son apparence n’avait été qu’un déguisement, et qu’en tombant elle avait laissé un être entièrement nouveau.

Il referme sa porte.

– Jake !

J’arrive juste à temps pour glisser ma jambe dans l’entrebâillement. La porte me défonce le genou, j’ignore la douleur et pèse de tout mon poids contre le bois. Saunders pousse de son côté, mais je suis plus lourd, et une soudaine montée d’adrénaline décuple mes forces.

Jake est quelque part dans cette maison, si je ne le trouve pas Saunders va le tuer. Il n’hésitera pas, j’en suis certain.

– Jake !

Soudain, il n’y a plus aucune résistance.

Saunders a reculé, la porte s’ouvre d’un coup, je perds l’équilibre et viens le percuter dans mon élan. Il me frappe mollement sur le flanc juste avant de tomber à la renverse, moi sur lui, mon coude sur sa mâchoire, ma main gauche tordant son bras droit. Il tente de se dégager, mais je suis plus large et surtout plus sûr de réussir à le maîtriser.

Mais le diable se démène, sa main s’agite du côté où il m’a frappé avec si peu d’efficacité, je ressens une douleur. Pas insurmontable, mais lancinante, désagréable. Profonde, interne, anormale. Son poing est fiché en moi, du sang commence à imprégner son peignoir blanc. Il tient un couteau qu’il enfonce dans ma chair. Quand il se relève, en rage, je hurle de tout mon être.

Jake !

Je ne suis pas sûr de l’avoir crié ou pensé.

Saunders montre les dents, essaye de me mordre, elles sont là, à quelques centimètres de mon visage. Je le repousse, ma vue se fragmente en milliers d’étoiles. Il attaque encore, la lame remue en rythme, des étoiles explosent. Si j’abandonne, il va me tuer et tuer Jake juste après, alors je me rue contre lui, le couteau s’agite, fouille en moi, la voie lactée me brouille les yeux, se transforme en une grande tache lumineuse. Mais je ne peux pas le laisser faire. Je le retiendrai jusqu’à mon dernier souffle.

Jake.

Les coups et les cris continuent quelque part au-dessus. Je distingue les mots. Mon fils est là-haut, il m’appelle.

Jake.

Les étoiles disparaissent quand la lumière m’éblouit totalement.

Je suis désolé.