Personnages
Mike, 15 ans. Vêtu hip mais sobre. Propre.
Richard, 30 ans.
Lieu
Salon/cuisine à aire ouverte dans l’appartement du père.
Temps
Le dimanche de la fête des pères. Vers 14 h.
Mike a deux sacs d’épicerie dans chaque main. Il est debout devant Richard qui est en robe de chambre.
Y l’savait?
C’est la fête des pères…
Oui, mais/
…Ben oui, y l’savait.
Oh.
On s’en était parlé.
Oh.
Courte pause.
En tout cas, on s’était dit qu’on allait se voir, qu’on…
Ce soir? Y t’a dit que vous alliez vous voir ce soir?
J’ai pensé y faire une surprise… Lui faire à souper, c’est ça la surprise, pis/
Fait qu’y l’savait pas…?
Pas pour la surprise, non, mais…
J’veux dire, y l’savait pas pour à soir?
Ben, oui…
Courte pause.
C’est parce qu’y m’en n’a pas parlé.
Oh.
C’est pour ça.
Mais on s’était dit qu’on s’verrait, qu’on…
Ah oui?
Oui.
Quand?
Y m’a promis qu’on s’verrait, qu’on…
C’est parce qu’y’est revenu seulement avant-hier, fait que…
Je l’sais mais…
Vous vous êtes parlé pendant qu’y’était à Toronto pour le tournage?
J’avais pas l’numéro. Y m’a pas laissé son numéro.
Fait que c’était avant Toronto?
Oui, avant Toronto. Y m’a pas laissé son numéro. Y oublie des fois d’nous laisser son numéro.
Oh.
Pause.
Veux-tu que j’le réveille?
Courte pause. Mike jette un coup d’œil vers les coulisses (où on imagine serait la chambre à coucher), puis il se dirige vers un comptoir où il déposera les sacs.
Non. Ça va.
Mike commence à vider les sacs sur le comptoir. Richard le regarde faire pendant un moment.
Y s’est couché tard?
On a fini à six heures à matin. On a rushé comme des malades.
C’est toi, Marc?
Marc? Non.
Ah.
Moi, c’est Richard.
Richard?
Oui… S’cuse, on s’est même pas présentés, pis… C’est qui, Marc?
J’sais pas. Mon père m’a dit qu’y s’t’nait avec un gars qui s’appelait Marc. Fait que j’ai pensé que t’étais Marc. Tu fumes des plain?
Écoute, je…
D’la truite fumée. As-tu déjà goûté à d’la truite fumée? Mon père aime ben ça. Si tu veux y faire plaisir à un moment donné, achète d’la truite fumée.
Du vin?
Oui. D’l’italien. Un merlot.
Comment t’as fait pour acheter du vin?
J’l’ai volé d’chez ma mère.
J’pense que j’devrais aller le réveiller.
Courte pause.
J’ai tout’ fait ça pour rien, c’est ça? À soir, y peut pas. Y’a d’autre chose à soir, c’est ça?
Pause.
Y’a dû oublier.
C’t’écrit dans son agenda. Trouve son agenda, pis tu vas voir que c’t’écrit. Je l’sais que c’t’écrit dans son agenda, j’étais là quand y l’a écrit.
Ah! tu vois, c’est ça. C’est l’agenda. Tu vois, c’est/
Y’a perdu son agenda?
Non. Pas perdu. Oublié. Y l’a oublié à Toronto. On l’ramasse tout à l’heure au terminus. La directrice de production l’a envoyé par autobus. Tu vois, c’est ça. L’agenda. C’est juste qu’il l’avait pas, son agenda. Ça explique tout.
Courte pause.
Ça fait juste trois jours, ça explique rien.
Pause.
Écoute, ça fait deux jours qu’on rush. On n’a quasiment pas dormi depuis qu’y’est revenu. On a fait comme un vingt-six heures d’affilée sur l’espresso pour y arriver. C’est son film. Son projet de film? T’sais, son projet de film?
Y’a toujours quinze projets de film.
Non. Pas ceux-là. Pas les films des autres. Le sien. Son histoire. Pas ses projets de caméraman. Son histoire. Son scénario. Je l’sais que tu sais lequel j’veux dire, t’as composé d’la musique. Y t’a raconté l’histoire pis t’as… (En se dirigeant vers le système de son) Tu t’en souviens sûrement…
L’histoire dans l’Nord?
Celle de l’enfant, du p’tit gars qui…
Musique joue. Piano. Un air qui ressemble à du Sati.
T’avais composé ça pour lui.
Shit, j’avais onze ans.
On l’a écouté souvent pendant qu’on travaillait.
Courte pause.
Pis?
C’tait pas prévu. Tout ça c’tait de l’imprévu. C’est que tout à coup y’a toutes sortes de choses qui sont tombées en place. Fallait bouger vite. C’tait maintenant. Là. Maintenant… On avait/ avant qu’y parte pour Toronto, OK/ on avait/ (deux semaines avant? Non trois. Ouain trois semaines avant) on avait reçu un coup d’fil d’une nouvelle fille qui travaille pour le producteur qui avait financé le documentaire sur les délinquants, celui que j’monte pis que ton père…? En tout cas …en tout cas, elle, la fille, elle l’avait lu, le scénario — une ancienne version — quand a’ travaillait pour Téléfilm, OK? A’ parle du concept au gars qui cherche des projets de fiction parce qu’y vient de revenir de Banff avec toutes sortes de contacts qui savent, paraît-il, comment financer des projets avec de l’argent de j’sais pas quel réseau en Europe (l’Islande? l’Irlande?), en tout cas ça, c’pas important parce que ça pas… en tout cas… L’important, c’est que le gars — son gars, le producteur — veut pas lire tout le scénario, évidemment! Fait qu’on retravaille la structure du synopsis ton père et moi, on l’envoie. Le gars allume! Y’aime tellement ça qu’y fait un pitch au téléphone à un de ses contacts à Atlantis, le jour même. L’autre allume aussi! Celui d’Atlantis fait quelques suggestions. Beaulieu nous les faxe. Beaulieu c’est l’gars, OK? Beaulieu nous les faxe. On refait une autre version — ben, deux, une en anglais —… Faxe, faxe, faxe. Ton père part pour Toronto. Moi, j’corrige encore un coup à partir d’autres remarques qu’on m’faxe d’Atlantis. Faxe à Toronto. Faxe à Beaulieu. Refaxe à Toronto. Change encore ci, ça. C’est pus un p’tit gars, c’t’une fille. Retraduit les versions. Une chance que ton père parle bien l’anglais parce que moi… Là tout d’un coup, y veulent un synopsis plus détaillé. C’est là-dessus qu’on a rushé, c’est ça qu’on a fini à six heures à matin. Fallait, on les rencontre à soir. Le gars d’Atlantis/ pas l’premier, le premier est pus dans l’portrait… son boss à lui/ le gars d’Atlantis est ici pour signer un gros truc — j’sais pas combien de millions, un gros truc en tout cas — un gros truc avec Radio-Canada demain après-midi, mais y’est monté d’avance pour nous en parler à Beaulieu pis à nous.
Courte pause.
C’est très excitant. Ton père et moi, on est très excités.
Courte pause.
C’est tellement une belle histoire aussi.
Pause. Fin du morceau de piano.
(Sans regarder Richard) C’est pas ma robe de chambre, ça?
Ça? Je… oh… Est-ce que c’est ta robe de chambre? Je…
C’est ma robe de chambre, oui. La mienne. Ma robe de chambre. À moi. La mienne. (Se tournant vers Richard) LA MIENNE, CHRISS!… S’cuse, je… s’cuse… C’est juste que… j’veux dire c’qu’y fait — j’veux dire mon père — mon père, c’qu’y fait, c’est pas de mes/ j’veux dire j’ai pas un mot à dire su’a game. Je l’sais, c’est/ j’veux dire c’est ça. C’est d’même. J’le comprends ça. Je suis assez vieux, assez mature, fuck!, oui assez mature pour comprendre ça, fuck! Mais ça, c’est ma robe de chambre, pis ça… ça… tu vois, ça…
Y m’a dit que j’pouvais, je savais pas que…
Tu vois c’est ça. C’est ça. C’est de ça dont j’parle. Tu vois.
J’vais l’enlever.
Mais y t’a dit que tu pouvais la mettre, tu vois. C’est ça. Y te l’a dit pis c’est ça. (Se dirigeant vers la machine à cassettes) J’ai rien ici, presque rien, tu vois, je/minimum, c’t’un minimum, queques p’tites choses, deux-trois cassettes, j’prends pas d’place, j’veux pas m’imposer, on s’était entendus sur, t’sais, un minimum, on s’était entendus sur un minimum. (Sortant la cassette) Y’a une question de principe ici, tu vois-tu c’que/ DE PRINCIPE! (Lançant la cassette) Moi, j’ai rien à dire, j’ai rien à/ j’veux dire sa vie c’est sa vie. C’qu’y fait/ Eh! Sa vie c’est sa vie! C’est pas moi qui vas dire le contraire. C’qu’y fait, avec qui y l’fait, avec qui y couche… Eh! Sa vie! Mais on pourrait-tu comme se respecter? Se respecter?
J’vais l’enlever.
Fuckin’ right tu vas l’enlever! Fuckin’ right!… S’cuse…
J’vais l’enlever.
OK, tu vas l’enlever mais… Mais c’est pas ça. Tu vois-tu? C’est pas ça. J’veux dire, c’est trop tard. C’est fait’. C’qui est fait’, est fait’.
J’vais l’enlever.
C’est fait’. C’est trop tard. C’est fait’!
Courte pause.
T’as raison. Ton père avait pas d’affaire à m’dire de la prendre.
Essaie pas.
Quoi?
Essaie pas.
Je…
Essaie pas.
Non, j’te donne raison, c’est tout’. C’est vrai que…
Essaie pas de/ j’veux dire… j’veux pas entendre ça. J’veux pas entendre que…
Mike s’approche de Richard. Il ponctue ce qu’il dit en le dardant d’un doigt.
FUCK YOU! FUCK TA COMPRÉHENSION! FUCK TA CHRISS DE…
D’un geste rapide et efficace, Richard lui prend la main, la tord, et oblige Mike à se mettre à genoux. Aussitôt que celui-ci pousse un petit cri de douleur, Richard le relâche et recule d’un pas. Pause.
Ça va?
Non.
J’t’ai fait mal?
Oui.
Pas trop?
(Après une courte pause, en se secouant la main) Non, pas trop.
J’suis ceinture noire, premier dan.
Ah.
J’donne des cours d’autodéfense aux jeunes dans l’Village.
Ah.
Les mardis soir. À huit heures.
Ah.
C’est important de savoir se défendre.
Oui.
Surtout de nos jours.
Oui.
Courte pause.
T’as quel âge toi, cou’don?
Pause.
Écoute, j’ai rien à voir avec ta colère. Rien à voir là-dedans. Y’a une partie de moi qui veut réagir à ton niveau, mais… Mais, mais, mais… je sais que je ne serais pas en train de réagir à toi, je serais en train de réagir à moi, à une partie de moi qui ressort toujours, chaque fois, quand on me blâme ou quand je me sens blâmé.
Courte pause.
T’es en thérapie.
Oui.
Mon père se ramasse toujours avec quelqu’un en thérapie. Ma mère a été en thérapie pendant dix ans.
Elle a arrêté?
V’là un an.
A’ va mieux?
Non. Pire. Mais j’aime mieux ça. J’aime mieux dealer avec elle sans que « Suzanne » soit toujours là.
Courte pause.
J’vais aller le réveiller. J’vais enlever ta robe de chambre puis j’vais le réveiller.
(Se levant) C’est pas nécessaire… Merci. Mais c’est pas nécessaire.
Vous devriez…
(L’interrompant) Merci… Merci, mais… (Il ramasse la cassette) De toute façon, la fête des pères a été inventée par un employé d’un grand magasin de New York.
Mike sort.
Pause. On entend un bruit en coulisse, du côté de la chambre à coucher. Richard se tourne vers le bruit.
T’es réveillé depuis quand?
Noir.