Je ne veux pas dramatiser la narration des événements décrits dans ce livre, ou les habiller de beaux atours, dans un style littéraire et élégant. Pour cette raison, je ne souhaite aucune reconnaissance artistique. Mon intention est d’exprimer le plus simplement, et de manière la plus concise, certains faits, événements, qui ont une grande importance pour ce pays, parce qu’il existe déjà de nombreux signes et preuves qu’un « poison » bien dissimulé est en train de ronger de plus en plus profondément la conscience et l’âme du peuple roumain. D’ailleurs, cette idée est partagée par de nombreuses personnes ayant de hautes fonctions dans l’appareil d’Etat.
J’ai pu voir personnellement et me convaincre de ce que l’on considère aujourd’hui comme le plus grand secret de l’Etat Roumain. On peut même dire le secret le plus terrible au monde à cause des pays engagés dans ce dossier. Ses implications sont colossales. Mon intuition me dit qu’il est nécessaire d’avoir la connaissance des différents faits présentés ici, car ils iront constituer, à la longue, un saut qualitatif remarquable pour l’existence de l’humanité. Cela aura pour effet d’abattre le grand mur des dissimulations, des mensonges entretenus par certaines organisations occultes et personnes de notre pays, mais également par l’extérieur.
Il est possible que ma narration paraisse brute et mal taillée, avec un style satirique, mais je considère que ce mode d’expression est le plus approprié pour raconter certains aspects inédits du monde secret de la politique de l’ancien régime et de l’ancienne Securitate, le service roumain d’information (SRI). Mon but est de relater d’une manière graduée et chronologique la chaîne complexe d’événements, de faits, réalités et corrélations, qui, selon mon opinion, et celle d’autres personnes compétentes, présentent une grande importance pour le futur du pays. En réalité, cette histoire est une biographie, (actualisée jusqu’à 2003), celle d’un personnage réel, mais que beaucoup, peut-être, vont considérer sorti d’une légende, ou d’un livre d’aventures de science-fiction. Je me permets d’attirer l’attention du lecteur sur l’importance de ne pas tomber dans le piège de la méfiance et du doute ; mais en premier lieu, de bien juger sérieusement les vérités et les faits que je présenterai. Et seulement, à la fin, le lecteur pourra tirer les conclusions qu’il pensera justes de cette histoire…
J’ai eu la chance extraordinaire de connaître le héros de cette histoire, et je dois avouer que je n’aurais jamais pris cette décision d’écrire ces lignes si le « héros » lui-même ne m’y avait pas poussé. Les longues discussions que j’ai partagées avec lui dans différents lieux secrets m’ont convaincu de l’existence de certaines réalités insoupçonnées. Ultérieurement, dans différentes situations, j’ai eu l’occasion de pouvoir les vérifier par moi-même. Mais ce qui m’a déterminé à décrire tous ces événements a été la découverte bouleversante qui a été effectuée dans les monts Bucegi, un an auparavant, (au mois d’Août 2003), un lieu auquel j’ai eu partiellement accès grâce à un extraordinaire concours de circonstances, facilité par le personnage principal de ce livre. Sans doute, de cette manière, a-t-il souhaité anéantir les dernières réticences que j’aurais pu avoir. J’ai su, j’ai vu, j’ai touché ce qui existe dans ce lieu-là… Je peux dire à présent que j’ai une vue d’ensemble plus correcte sur la véritable Histoire depuis le début du monde. Il sera relativement difficile de transcrire de façon adéquate la perplexité, le bouleversement, et même la panique des hommes qui ont eu accès à ces lieux. Ce que je peux dire maintenant est que cela est juste le début de la découverte, parce que je n’ai pas eu accès à tous les éléments, on ne m’a pas permis de tout voir. Heureusement, celui qui a guidé toutes mes investigations m’a offert la chance inespérée de pouvoir observer ce lieu, dans lequel est née la découverte de notre ancienne Histoire.
Mais n’anticipons pas. Je décrirai tout au moment opportun, exactement comme les choses se sont passées. Je peux affirmer sans réserve que ce fut l’occasion d’un retour majeur sur mes propres conceptions et un moment important qui influença ma carrière. Je demande au lecteur d’avoir de la patience, et de me permettre de présenter le fil conducteur à l’origine des découvertes dans les monts Bucegi. Par essence, ce fil conducteur représente l’existence profonde et mystérieuse, turbulente, du héros du livre, avec qui, grâce à un clin d’œil du destin, je me suis trouvé lié d’une façon étrange. En ce qui concerne le nom du héros, j’utiliserai un pseudonyme pour le désigner…
Je connais « Cezar Brad » depuis cinq ans, temps pendant lequel j’ai pu le rencontrer plusieurs fois. Suite à cela, j’ai été convaincu de l’extraordinaire force de caractère de ce personnage. La position très spéciale qu’il a dans le pouvoir politique du pays rend d’autant plus crédible les événements qu’il m’a confiés.
Il reste le mystère de savoir pourquoi est-ce moi qui ai été choisi pour décrire ces faits et les présenter à l’humanité. Peut-être est-ce dû en grande partie au sérieux et à l’intérêt que j’ai manifesté envers tout ce qu’il me confiait. Ce sont des révélations difficiles à admettre pour une personnalité ordinaire. Mais les temps que nous vivons sont eux-mêmes très spéciaux et inhabituels. Ainsi, tout ce qui précède cet écrit me paraît comme un rêve ou l’expression de mon imagination débordante, or ces chimères sont devenues parfaitement réelles.
A la fin de notre dernière rencontre, Cezar me précisa avec calme et détachement que la décision d’écrire et de publier les informations transmises m’appartenait, en toute exclusivité. Je sentais dans tout mon être que tout ceci était une grande responsabilité, qui pesait sur moi comme un fardeau, et je reconnais qu’il m’a fallu presque un an avant de réussir à clarifier tous les aspects de cette histoire et de pouvoir synthétiser dans l’ordre tout ce qui m’a été exposé, et de le transcrire le plus clairement possible. J’ai essayé de relater le plus fidèlement le fil des événements et les explications de Cezar Brad, en utilisant les mots qui m’ont été transmis.
La décision de publication de ce livre m’a été enjointe le plus naturellement : j’ai eu alors l’impression très claire que, dans le cas où j’aurais ressenti de la peur, ou si d’autres obstacles étaient survenus qui m’auraient dissuadé d’écrire le livre, Cezar, avec un parfait détachement, aurait trouvé ultérieurement une autre voie pour concrétiser cette publication.
Dans la maternité de la ville F., le docteur Nenu était de garde. Deux sages-femmes de service préparaient la table de travail. Une jeune femme était arrivée quelques minutes avant dans la salle pour accoucher. Elle ne criait pas mais était très angoissée. Plongées dans une activité routinière ennuyeuse, fatiguées après la longue nuit de garde, alors que l’aurore commençait à poindre, les deux infirmières ne portaient pas trop attention à la nouvelle venue. D’ailleurs, dans ces années 70, on était en plein essor du communisme, à l’époque où tout était « avec le peuple » et « pour le peuple ». A cette période tout était « égalité » et « équité » de sorte qu’on ne faisait plus trop la différence entre une chaise et un homme !
Appelé tardivement, après des heures de travail qui avaient semblé des siècles à la future mère, le docteur Nenu, fatigué, ausculta la patiente. Motif de l’hospitalisation : perte du liquide amniotique ; état général : bon ; tension : normale ; contractions utérines espacées, petite dilatation. Tout paraissait être le cours normal d’une naissance ordinaire.
Se rendant compte qu’il ne regardait plus la fiche de la patiente, le médecin s’approcha de la table. La fatigue lui jouait des tours, et il était loin d’imaginer à quelle vitesse son état de somnolence allait disparaître.
Il constata d’un bref coup d’œil que la naissance était imminente. La dilatation était bonne et le docteur Nenu se réjouit de ne pas avoir à faire de césarienne.
Une fois les dernières et les plus douloureuses contractions de la mère terminées, la tête du bébé apparut, puis son petit corps fragile. Le médecin le saisit doucement par les mains afin de l’aider à sortir. Le premier problème fut la longueur du cordon ombilical. Nenu avait vu beaucoup de choses dans sa vie, mais il resta pendant quelques instants cloué d’étonnement en constatant que la longueur du cordon dépassait le standard habituel. Près de 1,50 m ! Le temps était précieux et la naissance devait se dérouler. Remis de son étonnement, il prit les ciseaux des mains de l’infirmière pour couper ce cordon ombilical, comme il l’avait pratiqué des centaines de fois auparavant dans sa carrière. Mais les ciseaux se contentèrent de glisser comme sur du métal ! Le médecin regarda, incrédule… tandis que les infirmières restèrent figées. Dans les quelques secondes qui suivirent, il changea alors deux fois de paires de ciseaux, avec le même résultat : le cordon ne pouvait être coupé. Il était très élastique, comme un morceau de caoutchouc, du plus résistant.
Le Dr. Nenu avait des années d'expérience médicale et savait comment contrôler ses émotions. Avec des mouvements précis, il saisit un bistouri et le pressa à plusieurs reprises et bien fort sur le cordon : finalement, il réussit et entendit le premier cri de vie. Le nouveau-né était un beau garçon dodu avec des expressions faciales inhabituelles, nettes et détendues, et donc avec un cordon ombilical très étrange. C’était les premières lueurs d'une journée de printemps de 1970. Après cela, les événements se précipitèrent.
- Amalia, ordonna-t-il, appelle immédiatement le colonel, il faut lui dire de venir le plus rapidement possible à l'hôpital.
Puis il se tourna vers l'autre infirmière et lui dit :
- Toi, conserve bien le cordon, je vais m’occuper de la mère. Rapporte-moi son dossier.
Le colonel Datcu arriva à l'hôpital après une vingtaine de minutes. Il eut une brève discussion avec le médecin, puis parla longuement au téléphone avec l'un de leurs supérieurs à Bucarest. Vers midi, en face de la maternité F. (maternité réellement existante à Bucarest, note de la traductrice), une limousine noire avec un numéro gouvernemental stationna, d’où descendirent deux individus discrets et silencieux. L'un d'eux tenait une mallette diplomatique. Le docteur Nenu, le colonel Datcu et les deux civils parlementèrent une demi-heure durant dans un bureau de l'hôpital.
Nenu compléta un formulaire qui lui fut remis par les deux hommes de la Securitate, après quoi on lui demanda d’attendre à l’extérieur. Après quelques minutes, les deux individus repartirent et le colonel Datcu s’adressa au médecin très perturbé.
- Cette situation nous dépasse Nenu. Ce sont les dernières directives secrètes que j’ai reçues quand je suis monté en grade. Dans certains cas, je dois respecter un protocole très strict. Pour toi, aujourd'hui, il ne s’est rien passé d’anormal et tu n'as rien vu d'étrange… Tu m’as compris, n’est-ce-pas ?
Pensif, le colonel Datcu alluma une cigarette. Après quelques instants, sans regarder le médecin, il ajouta :
- Encore une chose. Le nouveau-né n'a pas de dossier médical personnel. Tu dois le détruire immédiatement. Il ne doit rien exister dans les archives concernant cette naissance ! Le reste, crois-moi, est trop compliqué pour y penser.
Tapotant amicalement l'épaule du docteur, le colonel Datcu quitta l'hôpital en laissant le médecin hébété, tandis qu’une mère, ignorant tout cela, serrait dans ses bras avec amour son nouveau-né.
Certaines capacités extraordinaires
Petit Cezar ne savait rien à propos de l'attention particulière qui lui était accordée et non plus, bien sûr, la manière dont il était surveillé par la Securitate. Dans son jeune âge, il ne pouvait comprendre pourquoi il était un sujet d’intérêt aussi important et, par ailleurs, la même chose pourrait être dite à propos de ses parents qui ne soupçonnaient rien dans ce sens. Le bébé était né normal (on avait caché à la mère les événements survenus à la maternité), et les mois qui suivirent n’eurent rien d'inhabituel dans la modeste maison familiale de la famille Brad.
Cependant, avec le temps, le comportement du bébé commença à faire apparaître quelques petites bizarreries, comme par exemple le fait qu'il ne pleurait presque pas, qu’il gardait ses doigts dans certaines positions curieuses, les touchait ou les tordait de différentes façons, d’une manière répétitive. Les parents le regardaient avec surprise, sans s’inquiéter, parce que le bon sens leur soufflait que ce ne pouvait pas être un mal, ces comportements un peu étranges. Au contraire, à un moment donné, cela fut même un réel amusement pour eux de regarder « le jeu » de ses petits doigts, un jeu par ailleurs très élégant et que Cezar pratiquait avec beaucoup de naturel. Parfois, l'enfant restait immobile pendant de longues minutes, en gardant la même structure avec ses doigts, qui formaient un cercle, ou bien dans d’autres positions bien définies. Les parents de Cezar, cependant, étaient satisfaits que l'enfant ne pleure pas et ne cause pas de problèmes la nuit, surtout qu’il n’avait encore souffert d'aucune maladie.
Mais avec le temps, dans leur âme se glissa le germe d’une souffrance cachée, éclipsant la paix de la vie quotidienne. Le petit Cezar allait bientôt avoir un an et il n’avait prononcé aucun mot. Le problème ne fut pas jugé trop grave encore, parce que de tels cas n’étaient pas si rares. Les parents pensaient toutefois consulter un orthophoniste.
Le mois au cours duquel fut fêté le premier anniversaire de Cezar, apparurent à la porte de la maison deux personnes de haute taille, bien habillées, aux yeux gris et froids comme l'acier. Derrière des manières élégantes et un ton aimable, au cours de la discussion avec les parents, l’on pouvait soupçonner une légère intolérance à une possible désobéissance, doublée d’une ferme menace sourde mais explicite, y compris des représailles, si les « ordres d'en haut » n’étaient pas exécutés. Ils s’étaient présentés comme membres d'un département spécial de la Sécurité d'Etat, avec des gestes d’apparence nonchalante, tout en instillant de façon étrange un climat de peur chez leurs interlocuteurs. A cette époque, la Securitate communiste avait déjà une triste et mauvaise réputation en ce qui concerne les activités d’intimidation. Mais, pour la famille Brad, la méthode se révéla plus humaine. La visite fut courte et consista essentiellement en un monologue soutenu par les deux individus, tandis que les parents de Cezar restaient debout, embarrassés. L'idée principale était qu'ils devaient suivre les instructions données, à la lettre. Les pauvres parents furent informés que leur fils se trouvait être l’objet de différentes recherches qui représentaient un grand intérêt pour l’Etat, et dont ils ne devaient pas avoir connaissance… Leur mission était d'informer immédiatement, directement, sans aucun autre intermédiaire (le couple insista sur cette condition) si quelque chose d'inhabituel, d’étrange apparaissait dans le développement de l'enfant. On leur donna un formulaire à remplir. Chacun écrivit une déclaration par laquelle il donnait son accord avec les éléments précités, où il s’engageait chaque mois à présenter un rapport au colonel Datcu. Il ne leur fut pas autorisé de poser des questions, non plus que de savoir la cause de ces demandes. A la fin, comme une sorte de « compensation » pour cette situation étrange pratiquement imposée par la force, les envoyés de la Securitate offrirent une « indemnisation spéciale », assez conséquente à cette époque, indemnité qui serait versée chaque mois. Immédiatement après, les deux personnages repartirent.
Ici, je dois mentionner certains aspects qui vont permettre de mieux comprendre l’attitude des parents de Cezar. Nicolae Brad était âgé de 30 ans et était employé à la Mairie de la ville, et connu comme un homme tranquille et consciencieux au travail. Habituellement obéissant, il était capable de faire certains compromis qui cachaient quelques frustrations psychologiques. Sans doute que le « service secret d’information » avait déjà une fiche psychologique complète sur la personnalité de Nicolae Brad, parce qu’on lui avait proposé l’indemnisation spéciale qui avait comme but de calmer certains mécontentements et d’assurer une collaboration sincère. En effet, les psychologues avaient correctement évalué le profil émotionnel du mari, depuis qu'il avait été établi qu’il était sensible à la sécurité matérielle et malléable sur le plan moral. Pour la Securitate, il y avait là la certitude que Nicolae Brad était une personne relativement facile à gérer.
Smaranda était le contraire de son mari. La jeune mère de Cezar possédait une nature et un tempérament romantique qui n’accordaient pas trop de valeur aux aspects matériels de la vie. Depuis son enfance, sa passion était le dessin. Elle restait de nombreuses heures devant ses esquisses, elle s’amusait en faisant des essais ou, au contraire, en s’attelant à des sujets qui l’avaient spontanément inspirée, des paysages, ou même les jeux bizarres de son fils. Malheureusement, elle n’avait pas l'énergie nécessaire pour faire face aux situations contradictoires de la vie, qui lui provoquaient une grande souffrance. La situation familiale était maintenant relativement tendue car il était devenu nécessaire, en quelque sorte, que les parents « espionnent » leur enfant… . Elle aurait souhaité, dans son refus silencieux et impuissant, avoir à ses côtés son mari, mais lui avait rapidement opté pour la solution pratique : pas de complications.
- En fait, nous ne sommes pas tenus de faire quelque chose de mal, répétait Nicolae, pour calmer sa femme. Nous ne savons même pas à quoi nous attendre. Le temps va tout résoudre, finissait-il par dire dans un style philosophique.
Ce fut à cet instant que le lien entre les deux époux se rompit.
Cezar Brad ne prononça pas un seul mot jusqu'à ses trois ans et deux mois. Pendant un certain temps, ses parents crurent que leur enfant était muet. Mais rapidement, ils se rendirent compte que cela n'était pas la réalité, parce que l'enfant riait, criait, et parfois même babillait. Une telle situation était assez rare, mais c’était la preuve définitive d’une affection envers ses parents, et qu’il n’y avait rien de pathologique.
Le couple connu le Colonel Datcu dès le premier mois après la rencontre avec les deux individus de la Securitate, quand, selon les termes de l’engagement qu’ils avaient signé, ils devaient accepter sa visite régulière et lui présenter leur rapport. Le colonel était un homme aimable, sérieux, voire compréhensif, donnant l'impression que lui-même n’avait pas le choix et devait respecter une obligation. La mission était accomplie consciencieusement, avec des discussions détaillées avec les parents sur le comportement de l'enfant et en notant soigneusement tout ce qui était dit à ce sujet. Le colonel remettait l’indemnisation spéciale directement à Nicolae Brad chaque mois. A la fin de chaque visite, il n’oubliait jamais d'ajouter :
- Ne parlez à personne à ce sujet, et surtout ne fréquentez aucun médecin pour consulter l’enfant. Si des problèmes surviennent, vous me prévenez en premier lieu. Je ferai le nécessaire.
Jusqu’à l’âge de trois ans, l'enfant ne fut jamais malade, cas rarissime, et cela facilita en quelque sorte l’interdiction imposée à ses parents de pouvoir aller à l'hôpital, et l’obligation de ne contacter que la Securitate. C’est vers cet âge qu’intervint le premier changement majeur entre Cezar et ses parents. Sa mère avait une passion pour le dessin, son talent était évident à cet égard. Au fond de son âme, elle voulait vraiment peindre, mais cela aurait généré des complications financières, un atelier, du temps, et bien plus encore. Cela se limitait donc à de simples croquis, dessins qui l’amusaient lors de ses moments de solitude. Des feuilles garnies des dessins les plus réussis étaient conservées sur les murs de la maison, jusqu'à ce qu'ils tombent tout seuls ou qu’elle les remplace. Smaranda avait une prédilection pour le dessin abstrait, combinaisons de lignes, de cercles ou de courbes, dans une succession non guidée par une idée précise. Elle avait dit à son mari que de cette façon elle se sentait très spontanée et libre, ce qui la réconfortait beaucoup…
Un jour, Smaranda Brad dessina une série de simples cercles concentriques, au milieu d’une feuille de son cahier de dessin. Elle s’amusait de la comparaison de cette création avec l’apparence d'une cible, tant ces cercles approchaient la perfection. Elle colla cette feuille sur le mur de la chambre.
Tout commença quelques heures plus tard, quand elle trouva Cezar assis en face de ce dessin, le regard fixe, immobile, sans même ciller. Bien que ce ne fût pas naturel, sa mère ne donna pas beaucoup d'importance à l'événement, et continua ses tâches quotidiennes dans la maison. Mais quand Nicholae Brad revint du travail, l'enfant était toujours devant le dessin, parfaitement silencieux et immobile. Cela était assez étrange : un enfant de trois ans, assis sur le lit et regardant fixement, des heures durant, ce dessin énervant de simplicité ! Sa mère se tordait les mains à côté de lui, pleurant doucement et ne sachant quoi faire. Elle essaya par la force de tirer l’enfant hors de la chambre, elle décolla même le dessin du mur, mais en vain. Dérangé, l'enfant se mettait à crier très fort. Les deux parents se regardèrent longuement, les mots étaient superflus. A la fin, le père dit :
- Il est temps de réagir. Qui sait ce qui va se passer ensuite ?!
- Attends un peu ! s’agita Smaranda. Laissons encore un peu de temps. Ce n’est peut-être qu’un caprice d’enfant.
Avec beaucoup de mal, elle convainquit son mari de ne rien encore dévoiler. Préoccupés, ils passèrent la journée à essayer différentes méthodes pour soustraire Cezar à l’attraction de ce dessin. Ils espéraient que de cette façon le garçon serait de retour « à la normale », mais tout effort était vain : dès qu'il était dérangé, Cezar recommençait à crier, à pleurer et on ne pouvait plus le comprendre, en aucune façon. Ils renoncèrent, l’observèrent un long moment, incrédules de constater qu'une telle chose était possible : ce dessin que leur enfant regardait sans un mot, sans bouger, sans ciller. Il ne mangeait rien et ne montrait aucun signe qu'il voulait faire quelque chose d’autre. Tout ce qui se passait autour de lui n’avait aucune importance. Il ne pouvait pas se détourner de son effort de concentration dans lequel il se trouvait plongé.
Vers vingt-deux heures, Nicholae Brad appela le colonel Datcu et la situation lui fut expliquée. Le colonel lui recommanda de ne pas paniquer, de ne strictement rien faire jusqu'à ce qu’il arrive lui-même, ainsi que certaines personnes autorisées. En effet, vers six heures du matin, débarquèrent trois individus accompagnés du colonel. Deux d'entre eux étaient de la Securitate, ayant le même aspect : visages inexpressifs, habits soignés, regard glacial. La troisième personne surprit les parents car c’était un vieil homme aux traits asiatiques, qui avait une courte barbe blanche et la démarche un peu voûtée. Il parlait anglais avec un homme de la Securitate. Le colonel Datcu le présenta comme étant un scientifique venu de Chine, « expert » dans de tels cas, et conseilla aux parents de ne pas s'inquiéter.
Le médecin chinois observa attentivement Cezar, prit son pouls, palpa sa paume, mettant une main sur la tête de celui-ci et deux doigts au milieu du front, en prenant soin de ne pas gêner le champ visuel de l’enfant. Cezar demeura complètement immobile et profondément absorbé par le dessin situé en face de lui. Le médecin déclara quelque chose en anglais et sortit ensuite de la maison.
- Tout va très bien, mais il ne faut pas le déranger, traduisit l'un des deux de la Securitate. On se tient au courant par l’intermédiaire du colonel.
Puis, ils partirent. Les parents se sentaient comme des pantins dans un jeu incompréhensible, mais la conjoncture ne leur offrait pour le moment aucune échappatoire. Inquiets et évidemment marqués par le comportement étrange de leur propre enfant, ils restèrent à ses côtés en sommeillant de fatigue. C’est seulement le jour suivant, vers midi, après 24 heures sans aucune modification de comportement, que Cezar donna les premiers signes de vouloir bouger. L'enfant resta absorbé en lui-même, mais au moins, il mangea de bon appétit. Les parents eurent un soupir de soulagement et prévinrent le colonel comme promis.
C’était le début d'une série d'événements spéciaux qui marquèrent à jamais la vie de Cezar. Nicholae et Smaranda Brad passèrent à l'arrière-plan, tandis que sa vie intérieure et ses expériences extraordinaires – il m'a dit qu'il tenait personnellement à mentionner certaines d'entre elles ici – imprimèrent sa destinée. Après cet événement inhabituel, Cezar resta souvent intériorisé, demeurant immobile pendant de longues minutes, les yeux fermés. Cela arrivait dans les moments les plus inattendus de la journée, même lorsqu’il jouait. Une fois, alors que sa mère le nourrissait, il ferma soudainement les yeux et resta pendant plus de 10 minutes ainsi immobile, avant de continuer à manger comme si de rien n’était.
Ces comportements furent intégrés à la normalité quotidienne et les parents de l'enfant s’y habituèrent. Mais sans comprendre leurs causes ni recevoir d’explications ou de clarifications. Cezar n’avait pas proféré un seul mot jusque-là.
L’événement eut lieu deux mois après l'incident avec le dessin, quand Cezar prononça les premiers mots de sa vie. Il laissa perplexe tous ceux qui se trouvaient dans la maison, à la fois par la facilité et la clarté avec laquelle il s’était exprimé, et aussi par la maturité de ses idées.
Ce jour-là, la famille de Brad reçut la visite de parents qui adoraient l’enfant. Celui-ci, déjà en retrait, chercha un endroit où il pouvait rester seul quelques temps. Il ferma les yeux, mais autour de lui il y avait trop de mots, trop de bruit, trop de questions. Tout le monde s’agitait, bien qu'il ne fût point le centre de l’attention générale, la préparation des repas impliquant beaucoup de mouvement, de discussions, de rires, de bruit. Quand on vint le ramener avec beaucoup de tendresse dans la salle où la table était dressée, Cezar s’exprima tout à coup, fortement et très clairement : « Je veux réfléchir ! »
Je passerai rapidement sur l’étonnement général et la joie retrouvée pour dire qu'à partir de cet instant Cezar commença à parler couramment et sans difficulté, montrant une grande maturité dans tout ce qu'il disait. À quatre ans, il discutait de sujets qui mettaient les adultes dans l’embarras. L'une des questions sur lesquelles il aimait insister était l'esprit. « D’où viennent les pensées ? », « Où vont-elles ? », « De quoi sont faites les pensées ? », « Pourquoi tous les hommes ne pensent pas pareil ? »… étaient quelques-unes des questions les plus courantes que Cezar formulait en embarrassant tout son entourage. Les pauvres parents, qui ne savaient pas quoi lui répondre, l’envoyaient jouer, changeaient de discussion ! La plupart du temps, Cezar restait ferme sur ses idées : au lieu d’avoir des activités normales pour un enfant de son âge, il préférait approfondir sa réflexion. Vraiment étrange. Souvent, on lui demandait de dire ce qu'il pensait et ressentait dans ces moments-là. Mais il refusait obstinément d'expliquer ou même de répondre à quoi que ce soit. Parfois, très rarement, il disait qu’après avoir fermé les yeux, il se sentait soudainement comme s’il avait quitté la chambre. L'endroit qu’il atteignait, il ne savait pas comment en parler et ne pouvait pas le décrire avec des mots.
Jusqu'à six ans, Cezar reçut une visite annuelle de deux individus accompagnés par le mystérieux médecin chinois. Celui-ci procédait à un bref examen, en balançant toujours la tête d'un air satisfait. Parfois, il fixait l’enfant dans les yeux avec un regard de feu. Cezar me confia qu'il se souvenait très bien de l'air presque impersonnel, dur, et profondément énigmatique du petit homme en face de lui, s’éclairant parfois d’un sourire à peine esquissé.
Quelques années plus tard, Cezar allait rencontrer le docteur chinois qui ferait son apprentissage des énigmes de la vie. Le destin fusionnerait leurs existences d’une façon très complexe. Nous ne saurons probablement jamais ce que pensait le docteur Xien au moment où il regardait Cezar, ou comment il interprétait ses capacités inhabituelles. Mais nous savons avec certitude qu'il joua ensuite un rôle majeur dans l'existence de l'enfant en jaugeant correctement ses forces et ses aptitudes exceptionnelles. Il est d’ailleurs tout à fait envisageable qu’il fut lui-même doté de capacités et de pouvoirs supranormaux, ce que confirmeraient les résultats qu’obtiendrait Cezar plus tard.
Le docteur Xien allait donc intervenir de manière décisive dans la préparation spéciale de cet étudiant hors du commun. Je ne détiens pas d’informations supplémentaires concernant ce personnage énigmatique, mais le peu que m’a communiqué Cezar fut instructif. Je compris qu’à cette époque, Ceausescu était très intéressé par un certain programme de formation parapsychologique, utilisant des sujets spécialement préparés dans des domaines ultra-secrets d'intérêt national. Des informations avaient attiré son attention sur les recherches intensives et les expériences parapsychologiques effectuées par les USA et l’URSS. En qualité de chef suprême de l’Etat, Ceausescu avait donné l’ordre, dans le cadre des activités de la Securitate, d’ouvrir un département spécial consacré aux Découvertes, à l’Education, et au développement des sujets humains qui présentaient des capacités exceptionnelles…
Cet ordre était top secret, et dépassait de loin la hiérarchie d’un simple secret de département. Même si l’occultation totale de ce futur service ne posait aucune difficulté grâce à la méthode du blocage hiérarchique, il en allait autrement concernant son personnel et son équipement technique. Comme dans toute initiative communiste, quand on parle d’investissement - surtout dans un domaine aussi méconnu - les choses s’avérèrent difficiles. On ne savait pas exactement quel était l’objectif de Ceausescu concernant les actions de cette cellule parapsychologique, mais on peut deviner qu’il ciblait la manipulation psychologique des masses populaires et leur domination dans le dessein de maintenir son pouvoir dictatorial, et dans une moindre mesure la capacité de défense nationale ou la résolution des différents conflits extérieurs.
Ceausescu ordonna la mise en place de ce département en1968, peu de temps après son arrivée au pouvoir, voulant ainsi exploiter pleinement sa popularité à l’Ouest, car pendant cette période, il jouissait d’une bonne appréciation. Son succès diplomatique de grande envergure était la conséquence de deux principaux facteurs : son hostilité affichée dans sa collaboration avec Moscou et le refus d’envoyer des troupes pendant le « printemps de Prague » en 1968.
Pendant ces années, la création du département spécialisé dans l’étude et l’expérimentation des sujets dotés de capacités exceptionnelles présentait certains aspects curieux et contradictoires, et n’était clairement pas dans la liste des priorités de Ceausescu. Cependant, comme toute personnalité rusée et à tendance paranoïaque, Ceausescu souhaitait à tout prix s’entourer de certitudes et de modalités lui assurant une suprématie incontestée. Evidemment, il n’était pas en mesure de développer toutes ses idées, mais souvent il revenait sur chacune d’entre elles, en faisant fleurir tous ces petits bourgeons avec beaucoup d’énergie.
C’est ainsi qu’en 1968, la Securitate roumaine fut confrontée à un ordre top secret, qui ne respectait aucune hiérarchie. Il datait du 28 août, signé personnellement de la main de Ceausescu, et fait rarissime, accompagné d’une annotation manuscrite. Ce décret préconisait la création d’un département particulier, appelé « Département Zéro », totalement indépendant de l’activité des autres départements et autres directions de la Securitate. Le chef de la Securitate et le président du pays seraient les seuls à avoir des comptes rendus, c’était justement le contenu de l’annotation manuscrite de Ceausescu, ce qui ne laissait aucun doute sur la nature de ce secret. En dehors d’une courte liste des personnes habilitées et de quelques instructions minimes sur les principaux objectifs de ce département, qui au début impliquait les méthodes de découverte et d’observation des futurs sujets, le décret ne fournissait pas d’autres informations ; ce qui entraîna des répercussions négatives sur l’administration de la Securitate, parce que ce domaine était nouveau et totalement inconnu et que, d’autre part, ce département ne pouvait pas entrer dans le système de financement habituel car il exigeait le secret absolu.
En cette première époque du Département Zéro, on demanda à Ceausescu l’accord pour collaborer avec un autre Etat, qui avait déjà une longue expérience dans ce domaine : la Chine. Leurs relations diplomatiques étaient relativement bonnes et, en 1972, les autorités des deux pays se mirent d’accord sur un « échange » pour le moins étrange : Le docteur Xien allait mener d’un point de vue technique le département roumain sur une période de 15 ans, tandis que Ceausescu allait soutenir financièrement 100 étudiants chinois en Roumanie sur cette même période. La Chine offrait également au personnel du Département Zéro (abrégé DZ) les conclusions d’une expérimentation dans le domaine parapsychologique, ainsi que des méthodes concrètes pour mener à bien cette expérimentation. C’est ainsi que naquit une des plus secrètes et terribles entreprises en Roumanie : la méthode parapsychologique.
Cezar Brad fut l’un des premiers sujets pris en compte par le DZ. Cependant, ni le docteur Xien, ni les personnes importantes du département, qui recevaient les comptes rendus écrits des parents, ne connaissaient les détails des expériences subtiles vécues par l’enfant, celles qu’il ressentait au plus profond de son âme et qu’il ne racontait à personne. L’action adoptée par l’équipe du DZ impliquait d’abord une période « d’exploration » du sujet, et seulement ensuite, s’ils avaient la preuve de certaines capacités psychologiques exceptionnelles, le garçon serait intégré au département.
Parfois cette « exploration » pouvait durer des années, comme ce serait le cas pour Cezar, mais d’autres fois les sujets étaient intégrés immédiatement après la vérification des informations reçues.
Cezar s’était formé son propre champ d’exploration mentale, dans lequel il aimait se plonger et duquel il revenait plus riche en sensations et perceptions extraordinaires. Ce n’était pas pathologique, car on pourrait penser qu’il cherchait un refuge à cause de certaines hypothétiques difficultés d’adaptation psychologique et même d’une certaine façon d’aliénation mentale. La vérité était ailleurs. Le simple fait que nous ne pouvons pas comprendre ce qui dépasse nos capacités mentales ne signifie pas que cette chose - être vivant, comportement ou expérience - constitue un aspect négatif et condamnable, ou n’existe pas. Le cas de Cezar Brad était étrange, et à cette époque, même parmi le DZ, il était mal compris. Son cas correspondait cependant au modèle exigé pour le recrutement des sujets au sein du Département Zéro.
Je dois avouer que je ne connais moi-même que quelques-unes des incroyables réalisations et expériences que Cezar a vécues dans les premières années de son existence. Ordinairement, je suis une personne sensée, qui a conscience de ses limites, mais ce que Cezar me relatait dépassait de loin mes possibilités d’imagination. Quand j’écoutais ses histoires, je n’avais pas devant mes yeux un homme mentalement déséquilibré, ni un auteur de romans SF, ni une personne paranoïaque. Ceux qui connaissent certains aspects ésotériques et initiatiques, ou qui occupent encore des fonctions clefs dans certains États, ou qui détiennent l’accès à certaines informations et archives top secret, n’auront pas de mal à identifier rapidement les éléments principaux de ce livre.
Par le pouvoir que la fonction de conseiller au gouvernement m’offrait il y a quelques années, j’ai pu mener des recherches discrètes, et j’ai été convaincu par mes propres observations que Cezar Brad était une personne d’exception. La simplicité avec laquelle il m’avait raconté ses principales expériences et ses activités, ainsi que les petits « incidents » édifiants auxquels j’avais moi-même été confronté en sa présence, m’avaient convaincu progressivement d’une réalité qui ne peut être niée : il existe des êtres humains qui dépassent de beaucoup nos standards rationnels, mentaux, ainsi que ceux de l’efficacité et de l'action. Par leurs pouvoirs et capacités supérieurs, ces personnes ont la force, s’ils le souhaitent, de transformer le destin des autres.
J’avais d’ailleurs eu une preuve incontestée de ses capacités dès notre première rencontre, qu’il avait sollicitée. Cette rencontre avait été le résultat d’une multitude de compromis avec des personnes de confiance, et son but était déjà à cette époque un mystère pour moi. J’avais vaguement entendu parler de l’existence du Département Zéro dans le cadre sur Service roumain d’Informations (SRI) actuel, mais je ne savais rien d’autre. J’étais venu au point de rendez-vous directement du travail, en voiture de fonction. Dehors, il faisait nuit et il pleuvait, je n’avais donc pas quitté ma voiture et discutais tranquillement avec le chauffeur. Après quelques minutes, la portière de la voiture s’ouvrit brusquement et Cezar s’assit à mes côtés sur la banquette arrière. Il commença à discuter aimablement en abordant directement le sujet de notre rencontre. Je fus rapidement captivé par le sujet, à tel point que je ne réalisai même pas que le chauffeur était reparti, en conduisant vers un endroit inconnu, sans que moi ou Cezar ne lui demandions. Après notre arrivée devant l’hôtel Sofitel, où Cezar avait une chambre, j’exprimai ma perplexité sur l’attitude du chauffeur, à qui nous n’avions rien demandé. Tandis que nous nous dirigions vers la chambre de Cezar, celui-ci m’expliqua que, dans certains cas, parler se révèle inutile si l’esprit est bien contrôlé et purifié des troubles extérieurs, il peut « agir » de la même façon que le langage. En d'autres termes, il me parlait des principes de télépathie. Au début, je pensais qu’il se moquait de moi, mais il m’expliqua la façon dont il s’y était pris : dès le moment où il m’avait salué et s’était assis sur la banquette arrière, il avait transmis mentalement au chauffeur la destination ainsi que l’ordre de démarrage. Le chauffeur, convaincu de l’avoir entendu, s’était exécuté.
- Quand on s’entraîne suffisamment, la transmission télépathique des pensées n’est plus un problème, me dit Cezar en souriant.
Après notre arrivée dans sa chambre, il dessina le schéma suivant, tout en me fournissant les explications adéquates.
- En supposant qu’une personne A se trouve entourée d’autres personnes, ses pensées ne sont pas très fortes, et se mélangent aux pensées des autres personnes, elles forment comme un « brouillard » mental, parce que justement ces pensées n’ont aucune puissance, elles n’ont rien de précis et bien défini ; ce ne sont que des bribes d'idées superficielles, non approfondies. A ce moment on peut dire que chaque individu vit relativement isolé dans son propre esprit, tout en subissant une influence plus au moins forte en fonction de sa réceptivité à d’autres personnes.
LE « BROUILLARD » MENTAL
- Généralement, ils perçoivent ces influences de manière inconsciente, comme une sorte de changement d’humeur ou d’état intérieur. C’est pour cette raison que j’utilise le terme de « brouillard » mental, car à ce niveau les hommes ne peuvent se percevoir, ainsi qu’un navire en mer qui serait sans point de repère.
Cezar marqua de nouveau un long silence, tout en dessinant un autre schéma.
- Mais si une personne émet une pensée très forte, cela sera comme un Laser, un faisceau de lumière dans le noir. De plus, si cette personne dirige le faisceau mental dans une direction précise, vers l’individu B, alors cet individu va l’apercevoir mentalement comme une lumière éblouissante dans le « brouillard » qui l’entoure, comme la lumière d’un phare au large qui guide les marins perdus en mer. En définitive, le procédé est simple mais nécessite un entraînement assidu.
FRÉQUENCE MENTALE
- Mais que veux-tu dire par « purification » mentale ? lui demandai-je avec innocence.
Les explications qu’il m’offrit étaient inédites pour moi.
- Ce que nous appelons mental ou esprit est en réalité un mécanisme complexe et subtil qui se compose d’une multitude de divisions et de fonctions et qui se structure en différentes fréquences de vibration, me répondit Cezar avec bienveillance. Certains nomment ces ondes de fréquence, « capacités » ou « pouvoirs ». C’est pour cette raison que personne ne peut réaliser les mêmes choses, parce que personne n’a les mêmes « pouvoirs ». Par exemple, A a la capacité d’apprendre très vite grâce à son pouvoir de concentration, B sait maîtriser ses émotions, C a une mémoire exceptionnelle, mais toutes ces capacités ne représentent qu’une infime partie de ce que nous sommes capables de réaliser. Même dans ces conditions, si elles sortent du lot dans la médiocrité mentale qui nous entoure, elles ne sont pas encore affirmées ni maîtrisées. Par différentes méthodes d’entraînement, les capacités mentales d’une personne peuvent être développées, pour qu’elle puisse à un moment donné s’activer efficacement. C’est ainsi que je définis la « purification », l’instant où l’esprit se débarrasse de tout ce qui l’encombre, comme les pensées inutiles souvent contaminées par des mauvaises idées, et qui ne représentent aucune réalité et n’ont aucune force. Celui qui est capable de « purifier » son esprit acquiert une force mentale extraordinaire. Son esprit peut alors pénétrer avec aisance le brouillard mental des masses, comme une flèche qui passe à travers la fumée. C’est à partir de ce niveau que la personne expérimente l’esprit comme une forme énergétique subtile qui domine la matière et, en conséquence, la contrôle. C’est ainsi que les pouvoirs surnaturels se manifestent, mais cela implique un haut degré de conscience individuelle, car à partir de ce moment la responsabilité est énorme. Les pouvoirs surnaturels dont un individu dispose peuvent le faire réagir de façon égoïste et vaniteuse en compliquant son destin. Le fait est que lorsque tu tapes avec une balle contre un mur, elle revient vers toi et te heurte avec la même force. Tu dois donc agir avec maturité et clairvoyance pour le bénéfice de ceux qui t’entourent, et non dans ton propre intérêt. Malheureusement, certaines personnes développent de telles capacités pour servir des intérêts égoïstes, individuels, ou ceux d’un groupuscule. Dans certains cas le problème est encore plus grave parce que l'on souhaite influencer des masses dans le dessein d’en obtenir son contrôle total. C’est pour cette raison que je t’ai fait venir : je souhaite mettre au grand jour ces vérités, et toi, tu peux m’aider à les rendre publiques.
J’étais complètement stupéfait de ce que j’entendais, en seulement une dizaine de minutes je me trouvais confronté à de nouvelles idées et des notions que je n’avais même jamais imaginées. Une partie de moi était complètement révoltée, me disant que, sans doute, j’étais la cible de mensonges et de moqueries. L'ensemble du scénario semblait quelque peu fantasmagorique, trop rapide, trop de choses, trop inattendu. Cependant, l’impulsion dominante demeurait la même, faire confiance à Cezar Brad, j’eus même la volonté de coopérer sans réserve avec lui. Mes soupçons, naturels dans une telle situation, n’arrivaient pas à instiller un doute dans ma profonde intuition que ce que je faisais était bon et noble. L’homme en face de moi m’inspirait une confiance et une paix intérieure qui éliminaient quasiment toute tendance de révolte de mon esprit « normal », m’ouvrant le chemin d’un univers mystérieux et fascinant grâce au pouvoir d’attraction qu’il exerçait sur moi. Cezar ne voulait pas perdre un instant avec des discussions inutiles ou des introductions complexes et sans fin. Il me donnait ainsi l’impression d’avoir pris une décision inébranlable, sans détour. Néanmoins, à aucun moment je ne ressentis une obligation ou une pression pour accepter ses dires. Ce fut décisif pour moi. Entre autres, Cezar Brad avait l’impressionnante capacité de partager son enthousiasme, et gagner ainsi l’attention, tout était tellement spontané qu’on en ressentait une forme de plaisir.
Je suis impatient de vous présenter la suite, mais ma « mission » doit respecter un certain ordre pour ne pas éveiller de doute dans l’esprit du lecteur, qui devrait alors faire face à une complexité de faits chaotiques et sans liens apparents. Je reviendrai donc au récit chronologique des principaux événements de la vie de Cezar Brad afin que vous puissiez comprendre au mieux la façon dont il est arrivé à pénétrer les modalités d’action de certains personnages et organisations occultes, qui agissent au niveau mondial et qui de façon insidieuse ont déployé leurs tentacules en Roumanie.
Comme je l’ai déjà mentionné, le point culminant fut l’incroyable découverte dans les monts Bucegi, découverte qui concerne désormais plusieurs États et régions du Globe, et en particulier la diplomatie américaine. Mes connaissances sur ce sujet me conduisent à dire que, immédiatement après, en 2003, les relations diplomatiques entre la Roumanie et les États-Unis sont devenues plus complexes et leur équilibre délicat. Les tensions trouvaient leurs causes dans des divergences de point de vue. Entre autres, ces intentions visaient la condition présente de l'humanité. Un plan d'action commun établi au plus haut niveau de la diplomatie des deux pays réussit néanmoins à atténuer les tensions des premiers mois. Mais nous présenterons en détail ces questions en temps voulu. Pour l'instant, je précise que l'accord entre la Roumanie et les États-Unis ne convinrent pas aux acteurs politiques de notre pays qui n’avaient pas une vue progressiste, ce qui créa ainsi de nouvelles tensions et en même temps un changement d’opinion dans le tableau politique roumain. Les dernières informations que je détiens, et qui me sont parvenues même avant que ce livre soit chez l’imprimeur, me furent confirmées lors d’une nouvelle entrevue avec Cezar Brad (presque un an après le premier entretien), où j’apprenais d’autres aspects secrets liés à la « grande expédition » qu’il avait effectuée avec une équipe roumano-américaine à partir du lieu de la découverte du Bucegi. Même si je connais déjà les principales étapes de ce voyage, je préfère tout présenter de façon cohérente et en détail, et d’abord révéler d’autres informations cruciales. Je considère cela nécessaire parce que les gens ont le droit de connaître la vérité historique, et également de savoir qui a manipulé cette vérité au fil du temps et pour quelle raison. Tel est le fil de l'histoire dans ce livre. Qu'il fasse écho dans la conscience des gens, ou, au contraire, qu’il soit accueilli avec ironie et incrédulité, je reste convaincu que le choix de l’écriture et de la publication de ce livre sera profondément bénéfique et positif. Au moins fera-t-il naître certaines questions dans la conscience des gens, et stimulera-t-il l’intérêt pour les dimensions occultes et la conscience de soi.
A l’âge de sept ans, Cezar alla à l’école. Il n’y excellait dans aucune matière. C’était un élève normal avec une activité scolaire moyenne. Rien ne laissait transparaître ses préoccupations, et il obtenait ses notes sans jamais faire ses devoirs. Cependant, en CM1, ses parents furent convoqués à l’école et reçus par une maîtresse profondément troublée et perplexe. Elle souhaitait savoir s’ils avaient remarqué des choses inhabituelles dans le comportement du garçon. Nicolae et Smaranda Brand nièrent toute étrangeté de leur enfant, comme les représentants de la Securitate le leur avaient ordonné. La maîtresse leur raconta alors qu’elle avait demandé aux élèves d’apprendre une poésie de quelques strophes, préalablement lues à voix haute devant la classe. Peu de temps après, elle eut la surprise de constater que Cezar regardait distraitement par la fenêtre, tandis que les autres apprenaient leur poésie. Malgré un rappel à l’ordre, il avait repris la même attitude.
- Cezar ! Lève-toi ! Pourquoi tu n’apprends pas la poésie comme tout le monde ?
Le garçon ne semblait pas du tout intimidé par le ton menaçant de la maîtresse et restait calme.
- Mais je la connais déjà, répondit-il doucement.
- Comment ça tu la connais ? Pourquoi mens-tu ?
- Je ne mens pas. Je l’ai entendue quand vous l’avez lue devant la classe.
Indignée par le culot du garçon, et en même temps curieuse de connaître la vérité, la maîtresse lui intima alors de réciter la poésie devant la classe. Cezar la récita alors sans aucune faute.
- J’ai pensé qu’il l’avait apprise à la maison. Mais c’était une nouvelle leçon et, comme vous le savez, il ne fait pas de zèle sur les révisions, expliqua-t-elle surexcitée. Je lui ai alors demandé de réciter deux autres poésies, avec autant de strophes, qui n’étaient pas dans le manuel et que je ne lui avais lues qu’une seule fois. Après m’avoir écouté attentivement, il les a alors récitées sans faute. C’est pour cette raison que je vous ai fait venir, parce que je n’ai jamais vu cela !
Bientôt, cependant, l'incident fut oublié. Cezar me dit qu’il avait rapidement compris l’utilité de paraître normal en société, car cela lui évitait des problèmes, de la curiosité et même des méchancetés de la part de ses camarades.
- Je sentais, même à ce jeune âge, qu’il était très important de ne pas attirer l’attention sur moi. Il y avait d’autres choses, plus importantes, qui sollicitaient mon attention quand j’étais à la maison, dans ma chambre, me dit-il en souriant énigmatiquement.
Il parlait bien sûr de ses mystérieuses expériences qu’il réalisait avec lui-même, totalement coupé du monde extérieur. Ses parents avaient depuis longtemps arrêté de le déranger et d’essayer de comprendre son attitude. Cela leur semblait normal et ils s’y étaient habitués comme avec les rapports qu’ils rendaient chaque mois ou les visites inopinées de la Securitate.
Avant ses dix ans, son entourage n’eut qu’une dernière occasion de regarder Cezar comme une personne « étrange », lors de l’avertissement à sa tante qui était en visite chez eux. Il n’était pas informé de la venue de sa tante, mais en la voyant, il resta bloqué, comme s’il regardait à travers elle. Quelque chose n’allait pas, tout le monde l’avait alors questionné, mais il n’avait rien dit et était parti se réfugier dans sa chambre. C’est seulement le soir, inquiet, qu’il avait demandé à sa tante quand elle allait rentrer à Bucarest. En apprenant que son billet était pour le lendemain, il s’était calmé. Mais il lui avait enjoint de ne pas prendre la voiture, ce qui n’avait pas été pris au sérieux sur le moment.
Emilia, la tante de Cezar, devait donc repartir le lendemain avec son frère, Nicolae Brad, pour résoudre un problème d’ordre familial. Mais ils ne se réveillèrent pas, le réveil n’ayant pas fonctionné, et ils ratèrent le train. La présence d’Emilia à Bucarest le matin même était cependant impérative, et elle trouva donc une place dans une voiture.
La mauvaise nouvelle n’arriva que le lendemain. La voiture qu’Emilia avait empruntée avait eu un accident peu avant Bucarest. De tous les occupants, Emilia était la seule à avoir perdu la vie.
Smaranda Brad fut la seule à se souvenir du comportement étrange de Cezar, et du conseil donné à sa tante. Elle mentionna cet épisode dans son rapport mensuel, mais même cela fut de peu d’importance par rapport à ce qu’il advint après et qui allait définitivement éloigner Cezar de sa famille.
Cezar avait dix ans, mais son niveau de perception, de jugement et son comportement allaient bien au-delà de son âge. Il fréquentait peu les autres enfants de son village car il ne savait pas jouer avec eux. Ils le regardaient comme quelqu’un d’étrange, en inventant de mauvaises histoires à son sujet. Cezar ne faisait pas attention à eux. Sa passion était de fermer les yeux pendant des heures, profondément absorbé dans des réalités dont ses parents n’avaient aucune idée.
En l’écoutant, j’ai pensé que c’était le bon moment de lui poser des questions sur ces expériences, totalement incomprises des autres.
Cezar réfléchit quelques instants, à la recherche des mots adéquats pour me répondre.
- Il est très difficile d’expliquer avec les mots justes certaines réalités, qui ne s’encadrent dans aucune logique ni raison du monde actuel. Disons que cela ressemble aux expériences spirituelles décrites par les mystiques hindous.
Ce fut la seule fois que Cezar me raconta brièvement une de ses mystérieuses expériences, tellement étranges pour une personne normale.
- Une fois, je suis revenu à la réalité physique qui m’entourait complètement confus, sans reconnaître l’endroit où je me trouvais durant quelques minutes. Bien que j'eusse les yeux ouverts, je voyais flou, ou plutôt je ne me rendais pas compte des choses qui m’entouraient. Peu à peu, très lentement, j’ai commencé à me réhabituer à ma condition normale ; c’est alors que j’ai clairement compris qu’il existe un lien entre l’esprit et le ressenti des choses. J'avais été si profondément absorbé dans certaines dimensions subtiles que j’avais dépassé cette connexion. Habituellement, il est relativement difficile de se détacher du monde objectif, c’est-à-dire de te recentrer sur le monde intérieur, en ignorant les sensations extérieures, ce qui pour moi n’était pas un problème. Paradoxalement, ma difficulté était de renouer le lien entre l’esprit et les sens pour revenir ainsi à mon état physique. Ma vue était parfaite, mes yeux ouverts, mais malgré tout j’avais du mal à m’adapter aux choses de mon environnement. Pour mieux comprendre, imagine que tu as vécu pendant de nombreuses années dans une métropole avec un haut niveau de vie. A cause d’une combinaison de facteurs, tu débarques sur une petite île complètement isolée au milieu de l’océan, avec des conditions de vie primaires. Le saut évolutif est énorme, et tu auras besoin d’un certain temps pour t’accommoder aux nouvelles conditions de vie.
Je me suis rendu compte à cette occasion que l'esprit humain est étroitement associé aux sensations corporelles, mais on peut aussi le libérer de ces sensations quand on arrive à parfaitement le contrôler avec de la pratique. Parfois, je glissais dans des transes si profondes que ma mère était forcée de me filer quelques gifles pour me ramener à la réalité. A d’autres moments, tellement euphorique quand je sortais de ces transes, j’essayais d’expliquer sincèrement à mes parents ce que je vivais pendant ces temps d’absence. Malheureusement, les mots manquent pour décrire la richesse de ces états, qui sont propres à une manifestation subtile et supérieure à l’état physique. Les mondes subtils et très élevés sont incompatibles avec les standards de la conscience physique. Une fois, j’ai cependant tenté d’expliquer avec des mots les perceptions que j’avais dans une telle expérience méditative, car ils insistaient pour comprendre ce que je vivais. Je leur ai dit que la seule association de formes et de couleurs à laquelle je pensais, et qui serait le mieux adapté pour décrire ce monde subtil et raffiné auquel j’avais accès, était un quadrillage de bandes irrégulières dans l'épaisseur, de couleur rouge et jaune sur un fond bleu. J’étais très content d’avoir trouvé la bonne image pour expliquer mon expérience, mais mon enthousiasme a immédiatement chuté quand j’ai vu leur regard plein de compassion à mon égard. Je me suis rendu compte que tous les efforts pour expliquer une telle chose étaient vains. L’ignorance est un facteur terrible dans l’évolution de l’homme. J’ai donc renoncé à jamais d’expliquer une chose impossible à comprendre.
Lorsque j’entrais en méditation, je m’évadais de ce monde, et la sensation la plus perceptible était la liberté d’action dont je disposais, et le sentiment que je pouvais percer n’importe quel mystère. Avec le temps, j’ai commencé à explorer des espaces de plus en plus grands, mais ne compare pas cela à un voyage normal (en effet, à ce moment je commençais à imaginer son voyage comme l’exploration de l’espace dans une fusée), Cezar a tout de suite perçu l’image de mon esprit et m’a corrigé, compréhensif.
- Le monde mental est gouverné par des lois et caractéristiques beaucoup plus vastes que celles du monde physique, mais ce n’est pas le sujet de notre entrevue. Il suffit que je te dise que dans mes « voyages », je ne me sentais jamais seul, et j’étais fermement guidé par une force que je ressentais gigantesque mais pleine de tendresse, qui souvent me révélait les nombreux mystères auxquels j’étais confronté. Grâce à cette sorte de « protection », j’ai réussi à sortir de l’enfance indemne, malgré des expériences psychiques très étranges.
Cezar demeura silencieux quelques instants. Je souhaitais alors, de tout mon cœur, apprendre à connaître les secrets du monde supérieur, qui m’auraient peut-être offert une réponse quant à mon rôle dans ce monde. D’une façon plus ou moins évidente, nous ressentons tous l’impulsion intérieure qui nous guide, mais le plus souvent c’est le destin qui nous guide sur la voie à suivre. En ce qui me concerne, je considérais que la « voix » de mon destin s’appelait Cezar Brad, et j’étais impatient d’en découvrir plus sur différents aspects initiatiques habituellement inconnus.
En 1980, le premier changement majeur survint dans la vie de Cezar. La famille Brad avait une renommée « d’étrangeté » dans le voisinage, car ses membres, enfermés dans une carapace, n’entretenaient aucun lien avec les voisins, et évitaient de répondre aux questions qui leur étaient posées. Par ailleurs, Cezar passait le plus clair de son temps dans sa chambre, dans de profondes méditations. Les faits se produisirent rapidement, dans le style caractéristique de la Sécurité d’Etat dont l’oppression et l’abus étaient notoires à cette époque.
Au début du mois de janvier de cette année, un jour d’hiver calme avec des flocons de neige grands et généreux couvrant de blancheur leur petite ville de montagne, Cezar rentra de l’école dans un état d’effervescence intérieure dont lui-même ne connaissait pas la cause. Impatient comme toujours, il pénétra dans la maison et s’allongea sur le lit dans sa position favorite, les jambes croisées, entrant ainsi dans un état profond de méditation. Connaissant cette habitude, sa mère l’avait prévenu que la table serait rapidement prête. Ce qui survint dans les heures suivantes mit à rude épreuve les nerfs de la famille. Je vais essayer de retranscrire fidèlement la situation en utilisant les mots avec lesquels Cezar me la relata, vingt ans après avoir lui-même vécu cette mémorable expérience.
- J’ai rapidement pénétré dans le vaste espace mental que je connaissais déjà bien, et je me suis concentré sur la contemplation de certains aspects abstraits en lien avec ce que nous appelons « air », commença Cezar. Lorsque j’étais en méditation, le monde environnant se transformait complètement. J’étais continuellement rafraîchi par un courant d’énergie inépuisable, et en même temps je me sentais libre, avide de tout connaître. Je parle d’une connaissance supérieure, bien au-delà de celle rencontrée dans les livres et manuels scolaires. La connaissance scientifique moderne est elle-même assez limitée, car elle se fonde sur les effets mais ne comprend pas leurs causes sous-jacentes. Moi je parle de la nature des connaissances qui n’est pas discursive, mais profondément intuitive et spirituelle. Elle ne peut pas être comprise en théorie, mais peut être traitée par l’expérimentation directe. Les limites du corps physique ne sont plus perçues par la conscience, qui vibre alors en fonction du sujet choisi pour la méditation. Je me confondais donc dans le monde sublime avec un son qui venait de partout. En fait, j’avais la sensation d’un son brillant rempli d’une énergie pure et extrêmement raffinée. Mon sentiment général était celui d’une grandeur sans fin, sans limites. Je ne sais combien de temps s’était écoulé depuis que j’étais pris dans cette infusion lumineuse et sonore, pas plus d’une heure. J’étais vaguement conscient de mon corps et de l’environnement et, à un moment donné, j’ai senti un léger tremblement et un léger balancement de mon corps qui, bizarrement, pouvait presque être observé de l’extérieur. C’était un sentiment d’instabilité relative, mais je ne me suis pas inquiété, car j’avais déjà été confronté à de telles expériences. Cependant, quelque chose était bizarre, car je ne ressentais aucun appui, comme celui d’être assis dans un lit. Dans un état de somnolence, j’ai ouvert les yeux et j’ai tressailli involontairement, car je me trouvais dans l’air, au-dessus du lit à environ un demi-mètre. Mes jambes étaient croisées comme dans ma position initiale, mais légèrement abaissées. Mon corps se balançait lentement dans l’air, en restant approximativement au même endroit. Je n’étais pas effrayé, mais plutôt excité par la forte émotion que je ressentais à ce moment. Je me suis dit que dans l’avenir, je devrais contrôler parfaitement ce phénomène si je ne voulais pas donner naissance à des complications sérieuses dans ma vie. A ce moment précis, ma mère ouvrit brusquement la porte pour me dire de venir à table. Je pense qu’il n’est pas trop difficile d’imaginer ce qui a suivi. Elle ne s’est pas évanouie, mais elle a eu très peur en se collant contre le mur et en me regardant, terrifiée. Moi-même, surpris par le bruit de la porte ouverte brusquement et du cri étouffé de ma mère, je suis revenu difficilement à la condition normale, en tombant de côté sur le lit. J’ai ressenti une vague sensation de nausée, et une douleur au niveau du cou.
Cezar me raconta cet événement d’une façon on ne peut plus normale, sans tenter de me convaincre de la véracité de ses dires. En même temps, il cherchait à me faire comprendre que la découverte d’un aspect particulier, ou la foi en quelque chose, ne constitue généralement pas le résultat d’une satisfaction banale et dépourvue de sens. J’ai clairement senti que si j’avais demandé à ce moment une preuve, j’aurais essuyé un refus poli.
A une autre occasion, Cezar m’expliqua que ceux qui ont certains pouvoirs paranormaux, et qui comprennent leurs causes et manifestations, n’agissent jamais de façon égoïste pour montrer aux autres leurs capacités particulières, et n’utilisent pas leurs pouvoirs dans un but personnel. Par conséquent, ces personnes ne voudront pas être reconnues et ne chercheront pas de gloire éphémère. En outre, ceux qui ont la connaissance authentique de leurs pouvoirs ne cherchent pas à convaincre ceux qui doutent, parce que la vraie croyance doit venir d’eux pour qu’elle soit stable et porter ses fruits dans l’avenir.
Les esprits de la plupart des gens sont pauvres et non encore prêts à faire face à certaines réalités choquantes. Pour combler cette lacune, ils adoptent dans la plupart des cas une attitude arrogante et ironique en ce qui concerne les domaines « interdits », c’est-à-dire ceux qui se trouvent à la frontière entre la matérialité et les plans subtils de la Création. Leur incrédulité dissimule en fait le refus de savoir, qui est à la base un profond sentiment de peur de l’inconnu. Souvent, ils cherchent à se tromper eux-mêmes, mais aussi ceux qui les entourent, en affirmant que s’ils sont témoins d’un pouvoir paranormal, réel, ils croiront immédiatement que le monde est plus que l’univers physique. L’expérience a montré que dans le cas d’une telle manifestation, le choc subi par un esprit mal préparé est trop important pour son niveau réduit de compréhension. Généralement, le spectateur de telles démonstrations suit deux voies : soit continuer à nier avec véhémence ce qu’il a lui-même demandé et vu de ses propres yeux, en arrivant parfois à des crises d’hystérie ; soit recourir à une acceptation formelle du moment, qui, en réalité, est dépourvue de toute conviction profonde. Cette acceptation sera rapidement remplacée par l’ancienne méfiance, comme un mur de protection mentale devant ce qui ne peut pas être compris ou qui peut perturber la routine quotidienne d’une vie banale.
Cezar me dit que la pratique apporte avec le temps la foi, parce que les efforts que nous faisons ensuite sont d’une certaine manière une sorte de foi. Au fond, la grande majorité des gens ont une foi ferme, mais qui est pervertie et destructrice. Ainsi, beaucoup croient fermement qu’ils ne croient pas et cela est suffisant pour nourrir des multitudes de craintes, doutes, angoisses et préjugés, les privant de la capacité à comprendre les choses dans leur essence. De surcroît, l’inconvénient est qu’ils se ferment émotionnellement sans s’en apercevoir. Ils deviennent égoïstes, et leurs sentiments sont alors flétris, dépourvus de la force d’une expérience authentique. Le plus souvent, l’homme crée ses propres limites.
Ce jour-là, Smaranda Brand n’était pas prête pour ce qu’elle avait vu, sa capacité de compréhension avait été mise à rude épreuve, et il semble qu’elle n’avait pas trouvé la force nécessaire pour traverser l’émotion de l’inconnu. Quand Nicolae Brad rentra du travail, sa femme lui raconta l’incident. Ils convinrent de prévenir le nouvel homme de liaison (le colonel Datcu avait été promu dans une autre ville).
Tard dans la nuit, une voiture arriva avec deux agents de la Securitate. Cette fois le docteur Xien n’était pas présent. L’événement mentionné dans le rapport impliquait un autre type d’actions, avec un protocole différent. Sous prétexte d’un examen particulier qu’il devait subir, Cezar fut pris en charge par les agents. Il monta dans la voiture et disparut dans l’obscurité de la nuit. Ce fut la dernière fois qu’il vit ses parents.