22.

La requête en annulation d'aveux introduite par Dusty Shiver n'avait rien d'inattendu. Elle était longue, bien rédigée, solidement argumentée, et s'adossait à une déposition sous serment signée de la main de Quinn Rucker dans laquelle il rétractait entièrement ses aveux. Trois jours après le dépôt de cette requête, Victor Westlake et deux de ses agents rencontraient Stanley Mumphrey et deux de ses adjoints. Leur but était d'examiner cette requête point par point et de préparer des réponses. Ni Mumphrey ni personne d'autre à son bureau n'avait connaissance des tactiques d'interrogatoire employées par les agents Pankovits et Delocke. Ils ignoraient également que Westlake et quatre de ses hommes avaient suivi ce marathon de dix heures grâce à la vidéo en circuit fermé, et qu'ils en détenaient une cassette. À aucun moment cette information ne serait communiquée au procureur fédéral, de sorte qu'elle demeurerait ignorée de la défense, du juge et de qui que ce soit d'autre.

Stanley ayant été informé dans les moindres détails par ses lieutenants, ce fut lui qui conduisit la réunion. Il prit donc la parole.

— La première question, et la plus importante, concerne l'allégation selon laquelle le prévenu aurait réclamé un avocat.

Westlake fit un signe de tête à un agent, qui étala des documents.

— Nous avons ici trois dépositions sous serment de Pankovits et Delocke, nos deux agents chargés de l'interrogatoire, dans lesquelles ils répondent à ces allégations, précisa Westlake. Comme vous le constaterez, ils déclarent que le prévenu a bien mentionné un avocat à deux reprises, mais sans spécifiquement en exiger un. Il n'a jamais interrompu cet interrogatoire. Il souhaitait parler.

Stanley et ses hommes passèrent les dépositions écrites en revue. Au bout de quelques minutes, Stanley reprit la parole :

— Bien, point numéro deux : le prévenu prétend avoir été menacé à plusieurs reprises de la peine de mort par ces deux agents. Si c'est vrai, voilà qui serait tout à fait inapproprié et qui suffirait sans doute à invalider les aveux.

Westlake se chargea de lui répondre en secouant la tête.

— Regardez au bas de la page sept, pour les deux dépositions. L'agent déclare, sous serment, qu'ils n'ont proféré aucune menace d'aucune sorte. Ce sont deux enquêteurs très chevronnés, Stan, et ils connaissent les règles mieux que personne.

Stanley et ses hommes passèrent à la page sept et lurent le texte. Parfait. Quelles que soient les affirmations de Quinn dans sa déposition, deux agents du FBI étaient tout à fait disposés à déclarer ce qui s'était réellement passé.

— Ça me paraît coller, approuva Stanley Mumphrey. Troisième point : les agents ont promis au prévenu qu'il ne serait pas traduit en justice pour meurtre avec préméditation.

— Page neuf, commenta Westlake. Nos agents savent qu'ils n'ont aucune autorisation de conclure un accord. Seul le procureur fédéral y est habilité. Franchement, de telles allégations sont grotesques. Rucker est un criminel professionnel. Il doit savoir que seuls les procureurs concluent des accords, pas la police.

— Je vous suis, admit rapidement Mumphrey. L'allégation suivante concerne les agents du FBI, qui auraient menacé de lancer des poursuites contre d'autres membres de la famille de Rucker.

— Est-ce qu'ils ne racontent pas toujours tous les mêmes salades, Stan ? Ils passent aux aveux librement et volontairement, puis ils n'ont rien de plus pressé que de réduire leur déclaration en confettis et de prétendre qu'on les a menacés. On a déjà vu ça quantité de fois.

Bien sûr, Stan avait déjà vu ça – enfin, en réalité, non, jamais.

Westlake continua :

— Néanmoins, je dois reconnaître que ce ne serait pas une si mauvaise idée de ramasser tous les Rucker du pays et de leur planter la seringue létale dans le bras.

Les hommes de Westlake s'esclaffèrent. Les hommes de Mumphrey les imitèrent. On s'amusait comme des fous.

— Qu'en est-il des allégations selon lesquelles les enquêteurs auraient maltraité le suspect en le poussant à bout, au-delà de l'épuisement ?

— Voici la vérité, Stan, répondit Westlake. Les agents ont plusieurs fois demandé à Rucker s'il avait envie de s'arrêter et de reprendre un peu plus tard. Il leur a répondu que non, parce qu'il n'avait pas envie de passer la nuit dans la prison du comté. On a vérifié : la prison était bourrée à craquer, carrément surpeuplée. Ils en ont informé Rucker, qui n'avait aucune envie d'aller là-bas.

Pour Stanley Mumphrey, c'était parfaitement logique.

— Entendu. Reste à traiter les trois points suivants, quoique je ne pense pas que nous ayons l'intention de nous y étendre dans notre réponse. Considérons cette accusation portée contre les agents du FBI, qui auraient menti au sujet d'un rapport balistique liant le meurtre à une arme de poing, un Smith & Wesson saisi chez le prévenu. Malheureusement, comme nous le savons désormais, la balistique exclut cette arme.

— Mentir est autorisé, surtout lors d'un interrogatoire aux enjeux élevés comme celui-ci, Stanley, observa Westlake en adoptant le ton plein de sagesse d'un vieux professeur.

— Bien compris. Mais, juste pour satisfaire ma curiosité : vos agents ont-ils réellement menti à ce propos ?

— Bien sûr que non. Non, absolument pas. Page douze de leurs dépositions.

— C'est bien ce que je pensais. Passons à l'allégation suivante : vos agents auraient aussi menti en ce qui concerne l'existence, sur la scène de crime, d'une empreinte de ranger correspondant à une paire retrouvée chez le prévenu ?

— Faux, Stan. Il s'agit là de l'invention d'un avocat sans scrupule et de son client – qui est coupable.

— Disposez-vous de cette empreinte de ranger ?

Westlake lança un coup d'œil à l'un de ses agents, comme s'il avait existé quelque part une empreinte qu'il aurait trouvé le moyen d'oublier. L'agent secoua la tête.

— Non, reconnut Westlake. Il n'y a pas d'empreinte de ranger.

— Ensuite, nous avons là une affirmation selon laquelle vos agents auraient menti au sujet de deux témoins oculaires. Le premier aurait censément vu le prévenu dans la ville de Ripplemead, à peu près au moment des meurtres. Y a-t-il du vrai là-dedans ?

Westlake déplaça le poids de son corps d'une fesse sur l'autre et ne put se retenir de sourire avec un peu de condescendance.

— Écoutez, Stan, je ne suis pas certain que vous mesuriez précisément tout ce que cela requiert, de faire craquer un suspect qui est coupable. D'accord, il y a des stratagèmes, et...

— Je saisis.

— Vous devez faire naître la peur en lui, lui faire croire que vous disposez de bien plus de preuves que vous n'en détenez réellement.

— Je n'ai vu aucun rapport mentionnant pareil témoin.

— Et vous n'en verrez pas. Ce rapport n'existe pas.

— Victor, nous sommes dans le même camp. J'ai juste besoin de savoir la vérité afin de pouvoir répondre à cette requête en annulation, vous comprenez ?

— Je comprends.

— Le second témoin, celui du magasin près du bungalow, il n'existe pas non plus, exact ?

— Exact.

— Vos agents ont-ils eu recours à d'autres stratagèmes dont je n'ai pas eu connaissance ?

— Non, lui répliqua Westlake, mais aucune des personnes présentes dans la pièce ne le crut.

— Donc, résumons notre dossier contre Quinn Rucker : nous n'avons aucun témoin oculaire, pas de balistique, pas d'empreinte de chaussure, pas d'empreintes digitales, aucune preuve matérielle d'aucune sorte. Je ne me trompe pas ?

Westlake opina lentement en silence.

— Notre prévenu se trouvait dans la région de Roanoke après les meurtres, mais il n'existe aucune preuve de sa présence là-bas avant. Juste ?

De nouveau, un hochement de tête.

— Notre accusé a été capturé avec plus d'argent liquide qu'un citoyen ordinaire n'en a sur lui en temps normal, et même notablement plus, dirais-je.

Westlake acquiesça.

— De son propre aveu, M. Rucker est un passeur de drogue, membre d'une famille notoirement connue dans le trafic de stupéfiants. Cette somme en liquide est donc parfaitement explicable.

Stanley Mumphrey écarta son bloc-notes et se massa les tempes.

— Messieurs, nous avons des aveux et rien d'autre. Si nous devions renoncer à ces aveux, alors M. Rucker serait un homme libre et il n'y aurait plus de procès.

— Vous ne pouvez pas renoncer à ces aveux, Stan, intervint Westlake. C'est impensable.

— Je n'ai pas l'intention d'y renoncer. Malheureusement, je vois d'ici le juge se former une assez sombre opinion de cet interrogatoire. C'est sa longueur qui me gêne. Dix heures... toute une nuit ! Un suspect manifestement fatigué, criminel endurci, qui réclame sans doute un avocat. Deux enquêteurs chevronnés qui connaissent toutes les ficelles. Cela risque d'être serré.

Westlake écouta avec un sourire puis, après un long silence, répondit enfin.

— N'oublions pas notre témoin clef, Stan. Malcolm Bannister témoignera que Quinn Rucker lui a parlé à plusieurs reprises du meurtre du juge Fawcett. Il voulait se venger, et il tenait à récupérer son argent.

— C'est juste. Et son témoignage, ajouté à ces aveux, nous mènera à une condamnation. Cependant, à lui seul, son témoignage ne suffit pas.

— Vous ne m'avez pas l'air confiant, Stan.

— Tout au contraire. Il s'agit du meurtre d'un juge fédéral. Je n'ose imaginer un autre juge fédéral manifestant la moindre sympathie envers Quinn Rucker. Nous avons ces aveux, et nous avons Malcolm Bannister. Nous obtiendrons une condamnation.

— Voilà qui est parlé.

— Au fait, où en est-on, avec notre M. Bannister ?

— En lieu sûr, en immersion profonde, avec les U.S. marshals.

— Où est-il ?

— Désolé, Stan, il y a certaines choses que nous ne pouvons évoquer. Mais ne vous inquiétez pas. Dès qu'on aura besoin de lui, il sera là.