44.

MAUVAIS REMAKE

Tim agit.

D’un mouvement rapide, précis, brutal, il saisit le pistolet dans la main de Flora et roula sur le côté pour se mettre en position de tir, sur le dos. Une séquence parfaite – mais l’un des trois types l’avait vu venir et le cueillit d’un grand coup de pied dans les côtes. Un deuxième coup de rangers dans la main sembla lui exploser toutes les phalanges.

Tim lâcha l’arme en poussant un cri bref.

Le deuxième commando s’était déjà penché sur Flora et la relevait en la tenant par les cheveux.

L’homme qui avait frappé Tim le plaqua à plat ventre, posa un genou sur son dos et lui fit une clé de bras avant de le redresser. Il n’y avait ni colère ni urgence dans leurs gestes, juste une violence extrêmement dosée, technique. Le tout n’avait duré que quelques secondes.

 

Tim, Shariff et Flora avaient déjà perdu la partie, sans même avoir lancé les dés – comme des oies blanches, des petits soldats dérisoires.

Now, guys, you’d better follow us…1

Flora, à cet instant, se contorsionna, tentant d’échapper à la poigne de celui qui la maintenait par les cheveux. Son gardien la souleva de terre en passant un bras en tenaille sur sa poitrine. Dans le mouvement, la deuxième main gantée de noir se posa sur ses jeunes seins, comme une araignée. L’homme qui tenait le homard dit, d’une voix égale, toujours en anglais :

– Ton morceau de viande blanche a meilleure mine que le mien… J’en demanderai un morceau à Prince.

– Quand il aura fini avec elle, tu n’en auras plus envie.

Pour la première fois, les autres cyborgs eurent une réaction humaine : deux rires gras. Tim sentit monter en lui une rage folle.

Fuck you, bande de porcs. Reposez-la.

Toujours aussi calme, l’homme qui tenait le homard lui décocha une gifle magistrale.

Shut up, asshole, on risque de t’entendre… Tu ne voudrais pas déranger nos pacifiques voisins. Ils dorment.

 

———

 

Un nez cassé une fois est plus fragile, les cartilages cèdent de nouveau, volontiers.

Plus tard, Tim serait incapable de dire s’il avait intentionnellement provoqué la gifle, si cela faisait partie du même plan que dans le bunker, comme un mauvais remake ; s’il avait eu dans la bouche le goût du sang avant même de comprendre ce qui allait arriver, ou si sa langue l’avait cherché durant quelques dixièmes de secondes, attendu, espéré.

 

———

 

Il libéra sa patte, d’un simple mouvement d’épaule, bref, violent, et se retourna dans une volte-face imprévisible. La créature qui avait tenté de le retenir, déséquilibrée par ses gestes, avait fait deux pas en arrière ; c’était trop peu, encore, pour échapper à son allonge… Tuer, sans fureur, sans rage, sans émotion. Comme dans le sas, pendant les premières secondes.

Les griffes partirent, décrivirent un véritable arc-de-cercle. Elles touchèrent la créature à la gorge. Un geyser de sang. Les proies saignent toujours ainsi, à la gorge. Une voix, lointaine, mais qui revenait à la surface consciente, récita : « artère, jugulaire, il est mort ».

Il connaissait cette voix, c’était celle de l’autre cerveau. Il se souvenait.

La créature hérissée qui ressemblait à un bipède tomba à genoux, les deux mains à la gorge, essayant de retenir le fluide.

Sang. Mort. Manger, maintenant ? Non. Il devait tuer les bipèdes, la voix le lui intimait, celle qui connaissait les mots des bipèdes. La voix lointaine, si proche, l’autre lui-même.

Il devait tuer les bipèdes, mais non, pas tous. Certains. Lesquels ?

Il retomba sur ses pattes devant la première victime. Odeur du sang, odeur affolante.

« Non. En sursis. Déjà mort. » « Ne mords pas, ne t’acharne pas. Elimine les autres, d’abord. »

La voix, l’autre cerveau, lui commandait.

Il se retourna avec une vitesse stupéfiante pour sa masse.

Il y avait trois autres silhouettes. Deux bipèdes noirs, hérissés, avec cet étrange troisième œil protubérant, au milieu du front. Le cerveau enfoui disait : « Lunettes de vision nocturne… ils peuvent te voir. » Les mots venaient facilement, deux mémoires coexistaient, l’une analysait, sentait, percevait, l’autre ordonnait. Tout était facile, il savait ce qu’il devait faire.

La jeune fille n’était pas une proie, un danger – la jeune fille s’appelait Flora, elle était son amie, elle ne mourrait pas.

L’un des deux bipèdes la tenait contre lui. Il mourrait en dernier. S’occuper d’abord du plus grand. Tuer. Châtier.

C’est le plus grand qui l’avait frappé, à la truffe. C’est le plus grand qui devait mourir le premier. Tuer, sans colère, se posséder soi-même, garder la maîtrise, disait l’autre cerveau.

Le plus grand tenait dans sa main gauche une chose qui bougeait, se tortillait, une chose munie de pinces. « Cela s’appelle Shariff. Cela est un homard », indiqua la voix à l’intérieur de son crâne.

La main droite du deuxième bipède serrait un bâton qui fume. Le plus grand avait reculé, comme le couple proie-numéro-trois/Flora. De quelques pas.

Tim se redressa de nouveau sur ses pattes, pour frapper, tuer. Maîtrise parfaite. Il était un ours, il était un seigneur, il allait…

Le plus grand braqua son bâton vers lui. « C’est un fusil à visée laser », dit le deuxième cerveau, celui auquel les mots venaient le plus aisément. « Le point rouge sur toi permet de verrouiller la cible. » Le deuxième cerveau dit encore : « Tu n’as pas le temps, esquive le point rouge. » Son énorme corps tenta une feinte, mais le point rouge le suivit, tremblant sur sa poitrine.

Le bipède dit calmement :

– Bonne nuit, Teddy Bear !

Comme il y a huit mois, dans le couloir du bunker, le deuxième cerveau anticipa l’information, avec quelques centièmes de secondes d’avance sur la gâchette : « Tu es mort, Timothy Blackhills. »

1- « Maintenant, jeunes gens, je pense que vous devriez nous suivre… »