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Un mois s'est écoulé depuis les meurtres du juge Fawcett et de Naomi Clary. Les articles des journaux consacrés à l'enquête sont plus courts et moins fréquents. Au début, le FBI n'avait aucun commentaire à faire et, au bout d'un mois de travail effréné sans aboutir à rien, la force d'intervention semble s'être évaporée. Un tremblement de terre en Bolivie, une fusillade dans une école du Kansas, l'overdose d'une star du rap et la cure de désintoxication d'une autre ont détourné l'attention vers d'autres événements plus importants.

Pour moi, c'est une bonne nouvelle. En surface l'enquête paraît stagner, mais en interne la pression monte. Mon pire cauchemar, c'est un gros titre annonçant l'arrestation d'un suspect, quoique cela soit de moins en moins probable. Les jours passent, et j'attends patiemment.

 

Je ne reçois des clients que sur rendez-vous. Je les rencontre dans mon box à la bibliothèque. Ils apportent les pièces de leur dossier juridique, une pile de conclusions diverses, des ordonnances, des requêtes et des jugements qu'en tant que détenus nous sommes autorisés à conserver dans notre cellule – les SP n'ont pas le droit de toucher à nos dossiers judiciaires.

Deux rendez-vous suffisent souvent à convaincre la plupart de mes clients qu'il n'y a rien à tenter. Lors du premier, nous passons en revue les aspects les plus élémentaires et j'examine leurs pièces. Ensuite, je consacre quelques heures à effectuer des recherches. Lors du deuxième rendez-vous, en général, j'annonce la mauvaise nouvelle : mon client n'a aucune chance ; il n'existe aucune faille permettant de le tirer d'affaire.

En cinq ans, j'ai aidé six détenus à obtenir une libération anticipée. Inutile de le préciser, cela consolide fortement ma réputation d'avocat taulard au brio magistral, pourtant je mets en garde chaque client : la situation penche lourdement en sa défaveur.

C'est ce que j'explique au jeune Otis Carter, vingt-trois ans, père de deux enfants, qui passera les quatorze prochains mois ici, à Frostburg, pour un crime qui n'aurait pas dû être considéré comme tel. Otis est un garçon de la campagne, un baptiste à la foi profondément enracinée, électricien de son état, heureux en mariage, qui n'arrive toujours pas à croire qu'il se retrouve dans une prison fédérale. Son grand-père et lui ont été inculpés et condamnés pour violation du Civil War Battlefield and Artifact Preservation Act de 1979, un texte qui protège les champs de bataille et les vestiges de la guerre de Sécession, amendé en 1983, 1989, 1997, 2002, 2008 et 2010. Son grand-père, âgé de soixante-douze ans et souffrant d'emphysème, est enfermé dans un centre médical fédéral du Tennessee, où il purge également une peine de quatorze mois d'internement. En raison de son état, il en coûtera au contribuable à peu près vingt-cinq mille dollars par mois.

Les Carter recherchaient des vestiges sur leur ferme de quatre-vingts hectares jouxtant le parc historique national du champ de bataille de New Market, dans la vallée de Shenandoah, à moins d'une heure de ma ville natale de Winchester. Cette ferme est dans la famille Carter depuis plus d'un siècle et, dès qu'il avait été en âge de marcher, Otis accompagnait son grand-père quand ce dernier allait « déterrer » des reliques et des souvenirs de la guerre de Sécession. Au cours des décennies, sa famille a réuni une collection impressionnante de balles Minié, de boulets de canon, de cantines, de boutons en cuivre, d'éléments d'uniformes, auxquels s'ajoutent deux étendards et plusieurs dizaines de fusils de toutes sortes. Ils ont exhumé tous ces objets en toute légalité. Il est illégal de prélever des vestiges et des reliques sur un site historique national, qui est territoire fédéral, et les Carter avaient bien connaissance de la loi. Leur petit musée privé, dans une grange à foin reconvertie, était uniquement garni d'objets retrouvés sur leur propriété.

Toutefois, en 2010, le Civil War Battlefield and Artifact Preservation Act fut de nouveau amendé. En réponse aux revendications des défenseurs du patrimoine historique visant à restreindre l'aménagement des sols à proximité des champs de bataille, une formule de dernière minute fut ajoutée à un amendement d'une centaine de pages. Il devenait illégal d'exhumer des reliques « dans un périmètre de trois kilomètres » autour d'un site historique national, quelle que soit la nature du terrain dans lequel on creuse. Les Carter n'étaient pas informés de ces nouvelles restrictions : cette formule était tellement enfouie dans les profondeurs de l'amendement que pratiquement personne n'était au courant.

Pendant des années, les agents fédéraux avaient harcelé le grand-père d'Otis, l'accusant de creuser sur des terres protégées. Ils s'arrêtaient régulièrement à son domicile et ils exigeaient de contrôler son musée. Quand la loi changea, ils attendirent patiemment de cueillir Otis et son grand-père alors que, munis d'un détecteur de métaux, ils étaient allés fouiller une zone boisée de leur propriété. La famille Carter engagea un avocat, qui leur conseilla de plaider coupable. Pour quantité de délits pénaux fédéraux, l'intention criminelle n'est plus requise. L'ignorance de la loi ne constitue plus une ligne de défense.

En tant que victime de la loi RICO sur les organisations soumises au racket et à la corruption – un texte de loi fédéral souvent mal interprété et réputé très flexible –, je m'intéresse de près à l'inflation réglementaire du code pénal fédéral, qui compte vingt-sept mille pages et reste en constante augmentation. La Constitution ne désigne expressément que trois crimes fédéraux : la trahison, la piraterie et la fabrication de fausse monnaie. Aujourd'hui, il existe plus de quatre mille cinq cents délits fédéraux, et ce chiffre continue de croître ; le Congrès entend se montrer de plus en plus ferme avec la criminalité, et les procureurs fédéraux se révèlent de plus en plus créatifs dans les moyens d'appliquer les nouvelles lois.

Otis pourrait éventuellement attaquer la constitutionnalité de cet amendement. Cela donnerait lieu à une procédure, qui se prolongerait plusieurs années après sa remise en liberté conditionnelle et son retour auprès de sa famille. Lors de notre deuxième entrevue, je le lui explique, mais cette option ne semble pas l'intéresser. S'il ne peut pas être libéré tout de suite, pourquoi s'embêter ? Cependant, l'affaire m'intrigue. Nous décidons d'en discuter plus tard.

Si mon plan grandiose tombe à plat, je pourrais me charger de l'affaire Otis, me battre et la porter devant la Cour suprême. Cela me tiendrait occupé pendant les cinq prochaines années.

 

Par deux fois, la Cour suprême a refusé de statuer sur mon cas. Sans que nous puissions le prouver, nous avons eu la sensation très nette que mes recours en appel étaient promptement expédiés par l'appareil judiciaire, en raison de la ferme volonté du gouvernement de coincer derrière les barreaux Barry Rafko et ses complices – moi inclus.

J'ai été inculpé en novembre 2005 et condamné deux mois plus tard à dix ans de réclusion. Dès le prononcé de ma sentence, il y a eu ordonnance de renvoi ; en d'autres termes, j'ai été incarcéré. Certains individus coupables de crimes fédéraux, s'ils ont de la chance, se voient accorder le choix de la « présentation volontaire », autrement dit celui de rester libre jusqu'à ce qu'ils reçoivent l'ordre de se présenter à un établissement pénitentiaire.

Mon avocat avait estimé que j'écoperais de cinq ou six années d'emprisonnement. Barry le Bakchich, l'inculpé vedette, la cible, le scélérat de haut vol que tout le monde adorait haïr, a écopé de douze ans. À l'évidence, je ne méritais pas d'être condamné à même la moitié de la peine de cette pourriture. Dionne, mon épouse belle et aimante, mon soutien indéfectible, était présente dans la salle d'audience, fièrement assise à côté de mon père, que je sentais si humilié. J'ai été le seul à être condamné ce jour-là. Debout devant le juge Slater, avec mon avocat à ma droite, j'avais du mal à respirer. Ce n'est pas possible, me répétais-je, tandis que tout autour de moi devenait flou. Je ne mérite pas ça. Je peux tout expliquer. Je ne suis pas coupable. Slater y alla de ses réprimandes et de son sermon, il fit son numéro pour la presse, et moi, je me sentais comme un boxeur poids lourd au douzième round qui essuie une pluie de coups, qui se tasse dans les cordes en se couvrant le visage, et qui attend le prochain direct qui va le cueillir en pleine face. J'avais les genoux en pâte à modeler. J'étais en nage.

Quand le juge Slater a prononcé ces mots – « dix ans » –, j'ai entendu une exclamation derrière moi : Dionne s'effondrait en larmes. Lorsqu'on m'a conduit hors de la salle, je lui ai lancé un dernier regard. Cette scène-là, je l'avais vue cent fois au cinéma, dans des séries à la télévision et dans des reportages-vérité tournés en salles d'audience – le dernier regard d'adieu du condamné désespéré. À quoi pensez-vous, quand vous quittez le tribunal en sachant que vous ne rentrerez pas chez vous ? La vérité, c'est que rien n'est clair. Trop de pensées se bousculent, vous avez trop de peur, trop de colère, trop d'émotions brutes en vous pour comprendre ce qui vous arrive.

Sous le choc, Dionne, les mains plaquées sur la bouche, pleurait, le visage baigné de larmes. Mon père, le bras autour de ses épaules, s'efforçait de la consoler. C'est la dernière vision que j'ai eue – celle de ma très belle femme, anéantie, ravagée.

Et maintenant, elle est mariée avec un autre.

Grâce au gouvernement fédéral.

Les membres de mon jury venaient du district de Columbia. Certains me semblaient intelligents et instruits, mais la majorité n'était pas très sophistiquée, j'ose l'affirmer. Après trois journées de délibération, ils ont annoncé au juge qu'ils ne progressaient pas beaucoup. Et comment leur en vouloir ? En s'appuyant sur une portion considérable du Code pénal fédéral, les procureurs avaient adopté une stratégie éprouvée consistant à nous traîner dans la boue, à un point tel que l'on ne puisse plus nous laver d'aucun soupçon. Ce matraquage avait transformé ce qui aurait dû se limiter à une procédure relativement simple contre Barry Rafko et un parlementaire en véritable bourbier judiciaire. J'avais passé des heures innombrables à travailler à ma défense, et je n'arrivais pas à comprendre toutes les thèses de l'accusation. D'emblée, mon avocat avait prédit que le jury serait incapable de dégager une majorité.

Au bout de quatre jours de délibéré, le juge Slater a lâché ce que l'on appelle couramment le « bâton de dynamite » dans les cercles judiciaires. Au fond, il s'agit d'une demande adressée aux jurés pour qu'ils aboutissent à un verdict, à tout prix : tant que vous n'avez pas tranché, vous ne rentrez pas chez vous ! Une telle manœuvre porte rarement ses fruits, malheureusement je n'ai pas eu cette chance. Une heure plus tard, des jurés épuisés, émotionnellement à bout, revenaient avec un verdict unanime contre tous les accusés, et sur la globalité des chefs d'accusation. Pour moi et pour beaucoup d'autres, il était évident qu'ils n'avaient rien compris à la quasi-totalité des sections du Code pénal et des théories alambiquées de l'accusation. Ce propos d'un des jurés fut cité par la suite : « Nous sommes simplement partis du principe qu'ils étaient coupables, sans quoi ils n'auraient pas été inculpés. » Je me suis servi de cette citation lors de mes recours en appel, sans être entendu.

J'ai attentivement observé les jurés tout au long du procès, et, dès les déclarations liminaires, ils étaient noyés. Comment aurait-il pu en être autrement ? Neuf avocats différents avaient livré leurs versions des faits. Pour accueillir tous les prévenus et leurs avocats, le tribunal avait dû être réaménagé et rénové.

Ce procès s'était changé en spectacle, en farce, en entreprise ridicule de recherche de la vérité. Mais, comme je l'ai appris, la vérité n'a pas d'importance. En d'autres temps, peut-être, un procès était un exercice de présentation des faits, de recherche de la vérité à seule fin de rendre la justice. Aujourd'hui, un procès est un concours d'où une partie sortira victorieuse et l'autre perdante. Chaque partie s'attend à ce que l'autre triche ou fausse les règles, de sorte qu'aucune des deux ne joue franc-jeu. Dans pareille mêlée, la vérité se perd.

Deux mois plus tard, je suis retourné en salle d'audience pour la sentence. Mon avocat avait demandé que l'on m'accorde la présentation volontaire, mais notre requête n'avait guère convaincu le juge Slater. Après m'avoir condamné à dix années de réclusion, il a ordonné que l'on me place en détention provisoire.

Il est en fait remarquable que l'on n'abatte pas plus de juges fédéraux. Pendant des semaines, après cela, j'ai échafaudé toutes sortes de plans pour infliger à ce Slater une morte lente et atroce.

Des marshals fédéraux m'ont escorté hors de la salle d'audience, vers une cellule d'attente, dans le palais de justice, avant mon transfert vers la prison du district de Columbia, où l'on m'a déshabillé, fouillé, remis une combinaison orange de détenu et placé dans une cellule bourrée à craquer. Six autres prisonniers s'y entassaient ; il n'y avait que quatre couchettes. La première nuit, je me suis assis à même le sol en béton, rien que moi et ma maigre couverture pleine de trous. La prison était un zoo bruyant, avec sa surpopulation de prisonniers et ses surveillants en sous-effectif, et il m'a été impossible de trouver le sommeil. J'avais trop peur, j'étais trop sonné pour fermer les yeux ; je me suis donc recroquevillé dans un coin, et jusqu'à l'aube j'ai écouté les beuglements, les cris et les menaces. Je suis resté là une semaine, mangeant peu, dormant peu, urinant dans une pissotière répugnante, sans porte, à la chasse d'eau en panne, à moins de trois mètres de mes compagnons de cellule. À un moment, nous nous sommes retrouvés enfermés à dix, là-dedans. Je ne me suis pas douché une seule fois. À la moindre sollicitation de mes intestins, j'étais obligé d'implorer pour qu'on me laisse me rendre au « parloir à merde » du bout du couloir.

Le transport des prisonniers condamnés par une cour fédérale s'effectue sous la garde des U.S. marshals, et c'est un cauchemar. Des détenus de tous niveaux de sécurité sont entassés ensemble, quels que soient les crimes qu'ils ont commis ou les risques qu'ils pourraient faire peser sur autrui. Pour cette raison, nous étions tous traités comme de sauvages meurtriers. J'avais les mains entravées par des menottes, les chevilles enchaînées, et j'étais attaché au détenu qui me précédait et à celui qui se trouvait derrière moi. L'humeur générale était détestable. Les marshals ont une mission : assurer le transfert de leurs prisonniers, en toute sécurité et sans risque d'évasion. Bon nombre de ces détenus étaient des novices comme moi, et ils avaient peur, étaient sur les nerfs, paumés.

Quatorze d'entre nous ont quitté le district de Columbia en bus, un véhicule banalisé à remorque articulée qui, des dizaines d'années plus tôt, transportait des écoliers. Nous avons pris la direction du sud. On ne nous a pas retiré nos menottes et nos chaînes. Un marshal armé d'un fusil était assis au premier rang. Au bout de quatre heures, nous avons fait halte dans une prison du comté, en Caroline du Nord. On nous a distribué un sandwich détrempé à chacun et nous avons été autorisés à descendre uriner derrière le bus, toujours enchaînés et attachés les uns aux autres. Jamais on ne nous a retiré ces menottes et ces fers aux chevilles. Au bout de deux heures d'attente, nous sommes repartis avec trois prisonniers supplémentaires, en direction de l'ouest. Les six jours suivants, nous avons multiplié les escales dans les prisons de plusieurs comtés successifs, en Caroline du Nord, dans le Tennessee et en Alabama, pour y ramasser des prisonniers ou en déposer, à l'occasion ; chaque soir nous couchions dans une cellule différente.

Les prisons des comtés étaient les pires : des cellules minuscules, surpeuplées, sans chauffage, sans climatisation, sans lumière naturelle et sans sanitaires corrects, de la nourriture que même des chiens auraient refusée, pas beaucoup d'eau, des culs-terreux du Sud en guise de gardiens, un risque bien plus élevé de violences, et des détenus locaux qui réagissaient très mal à l'intrusion de « prisonniers fédéraux ». Je ne pouvais croire que des conditions de vie aussi déplorables existent dans ce pays, mais j'étais bien naïf. Plus notre périple se prolongeait, plus l'humeur virait à l'aigre, et plus la grogne augmentait dans le bus. Pour que cela cesse, il a fallu qu'un vieil habitué nous explique le concept de « thérapie du diesel » : plaignez-vous, faites du raffut, et les marshals vous garderont dans ce bus des semaines en vous offrant une tournée gratuite de dizaines de prisons de comtés.

Rien ne pressait. Les marshals ne peuvent transporter les prisonniers que de jour ; en conséquence, les étapes avaient tendance à raccourcir. Ils se moquaient éperdument de notre confort ou de la promiscuité.

Nous avons fini par atteindre un centre de répartition, à Atlanta, un endroit à la réputation redoutable où je suis resté enfermé en isolement cellulaire vingt-trois heures par jour, le temps que mon dossier s'achemine lentement jusqu'à un bureau de Washington. Au bout de trois semaines de ce traitement, j'avais perdu mon équilibre mental. Rien à lire, personne avec qui bavarder, une nourriture épouvantable, des gardiens féroces. Par la suite, on nous a de nouveau enchaînés et fait monter dans un autre bus, qui nous a conduits à l'aéroport d'Atlanta, où nous avons embarqué à bord d'un avion cargo. Enchaînés à un banc en plastique et serrés comme des sardines, nous nous sommes envolés vers Miami, sans aucune idée de notre destination finale. L'un des marshals nous a obligeamment tenus informés. À Miami, nous avons récupéré encore quelques détenus, puis nous avons décollé pour La Nouvelle-Orléans, où nous sommes restés stationnés une heure, dans une moiteur suffocante, le temps que les marshals chargent encore d'autres prisonniers.

Dans l'avion, nous étions autorisés à parler, et ces discussions avaient quelque chose de réparateur. La plupart d'entre nous venaient d'endurer des journées entières d'isolement, et nous nous sommes donc immergés dans la conversation. Certains de ces gars n'en étaient pas à leur premier voyage, et ils racontaient des histoires d'autres transports qu'ils avaient endurés, enchaînés, aux frais du gouvernement fédéral. J'ai ainsi pu commencer à entendre quelques évocations de la vie carcérale.

À la tombée de la nuit, nous sommes arrivés à Oklahoma City ; là, on nous a entassés dans un bus et conduits vers un autre centre de répartition. L'endroit n'était pas aussi pénible que celui d'Atlanta, pourtant, à ce moment-là, je songeais déjà au suicide. Au bout de cinq jours d'isolement, on nous a remis les chaînes et reconduits à l'aéroport. Nous nous sommes envolés vers le Texas, haut lieu mondial de l'exécution par injection létale, et dans mes rêves éveillés je me voyais, l'aiguille plantée dans un bras, partir à la dérive. À Dallas, huit durs, tous des Hispaniques, ont embarqué à bord de notre « Taul'Air », et nous avons décollé pour Little Rock, puis Memphis et Cincinnati, où se sont achevées mes journées de périple aérien. J'ai passé six nuits dans une prison municipale pénible, avant qu'un tandem de marshals ne me conduise vers la prison de Louisville, dans le Kentucky.

Louisville est à huit cents kilomètres de ma ville de Winchester, en Virginie. Si l'on avait accédé à ma demande de présentation volontaire, nous aurions effectué ce trajet en à peu près huit heures, mon père et moi. Il m'aurait déposé devant le portail et m'aurait dit au revoir.

Quarante-quatre jours, dont vingt-six en isolement, et trop d'escales pour que je m'en souvienne. Ce système n'a aucune logique, et tout le monde s'en moque. Personne ne le contrôle.

La véritable tragédie du système pénal fédéral ne réside pas tant dans ces absurdités. La tragédie, ce sont ces vies détruites, gâchées. Le Congrès exige des sentences longues et dures, uniquement appropriées pour les condamnés violents. Les criminels endurcis sont enfermés dans des « U.S. Pens », des pénitenciers qui sont de vraies forteresses, où les gangs sévissent, où le meurtre relève de la routine. Mais la majorité des prisonniers fédéraux sont non violents, et nombre d'entre eux sont déclarés coupables de délits ne comportant que peu ou pas d'activités criminelles.

Pour le restant de mes jours, je vais être considéré comme un criminel, et je refuse de m'y résoudre. Je vais tout mettre en œuvre pour me construire une existence affranchie de mon passé et loin des tentacules du gouvernement fédéral.