IN TENEBRIS (1)
Il s’était trompé du tout au tout.
Clauberg n’était pas l’allié d’Hugo ; et il n’était pas seulement le commanditaire des chasseurs. Il était pire, quelque chose à quoi sa vie, ses convictions, sa foi en la conscience humaine ne l’avaient pas préparé : l’Ennemi.
Dents d’acier, prison de verre.
Où était Julien ? Il avait disparu dans les minutes qui avaient suivi leur capture. Que lui faisait-on subir ? Avait-il pu s’enfuir ?
Et Matthew ? On l’avait emmené quelque part dans les entrailles du laboratoire.
À cette heure, McIntyre était seul dans l’immense second sous-sol, éclairé par des néons violents au-dessus de sa cage tranparente, et pour le reste, entièrement plongé dans le noir – pas de différence, entre le jour et la nuit.
Espéraient-ils vraiment percer à jour les mystères de l’Institut avec de tels dispositifs, coûteux et pourtant dérisoires ? Se pouvait-il qu’ils fassent parler Julien ? Ou Matthew ?
Les questions de Clauberg avaient tourné autour d’une seule information : la localisation précise de l’Institut.
Pendant les deux premiers jours, dès qu’il revenait d’une métamorphose, on le harcelait de questions. Comme s’il y avait une urgence.
Ils avaient emmené Matthew.
Il était seul.
Maintenant, il savait pourquoi Clauberg était si pressé de le faire parler.
Quelque chose survenait, dont il percevait les prémices.
Il éprouvait de plus en plus de difficultés à faire le point, sur la situation, sur les risques qu’ils couraient, lui et les siens. Il sentait que des raisonnements commençaient à lui échapper. Il en était à la sixième métamorphose.
La douleur dans son crâne palpitait, ses yeux étaient à vif comme si on jouait avec son nerf optique. Il épuisait son énergie à se maintenir à un état de conscience tout juste médiocre à cause des métamorphoses successives, trop rapprochées, plus nombreuses en une semaine qu’il n’en avait vécu en quelques mois.
Il éprouvait presque physiquement le travail qui s’opérait, la reconfiguration des synapses, et des neurones qui se recombinaient, s’agençaient en une nouvelle architecture. Le cerveau était alors celui de l’animal, et l’esprit humain s’y perdait chaque heure un peu plus, dédale de matière grise auquel se heurtaient ses raisonnements.
Des pans entiers de sa mémoire semblaient se déchirer, s’échapper comme de la brume ; son intellect humain lui devenait inaccessible…
En un sens, c’était une bonne nouvelle : bientôt, il serait incapable d’indiquer à ses geôliers où se trouvait l’Institut. Parce qu’il aurait perdu toute mémoire personnelle. Il était en train de devenir un mustélidé, psychiquement, et nul ne peut songer à torturer un animal pour le faire parler. Le sort de l’Institut dépendrait donc de Julien et de Matthew.
Quant à lui, encore deux ou trois jours et il aurait sombré.