Babel

Même si je sais que c’est pas vrai

j’te l’conte pareil quand j’me réveille

même si je sais que c’est pas vrai

 

Même si je sais que c’est pas vrai

je n’peux m’empêcher de te l’conter

même si je sais que c’est pas vrai

 

Des mots.

 

Des mots. Plein de mots. Partout.

C’était partout.

C’tait sur tout’.

Des mots. Des lettres. Des signes.

Partout.

Sur tout’.

Ostie que c’tait weird.

Des mots.

Sur les murs. Au plafond. Sur les objets.

Sur les parois des objets.

C’tait sur tout’.

Sur les marches, les portes.

La place ressemblait à un entrepôt de queque sorte.

Sauf que ça montait. Y’avait des marches.

Des marches. Des arches.

Des portes.

Ostie que c’tait weird.

Un entrepôt plein d’vieilles affaires oubliées.

Des objets perdus. Oubliés. Perdus.

Des affaires qui servent pus.

Pis y’avait pas de fenêtres. Ça montait. Mais y’avait pas d’fenêtres.

D’la pierre. Tout était en vieilles pierres taillées.

Tout avait l’air ben vieux. Vieux, vieux, vieux.

Ancien

Comme égyptien ou romain

Très ancien

ou même plus vieux que ça.

Pis quelqu’un avait écrit sur toutes ces affaires-là.

Quelqu’un avait écrit partout sur tout’

Quelqu’un avait

Qui? J’savais pas qui.

Ni qui ni quand.

 

Des mots.

C’était écrit partout. Sur des boîtes, des caisses, des vases.

Au plafond. Sur les murs. Les marches.

C’était partout. Sur tous les objets aussi qui traînaient le long des murs.

Sur des vieilles boîtes. Des valises.

Sur des malles (comme on se servait autrefois pour les voyages en paquebot), des grosses malles avec des tiroirs.

Sur des valises. Des vases.

Des boîtes. Des valises.

Mais y’avait des affaires modernes aussi. Comme t’à coup tu pouvais tomber sur un micro-ondes ou un morceau de char, t’sais, ou

un grille-pain

un congélateur

des calendriers avec des filles en bikini.

Ostie que c’tait weird.

J’sais pas pourquoi mais

Ostie que c’tait weird.

mais j’savais que c’tait des messages.

Ostie que c’tait weird.

Des messages de queque sorte.

Ostie que c’tait weird.

Au début, j’avais pas peur. J’trouvais ça juste comme, comme weird t’sais. Marcher là-d’dans avec des mots partout.

Des lettres. Des signes. Des p’tits dessins. Comme d’l’égyptien comme. Pis d’autres comme du japonais ou du chinois ou d’là-bas entéka, des pays là-bas.

Et tout à coup, j’ai compris.

Tout à coup, je me suis dit « C’est toutes les langues de la terre ».

 

Des mots.

Souvent c’était écrit… on aurait dit, en cyrillique ou en arabe. Même des fois en chinois.

Je savais que c’était des mots mais c’était des mots étrangers, dans des langues étrangères, des alphabets étrangers, des écritures d’ailleurs, russe, chinois, arabe, inuit (souvent on aurait dit de l’inuit).

C’était plein de mots partout. Mais j’arrivais pas à les déchiffrer. C’était pas dans une langue que j’connaissais.

Tout à coup, je me suis dit « C’est toutes les langues de la terre ». C’est à ce moment-là que je me suis rendu compte que j’étais dans une tour, que j’étais dans la tour de Babel, que je montais dans la tour de Babel, que j’étais dans l’histoire. L’histoire de la malédiction. L’histoire de la punition.

Celle de la colère de Iahvé.

T’sais c’tait quoi… c’tait comme une espèce de musée ben fucké. Un musée plein de… de junk.

C’est ce que j’expliquais aux autres, à tous ceux qui descendaient tandis que je montais. C’est ce que je leur expliquais…

Eux aussi me parlaient mais j’comprenais rien.

Ça, tu vois ça, ça j’trouvais ça normal.

J’trouvais ça normal de rien comprendre.

Mais autant que j’trouvais ça normal, autant que ça m’fâchait qu’eux me comprennent pas.

Ça me fâchait assez.

On était tous pris. Chacun pris.

Pris dans ses mots, sa langue.

Pris

Chacun pris

Pris tous

Chacun

Chacun pris avec ses mots, sa langue

Tous pris

Pris

Moi aussi

Comme moi

Moi

Comme moi

Pis ça m’fâchait assez.

Ça m’fâchait assez.