Personnages
Cracked, 19 ans. Jeans, t-shirt noir, veste de jeans sans manches, espadrilles.
Voix 1, celle d’une très vieille femme.
Voix 2, celle d’un homme.
Lieu
Une chambre dans l’aile psychiatrique d’un grand hôpital au centre-ville.
Temps
Le dimanche de la fête des mères. Vers 19 h.
Cracked s’adresse à sa mère. Elle est dans un lit devant lui mais on ne la voit pas. Il a une enveloppe dans une main.
J’ai cashé mon chèque, hier, fait que j’t’ai acheté une carte.
Pause. Il ouvre l’enveloppe, en sort une carte, lui montre.
Y’a une rose dessus. J’sais qu’t’aimes le parfum aux roses fait que j’ai pris celle avec la rose.
Pause.
R’garde.
Pause.
J’ai mal!… J’ai mal!
Pause.
T’as encore ta bague? J’pensais qu’y l’enlevaient ça. La dernière fois, y te l’avaient enlevée. La dernière fois.
J’ai mal!… J’ai mal!
Pause. Cracked dépose la carte sur la table de chevet du lit. Puis il se ravise et la place debout en l’ouvrant.
Eh! Mom! J’t’ai pas dit ça! J’ai oublié de/ J’sais pas pourquoi j’te l’ai pas dit. J’vas peut-être passer à tv. Ouain, fuck. À tv, fuck. (J’te l’ai pas dit. J’en r’viens pas que j’t’ai pas dit ça.) À tv. C’tait des gars. Y’étaient deux. ’Sont v’nus avec leurs caméras. Quand j’tais en-d’dans. V’là trois, quatre semaines. V’là juste icitte, ouain, v’là trois semaines. Y’étaient deux. La caméra, les lumières. Shit!
Courte pause.
J’ai mal!… J’ai mal!
Pause.
Fait qu’y m’disent de m’assire pis d’leur jaser ça. Blablabla. D’leur conter ma vie, de, t’sais, blablabla. Y m’disent, t’sais… La vérité! C’est ça qu’y m’disent. Parle-nous de, t’sais/ C’est ça qu’y veulent. Comme si… ya sure! La vérité! Comme si ça s’peut, t’sais. Comme si/ Comme who the fuck knows? who the fuck cares? What the fuck is this shit, la vérité!?
Courte pause.
J’ai mal!… J’ai mal!
Farme ta yeule! Farme ta yeule! Farme ta yeule!!!
Pause.
Je l’sais c’qu’y veulent. Au fond? Au fond, je l’sais c’qu’y veulent. (Vérité. Shit. C’pas la vérité.) T’sais c’qu’y faut leur dire? Leur donner? À ceuzes-là qu’y veulent te faire cracher la comme t’sais la vérité?… You fuckin’ shock the fuckin’ fuck outta them, man. Ouain, the fuckin’ fuck!
Il rit. Pause.
J’leur ai beurré ça, man. Beurré pas à peu près. J’en ai mis, fuck, t’sais… Des rats, des chiens fous, des viols en gang, des shotguns sous l’lit, des couteaux à gorge, d’la colle à onze ans, d’l’acide à douze, du crack à treize, des pères qui prostituent leurs kids, des oncles qui s’shootent dans cuisine. (Il rit) J’ai tout mêlé. Des histoires que j’avais vues à tv, des bout’s d’la vie d’un gars en d’dans avec moé, d’une fille que j’ai connue. Tout mêlé, rabouté ensemble. Shake-a-shake-a-shake. Voilà! El Fucké Numéro Uno in America!!!
Il rit. Courte pause.
Eh, Mom… Mom…
Earth calling, Mom. Earth calling, Mom. Come in, Mom. Come in, Mom. Do you read? Copy?
We are not reading you, Mom. Do you read? Copy? Copy?
Il sort un briquet bic d’une poche, l’approche de l’endroit où doit être la tête de sa mère, l’allume.
Y’a-tu quelqu’un?
Eh! Y’a-tu quelqu’un?
Pause. Il éteint le briquet et le remet dans sa poche.
Faut j’y aille là, Mom. I gotta see a man about a pair of shoes.
Il rit. Courte pause.
Si j’passe à tv, y vont me l’dire quand, pis m’as te l’dire, OK?… Tu me r’garderas à tv, OK?… Ça va être toutes des menteries mais tu me r’garderas pareil, OK?
Pause.
J’ai mal!… J’ai mal!
Pause.
Bonne fête des mères, Mom.
Pause. Il se tourne pour sortir, s’arrête.
J’ai mal!
Farme ta yeule! Farme ta yeule! Farme ta yeule!!!
Il retourne auprès de sa mère. Rapidement. Ramasse un petit savon enveloppé qui se trouve sur la table de chevet. Jette un regard par-dessus son épaule. Sort le savon de l’enveloppe. Regarde sa mère.
(Parlant de la bague) Tu vas voir. Ça va s’enlever, tu sentiras rien.
Il crache sur le savon. Le frotte avec un doigt pour le faire savonner. Regarde de nouveau par-dessus son épaule. Ferme tes yeux.
(Doucement) Ferme tes yeux, Mom.
Noir.