62.

À la mi-journée, ils avaient retrouvé la rivière. Ils chevauchaient en silence dans les bois, sous la neige qui tombait maintenant à gros flocons, filtrant la lumière, étouffant les sons. La rivière avait commencé à geler le long des berges, et l'eau coulait, sombre, indifférente, dans le chenal étréci. Amy s'était endormie, appuyée sur le dos de Peter, ses poignets pâles alanguis sur les cuisses. Il sentait la chaleur de son corps, sa poitrine qui se soulevait et retombait doucement contre lui. Des naseaux du cheval flottaient vers lui des volutes de vapeur chaude chargée d'odeurs d'herbe et de terre. Il y avait des oiseaux dans les arbres, de noirs volatiles qui s'appelaient de branche en branche, leurs cris étouffés par la neige.

Tout en chevauchant, des souvenirs lui revenaient, un assemblage hétéroclite d'images dérivaient dans sa conscience comme de la fumée. Sa mère, un jour, peu avant sa fin ; il la regardait dormir, debout sur le seuil de sa chambre ; son regard était tombé sur ses lunettes, posées sur la table, et il avait su qu'elle allait mourir. Theo à la Centrale, quand il s'était assis sur la couchette de Peter pour examiner son pied, et plus tard, debout sous le porche de la ferme, Mausami à côté de lui, quand ils étaient partis. Tantine, dans sa cuisine surchauffée, et le goût de son horrible tisane. La dernière nuit au bunker, le grand inconnu déployé devant eux et tout le monde buvant du whisky et riant d'un truc drôle que Caleb avait dit ou fait. Sara, le matin, après la première chute de neige, assise par terre, le dos appuyé au tronc d'arbre, son journal sur les genoux, son visage baigné de lumière et sa voix qui disait : « Comme c'est beau, ici. » Alicia.

Alicia.

Ils prirent vers l'est. Le paysage changea radicalement, devint plus rude et commença à monter autour d'eux. Les montagnes couvertes de forêts drapées de blancheur les prenaient dans leur étreinte. La neige tomba moins fort, puis cessa, et se remit à tomber. Ils avaient entamé l'ascension. L'attention de Peter se concentrait sur les plus petites choses : la lente avancée rythmique du cheval, le contact dans sa main du cuir usé des rênes, le souffle d'Amy dans son cou. Tout cela comme inévitable, comme les détails d'un rêve qu'il aurait fait jadis, des années auparavant.

Vers la fin du jour, Peter dégagea un coin de sol avec la pelle et accrocha leur bâche au bord de la rivière. Le bois tombé à terre était généralement trop humide pour brûler, mais sous les lourdes frondaisons des arbres, ils trouvèrent assez de petit bois sec pour faire un feu. Peter n'avait plus son couteau, mais dans son paquetage il y avait un petit canif avec lequel il ouvrit des boîtes de conserve. Ils mangèrent leur dîner et s'endormirent, blottis l'un contre l'autre pour se tenir chaud.

Ils se réveillèrent dans un froid pétrifiant. La tempête de neige avait laissé dans son sillage un ciel d'un bleu glacé, intense. Pendant qu'Amy faisait du feu, Peter alla s'occuper du cheval. Il s'était détaché et éloigné durant la nuit, ce qui, en d'autres circonstances, aurait plongé Peter dans une franche panique, mais réussit ce matin-là à ne pas l'inquiéter. Il suivit les traces de l'animal et le trouva une centaine de mètres en aval, en train de grignoter des brins d'herbe au bord de la rivière, son gros museau noir ouaté de neige. Ça paraissait être le genre de chose qu'il ne fallait pas troubler, alors Peter resta un moment debout à le regarder prendre son petit déjeuner avant de le ramener au campement, où les efforts d'Amy avaient abouti à faire jaillir un petit feu fumant d'aiguilles humides et de brindilles crépitantes. Ils mangèrent encore des boîtes, burent l'eau froide de la rivière et se réchauffèrent ensemble auprès du feu, en prenant leur temps. Il savait que ce serait leur dernier matin. Derrière eux, à l'ouest, la garnison devait être vide et silencieuse, maintenant, tous les soldats faisant mouvement vers le sud.

— Je crois que ça y est, dit-il à Amy alors qu'il rattachait les sacs sur le cheval. Nous ne devrions pas en être à plus de dix kilomètres.

La fille ne répondit pas, se contentant de hocher la tête. Peter mena le cheval vers un tronc d'arbre abattu, une grosse masse détrempée d'un bon mètre de haut, qu'il utilisa pour se hisser sur le dos du cheval. Il s'installa, resserra les paquetages contre lui et tendit les bras pour faire monter Amy.

— Ils ne te manquent pas ? demanda Amy. Tes amis ?

Il leva le visage vers les arbres enneigés. L'air matinal était calme et ensoleillé.

— Si. Mais ça va.

Ils arrivèrent un moment plus tard à un embranchement. Depuis quelques heures, ils suivaient une route, ou ce qui avait jadis été une route. Sous la neige, le sol était ferme et régulier, la route signalée çà et là par un panneau rouillé ou une rambarde rongée par les intempéries. Ils s'enfonçaient dans une vallée qui allait en s'étrécissant. Les falaises montaient de chaque côté comme des murailles, exhibant leurs parois de roche nue. C'est alors qu'ils rejoignirent la bifurcation : une branche de la route allait tout droit, le long de la rivière, l'autre franchissait le cours d'eau sur un pont, une travée arquée aux poutres visibles, habillées de neige. De l'autre côté, la route continuait à monter et se perdait dans les arbres, au loin.

— Quelle direction ? lui demanda-t-il.

Un moment de silence, et puis elle répondit :

— On traverse.

Ils mirent pied à terre. La neige était profonde, une poudre légère qui arrivait presque en haut des bottes de Peter. En s'approchant du bord de l'eau, il vit que la route qui reliait les berges avait disparu : le revêtement du pont, sans doute jadis en planches, avait complètement pourri. Cinquante mètres. Ils réussiraient probablement à traverser, en passant de poutre en poutre, mais le cheval n'y parviendrait jamais.

— Tu es sûre ?

Elle était debout à côté de lui et plissait intensément les yeux dans la lumière. Comme lui, elle avait remonté ses mains dans les manches de sa parka pour les protéger du froid.

Elle hocha la tête.

Il retourna auprès du cheval et détacha leurs paquetages. Il n'était pas question de le laisser attaché en attendant leur retour. Il les avait amenés jusque-là ; Peter ne pouvait l'abandonner sans défense. Il finit de décharger leur matériel, enleva la bride de l'animal et passa derrière lui.

— Ha ! cria-t-il en lui flanquant une bonne tape sur la croupe.

Rien. Il essaya à nouveau, plus fort.

Ha !

Il eut beau lui taper dessus et agiter les bras en criant : « Va-t'en ! Allez ! », l'animal refusa de bouger. Il les regardait, impavide, de ses grands yeux brillants.

— C'est un fils de pute borné. On dirait qu'il ne veut pas s'en aller.

— Et si tu lui disais ce que tu veux qu'il fasse ?

— C'est un cheval, Amy.

Ce qui survint ensuite, si bizarre que ça puisse paraître, n'était pas complètement inattendu. Amy prit la tête du cheval entre ses mains, plaçant les paumes de chaque côté de sa longue tête. Le cheval commença par s'agiter, puis se calma à son contact ; ses larges naseaux s'élargirent, il poussa un gros soupir. Le cheval et la fille restèrent un long moment plantés là, face à face, silencieux, enfermés dans un regard profond. Puis l'animal s'éloigna, effectua un large demi-tour et repartit par où ils étaient arrivés. Il pressa l'allure et disparut au trot entre les arbres.

Amy récupéra son paquetage dans la neige et le mit sur ses épaules.

— Maintenant, on peut y aller.

Peter ne savait pas quoi dire. D'ailleurs, il n'y avait aucune raison de dire quoi que ce soit.

Ils descendirent vers le bord de la rivière. Les reflets du soleil qui dansaient sur l'eau avaient un éclat presque explosif, comme si le pouvoir réfléchissant de la surface avait été magnifié alors qu'elle était sur le point d'être figée par le gel. Peter envoya Amy en premier, en lui offrant son genou pour grimper par une sorte de trappe sur les poutres à nu. Lorsqu'elle eut pris pied dessus, il lui tendit leurs paquets et se hissa derrière elle.

Le plus sûr consistait à rester le long du bord du pont et de se cramponner à la rambarde afin d'avancer de poutre en poutre, au-dessus de la rivière tumultueuse. Le métal glacé lui brûlait les mains avec une férocité exquise. Mais il n'y avait pas de temps à perdre. Amy ouvrait la voie, glissant avec une grâce confiante au-dessus du vide. Dès qu'il commença à la suivre, il devint instantanément évident que le problème ne venait pas des poutres proprement dites, qui paraissaient solides, mais de la peau de glace invisible qui les gainait, sous la neige. Par deux fois Peter dérapa. Il sentit ses pieds se dérober sous son poids et se raccrocha à la rambarde gelée, d'un froid mordant. Mais aller aussi loin pour se noyer dans une rivière glacée – il ne pouvait l'imaginer. Lentement, poutre après poutre, il réussit à traverser. Lorsqu'il arriva de l'autre côté, il avait les mains complètement engourdies et il grelottait. Si seulement ils avaient pu s'arrêter pour faire du feu... Non, pas question de retarder leur progression à ce stade. Les ombres s'allongeaient ; la brève journée d'hiver tirait à sa fin.

Ils prirent pied sur la berge de la rivière et reprirent l'ascension. Où qu'ils aillent, il faisait des vœux pour qu'ils trouvent un abri. Sans cela, il ne voyait pas comment ils survivraient à la nuit. Le danger ne venait pas des viruls ; le froid les tuerait tout aussi sûrement. Une seule chose comptait : continuer à avancer. Amy marchait désormais en tête, ses pas l'emmenant toujours plus haut dans la montagne. Peter avait toutes les peines du monde à ne pas se laisser distancer. L'air procurait à ses poumons une étrange impression de légèreté. Autour de lui, les arbres gémissaient dans le vent. Au bout d'un certain temps, il se retourna et contempla la vallée, très loin en dessous d'eux, et la rivière qui décrivait ses méandres au fond. Ils étaient maintenant à l'ombre, dans une zone crépusculaire, mais de l'autre côté de la vallée, les montagnes qui reculaient au nord et à l'est palpitaient d'une lumière dorée. Le sommet du monde, songea Peter, voilà où Amy me conduit. Au sommet du monde même.

Et la journée s'écoula. Dans la pénombre commençante, le paysage se réduisait à un chaos confus ; ce que Peter pensait devoir être le point le plus élevé de leur escalade n'était qu'une crête parmi d'autres, la suivante chaque fois plus exposée et battue par les vents que la précédente. À l'ouest, la montagne redescendait très vite, presque à pic. Le froid semblait avoir atteint une profondeur nouvelle en lui, émoussant tous ses sens. C'était une erreur, il s'en rendait compte, de renvoyer leur monture. En dernière extrémité, ils auraient au moins pu redescendre et profiter de la chaleur et de l'abri de son corps. C'était très grave de tuer un cheval ; il n'aurait jamais pensé pouvoir faire une chose pareille auparavant. Mais à présent que l'obscurité tombait sur la montagne, il savait qu'il en aurait été capable.

Il se rendit compte qu'Amy s'était immobilisée à quelques mètres devant lui. Il la rejoignit péniblement et s'arrêta près d'elle en avalant de grandes goulées d'air. À cet endroit, le vent chassait la neige, qui était moins épaisse. Amy observait le ciel, les paupières étrécies, comme si elle écoutait un bruit dans le lointain. Des perles de glace constellaient son paquetage, ses cheveux.

— Qu'y a-t-il ?

Le regard de la fille était rivé sur l'orée d'un bois, sur leur gauche, du côté opposé à la vallée offerte au ciel.

— Là, dit-elle.

Sauf qu'il n'y avait rien, que le rideau d'arbres. Les arbres, la neige et le vent indifférent.

Et puis il vit une trouée dans le sous-bois. Amy était déjà repartie dans cette direction. Comme ils s'en approchaient, il comprit ce qu'il voyait : la porte d'une palissade à demi effondrée. La barrière longeait les bois, à gauche et à droite, camouflée sous une masse dense de végétation rampante, maintenant dépourvue de feuilles mais couverte de neige au point d'être quasiment invisible. Elle faisait partie du paysage. Qui sait depuis combien de temps ils la longeaient sans la voir. Quelques mètres derrière l'ouverture, il y avait un semblant de petite cabane, plutôt qu'une véritable construction. La cahute, qui ne devait pas faire plus de cinq mètres carrés, paraissait penchée, comme si ses fondations s'étaient en partie effondrées. La porte, entrouverte, pendait sur ses gonds. Peter jeta un coup d'œil à l'intérieur. Rien, que de la neige, des feuilles et des filets de pourriture ruisselante sur les murs.

Il se retourna.

— Amy, où est-ce que... ?

Il la vit filer, s'enfoncer entre les arbres, et s'élança pesamment derrière elle. Amy pressa le pas, de plus en plus vite. Il avait conscience, à travers le brouillard de son épuisement et malgré le poids de ses pieds gelés, d'être arrivé au bout de leur voyage, ou presque. Il se sentait vidé ; le froid le dépouillait de ses forces, qui finissaient par l'abandonner.

— Amy ! appela-t-il. Attends !

Elle n'avait pas l'air de l'entendre.

— Amy, s'il te plaît !

Elle se retourna vers lui.

— Qu'y a-t-il ici ? fit-il d'un ton implorant. Il n'y a rien.

— Mais si, Peter, répondit-elle, le visage illuminé de joie. Mais si, il y a quelque chose !

— Alors, où ? demanda-t-il, et il reconnut la colère dans sa voix.

Il se pencha, les mains sur les genoux, essayant de reprendre son souffle.

— Dis-moi où !

Elle leva le visage vers le ciel qui s'assombrissait et ferma les yeux.

— C'est... partout, répliqua-t-elle. Écoute !

Il rassembla ses dernières forces et s'efforça de projeter son esprit vers l'extérieur. Mais il ne perçut que le vent.

— Il n'y a rien, répéta-t-il, sentant s'évanouir tous ses espoirs. Amy, il n'y a rien, ici.

C'est alors qu'il l'entendit.

Une voix. Une voix humaine.

Quelqu'un, quelque part, chantait.

Ils virent d'abord la balise, dressée entre les arbres.

Ils étaient arrivés dans une clairière au milieu de la forêt.

Tout autour d'eux, Peter distinguait des indices de présence humaine, des formes qui évoquaient des bâtiments en ruine et des véhicules abandonnés sous la neige. L'antenne était érigée à la limite d'une large dépression dans le sol, pleine de débris – sans doute les fondations d'un bâtiment depuis longtemps disparu. C'était une tour de métal très haute, d'une centaine de mètres au moins, haubanée par des câbles d'acier noyés dans le béton. Tout en haut était fixé un disque gris hérissé de piques sous lequel un ensemble d'objets en forme de pagaie étaient disposés comme les pétales d'une fleur. Peut-être des panneaux solaires, il n'en savait rien. Il posa la main sur le métal glacé. L'un des montants était apparemment gravé. Il écarta la neige avec ses mains, révélant une inscription : « Corps des ingénieurs de l'armée des États-Unis ».

— Amy...

Mais il n'y avait personne à côté de lui. Il repéra un mouvement au bord de la clairière et le suivit rapidement dans le sous-bois. Le chant était de plus en plus fort. Un chant sans parole, juste une succession de notes qui montaient et redescendaient selon un phrasé fluide. Cela semblait planer vers eux de toutes les directions à la fois, porté par le vent. Ils en étaient proches, maintenant, tout proches. Il sentait une présence vers l'avant, une ouverture. Les arbres s'écartaient, dégageant le ciel. Il arriva à l'endroit où se tenait Amy, et s'arrêta.

Une femme. Qui leur tournait le dos, debout sur le seuil d'une petite maison de rondins. Il y avait de la lumière aux fenêtres, et des volutes de fumée montaient de la cheminée. Elle secouait une couverture. D'autres pendaient sur une corde tendue entre deux arbres. L'incroyable pensée parvint au cerveau de Peter que cette femme, quelle qu'elle puisse être, rentrait du linge. Elle rentrait son linge en chantant. La femme portait une grosse cape de laine ; ses cheveux, épais et noirs, striés de mèches d'un blanc de neige, coulaient sur ses épaules en une masse nuageuse. Au bas de sa cape, ses jambes nues descendaient vers les maigres sandales de corde qu'elle portait aux pieds, et elle avait les orteils dans la neige.

Peter et Amy s'approchèrent d'elle, les paroles de sa chanson se précisant à mesure. Elle avait une belle voix grave, riche, qui traduisait une mystérieuse plénitude. Elle chantait en travaillant, disposant les couvertures dans un panier, à ses pieds, apparemment inconsciente de leur présence. Ils étaient maintenant debout à quelques mètres d'elle.

Dors mon enfant, que la paix soit avec toi, chantait la femme.

Jusqu'au bout de la nuit.

Dieu t'enverra des anges gardiens,

Jusqu'au bout de la nuit.

Les heures de sommeil s'avancent doucement,

Collines et vallons somnolent,

Je veille et vous garde mes bien-aimés,

Jusqu'au bout de la nuit.

Elle s'interrompit, les mains au-dessus de la corde à linge.

— Amy.

La femme se retourna. Elle avait un beau visage large, la peau foncée, comme Tantine. Mais ce n'était pas une vieille femme qu'il voyait. Elle avait les traits fermes, les yeux clairs, lumineux. Un sourire radieux s'épanouit sur son visage.

— Oh, que c'est bon de te revoir.

Sa voix faisait comme une musique, comme si elle chantait ses paroles. Elle s'avança vers eux dans la neige, avec ses sandales légères, et prit Amy par les mains avec une tendresse maternelle.

— Ma petite Amy. Tu as bien grandi.

Et puis ses yeux, glissant sur la fille, vinrent se fixer sur Peter, paraissant le remarquer pour la première fois.

— Et le voilà, ton Peter.

Elle eut un petit mouvement de tête, incrédule, émerveillé.

— Exactement comme je savais qu'il serait. Tu te souviens, Amy, quand je t'ai demandé : « Qui est Peter ? », quand je t'ai vue pour la première fois ? Tu étais toute petite.

Des larmes commençaient à rouler sur les joues d'Amy.

— Je l'ai abandonné.

— Chut, chut. Tout est comme il fallait que ce soit.

— Il m'a dit de courir ! s'écria-t-elle. Je l'ai abandonné ! Je l'ai abandonné !

La femme secoua les mains d'Amy.

— Mais tu vas le retrouver, Amy. C'est ce que tu es venue découvrir ici, n'est-ce pas ? Je n'étais pas seule à veiller sur toi, pendant tant et tant d'années. Cette tristesse que tu éprouves n'est pas la tienne. C'est sa tristesse à lui que tu sens dans ton cœur, Amy, parce que tu lui manques.

Le soleil s'était couché. Le froid de la nuit s'insinuait autour d'eux, tandis qu'ils restaient debout dans la neige devant la maison de la femme. Et pourtant, Peter ne réussissait ni à bouger ni à parler. Il ne doutait pas de faire partie de ce qui venait d'arriver, mais quelle partie, il l'ignorait.

Il retrouva enfin la voix.

— Dites-moi, fit-il. Je vous en prie, dites-moi qui vous êtes.

Les yeux de la femme se mirent à pétiller d'une soudaine malice.

— On lui dit, Amy ? On dit à ton Peter qui je suis ?

Amy hocha la tête. La femme leva le visage. Elle avait un sourire étincelant.

— Je suis celle qui vous attendait, dit-elle. Je suis sœur Lacey Antoinette Kudoto.