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Les clients du devin

Franz-Eckart écrivit à son père officiel pour lui conter la visite des intrigants d’Amboise et le prier de ne plus imprimer les Dits des Étoiles. La réponse qu’il reçut le laissa perplexe :

Mon cher fils, je suis trop soucieux de la tranquillité des miens pour refuser de déférer à ton désir. Toutefois, il faut que tu saches que deux imprimeurs, l’un à Paris et l’autre à Avignon, se sont emparés de tes soixante-dix-sept quatrains et en font leurs choux gras. J’apprends que celui de Paris en a déjà vendu deux mille exemplaires et celui d’Avignon, mille huit cents. Étant donné que j’en ai, moi-même, vendu près de trois mille à dix-huit sols, ce qui représente deux mille cent soixante livres, dont il te revient la septième part, soit quelque trois cent huit livres, je me demande et te demande également si tu préfères te priver de ce revenu et laisser des profiteurs te tondre la laine sur le dos plutôt que d’en tirer profit et d’en faire faire aux Trois Clefs.

J’attends ta réponse.

Ton père aimant,

François de Beauvois.

Franz-Eckart tendit la lettre à Jeanne. Ils étaient dans l’étude de ce dernier, au troisième étage.

— Le sort en est jeté, dit-elle. Il est trop tard pour te retrancher dans l’ombre. Près de sept mille personnes ont déjà pris connaissance de tes quatrains. Tu susciteras bien des inimitiés, mais aussi des fidélités.

L’attestation de monseigneur Morny avait été affichée à la porte de la cathédrale Saint-Maurice. Personne à Angers n’ignorait plus que maître Franz-Eckart de Beauvois était astrologue. Frederica en était «  retournée », comme elle disait. Elle lui témoignait depuis un respect craintif.

— Pourquoi me suis-je donc laissé tenter ! se lamenta-t-il.

Deux jours plus tard, six lettres arrivèrent, toutes adressées à «  Messire Franz-Eckart de Beauvois, à l’Imprimerie des Trois Clefs à Strasbourg » et réexpédiées par François.

Elles émanaient de la comtesse Marie d’Orléans, comtesse de Narbonne, propre sœur du roi, du prophète italien Michel Marulus, d’Albert, duc de Bavière et de son épouse Kunigond, fille de l’empereur Frédéric III, d’Étienne de Poncher, évêque de Paris, de Nicole de Penthièvre, ancienne duchesse de Bretagne, et de la marquise douairière Thérèse de Mantoue.

Les Dits des Étoiles avaient beaucoup voyagé.

Ces lettres demandaient toutes des éclaircissements sur tel ou tel quatrain – le sixième était évidemment celui qui suscitait le plus de curiosité – et deux d’entre elles, celles de Marie de Narbonne et de Nicole de Penthièvre, requéraient une entrevue avec l’auteur.

— Quatre femmes sur six requêtes, observa Jeanne avec un sourire.

Il convenait de répondre.

— Franz, dit Jeanne, à l’évidence il te faut un protecteur. Il me semble que le plus indiqué est une femme, Marie de Narbonne. Elle a un accès direct à Louis. Si quelqu’un d’autre venait à te chercher querelle, sur l’exemple de Raymond d’Amboise, elle pourrait te défendre. Elle demande à te voir. Nous la recevrons avec les honneurs dus à son rang.

— Te voilà ministre délégué des Étoiles, déclara plaisamment Joseph.

Il tisonna le feu, l’air de ravaler ses paroles.

— Misère ! s’écria-t-il soudain.

Jeanne et Franz-Eckart, surpris, le regardèrent, car il s’était retourné, le tisonnier en main et l’air enflammé.

— Nourrir des misérables, reprit-il. Jeter des perles aux cochons. N’est-ce pas ce que Jésus avait interdit de faire ? On leur ouvrirait le propre Livre de Dieu, celui où il inscrit toutes les destinées, qu’ils continueraient de se comporter comme des reîtres et des ribaudes ! On peut leur déverser tout le savoir de l’univers sur la tête et qu’en feront-ils ? Ils fouilleront le monceau, tels des porcs sur le fumier, à la recherche de ce qui peut servir leurs desseins ignobles ! Enfler leurs déplorables personnes, ces tas de tripes glaireuses emballées dans de la soie et du drap d’or !

Jeanne fut saisie. Ce n’était certes pas là les paroles du garçon qu’elle avait vu se baigner avec les esprits et proche de la désincarnation.

— Jésus lui-même leur apparaîtrait qu’ils lui demanderaient comment faire fructifier leur magot, en finir avec leur belle-mère, capter l’héritage qui ne leur revient pas, coucher avec la fille du voisin et occire leur ennemi ! Faut-il que la vie même soit une maladie avilissante pour que tenir l’âme chevillée au corps exige tant de vilenie !

Il se tourna vers Franz-Eckart :

— Que viendra donc te demander Marie de Narbonne ? La date à laquelle son frère rendra son âme au diable, afin qu’elle prépare plus sûrement sa retraite ? Et Albert de Bavière ? Comment faire pour tenir son nouveau royaume ficelé ! Tu vas jeter des perles et des diamants à ces cochons !

Jeanne n’avait jamais entendu Joseph parler si longtemps, ni avec tant de passion. Elle ne l’avait jamais non plus entendu invectiver son père. Elle n’en revenait pas.

Un silence s’abattit sur la salle. Le soleil, sans doute d’humeur facétieuse, scintilla sur le télescope de cuivre à la fenêtre.

Franz-Eckart soupira.

— Joseph, répondit-il enfin, ton discours est inspiré par la pureté, n’est-ce pas ?

Joseph hocha faiblement la tête. Sans doute commençait-il seulement à s’aviser de l’impertinence de son éclat.

— Ce que tu dis est excessif. Il est exact que des gens avides d’explications sur mes quatrains vont en premier lieu chercher ce qui peut les servir et contribuer à la réussite de leurs entreprises terrestres. Mais on ne peut exclure qu’ils y trouveront aussi un aperçu des desseins de la Providence. Ils concevront qu’ils ne sont que des êtres infimes en regard de l’immensité de l’univers. Peut-être aussi, songeant qu’ils ne sont pas les maîtres de cet univers, un sentiment comparable à la modestie naîtra-t-il en eux. Cela ne serait pas négligeable. Et peut-être encore peut-on espérer mieux.

Joseph écoutait avidement.

— La tentation de la pureté absolue est un mal qui menace tous les êtres humains. Elle est immodeste. Tu n’es pas absolument pur, Joseph.

Une roseur gagna le visage du garçon.

— La connaissance des esprits n’a pas fait de toi un pur esprit. Quand ils sont descendus te nourrir, la nuit de ton initiation, c’est ta chair qu’ils ont nourrie, ta chair qui est faillible et qui périra un jour. Ce corps qui pisse et qui mange et qui chie. Si tu ne tempères pas ton aspiration à la pureté, tu les trahiras.

Un battement de paupières anima à peine le visage de Joseph.

— Les esprits sont venus à toi par tendresse, en raison des mérites de ta race, tels qu’ils t’ont été transmis par la mère de Joachim. La tendresse est pétrie de charité. Tu as manqué de charité envers ces gens qui m’ont écrit.

Un soupir souleva la poitrine du garçon. Il semblait au bord des larmes.

— Pardonne-moi, dit-il à la fin. Pardonne-moi.

— C’est fait, dit Franz-Eckart.

Joseph s’élança vers son père. Ils s’étreignirent. L’adolescent se tourna vers Jeanne :

— Et toi aussi, dit-il.

Elle sourit et hocha la tête.

— Tu as un père remarquable, dit-elle à Franz-Eckart.

— Je vais donc répondre à mes quémandeurs, annonça-t-il.

 

Elle eût voulu savoir des mots nouveaux pour dire à Franz-Eckart le sentiment qu’il lui inspirait. Chaque homme évoquait une substance particulière et revêtait une couleur incomparable. François Villon, un bois noueux et tourmenté comme un cep de vigne ou un thuya, Matthieu, du sapin odorant, Philibert, un bois fruitier, Barthélemy, du chêne, Joseph, du cèdre… Jacques et Franz-Eckart étaient des exceptions, parce qu’ils rappelaient d’autres substances : l’ivoire et l’ambre.

Quand ils faisaient l’amour, elle ne se retrouvait que plusieurs heures plus tard, parfois plusieurs jours. Il embaumait. Elle éprouvait du regret à se laver ensuite.

 

 

Marie de Narbonne fut la première à venir à la maison L’Estoille parmi ceux et celles qui avaient demandé à rencontrer Franz-Eckart ; la fille du poète Charles d’Orléans habitait à Tours, à moins d’une journée de chariot. Bien plus jeune que Jeanne, puisque née en 1457, elle se donnait pourtant l’apparence d’une vieille femme. Vêtue de velours noir, fût-il ciselé, sans l’ombre de fard, son visage déjà blanc en paraissait plus pâle encore ; sans doute considérait-elle qu’elle s’était retirée du monde et plus encore de celui de son frère. Elle n’était accompagnée que d’une dame de compagnie et d’un valet qui l’attendait à la porte ; presque un équipage de bourgeoise riche, sans plus.

Elle dévisagea Franz-Eckart avec surprise :

— Je m’attendais à trouver un vieillard chenu. Et je découvre un beau jeune homme.

Elle coula un regard bref vers Jeanne. Puis elle s’assit dans le siège qu’il lui avançait.

Elle avait le verbe simple et direct :

— Messire, je devine que la prudence vous inciterait à user avec moi d’un langage obscur. N’en faites rien. Parlez sans crainte, dit-elle d’emblée. Je ne vois guère le roi. Je ne présente pas d’intérêt pour les affaires royales, car je n’ai pas enfanté de garçon et ne suis plus d’âge à marier. Louis et moi ne sommes donc pas en confidence. 1515, c’est bien la date de sa mort, n’est-ce pas ?

— Il semble, madame.

— Ça ne m’étonnerait pas. Voilà des années que ses entrailles lui donnent des fièvres. Et que signifie le reste ? Cette couronne qui manque le seuil, Jupiter client de Mercure et la vengeance de Némésis ?

— Le successeur du roi briguera, si je ne me trompe, un plus grand honneur, qui ne peut être que la couronne impériale, mais ce ne seront pas les mérites qui l’emporteront, c’est l’argent.

— J’en déduis que le prochain empereur n’obtiendra son titre que grâce aux banquiers, dit Marie d’Orléans. Et que vient faire Némésis ?

— L’empereur suscitera contre lui-même une alliance puissante.

— Avez-vous du vin blanc, madame ? demanda à Jeanne la royale visiteuse.

— Certes, madame.

— Si l’on m’y faisait presser du jus de groseilles, j’obtiendrais ma boisson favorite.

Par bonheur, Frederica conservait aux cuisines un flacon de ce jus. Marie d’Orléans se déclara ravie. Elle se tourna vers Franz-Eckart :

— J’ai lu attentivement tous vos quatrains. Pour ce que j’en ai pu déchiffrer, vous me semblez de bonne foi. Mais que faites-vous donc de tout ce savoir ? Vous pourriez être l’un des hommes les plus puissants d’Europe. Je vous trouve vivant dans une retraite sans doute charmante – elle se tourna vers Jeanne – mais une retraite quand même.

— Le goût de la puissance n’est pas également réparti chez les hommes, madame, répondit Franz-Eckart avec un sourire.

— C’est-à-dire que vous vous en fichez ?

— Non point, madame. Nous dépendons tous du pouvoir et même les rois doivent tenir compte de celui des autres rois. Mais c’est un métier que de l’exercer.

— Vous pourriez être conseiller de mon frère, dit-elle après avoir dégusté son vin à la groseille. Cela ne vous tente pas ?

— Madame, je serais embarrassé qu’il me le proposât, car il a bien d’autres conseillers, avec lesquels il faudrait que j’ose être en désaccord, parfois.

— Vous avez eu maille à partir avec les Amboise, dit-elle.

Il parut surpris qu’elle en fût informée.

— L’évêque d’Angers l’a rapporté à celui de Tours qui me l’a raconté. Oui, je vous comprends, les Amboise ne sont pas des gens commodes, dit-elle d’un ton coupant. Heureusement qu’il n’y a pas de théologiens dans le tas, sans quoi nous verrions le veau d’or à la place du crucifix !

Jeanne éclata de rire.

— S’ils revenaient vous embêter, avertissez-moi, j’en toucherais un mot à Louis, dit Marie de Narbonne.

C’était bien ce qu’avait espéré Jeanne. Elle se faisait désormais une idée plus claire de la visiteuse : une femme consciente de sa haute naissance, mais guère enflée d’illusions pour autant ; elle en avait trop vu. Élevée dans un milieu d’intrigues souvent infâmes, dont celle qui avait conclu le mariage de son frère cadet, elle n’en était pas moins fille de poète ; elle aspirait sans doute à des échanges humains qui fussent moins intéressés, voire sordides, qu’à l’ordinaire. Ce liseur d’étoiles lui en offrait l’occasion. Mais elle le sondait avant de lui accorder sa confiance.

— Et l’Autrichien ? demanda Marie de Narbonne. Il ne vous a pas demandé d’être à son service ?

— L’un de ses courtisans m’a pressenti, en effet, répondit Franz-Eckart. Mais irais-je conseiller le principal adversaire du roi ?

— Non, vous avez raison, convint Marie de Narbonne. D’ailleurs il vous faudrait émigrer à Vienne. L’hiver y est affreux et l’on n’y mange que des saucisses et des goulaches, comme ils appellent leurs ragoûts. Oui, vous avez raison. Vous regardez les étoiles et vous écrivez. Mais dites-moi, cela n’est pas écrasant, tout ce savoir ? Cela ne vous ôte pas le goût de vivre, de savoir que tel roi trépassera dans dix ans et tel autre dans treize ? De connaître les secrets de Dieu ?

La simplicité rude du ton le laissa interdit.

— Cela m’incite à la modestie, madame, répondit-il enfin.

Elle garda son regard attaché sur Franz-Eckart.

— Mais la gloire, le pouvoir, le luxe, tout ça ? Vous n’avez jamais été tenté ?

Était-elle plus informée qu’il n’y paraissait ? Connaissait-elle l’affaire hongroise ? Il rit :

— Me tromperais-je, madame, si je vous disais que vous me paraissez en avoir la même idée que moi ?

Elle esquissa un sourire et se leva.

— Je reviendrai vous interroger sur vos quatrains. Ou bien vous viendrez à Tours me les expliquer, dit-elle, en adressant à Jeanne un regard incertain.

Elle lui tendit la main ; il la baisa. Elle se tourna vers Jeanne, qui se tenait à côté ; dans un geste inattendu, elle lui ouvrit les bras ; les deux femmes se donnèrent l’accolade. Sur le pas de la porte, Marie de Narbonne se retourna :

— Que signifie ce quatrain étrangement obscur, le tout dernier ?

Il le lui expliqua comme il l’avait fait pour Jeanne.

— Les infidèles et les sauvages, donc, dit-elle.

— Les premiers bientôt, les seconds plus tard, ajouta-t-il.

— Au revoir, dit la comtesse.

— Voilà la protection que je te souhaitais, dit Jeanne quand elle eut raccompagné la visiteuse. Car maintenant que tu es célèbre, les envieux vont pulluler.

 

 

Nicole de Penthièvre arriva aux premiers jours de novembre avec une suite bien plus importante que Marie d’Orléans ; aussi son rang était-il moindre ; de fait, elle n’en avait plus aucun ; Louis le Onzième lui avait acheté vingt ans plus tôt tous ses droits sur le duché de Bretagne.

Elle était fardée comme une madone de châsse.

Il apparut rapidement qu’avec la date de la mort du roi, l’avenir de la Bretagne était le seul sujet qui l’intéressait. Elle exposa ses alarmes : le traité de Blois, qui avait été imposé au roi par Ferdinand d’Aragon et Maximilien d’Autriche, exigeant que Claude, la fille de Louis, fût fiancée à Charles de Habsbourg, fils de Maximilien, et qu’elle reçût en dot le Milanais, Gênes, la Bourgogne et la Bretagne.

La Bretagne ! Mais c’était, s’exclama-t-elle, la propriété de sa famille ! Elle se lamenta. Jeanne et Franz-Eckart y prirent l’aune de son insincérité : pendant des lustres les Penthièvre et les Montfort s’étaient disputé le duché au prix du sang. Mais ni les uns ni les autres n’avaient de descendant mâle pour en hériter. Louis le Onzième avait donc tranché. Que venait-elle clamer son attachement à cette province !

— Je ne vois guère que la Bretagne quitte le giron de la couronne, répondit Franz-Eckart.

L’affirmation la rendit perplexe ; à l’évidence, elle avait espéré qu’une embrouille lui permît de récupérer le duché.

— Mais le traité ?…

— Madame, je ne suis pas dans le secret des conseillers, mais il me semble qu’il ne porte que sur une promesse de fiançailles.

— Voulez-vous dire que le roi ne tiendra pas sa parole ?

— Je veux plutôt dire qu’il conservera sa fidélité à la couronne de France.

Elle se mordit la lèvre et réfléchit :

— C’est donc le sens du second quatrain ?

Il hocha la tête.

— Faites-moi un horoscope sur la Bretagne ! commanda-t-elle.

Et elle posa une bourse sur la table.

Elle regarda autour d’elle, comme éperdue.

— 1515, vous êtes sûr ? reprit-elle.

— Je ne sais que ce que disent les astres, madame.

À la fin elle se leva, majestueuse, tendit sa main et déclara qu’elle attendait l’horoscope de la Bretagne au plus prompt.

Quand elle fut partie, Franz-Eckart explosa.

— Mais quel métier je fais ! Joseph avait raison ! «  Faites-moi un horoscope sur la Bretagne ! » On croirait qu’elle s’adressait à son sellier ! Me voilà devenu devin de foire !

— On ne peut pas gagner à tous les coups, observa Jeanne, placide. Tu as eu Marie de Narbonne. En tout cas, pour un devin de foire, tu serais bien payé. La bourse contenait dix livres.

Il s’était à peine remis de la contrariété causée par la visite de Nicole de Penthièvre que le père Lebailly vint le rappeler aux devoirs du métier de liseur d’étoiles.

— Monseigneur Morny m’a prié de vous informer qu’il a reçu une lettre de l’évêque de Paris, Étienne de Poncher, qui se déclare très satisfait de votre réponse à ses questions et désireux de vous en poser d’autres.

Le père Lebailly leva son visage sec et une étincelle d’astuce brilla dans ses yeux. Ce religieux faisait penser à ces rameaux de bois oléagineux, comme l’if ou l’olivier, qui lâchent de temps à autre une longue flammèche lorsqu’ils brûlent.

— L’opinion de monseigneur Morny est qu’il serait de bonne politique, dans votre métier, de lui témoigner une marque d’estime particulière, telle que de vous rendre à Paris pour lui exprimer votre respect.

La suggestion parut à Jeanne doublée d’un sous-entendu, indiqué par l’accent que le père Lebailly avait mis sur les mots «  dans votre métier ».

— Je vous prie de bien vouloir remercier l’évêque de son conseil et l’assurer que j’y prête la plus grande attention, répondit Franz-Eckart.

— Ce sera l’occasion de revoir Paris, dit Jeanne.

— Et de le faire connaître à Joseph, dit-il.

Un peu plus tard, il ajouta :

— Voilà, on se voulait libre et l’on se retrouve courtisan. Mais grâce à toi, ajouta-t-il en se tournant vers Jeanne, je finis par devenir docile.

Et après moi ? se demanda-t-elle. Comment fera-t-il ? Puis elle se jugea vaniteuse : les cimetières étaient peuplés de gens indispensables.

Entre-temps, dix-sept autres lettres étaient arrivées. On eût cru que Franz-Eckart de Beauvois était le seul astrologue du royaume. En réalité, toutes les villes dignes de ce nom en comptaient au moins dix et, dans les foires, il en était vingt qui, pour cinq sols, mélangeaient leur art à celui des tarots et promettaient une descendance abondante à des ribaudes déguisées en bourgeoises.