59

– Moins vite, s’il vous plaît. Vous avez trouvé quoi ? demande Amanda.

Il est neuf heures, l’inspectrice a travaillé toute la nuit, la fatigue se fait sentir. Son corps est en miettes, son cerveau capricieux. La dernière chose dont elle a besoin, c’est d’un Tom Kennedy surexcité, lui baragouinant des propos décousus au téléphone.

– Je vous l’ai dit, une image, répète-t-il.

– Qui représente un papillon…

– Oui. Elle se trouvait dans la pochette de Jake.

– La quoi ?

– Mon fils conserve des objets précieux à ses yeux. Cette image en faisait partie. Elle représente un papillon, le même que ceux du garage.

– OK.

Elle le prononce, mais ne comprend toujours pas l’importance de cette image. Sa matière grise est à la ramasse, comme la salle des opérations qui l’entoure.

– Jake l’a dessiné, c’est ça ?

– Non ! Le dessin est trop élaboré. Jake a commencé à dessiner des papillons le soir de son premier jour d’école. Quelqu’un lui a sûrement donné ce modèle parce qu’il n’a jamais mis les pieds au garage… Les papillons étaient dans le garage, vous comprenez ?

– Oui.

– Donc, il les a vus ailleurs ! Quelqu’un les a dessinés pour lui. Quelqu’un qui les a vus aussi…

– Quelqu’un qui serait venu dans votre garage ?

– Ou dans la maison. C’est ce que vous aviez dit, des gens comme Norman Collins qui savaient que le corps de l’enfant était là. Vous pensiez que l’homme qui a enlevé Jake en faisait partie.

Amanda sort de ses brumes pour réfléchir. Oui, c’est leur théorie. Mais la découverte de Kennedy pourrait tout aussi bien être insignifiante, comme la nuit blanche qui n’a rien apporté de neuf.

– Qui l’a dessiné d’après vous ?

– Je ne sais pas. Le dessin est récent. Quelqu’un de l’école. Jake l’a rapporté le premier jour, je l’ai vu essayer de le reproduire.

L’école.

Dans les jours qui ont suivi la disparition de Neil Spencer, ils ont interrogé tous ceux qui pouvaient avoir eu un contact avec l’enfant. Le personnel administratif et les enseignants. Rien de suspect n’en était sorti. Sachant que Jake fréquente l’école depuis peu, ce dessin est peut-être sans importance.

– Mais vous n’en êtes pas sûr ?

– Non. Il y a autre chose. Le même soir, Jake parlait à une personne absente. Ça lui arrive, il a des amis imaginaires. Seulement, là, il parlait au « garçon dans la terre ». Comment aurait-il pu savoir ? Idem pour les papillons, sauf si quelqu’un lui en a parlé ?

– Je ne sais pas.

Amanda s’abstient de pointer que cela pourrait tout simplement être une coïncidence. Et même si cela ne l’était pas, il n’y aurait toujours pas de raison de se focaliser sur l’école.

– Pourquoi ne l’avez-vous pas dit plus tôt ? demande-t-elle.

Kennedy est soudain silencieux. Certes, le coup est bas, son fils a disparu et certains détails prennent du sens avec le recul. Un dessin, un ami imaginaire. Des monstres qui murmurent derrière les fenêtres. Mais si Tom Kennedy le lui avait dit avant et si elle l’avait écouté, tout serait différent aujourd’hui. Elle ne serait pas ici, écroulée comme une loque, Pete ne serait pas entre la vie et la mort, et Jake serait chez lui avec son père.

– Tom ? Pourquoi n’avez-vous rien dit ?

– J’ignorais ce que cela signifiait.

– Peut-être rien, mais… Bordel ! Restez en ligne, s’il vous plaît !

Un message d’alerte vient de s’afficher sur son écran. Liz Bamber, l’officier de liaison, vient de se présenter chez Karen Shaw, personne n’a répondu à ses coups de sonnette. Amanda entend des bruits de fond dans le téléphone.

– Tom, vous êtes où ?

– En route vers l’école.

Mon Dieu. Elle se redresse d’un coup.

– Ne faites pas ça !

– Mais…

– Il n’y a pas de mais, ça n’aidera pas.

Elle ferme les yeux et se masse la tempe. Bon sang, à quoi pense-t-il ? Son fils a disparu, il déraille.

– Écoutez-moi, Tom, faites demi-tour et retournez chez Karen Shaw. Le sergent Liz Bamber vous attend, je lui demande de vous ramener ici pour qu’on discute. D’accord ?

Il ne répond pas. Elle l’imagine en train de soupeser sa détermination à aider Jake d’un côté et l’autorité de sa voix à elle de l’autre.

– Tom ? Ne faites pas cette bêtise, s’il vous plaît.

– OK.

Et il raccroche. Merde. Peut-elle le croire ? Tant pis, il n’y a rien de plus à faire pour l’instant. Elle envoie ses instructions à Liz, puis se renverse quelques secondes dans son fauteuil, paupières fermées.

Dès qu’un nouveau rapport arrive, elle clique sur le courriel pour le lire. Encore des déclarations de témoins qui n’apportent rien. Aucun voisin n’a vu ni entendu quoi que ce soit. Francis Carter alias David Parker, ou encore une autre identité, se serait introduit dans la maison, aurait commis une tentative de meurtre sur un officier de police expérimenté, enlevé un enfant et réussi à disparaître sans attirer l’attention. La chance du diable. Littéralement.

Mais ce n’est pas qu’une question de chance, bien sûr. Le gamin fragile et vulnérable d’il y a vingt ans a grandi, et s’est transformé en adulte dérangé et dangereux. Un homme capable de passer sous les radars.

Amanda pousse un soupir.

Allons-y pour l’école, ça ne mange pas de pain.