La lettre attendait Amanda à la maison, mais elle ne l’ouvre pas immédiatement.
Compte tenu du tampon HMP Whitrow sur l’enveloppe, elle se doute de l’identité de l’expéditeur et ne se presse pas pour l’affronter. Frank Carter a hanté, nargué Pete, joué avec lui durant vingt ans, Amanda préférerait être maudite plutôt que de la lire le jour où Pete s’en est allé. Carter ne pouvait pas deviner, mais ce diable d’homme a l’air de tout savoir. Il y a une tonne de plus trucs plus importants que sa lettre, merde.
Elle la laisse sur la table et se sert un grand verre de vin.
– À la vôtre, Pete. Au revoir.
Puis elle éclate en sanglots, ce qui est ridicule. Elle n’est pourtant pas une pleurnicheuse et a toujours tiré une certaine fierté de sa capacité à rester calme et stoïque. Mais l’enquête l’a changée. Et comme il n’y a personne pour la voir, elle s’autorise ce laisser-aller. Cela fait du bien. Elle ne pleure pas seulement pour Pete, les émotions cumulées de ces derniers mois sortent aussi.
Pete, oui, mais aussi Neil Spencer, Tom et Jake Kennedy.
Tout.
Comme si elle avait retenu sa respiration un long moment et que les pleurs lui rendaient l’oxygène dont elle avait besoin pour vivre.
Amanda avale son vin et se verse un deuxième verre.
Maintenant qu’elle a discuté avec Tom et appris les dessous de l’histoire, se cuiter n’est sûrement pas ce que Pete aurait voulu. Mais il aurait compris. Elle imagine même le regard indulgent qu’il lui adresserait s’il était assis là, en face. Un de ses regards qui disaient : Moi aussi, je suis passé par là, alors je comprends, mais ça ne se fait pas d’en parler, non ?
Il aurait compris. L’enquête sur l’Homme aux murmures a volé vingt ans de sa vie. Avec tout ce qui s’est passé, et si elle n’y prend pas garde, il pourrait bien lui arriver pareil… Ce qui est peut-être normal, après tout. Certaines enquêtes s’incrustent, plantent leurs crocs et s’accrochent à vos basques, on les traîne derrière soi malgré tous les efforts fournis pour les déloger. Avant cette enquête, Amanda s’était crue imperméable et pensait grimper comme Lyons, pas sombrer comme Pete. Aujourd’hui, elle se connaît un peu mieux : cette enquête lui collera à la peau encore longtemps.
C’est la vie.
Elle siffle son verre et s’en verse un troisième.
Il y a des points positifs malgré tout, autant le reconnaître. Jake Kennedy a été retrouvé à temps. Francis Carter est sous les verrous et elle sera toujours l’inspectrice qui l’a coffré. Elle a bossé dur, n’a lésiné sur aucun effort et quand l’heure est venue, putain, elle était présente, à cent pour cent.
Amanda ouvre la lettre. Elle se sent suffisamment blindée – et alcoolisée – pour supporter ce que raconte Carter. Cette enflure peut bien écrire ce qui lui chante, les mots glisseront sur elle et il continuera de moisir au trou. Elle n’est pas Pete. Carter n’a aucune prise sur elle. Aucun moyen de la blesser.
Une simple feuille de papier presque vide.
Et les mots écrits par Carter :
Si Pete entend encore, dites-lui merci.