Je n’ai pas l’impression d’être très vulnérable face à la dépendance : je déteste le tabac, je contrôle sans trop d’efforts ma consommation d’écrans ou d’alcool. Mais j’ai fait un jour une expérience addictive qui m’a montré à quel point cette perte de liberté pouvait s’installer très vite et concerner n’importe qui, même des gens qui vont bien, ou à peu près bien (on a souvent l’image que la dépendance vient compenser un mal-être intérieur).

J’étais en vacances chez mon frère, à l’époque où commençaient à apparaître ces magnifiques jeux vidéo, à la fois narratifs, stratégiques et d’un réalisme donnant vraiment l’illusion du réel. Après le dîner, vers 21 heures, mon frère m’a proposé de tester un jeu qui s’appelait Civilization. Il s’agissait de créer et de diriger une civilisation depuis l’âge de pierre jusqu’à l’ère moderne : on commençait par construire une ferme, puis on la fortifiait, on volait les vaches du voisin, on devenait un conquérant, et tout ce genre d’actions… Un peu un truc de vieux gamins, mais tellement fascinant que lorsque j’ai regardé ma montre pour la première fois, j’ai vu qu’il était 3 heures du matin ! Je suis allé me coucher, mais en luttant contre mon envie de continuer encore un peu ; j’ai réussi à être raisonnable, pour être en forme le lendemain.

Le jour suivant, pendant le dîner, je n’avais qu’une hâte : retrouver ce jeu, mon royaume, mes paysans et mes soldats virtuels, laissés en plan, et qui attendaient mes ordres et ma stratégie ! Malgré les avertissements de ma femme, j’ai replongé, plusieurs soirs de suite. À notre départ, mon frère m’a proposé de m’offrir le jeu. J’ai répondu : Surtout pas ! Depuis, aucun de ces jeux n’est entré chez moi ! D’ailleurs, je me souviens d’une publicité d’un de ces fabricants de jeux si intelligents et diaboliquement addictifs : C’est plus fort que toi ! Dans ce slogan, il y avait à la fois le défi (qui sera le plus fort ?) et la promesse de dépendance, dont la formule C’est plus fort que moi pourrait être la devise…

Christophe