SOLITUDES
Il ne pouvait plus se mentir à lui-même, maintenant. Meurtrier.
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Était-ce vraiment de sa faute ? Avait-elle tout foutu en l’air, en mentant pas omission, tout gâché comme à chaque fois ? Et si elle lui avait dit la vérité il y a huit mois, aurait-elle conservé, alors, une chance de le garder ?
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Lorsqu’il avait massacré les hommes du bunker, il s’était trouvé des excuses. La nécessité. L’horreur de ce qui attendait Flora. Flora.
Mais dans la voiture, le 2 juillet, il n’avait aucune excuse. Aucune.
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Tim ne pouvait pas l’abandonner maintenant, plus après tout cela. Il n’avait pas le droit de lui promettre un avenir heureux et de le lui retirer. Ou alors, quoi ? Il l’aimait moins qu’il ne haïssait l’ours en lui-même ? Moins que son frère, ses parents, tous ses morts ?
S’il fallait qu’elle paye son mensonge, elle était prête – qu’il lui dise simplement ce qu’elle devait accomplir pour se rattraper. S’il fallait aider Tim, elle était prête aussi. Mais qu’il lui dise quoi faire, qu’il la laisse s’expliquer, qu’il la regarde juste une fois.
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Ben. Ben avait été tout pour lui. Il était son passé, son présent, son avenir… et il l’avait lacéré. Avant ou après sa mort, qu’importe. Il l’avait lacéré. Il n’était plus digne du présent, de croire en un autre avenir.
Il n’avait pas le droit de s’inventer une vie sans Ben, comme s’il avait disparu, et qu’une page blanche pouvait s’écrire. Il n’avait pas le droit de remplacer Ben par quelqu’un d’autre, qui serait tout pour lui. Flora était une page blanche, mais la page précédente n’avait pas été écrite. Il l’avait déchirée. Ben n’avait pas disparu, il l’avait lacéré.
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Pourquoi se taisait-il ? Où s’était-il enfermé, si loin, si loin, et comment pouvait-elle l’atteindre ? Était-il réellement possible qu’il ne revienne jamais vers elle, qu’ils se soient perdus à jamais ?
Et dans ce cas, la vie retrouverait-elle un sens ?
Tim. Tim. TIM !
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Pourquoi McIntyre lui avait-il refusé l’hypnose ? Pourquoi Flora lui avait-elle menti ?
McIntyre était aux abonnés absents – McIntyre qu’il avait presque espéré élire comme père de remplacement, à la place de John Blackhills, l’homme qui conduisait la Ford le 2 juillet. Son seul vrai père. Mort, enterré. Flora ne pouvait pas l’aider, ne devait pas l’aider, avant qu’il paye. Qu’il expie.
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Pendant une semaine, Tim ne sortit pas de sa chambre, sauf pour aller récupérer de quoi s’alimenter. Pas une fois il ne croisa Flora. Pas une fois il ne lui adressa la parole. Il n’y avait plus rien à dire, rien qui vaille la peine d’être entendu, discuté.
Pendant cette semaine, Flora ne chercha pas une fois à entrer dans le refuge de Tim. Il était ailleurs, il était inatteignable. Elle se consacra à ses recherches pour McIntyre. Elle se perdit dans les comptabilités secrètes, dans les filiales, dans l’architecture de la holding AC Hemato Inc.
Cela aurait dû être un dérivatif. Mais cela ne suffit pas.
Le vendredi 27 avril à midi, Timothy Blackhills réserva un billet d’avion pour le lundi suivant, depuis l’aéroport international de Genève, à destination de Missoula. Trois escales, une journée de voyage, huit heures de décalage horaire. Un aller simple, sans retour.
Le vendredi 27 avril au soir, Flora Argento pirata de nouveau, comme chaque jour, l’ordinateur de celui qu’elle aimait et perdait, pour savoir ce qu’il pensait, ce qu’il cherchait – où en était son âme. Pour la première fois, elle y trouva un indice, une indication très claire. Et ce qu’elle découvrit l’anéantit : Tim partait.