Si vous avez déjà fait un peu de yoga, vous vous êtes peut-être senti différent à la fin de la séance : un calme règne, non pas un calme endormi, mais un calme vital. Le corps est ouvert, plein de sensations. L’esprit est alerte, débarrassé du stress. La possibilité du bonheur est là.
Et si on pouvait avoir la même expérience en sortant de table ?
Ce livre a plusieurs buts :
Le mot yoga vient de la racine sanskrite yuj, qui signifie « lien » ou « union ». Souvent, on parle d’unir le corps et l’esprit. Mais quelle union peut-il y avoir de plus intime que celle de prendre un aliment dans sa bouche et de l’avaler ? Ce qui était « autre » devient, textuellement, la matière de chaque cellule de mon corps. Il semblerait que manger pourrait être une autre manière de pratiquer le yoga, d’explorer cette union.
La pratique du yoga consiste en séances de postures, associées à des exercices de respiration, de concentration et de méditation. Cette pratique physique offre un moyen efficace de pallier les stress de la vie contemporaine. Le yogi (personne qui pratique le yoga, yogini au féminin) ainsi libéré de ses souffrances découvre alors une vérité insoupçonnée : le bonheur est là, au fond de lui.
Dans la philosophie du yoga, on appelle le corps physique avec lequel on effectue les postures l’annumayakosha (« le corps d’alimentation »). Mais ce corps n’est qu’un des nombreux corps qui nous constituent...
Vous pensiez n’avoir qu’un corps à soigner ? Eh bien non !
La philosophie indienne la base du yoga et de l’ayurvéda (le système de médecine traditionnelle indienne) nous enseigne que nous en avons cinq !
Chaque corps a sa propre « alimentation » : nourriture pour l’annumayakosha ; des bols d’air frais, une bonne respiration et l’exposition au soleil pour le pranamayakosha ; la musique, la beauté esthétique et naturelle, la méditation pour le manumayakosha ; l’étude des textes philosophiques, spirituels et/ou éthiques pour le vijnanamayakosha. Enfin, l’action bénévole, la dévotion et la relaxation profonde nourrissent l’anandamayakosha.
Notre alimentation devient notre corps : les organes digestifs retiennent de la nourriture tout ce dont le corps a besoin pour vivre. Il stocke un peu, ou davantage, selon les quantités qu’on ingurgite, afin d’avoir une réserve vitale (on ne sait jamais) et il élimine le reste. En tout cas, on espère qu’il élimine le reste ! Et de même qu’une voiture roulera mal si on lui donne la mauvaise essence, ou qu’une prise électrique risque de ne pas fonctionner pour alimenter votre ordinateur dans un autre pays, notre corps avec toutes ses fonctions diverses marchera plus ou moins bien selon le carburant qu’on lui offre.
Comment harmoniser notre alimentation pour qu’elle nous aide dans cette quête de libération de nos souffrances ?
Quelle alimentation alors pour soutenir non seulement la pratique du yoga mais aussi la vie en général ? Comment augmenter sa vitalité, pallier la fatigue et la maladie, sans alourdir le quotidien et atteindre à la convivialité d’un repas avec ses proches ? Qu’offre le yoga face à la multiplication des régimes ?
« Le yogi doit manger modérément et frugalement. Sinon, aussi habile qu’il soit, il ne pourra parvenir au succès. »
– Extrait du Shiva Samhita, écrit au XVIIe siècle
Aujourd’hui, le yoga est surtout associé au végétarisme. En Inde, pays natal du yoga, la plupart des hindous pratiquent le végétarisme depuis des millénaires. Selon un des professeurs de yoga les plus importants du XXe siècle, Sri K. Pattabhi Jois, le végétarisme est la partie la plus importante dans la pratique du yoga.
Cet enseignement se base sur la première injonction éthique du yoga selon la philosophie ancienne : la non-violence. Si la non-violence interdit la mise à mort d’un animal, par extension, les yogis évitent la consommation de viande.
Mais tout comme il existe différentes écoles de yoga, avec diverses approches des postures, des exercices de respiration et de la méditation, il y a naturellement différentes philosophies alimentaires, même à l’intérieur de l’univers yoga. Certains yogis trouvent que les actions agressives des végans politiquement engagés représentent une forme de violence. D’autres pensent que l’imposition de son propre régime sur autrui est aussi une manière égocentrique de vouloir soit dominer les autres soit se sentir supérieur. Il existe même des yogis pour qui s’imposer un régime végétarien ou végan avant d’être vraiment prêt, par désir, à être en conformité avec la communauté du yoga est aussi une forme de violence !
Un des textes importants dans l’histoire du yoga, les Yoga Sutras de l’Indien Patanjali (écrit aux alentours de 200 ans avant notre ère), propose 10 injonctions éthiques qui soustendent la pratique des postures.
Ils sont divisés en deux catégories, appelées Yamas (pratiqués envers les autres) et Niyamas (pratiqués envers soi-même) :
1• Ahimsa : non-violence
2• Satya : vérité de paroles
3• Asteya : non-vol, ne pas voler ce qui n’est pas à vous librement
4• Brahmacharya : chasteté, respect de l’énergie sexuelle
5• Aparigraha : non-avidité, non-désir de posséder
6• Saucha : propreté, pureté
7• Santosha : contentement
8• Tapas : effort, discipline
9• Svadhyaya : étude de soi
10• Ishvarapranidhana : abandon à Dieu, à l’absolu
Je pense que ces questions sont complexes, que les réponses ne sont pas absolues et que chacun doit être libre de cheminer en toute sincérité à travers la multitude des possibilités alimentaires. Cela prend du temps à trouver les comportements et choix alimentaires qui soutiendront sa santé, sa compassion, son bien-être et celui de la planète sur le long terme.
Je propose donc de prendre l’enseignement du yoga comme guide à travers la jungle alimentaire contemporaine, non pas en posant des nouvelles règles à suivre, mais en créant un cadre dans lequel nous pouvons explorer.