Alors qu’il a trente ans, Quercus commence à prendre une forme typique des arbres en devenir. Où l’on découvre qu’il présente une organisation finalement très simple et que, derrière les racines, le tronc, les branches et les feuilles, se cachent des lois physiques et chimiques basiques, mais qui rendent l’ensemble très résilient, à la fois solide et souple. Où l’on rencontre la meilleure alliée du végétal, une ancienne bactérie qui ne s’épuise jamais quand il s’agit de produire l’énergie vitale indispensable à la croissance de l’arbre. Où l’on apprend aussi que Quercus ne se lasse pas de créer des nuages…

Nous sommes en 1810.

 

Quand un arbre développe une branche, c’est pour répondre à une fonction particulière. Récupérer de l’énergie solaire principalement. Sa disposition traduit une page de l’histoire de la vie du végétal. Ainsi, une grosse branche sur un arbre adulte, à quelques mètres de hauteur seulement, a émergé dans le jeune âge de l’individu. C’est en tentant de comprendre son architecture qu’on peut traduire le schéma qui a servi à l’organisation de l’arbre. Sa forme trahit son histoire. Et de manière durable, car la structure de ses tissus, du bois surtout, induit une permanence de ses formes et de ses “choix” architecturaux. Pour longtemps…

 

La Révolution française a fait voler en éclats l’organisation de la gestion forestière, donnant lieu à un pillage de toutes les ressources disponibles. Notamment, tous les bois gisants, les cépées et taillis, les fruits de la forêt sont raclés presque jusqu’au dernier, les gibiers, inlassablement pourchassés. La Terreur passée, Napoléon Ier remettra en place un service forestier réglementant les usages. Encore une fois, les besoins en bois pour construire des navires ou agrandir les cités justifient que le sylviculteur à nouveau en place travaille au profit de certains arbres qu’on souhaite voir grandir et grossir. Notre chêne en profite probablement…

 

Quercus a trente ans. Sa croissance ayant été ralentie à l’aube de sa vie par le roncier et par la rigueur des premiers hivers qu’il a affrontés, il ne fait qu’une douzaine de mètres de haut, à peine dix centimètres de diamètre à hauteur d’homme, mais déjà la structure typique de l’arbre qu’il est en train de devenir se dessine.

Sa forme se met progressivement en place. Les racines continuent leur croissance. Selon l’essence, elles s’étendent sous la surface, alors que d’autres privilégient la profondeur pour capter l’eau de la nappe phréatique. Leur structure suit un modèle assez proche de celui du tronc, au détail près qu’elles peuvent ralentir leur croissance en fonction des obstacles qu’elles rencontrent. Quercus mise sur une prospection du sol autant latéralement qu’en profondeur, et profite encore de l’aide des mycorhizes de Leccinum, qui vont toujours plus loin pour lui fournir les ressources disponibles dans le sol.

L’arbre s’élève toujours vers le ciel. Sa croissance s’arrêtera lorsqu’il ne pourra plus conduire l’eau chargée de nutriments vers les brindilles de la canopée. Pour avoir la meilleure efficacité possible, il renouvelle les tissus qui véhiculent la sève chaque année, à chaque fois vers la partie externe du tronc. Ainsi, ces derniers s’appuient sur ceux du centre de l’arbre, qui constituent le bois de cœur, ou duramen. Ceux-ci meurent au fur et à mesure que l’arbre se développe et parfois servent à accumuler des réserves de sucres et d’amidon pour la sortie de l’hiver à suivre. Ainsi, le bois de cœur à l’intérieur du tronc est un tissu mort, protégé par ceux qui sont juste sous l’écorce et qui continuent de croître. Le duramen, s’il est la partie morte de l’arbre, reste pourtant essentiel. C’est en s’appuyant sur lui que Quercus défie l’une des grandes lois de la nature : la gravité. L’arbre va croître toute sa vie en prenant appui sur ce tuteur interne pour défier la règle qui l’entraînerait, sinon, naturellement vers le sol. Le long du duramen, le xylème, ou aubier, et ses gros vaisseaux de printemps transportent la sève brute, c’est-à-dire l’eau, les molécules carbonées simples et les oligo-éléments, depuis les racines vers l’ensemble des autres organes de l’arbre et jusqu’à la canopée. Le phloème constitue ensuite la couche de tissus s’appuyant sur le xylème, d’abord très simplifié (il est alors appelé “primaire”) puis beaucoup plus structuré une fois que la belle saison a enclenché la production abondante de matériau, qu’on appelle “liber” ou “phloème secondaire”. Il a la charge de redistribuer la sève élaborée, donc issue des feuilles et qui redescend vers les racines. Le cambium est une couche de cellules intermédiaire entre le xylème et le phloème, qui a pour rôle de produire des cellules pour ces deux tissus transporteurs de sève, à la demande. Enfin, l’écorce se décompose en phelloderme, en liège protecteur et en épiderme. Entre le liège et le phelloderme se trouve encore une fois une couche de cellules génératrices qui alimentent en nouvelles cellules l’ensemble de l’écorce. Chez Quercus, l’écorce forme naturellement des bandes épaisses entre lesquelles on observe des crevasses profondes. Plus haut dans l’arbre, les branches et les rameaux suivent ce schéma des couches de tissus qui se superposent, jusqu’au bourgeon terminal de chacune des branches, appelé aussi “méristème”, dont la fonction première est de “guider” la croissance de l’arbre vers la lumière depuis sa naissance. Si nous pouvions entendre ces bourgeons, ils crieraient en permanence aux organes qui les supportent : “Suivez-moi, c’est par là que se trouve la lumière et ses précieux photons !” Généralement, les jeunes rameaux ont au niveau de leur épiderme une couche de cellules possédant de la chlorophylle productrice de photosynthèse, le chlorenchyme, pour épauler le travail des feuilles, surtout au printemps. Enfin, cette description longue et fastidieuse se termine avec les feuilles qui dominent l’ensemble.

Chaque année, les tissus fabriqués précédemment, tous ces vaisseaux, organes de soutien et de transport de matériaux, dans lesquels la circulation est très dense, sont abandonnés et recouverts par cet ensemble de nouveaux tissus, adaptés aux conditions du moment. Si les ressources sont disponibles sans limites, l’eau surtout, les autoroutes à fluides vitaux sont larges. S’il fait sec, trop froid, que l’arbre est trop serré à cause de voisins trop proches et soumis à une compétition élevée pour accéder à ces ressources indispensables qu’il doit partager, les réseaux de circulation des fluides sont serrés, étroits, pour limiter les difficultés d’approvisionnement aux différents organes. Dans le bois, on peut donc lire la formation de cernes composés de ces vaisseaux conducteurs des sèves brute et élaborée. Ainsi, l’arbre grossit et grandit en s’appuyant sur les parties mortes qu’il englobe.

 

Les racines, les branches et les troncs représentent quasiment quatre-vingt-dix-huit pour cent de la biomasse totale de notre arbre. Pourtant, il reste les deux pour cent indispensables pour faire fonctionner l’ensemble et fabriquer les matériaux constitutifs de Quercus : les feuilles. La machine végétale une fois en place, l’usine de production chimique s’installe tranquillement. Quercus ne va pas s’arrêter de transformer des molécules simples en molécules complexes. L’alchimiste se met au travail. Tous les tissus de l’arbre sont mis à contribution.

 

Les feuilles sont le terrain de toutes les productions de Quercus. Le chlorenchyme de l’écorce y contribue, mais pour une très faible part. Chez cette espèce de chêne, les feuilles poussent au bout des rameaux, elles sont lobées et rondes, telles qu’on les connaît habituellement dans nos contrées, avec des nervations classiques, c’est-à-dire une nervure centrale qui dessert plusieurs nervures secondaires et latérales. Entre elles, le limbe forme une sorte de toile verte, comme un drap souple et légèrement duveteux au début, mais bientôt rigide et dur pour mieux résister aux affres du temps et constituer ce tissu végétal riche de cellules fines porteuses des chloroplastes, les usines chimiques de l’arbre, et des stomates, sortes de fenêtres ouvrant sur l’air ambiant. L’ensemble est porté par un pétiole, une tige de plusieurs centimètres pour cette espèce, le chêne sessile. Si un très vieil arbre feuillu en possède près de huit cent mille, Quercus dénombre déjà plus de dix mille feuilles. Chacune d’elles constitue un “centre névralgique”, assurant les fonctions de “porte” d’entrée et de sortie vers l’atmosphère, de “cuisine” pour elle-même et l’arbre support, de “dortoir” (parfois bien mérité), de “salle de bains”, de “réservoir”, de “carrière” et d’“usine” de production de molécules servant au fil du temps à la construction progressive de Quercus, d’“hôpital” pour produire les molécules réparatrices des tissus abîmés, de “centre de détention” pour les molécules agressives, mais aussi en cas d’attaque de “centre de transmission” pour prévenir l’ensemble de Quercus du mal qui progresse en lui ou tente de l’affecter, d’“usine” de fabrication des armes pouvant être indispensables pour la défense de l’organisme en entier. La feuille sait absolument tout faire. Douce et simple en apparence, elle cache bien son jeu.

Lors du débourrement, c’est-à-dire quand Quercus déploie ses feuilles au printemps, l’activation de l’ensemble de ses organes a déjà eu lieu. L’arbre a sollicité l’apport en eau avant tout autre élément nutritif. Le chlorenchyme, avec ses quelques chloroplastes logés dans l’épiderme des rameaux en haut de l’arbre, contribue à enclencher la production de sucres lors du réveil de l’arbre, ce qui amorce d’autant plus le renouveau de la machinerie végétale infernale. Mais peu, bien trop peu. Parce qu’il n’a pas encore les moyens de transformer des molécules simples en sucres, l’arbre a constitué des réserves d’amidon et de sucres comme le saccharose. L’amidon est facile à transformer en d’autres sucres et va vite lui servir. L’eau qui arrive dans les racines embarque ces nutriments vers le haut de l’arbre, jusqu’aux bourgeons, et cet ensemble constitue de fait les premiers apports d’énergie permettant la production des feuilles.

Les feuilles hébergent les chloroplastes, d’anciennes bactéries qui ont rejoint le cœur de leurs cellules. D’une taille bactérienne, donc de l’ordre du micromètre, ils sont les usines chimiques de référence pour Quercus, mais aussi pour tous les végétaux qui peuplent notre planète. Chacune de ces usines fabrique tellement de molécules qu’on se croirait dans une manufacture dans laquelle on demanderait absolument tout à une même caste d’ouvriers faisant les trois-huit. Ici, pour résumer, les chloroplastes récupèrent l’eau du sol apportée depuis les mycorhizes, puis ouvrent les stomates, ces portes d’entrée et de sortie des feuilles, pour attraper le gaz carbonique de l’air. Grâce à un activateur énergétique, les photons des rayons solaires, les deux molécules d’eau et de gaz carbonique sont déstructurées intégralement, démontées atome par atome. Le chloroplaste construit alors de nouvelles molécules, des glucides, principalement du glucose, et rejette des “déchets” dans l’atmosphère : de l’eau et du dioxygène. Pour réussir cette épreuve fabuleuse, l’ouvrier qu’est le chloroplaste utilise un outil ressemblant aux panneaux photovoltaïques qui fleurissent sur nos toits, un pigment photosynthétique qu’on appelle la chlorophylle, seule capable d’exploiter l’énergie lumineuse du soleil pour activer des électrons stimulant les réactions chimiques. Au cœur du dispositif chlorophyllien, le magnésium a une “heureuse” tendance à libérer les atomes d’oxygène auxquels il s’associe facilement. Et, pour accélérer l’ensemble des processus de transformation moléculaire, Quercus utilise des enzymes. Grâce à elles, chaque réaction chimique se déroule en seulement quelques microsecondes. Il en a partout, des feuilles aux racines.

Le principe de la photosynthèse est donc la transformation du dioxyde de carbone et de l’eau en dioxygène et en sucres. Son rendement énergétique est moins élevé que celui des panneaux photovoltaïques, mais il présente l’avantage d’être très peu coûteux, de se renouveler sans limites, et l’énergie produite peut être stockée autant que nécessaire, pour être redistribuée quand l’arbre en a le plus besoin, parfois plusieurs semaines après la production. Ces réactions thermodynamiques se compliquent dans la mesure où les chloroplastes savent aussi fabriquer d’autres molécules, à partir des oligo-éléments provenant du sol, pour répondre chaque fois à une demande émanant de l’organisme multiple qu’est l’arbre. En effet, si une racine présente une carence, si une autre feuille voisine réclame un complément d’amidon pour réparer son limbe abîmé par un choc ou un parasite, si l’arbre fait l’objet d’une attaque, l’information est véhiculée du tissu affecté jusqu’à la cellule porteuse de l’usine chimique. Pour cela, la sève joue un rôle déterminant et circule dans l’ensemble en apportant les nutriments et les informations nécessaires à cette vie si compliquée.

 

Le fonctionnement de l’ensemble de cette superstructure qu’est Quercus dépend à la base du fluide vital. Comme pour tout être vivant, la circulation des nutriments assimilables n’est réalisable que sous forme liquide. On comprend que la gravité va encore une fois poser un problème pour Quercus. Si la sève élaborée, chargée des sucres et autres molécules fabriquées par les chloroplastes, peut descendre facilement depuis les feuilles vers les racines, il n’en est pas de même pour la sève brute, qui doit monter des racines jusqu’à la cime des arbres. Les animaux s’appuient sur une pompe pour diffuser les fluides vitaux, comme le cœur chez les mammifères. Chez un arbre, pas de pompe. Alors, comment faire ? Comment défier les règles immuables de la gravité ?

La nature a doté Quercus et tous les arbres de trois astuces permettant cette remontée de fluides. La première consiste à s’appuyer sur la pression osmotique. Quand on mélange deux liquides, celui qui est le plus chargé en molécules denses cherche à se mélanger à l’autre, comme pour se soulager du poids de ces molécules qui sont alors réparties dans l’ensemble des liquides. Ils recherchent ce qu’on appelle “l’osmose”. En appliquant cette règle physicochimique, l’arbre propose toujours un fluide peu chargé en molécules lourdes en son sommet. Et c’est assez logique quand on considère que celles-ci, constituées d’oligo-éléments pompés dans le sol, sont progressivement distribuées à l’ensemble des branches de l’arbre. La sève se décharge donc au fur et à mesure qu’elle s’élève vers les cimes et s’allège en grimpant. Ainsi, la sève brute qui transporte les nutriments cherche toujours à se fondre avec les molécules de sève qui la précèdent, juste au-dessus.

Mais ce seul mécanisme est insuffisant. Pour le compléter, les vaisseaux sont construits pour favoriser la capillarité. C’est un peu comme dans un verre : quand on l’a rempli d’eau à ras bord, on distingue une pellicule d’eau au-delà du bord du verre, liée aux forces de capillarité du matériau. Les vaisseaux de l’aubier ont les parois essentiellement composées de lignine, ce matériau d’origine tanique dont l’une des propriétés est d’être hydrofuge. La lignine repousse les liquides, elle ne sait pas faire autrement. Elle favorise ainsi la circulation des liquides et la sève peut s’y appuyer pour avancer. Cette force contribue à tirer vers le haut de l’arbre tous les fluides qui circulent.

Enfin, le troisième système mis en place est d’une intelligence suprême. Il ne réclame absolument aucun effort ni aucune redistribution des liquides, comme pourraient l’exiger de savants calculs chimiques, ni des propriétés impliquant la construction de tissus. Cette fois, l’arbre laisse faire la nature : l’astuce consiste à proposer un appel des fluides vers le haut de l’arbre en ouvrant simplement les vannes. Que les fluides circulent le plus possible, telle est la solution ! On a vu que, lorsque les feuilles produisent des sucres et différentes molécules complexes, elles rejettent de l’oxygène et un peu d’eau pour équilibrer les formules chimiques, qu’elles évacuent en partie sous forme de vapeur d’eau dans l’air via les stomates (les fenêtres qui gèrent les entrées et sorties dans les feuilles). Ainsi, alors que les feuilles voient arriver les fluides de la sève brute, elles renvoient les molécules fabriquées par la sève élaborée, donc avec de l’eau, par les vaisseaux du liber vers le bas de l’arbre cette fois. Souvenons-nous, l’osmose du premier système permettait d’entraîner les oligo-éléments et l’eau vers le haut de l’arbre, impliquant une dilution des molécules dans la sève brute, d’autant plus forte que le fluide grimpe vers les sommets. Pour que ce principe fonctionne, il faut énormément d’eau. Mais dans le bilan hydrique de cette opération, il y a un excès d’eau, qui doit être évacué par le haut, dans l’atmosphère. L’arbre a inventé le moteur à eau. C’est ainsi que se forme un appel des molécules du bas de l’arbre vers son sommet. Pour un chêne adulte de trente à quarante mètres de haut, c’est jusqu’à deux cents litres d’eau que l’arbre pompe du sol chaque jour. Habituellement, la sève brute monte à une vitesse de quelques centimètres par heure. Quand elle est peu chargée en oligo-éléments, la vitesse de progression peut atteindre jusqu’à sept mètres à l’heure. Mais quand toutes ces molécules d’eau arrivent dans les feuilles, toutes ne sont pas utiles et Quercus doit faire face à un excédent dont il doit se débarrasser, au risque d’altérer ses cellules foliaires s’il les conserve trop longtemps, donnant alors naissance au cycle de l’eau si cher à nos forêts. L’eau est pompée dans le sol, redistribuée dans l’arbre, grimpe jusqu’aux feuilles. Une partie est déstructurée pour fabriquer des sucres et autres molécules volatiles, une autre sert à redistribuer ces molécules fabriquées à l’arbre, jusqu’aux racines, et une grande partie est évacuée dans l’air sous forme de vapeur. C’est par ce phénomène que les forêts produisent aussi beaucoup d’eau qu’elles redistribuent à l’atmosphère. Jusqu’à des milliers de litres par hectare chaque jour. L’arbre est une usine à nuages.

 

Le moteur à eau de Quercus est extrêmement simple et ne nécessite que peu d’énergie pour faire circuler les fluides. Il ne lui faut que du soleil frappant directement ses feuilles. Mais l’atmosphère est saturée de spores, de pollens et de graines. Jusqu’à cinq cents particules de ces poussières peuvent se déposer sur les feuilles de Quercus chaque jour et colmater ses stomates ou créer une fine pellicule occultante, réduisant d’autant l’efficacité chlorophyllienne. Surtout, ne pas mettre en péril sa survie pour quelques particules déposées sur le limbe de ses feuilles ! Alors, Quercus a développé un dispositif de nettoyage assez simple. Il a confectionné des poils très fins le long des nervures, à l’abri de la pluie sur la face inférieure de ses feuilles. Des domacies, invisibles à l’œil nu. Cette minuscule fourrure sert d’abri à des acariens microscopiques qui se nourrissent de ces poussières organiques. Rien ne doit ralentir la photosynthèse !

 

Pour profiter au maximum de la lumière, pas de secret, il faut que Quercus étende son réseau de branches pour obtenir un maximum de photons. S’il avait grandi dans un milieu très ouvert, dans la lande voisine, par exemple, ou dans une grande culture, il aurait pu écourter sa croissance en hauteur pour raccourcir la distance entre les racines et les feuilles. Mais la concurrence qui s’opère avec les arbres voisins, avec ses “frères-sœurs” qui comme lui ont profité des ronces dans leur jeune âge, impose à Quercus de grimper, de développer son tronc pour se rapprocher du ciel. À un moment donné, sa croissance s’arrêtera inévitablement, parce que les trois principes physiques permettant la montée de fluides ne suffiront plus pour transporter la sève brute jusqu’à la cime. Pour l’heure, Quercus a bien sûr développé des feuilles sur les premiers mètres, mais aucune d’elles n’a de fonction durable, elles ont vocation à disparaître au fur et à mesure de sa croissance. Ainsi, il a étendu son houppier vers le haut. D’abord, un tronc bien droit et solide. À six mètres, il a pu développer une branche qui deviendra maîtresse, car une trouée de lumière le lui a permis. Mais au-dessus, pas d’autre choix que d’attendre plus de onze mètres avant de proposer une première séparation majeure, une itération. Deux mètres au-dessus, juste sous le bourgeon terminal, on trouve une autre itération. De petit gabarit. Mais là s’est produite une nouvelle séparation, qui donnera naissance dans quelques années à deux branches maîtresses formant une fourche bien nette, alors qu’une troisième branche partira latéralement vers le nord. Pourtant il y a moins de soleil de ce côté, le sud est bien plus favorable. Cette branche paraîtra plus fragile par la suite. Peut-être un mauvais choix de la part de Quercus ? Mais, au moment de ce nouveau développement, ses cellules foliaires ne peuvent pas encore détecter la moindre abondance de photons à venir. Une trouée autorise cette escapade cellulosique, et l’arbre mise donc sur un potentiel, un avenir possible pour cette nouvelle branche.

 

Au fur et à mesure, chaque élément qui constitue Quercus réagit à la fois en fonction de l’ensemble qu’il compose et de manière presque autonome du reste de cet ensemble. Une branche peut répondre à divers stimuli, alors que celle qui est à l’opposé, de l’autre côté du houppier constitué par l’ensemble des branches, peut répondre à d’autres sollicitations de son environnement local, parce qu’elle est différemment exposée, parce qu’elle est plus ou moins soumise aux vents. Ainsi, Quercus se construit. Mais qu’on ne s’y trompe pas, il n’est pas un simple végétal. Comme les autres arbres de la forêt, Quercus est un être composé d’une multitude d’individus (chaque itération de branche), tous alimentés par un même tronc. Chaque partie de ce houppier prend presque une sorte d’indépendance par rapport aux autres. Son évolution dans l’espace est alors faite d’opportunisme, souvent issu d’occasions offertes par la disparition d’un voisin, dont peut profiter la branche adjacente. Le malheur de l’un fait le bonheur de l’autre. Quercus est un être multiple, une sorte de colonie végétale. Il est coloniaire.

 

C’est ainsi que se forme l’architecture globale qui a donné naissance à la silhouette que je reconnais aujourd’hui quand je rends visite à Quercus.

Dessin monochrome