18.

Quelques kilomètres à l'est de Morgantown, nous quittons l'Interstate et nous arrivons au parking du Best Western, l'un de ces motels à l'ancienne où vous avez la possibilité de vous garer juste devant votre chambre. Des hommes nous attendent, des agents du FBI, je présume, et, alors que je m'extrais du van, merveilleusement désenchaîné, Hanski se précipite vers moi.

— Vous avez la chambre 38, m'indique-t-il.

L'un de ces agents anonymes déverrouille la porte et me tend la clef. À l'intérieur, il y a deux lits doubles, et, sur l'un des deux, un trousseau de vêtements.

— J'ai eu vos mensurations grâce à la prison, me signale Hanski en désignant ma nouvelle garde-robe. Si ça ne vous convient pas, pas de problème. Nous pouvons aller faire les boutiques.

Il y a là deux chemises blanches et une écossaise dans les bleus, deux pantalons beiges et un jean délavé, une ceinture en cuir marron, deux caleçons soigneusement pliés, deux T-shirts, plusieurs paires de chaussettes encore dans leur emballage, des mocassins marron qui m'ont l'air présentables et la paire de derbys noires la plus horrible que j'aie jamais vue. Somme toute, pas un mauvais début.

— Merci, dis-je.

Hanski continue :

— Brosse à dents, tube de dentifrice, nécessaire de rasage, tout est dans la salle de bains. Il y a un petit sac de sport par là. S'il vous faut quoi que ce soit d'autre, on file au magasin. Vous voulez déjeuner ?

— Pas tout de suite. J'ai juste envie d'être seul.

— Pas de problème, Malcolm.

— C'est Max, maintenant, si ça ne vous ennuie pas.

— Max Baldwin, ajoute Surhoff.

— Ça, c'était du rapide.

Ils sortent et je ferme à clef derrière eux. Je retire lentement ma tenue de prisonnier – chemise et pantalon vert olive, chaussettes blanches, brodequins et caleçon usé jusqu'à la corde. J'enfile un caleçon et un T-shirt neufs, puis je me glisse sous les couvertures et je regarde fixement le plafond.

 

Pour le déjeuner, nous nous rendons à deux pas de là, dans un bistro de fruits de mer à petit prix, un drive-in où, pour moins de huit dollars, on a droit à plus de pinces de crabe que je ne pourrais jamais en avaler. Nous sommes entre nous, Hanski, Surhoff et moi, et nous savourons un long repas de fruits de mer de qualité médiocre et néanmoins délicieux. Une fois la pression levée, ils me lancent carrément des vannes et des commentaires sur ma garde-robe. Je leur retourne leurs propos insultants en leur rappelant que je ne suis pas, comme eux, membre du petit monde de la communauté blanche, et qu'à partir de maintenant j'achèterai mes vêtements moi-même.

L'après-midi approche et ils me font savoir que du travail nous attend. Quantité de décisions doivent être prises. Nous rentrons au motel, dans la chambre voisine de la mienne, où l'un des deux lits est couvert de dossiers et de documents. Hitchcock nous rejoint, nous sommes donc quatre dans la pièce, tous censés travailler ensemble, bien que je reste sceptique. Je me répète sans cesse que ces types sont maintenant de mon côté, que le gouvernement est mon protecteur et mon ami, pourtant je ne parviens pas à pleinement l'intégrer. Peut-être réussiront-ils à gagner ma confiance, avec le temps, mais j'en doute. La dernière fois que j'ai passé des heures avec des agents du gouvernement, on m'avait promis que je ne serais pas poursuivi.

Mon nouveau nom s'est imposé, à présent, et ma décision est définitive.

— Max, nous partons demain dans la matinée, m'annonce Hanski, et nous devons décider de l'endroit où nous allons. Ce qui va surtout dépendre des changements d'apparence que vous avez en tête. Vous nous aviez clairement signifié que vous souhaitiez faire modifier votre visage, ce qui représente un écueil.

— Par rapport à ma déposition, vous voulez dire ?

— Oui. Le procès de Rucker pourrait se tenir d'ici six mois ou un an.

— Ou alors il risque de plaider coupable et de s'éviter un procès.

— Bien sûr. Mais supposons qu'il n'emprunte pas cette direction. Supposons qu'il aille au procès. Si vous subissez une intervention chirurgicale maintenant, lorsque vous viendrez témoigner à la barre, votre nouveau visage sera visible. Si vous attendiez que le procès soit terminé, vous seriez bien plus en sécurité.

— Plus en sécurité à ce moment-là, mais à la minute présente ? Et ces six prochains mois ? Le gang Rucker va me pister, nous le savons. Ils réfléchissent déjà à certains moyens et, pour eux, le plus tôt sera le mieux. S'ils peuvent me choper avant le procès, ils liquideront un témoin de poids. Ce sont les six prochains mois qui sont les plus dangereux, donc je veux cette intervention sans tarder. Immédiatement.

— D'accord. Et au procès, alors ?

— Allons, Chris ! Il y a des moyens de me dissimuler, vous le savez. Je peux témoigner derrière un paravent ou sous un masque. On a déjà vu ça. Vous ne regardez jamais la télévision, vous n'allez jamais au cinéma ?

Cette remarque suscite bien un ou deux petits rires, quoique l'humeur est assez grave. L'idée d'une déposition sous serment contre Quinn Rucker est assez terrifiante, cependant il existe des moyens de me protéger.

— Nous avons procédé de la sorte, l'an dernier, en effet, reconnaît Hitchcock. Le procès d'un gros bonnet de la drogue, dans le New Jersey. L'informateur avait totalement changé d'apparence, et nous avons placé un paravent devant la barre des témoins, pour que seuls le juge et le jury puissent le voir. Nous avons utilisé un dispositif de brouillage des fréquences vocales, et les accusés n'ont pas eu la moindre idée de qui il était ou de l'allure qu'il avait.

— Ils sauront certainement qui je suis, dis-je. Simplement, je ne veux pas qu'ils me voient.

— Très bien, fait Hanski. C'est vous qui décidez.

— Alors considérez que ma décision est prise.

Hanski sort son téléphone portable et se dirige vers la porte.

— Laissez-moi passer quelques coups de fil.

Dès qu'il est sorti de la pièce, Surhoff prend la suite.

— Bien, pendant qu'il s'occupe de ça, pouvons-nous évoquer une destination ? Guidez-nous un peu, là, Max, que nous puissions nous occuper de vous dénicher un endroit.

— La Floride. Sauf pendant ma période de service au sein des marines, j'ai vécu toute mon existence dans les collines et les montagnes. J'ai envie de changer de décor, envie de plages et de vues sur l'océan, et d'un climat plus chaud.

Je lui débite mon laïus comme si j'avais consacré des heures à peser le pour et le contre, ce qui est la vérité. Je précise :

— Enfin, pas le sud de la Floride, il y fait trop chaud. Pourquoi pas Pensacola ou Jacksonville, dans le nord, où le climat est plus doux ?

Les marshals intègrent mes desiderata, et je les vois réfléchir à toute vitesse. Surhoff se met à taper sur le clavier de son portable, à la recherche de ma nouvelle place au soleil. Moi, je me détends dans un fauteuil, pieds nus sur le lit, et je ne peux m'empêcher de me délecter de l'endroit où je suis. Il est presque 16 heures. Les dimanches après-midi, à Frostburg, étaient les pires moments. Comme la plupart des détenus, lors du repos dominical je ne travaillais pas et, souvent, je m'ennuyais. Je tentais de m'occuper avec tout ce qui était à disposition : matches de base-ball improvisés et longues promenades sur la piste de jogging. Les visites étaient terminées, et ceux qui venaient de voir leur famille avaient en général le moral assez bas. Une nouvelle semaine débutait, en tout point semblable à la précédente.

Lentement, ma vie en prison s'estompe. Je sais qu'il me sera impossible d'oublier, néanmoins il est temps d'entamer le processus de deuil. Malcolm Bannister reste encore détenu quelque part ; Max Baldwin, lui, est un homme libre, il a toutes sortes d'endroits où se rendre et toutes sortes de choses à découvrir.

 

Après la tombée de la nuit, nous entrons dans Morgantown, à la recherche d'une steakhouse. Sur notre route, nous passons devant un club de strip-tease. Rien n'est dit clairement, mais je me sens énormément tenté. En cinq ans, je n'ai pas vu une femme nue, même si je ne me suis pas privé d'en rêver. Toutefois, au point où j'en suis, je ne suis pas sûr que contempler d'un œil béat une troupe de strip-teaseuses serait tellement épanouissant. Nous trouvons le restaurant qui nous a été recommandé et nous choisissons une table – trois vieux copains qui s'offrent un bon dîner. Hanski, Surhoff et moi commandons les plus gros filets de bœuf du menu, et j'engloutis le mien avec trois bières pression. Ils s'en tiennent au thé glacé, mais je vois bien qu'ils m'envient mes chopes. Nous sommes de retour avant 22 heures ; il m'est impossible de trouver le sommeil, alors je regarde la télévision une heure, ce que je faisais rarement à Frostburg.

À minuit, j'attrape l'exemplaire de l'acte d'accusation que Hanski m'a laissé et je le lis en détail. Il n'est nullement fait mention du rapport balistique ou de quelconques témoins. Il comporte un long descriptif de la scène de crime, des blessures par balle, des causes de la mort, des marques de brûlures sur le corps de Naomi Clark et du coffre-fort vide, mais aucune mention de preuves matérielles. Jusqu'à présent, les aveux de Quinn Rucker sont tout ce dont ils disposent. À quoi s'ajoutent les soupçons entourant les sommes en espèces en sa possession. Un acte d'accusation peut être amendé par le ministère public presque à tout moment, et celui-ci mérite d'être complété. Il ressemble à du travail vite expédié, destiné à faire baisser la pression.

Je ne veux pas récriminer ; c'est un document superbe.