En Corée, j’ai eu droit à une retraite zen de trois mois à la campagne. Les premières semaines se sont écoulées sans ombre, en plein paradis sur terre. Un jour, les enfants et ma femme m’ont rejoint. Ensemble, nous avons joyeusement gambadé dans les bois, dévalé les pentes, goûtant un bonheur parfait. Le moment venu, ils sont repartis à Séoul. Alors, les réminiscences d’un lointain passé ont rappliqué illico. Je me suis rappelé ces calamiteux dimanches soir où je perdais en quelque sorte mes parents pour regagner l’institut. Je ne sais quelle mouche m’a piqué, mais je suis allé pianoter sur Internet pour découvrir que, dans la région, il y avait eu par le passé un cas de rage. Si cette maladie n’est pas rapidement traitée, elle est fatale. Il n’en fallait pas plus pour déchaîner une angoisse de dingue… Je me faisais un sang d’encre à l’idée de m’être assis par inadvertance sur un raton laveur enragé. Je me souviens de certaines méditations où je devais me mordre les lèvres pour ne pas crier tant la peur me ravageait. J’ai tout essayé – méditer, me balader, regarder des films – rien ne calmait cet état d’alarme permanente.
Tout près de perdre la boule, je suis tombé sur une vidéo qui préconisait un exercice bizarre : il fallait imaginer qu’on pouvait augmenter le volume de l’angoisse en convoquant des images terrifiantes. Je me figurais donc un de mes enfants, mordu par un animal enragé, mort à tout jamais. Au bout de dix minutes, la vidéo conseillait de doubler la dose pour observer l’inconfort, les tourments, la sueur, les crispations. Cet exercice, pour le moins contre-intuitif, m’a beaucoup aidé. J’ai pris conscience que si j’étais en mesure de monter le volume de mes angoisses, je pouvais aussi arrêter de les alimenter. Sur mon téléphone portable, en fond d’écran, je plaçai l’image d’un immense bouton de volume. L’enfer a duré des mois. Malgré cette précieuse pratique et son petit effet sur l’angoisse, il a bien fallu constater que la volonté n’était pas souveraine. Mais l’exercice présentait un autre intérêt. Il révélait que mes tourments étaient totalement créés par mon esprit.
Alexandre