21.

L’ŒIL DU FAUVE (4)

Les yeux jaunes dorés, brûlants, s’éclairèrent d’une lueur intérieure. Les cellules en bâtonnets qui formaient l’œil nocturne, derrière la rétine du fauve, venaient de distinguer puis d’identifier la silhouette qui descendait les trois marches devant le chalet. Hypersensibilité aux moindres parcelles lumineuses, dans toutes les nuits, hyperacuité aux mouvements : sa nature faisait de lui une machine à tuer, dans le noir comme en plein jour, une merveille de l’évolution.

Devant lui, à dix mètres, le professeur sortait seul du mazot du garçon en gore-tex rouge. Une occasion inespérée, plus décisive encore que celles qu’il avait pu attendre, celles qu’il organisait… Timothy Blackhills était secondaire dans leur projet, mais pas le professeur.

Et précisément à ce moment, en ces heures stratégiques.

Les babines se retroussèrent sur ses crocs d’un jaune ivoire. La nature l’avait doté de canines acérées, pour arracher. Au fil de l’évolution, ses mâchoires étaient devenues les plus puissantes, parmi celles des superprédateurs terrestres. Elles lui permettaient de tuer plus radicalement que quiconque, de s’attaquer à la tête, directement à la tête.

Sa signature.

Un grondement instinctif monta de ses entrailles, presque inaudible, sauf dans son crâne, où il résonna comme les Walkyries. Attaquer, tuer. Ne pas raisonner comme un homme. S’abandonner à la puissance. C’était le programme, le but, la fin…

Une bave acide emplit sa gueule. Ses narines humèrent la viande. Son palais devina la saveur de sa proie. Et ces stimulations excitantes étaient sa nature, son don.

Ines avait commis une erreur en attaquant Kate en plein jour. Bjorn en avait commis une plus lourde encore en ordonnant la mort de Faisal. À trop se hâter, ils avaient précipité la guerre… Heureusement, lui était là, il était un être supérieur – il savait donner le change, choisir le moment, frapper lorsqu’il le fallait.

Et cette fois, il n’allait pas tergiverser. Cette occasion lui offrait un de ces instants décisifs, comme sa propre nature, où l’on peut faire basculer l’histoire.

Il fut ce qu’il était – il se ramassa sur lui-même, pour frapper.

Des milliers de cellules lumineuses atteignirent à cet instant les bâtonnets de ses cellules oculaires. Éblouissement brutal, cécité provisoire.

Avant même de distinguer sa proie, il entendit la voix de l’un de ses adversaires les plus redoutables.

– Je vous ai conseillé de ne plus sortir seul, la nuit, professeur… Je vous cherchais.

Matthew fouillait la nuit avec sa torche puissante, et venait de balayer le fourré où il se cachait. Dans la main droite, le rouquin tenait un revolver de gros calibre.

Le prédateur redevint mentalement hybride : mi-homme mi-carnivore. Finalement, l’heure n’était pas venue d’attaquer. Pas tout de suite. De toute façon, il aurait de meilleures occasions.