31.

À 9 heures, le lendemain matin, nous sommes de retour chez lui. Une fois encore il est dans son jardin, en train de jouer avec son chien. Il nous attendait. Je suppose qu'il ne veut pas de nous à l'intérieur de sa maison. J'explique que ma petite Audi a grand besoin d'une révision, et qu'il vaut peut-être mieux nous rendre là-bas dans son pick-up. Une heure aller, une heure retour, cela nous laisse deux heures seuls avec lui, et sans rien pour nous interrompre. Il hausse les épaules – ça lui est égal –, et nous voilà partis, Slade et Cody nous suivant dans leur fourgonnette. Je suis à l'avant et Gwen s'est pliée sur la banquette arrière de la cabine. Elle porte un jean, aujourd'hui ; l'idée, c'est qu'elle se montre aujourd'hui un peu plus distante avec Nathan, histoire de semer le doute chez lui.

Nous nous dirigeons vers les montagnes. J'admire l'intérieur du pick-up en expliquant à Nathan que je suis rarement monté dans ce genre de véhicule. Les sièges sont en cuir, le système de GPS à la pointe, et tout à l'avenant. Nathan est vraiment fier de son pick-up, et il ne cesse de nous faire l'article.

Pour changer de sujet, je reviens à sa mère ; j'affirme avoir très envie de la rencontrer. Il me répond :

— Écoutez, Reed, vous pouvez toujours essayer, mais elle n'apprécie pas trop ce qu'on fabrique, là. Je lui ai encore causé, hier soir. Je lui ai expliqué tout le projet, à quel point c'est important, à quel point vous avez besoin d'elle, mais je n'ai abouti à rien.

— On ne pourrait pas au moins aller lui dire bonjour, enfin, vous voyez ?

Nathan ayant qualifié le projet d'« important », je me tourne vers Gwen avec un sourire.

— Ça m'étonnerait. C'est une femme dure, Reed. Elle boit beaucoup, elle a mauvais caractère. On n'est pas en bons termes, pour le moment.

Tout à mon rôle de journaliste d'investigation exigeant, je décide de creuser un peu les sujets sensibles.

— C'est parce que vous êtes sorti de l'activité familiale ? Parce que vous gagnez de l'argent avec votre bar ?

Gwen, à l'arrière, me rappelle à l'ordre :

— Elle est un peu personnelle, ta question, non ?

Nathan respire à fond et il jette un coup d'œil par la vitre, les mains crispées sur le volant.

— C'est une longue histoire. Maman m'en a toujours voulu, pour la mort de Gene, ce qui est dingue. Lui, c'était le grand frère, le chef du gang, le chef des opérations dans le labo de méthadone, et en plus il était toxico. Moi, non. Moi, je consommais à l'occasion, mais j'ai jamais été accro. Gene, il était pas contrôlable. Cet endroit où on va, là, c'était une livraison dont il se chargeait une fois par semaine. Parfois, je l'accompagnais. La nuit où on s'est fait choper, j'aurais pas dû être là. On avait un type, je dirai pas de noms, qui livrait de la méthadone pour nous dans les quartiers ouest de Bluefield. On ne le savait pas, mais il s'était fait choper, la DEA l'avait retourné, et il leur avait tout raconté, où, quand, comment. On est tombés dans un piège, et je jure que j'ai rien pu tenter pour aider Gene. Comme je vous l'ai expliqué, on s'est rendus et ils nous ont emmenés pour nous coffrer. J'ai entendu des coups de feu, et Gene était mort. Je l'ai expliqué à ma mère une centaine de fois, mais elle refuse d'entendre. Gene était son préféré, et sa mort, c'est entièrement ma faute.

— Terrible.

— Elle vous a rendu visite, en prison ? demande Gwen d'une voix feutrée depuis la banquette arrière.

Un autre long silence.

— Deux fois.

Ensuite, pendant au moins cinq kilomètres il ne prononce plus une parole. Nous sommes sur l'Interstate, à présent, en direction du sud-ouest, et nous écoutons Kenny Chesney. Nathan se racle la gorge, avant de poursuivre :

— Pour vous dire la vérité, j'essaie d'échapper à ma famille. Ma mère, mes cousins, une bande de neveux – des sales parasites, ceux-là. Le bruit a circulé que je possédais un bar et que je me débrouillais pas trop mal, donc sous peu ces rigolos vont commencer à venir mendier. Il va falloir que je m'éloigne encore plus.

Je lui demande, on ne peut plus compatissant :

— Et où irez-vous ?

— Pas loin. J'aime la montagne, la randonnée et la pêche. Je suis un rustaud, un montagnard, moi, Reed, et ça ne changera jamais. Boone, en Caroline du Nord, c'est un endroit sympa. Quelque part comme ça. Un coin où il n'y aura pas de Cooley à l'annuaire.

Et ça le fait rire, un petit gloussement triste. Quelques minutes plus tard, il nous fiche une sacrée trouille.

— Vous savez, j'avais un pote, en taule, vous me le rappelez un peu. Malcolm Bannister, il s'appelait, un grand type, un Noir, de Winchester, en Virginie. Un avocat qui jurait que les fédéraux l'avaient serré sans raison.

J'écoute et je hoche la tête, comme si c'était sans conséquence aucune. Sur la banquette arrière, Gwen est au bord de l'apoplexie.

Enfin, la bouche sèche, je parviens à demander :

— Qu'est-ce qu'il est devenu ?

— Je crois qu'il est encore en prison. Encore deux ans, peut-être. J'ai perdu le contact. C'est quelque chose, quelque chose dans la voix, et sans doute aussi dans les gestes, un truc, j'arrive pas à mettre vraiment le doigt dessus, mais vous me rappelez mon pote Mal.

— Le monde est vaste, Nathan, lui dis-je d'une voix plus grave, l'air absolument pas concerné. Et souvenez-vous, aux yeux des Blancs, on se ressemble tous.

Il rigole. Gwen parvient à rire, elle aussi, carrément mal à l'aise.

Pendant ma convalescence, à Fort Carson, j'ai travaillé avec un spécialiste qui m'a filmé en vidéo et m'a dressé une liste d'habitudes et de gestuelles que je devais modifier. Je me suis entraîné des heures, mais après avoir débarqué en Floride j'ai cessé de m'exercer. Il est difficile de rompre avec des mouvements et des habitudes aussi naturels. Le cerveau figé, je ne sais plus comment réagir.

C'est Gwen qui nous tire de là.

— Nathan, vous évoquiez vos neveux, il y a quelques minutes. Combien de temps ça va se prolonger, à votre avis ? Je veux dire, dans pas mal de familles, on dirait que le commerce de la méthadone se perpétue de génération en génération.

Nathan se rembrunit, réfléchit à la question.

— À mon avis, c'est à peu près sans espoir. Il n'y a pas de boulot, à part les mines de charbon, et la plupart des jeunes ne veulent plus travailler à la mine. En plus, ils commencent à se défoncer quand ils ont quinze ans, et à seize ils sont accros. Les filles, elles, elles tombent enceintes à seize ans. Des gosses qui font des gosses dont personne ne veut. Une fois que vous avez merdé, vous n'arrêtez plus. Je ne vois pas trop d'avenir, par ici, pas pour des gens comme moi.

Je l'écoute sans l'entendre ; j'ai la tête qui tourne, je me demande ce que sait Nathan. Jusqu'où vont ses soupçons ? Qu'est-ce que j'ai fait pour lui mettre la puce à l'oreille ? Ma couverture tient toujours – j'en suis sûr –, mais qu'est-ce qu'il a en tête ?

 

Bluefield, Virginie-Occidentale, est une ville de onze mille âmes située à la point extrême sud de l'État, non loin de la frontière avec la Virginie. Nous la longeons par la nationale 52 et nous engageons assez vite sur des routes sinueuses, dans une succession de côtes et de descentes spectaculaires. Nathan connaît bien la région, même s'il n'y est plus revenu depuis des années. Nous bifurquons sur une route de comté et nous enfonçons plus profondément dans une vallée. La chaussée asphaltée s'achève et nous serpentons par des chemins de terre et de cailloux jusqu'au bord d'un ruisseau. Des chênes barrent la lumière du soleil. Les herbes nous arrivent aux genoux.

— Nous y voici, annonce Nathan en coupant le contact.

Nous descendons et je prie Slade et Cody de sortir leur matériel. Nous allons utiliser de l'éclairage et je veux aussi la petite caméra à la main. Ils s'activent, attrapent leur équipement.

Nathan marche vers le bord du ruisseau et suit le flot tourbillonnant en souriant.

— Combien de fois êtes-vous venu ici ?

— Pas tant que ça. On avait plusieurs points de déchargement autour de Bluefield, mais celui-ci, c'était le principal. Gene avait effectué des livraisons ici depuis dix ans, mais pas moi. La vérité, c'était que je ne travaillais pas autant dans ce business qu'il aurait voulu. Les ennuis, je les sentais venir. J'ai essayé de me dégotter d'autres boulots, vous savez. J'avais envie de me sortir de là. Gene, lui, il voulait encore plus m'impliquer.

— Où étiez-vous garés ?

Il se retourne et montre du doigt le lieu précis ; je décide de déplacer le pick-up et le fourgon de Slade pour qu'ils restent hors du cadre. Misant sur mes vastes talents de réalisateur, je souhaite filmer une scène d'action avec Nathan qui s'approche des lieux à pied, suivi de près par la caméra. Nous répétons la scène quelques minutes avant de commencer à tourner. Nathan se charge du récit.

Depuis ma place sur le côté, je l'exhorte :

— Plus fort, Nathan. Il faut parler plus fort !

Il marche en expliquant :

— À notre arrivée ici, avec Gene, il était environ 2 heures du matin. On était dans son pick-up, je conduisais. Quand on s'est arrêtés, à peu près par ici, on voyait l'autre véhicule par là-bas, il avait reculé sous ces arbres, là où il devait se trouver.

Il continue de parler en désignant l'endroit en question.

— Tout avait l'air normal. On s'est garés près de l'autre véhicule, et notre homme, on l'appellera Joe, il descend et nous dit bonsoir. On lui dit bonsoir nous aussi et il passe vers l'arrière du pick-up de Gene. Dans une caisse fermée par une serrure, il y a environ quatre kilos cinq cents de méthadone, de la bonne came, que Gene a préparée presque entièrement lui-même, et, sous une feuille de contreplaqué, il y a une petite glacière, avec facile quatre kilos de plus. Le total de la livraison pesait plus de neuf kilos, pour une valeur à la revente proche de deux cent mille dollars. On a sorti le matos du pick-up et on l'a transporté dans le coffre de la voiture de Joe. Et dès qu'on a rabattu le coffre, ç'a été l'enfer. Ils devaient être une dizaine d'agents de la DEA tout autour de nous. Je sais pas d'où ils sont sortis, tous, mais ils ont été rapides. Joe a disparu, on l'a jamais revu. Ils ont traîné Gene près de son pick-up. Il insultait Joe, il hurlait toutes sortes de menaces. Moi, j'étais tellement terrorisé que j'arrivais à peine à respirer. Ils nous tenaient, on était coupables jusqu'à l'os, et je savais que j'allais finir en taule. Ils m'ont menotté, ils ont fouillé mon portefeuille, mes poches, et ensuite ils m'ont conduit plus loin dans le chemin, par là-bas. En m'éloignant, j'ai jeté un coup d'œil par-dessus mon épaule. J'ai eu du mal à apercevoir Gene. Il était à terre, les deux mains dans le dos. Il était enragé, il gueulait encore des injures. Quelques secondes plus tard, j'ai entendu des coups de feu, et ensuite j'ai entendu Gene crier qu'il était touché.

— Coupez !

Je marche en cercles un petit moment avant de décider :

— On la refait.

Après la troisième prise, je suis enfin satisfait et je passe à l'idée suivante : je veux que Nathan se place pile à l'endroit où Gene était couché la dernière fois qu'il l'a vu. Nous y installons une chaise pliante sur laquelle Nathan s'installe. Quand la caméra tourne, je lui demande :

— Maintenant, Nathan, quelle a été votre réaction initiale quand vous avez entendu ces détonations ?

— Je n'arrivais pas à y croire. Ils ont balancé Gene, ils l'ont jeté par terre, et il y avait au moins quatre agents de la DEA debout autour de lui. Il avait déjà les mains dans le dos, il n'était pas encore menotté. Il n'avait pas d'arme. Il y avait un fusil et deux 9 millimètres dans le coffre, mais on ne les avait pas sortis. Je me moque de ce que la DEA a pu raconter par la suite, Gene n'était pas armé.

— Oui, mais quand vous avez entendu les coups de feu ?

— Je me suis arrêté net et j'ai gueulé quelque chose du genre : « Qu'est-ce que c'est ? Qu'est-ce qui se passe ? » J'ai hurlé après Gene, mais les agents m'ont poussé pour que j'avance plus loin dans le chemin. Je ne pouvais pas me retourner pour voir – j'étais trop loin. À un moment, j'ai dit : « Je veux voir mon frère », mais eux, ils ont juste rigolé et ils ont continué de me pousser dans le noir. Finalement, on est arrivés devant une camionnette et ils m'ont forcé à monter à l'intérieur. Ils m'ont conduit à la prison de Bluefield, et pendant tout ce temps j'ai demandé après mon frère. « Qu'est-ce qui s'est passé avec mon frère ? Où est Gene ? Qu'est-ce que vous lui avez fait ? »

— On coupe une minute, dis-je à Slade.

Je me tourne vers Nathan.

— Maintenant, ce serait très bien si vous exprimiez un peu d'émotion. Pensez à ceux qui regardent ce film. Que voulez-vous qu'ils ressentent en écoutant cette histoire épouvantable ? De la colère ? De l'amertume ? De la tristesse ? C'est à vous d'exprimer tous ces sentiments, alors réessayons, mais cette fois avec un peu d'émotion. Vous vous en sentez capable ?

— Je vais essayer.

— Ça tourne, Slade ! Bien, Nathan, comment avez-vous appris la mort de votre frère ?

— Le lendemain matin, dans la prison, un adjoint du shérif est arrivé avec des papiers. Je l'ai questionné au sujet de Gene, et il m'a répondu : « Votre frère, il est mort. Il a tenté d'échapper à la DEA, ils l'ont abattu. » Aussi simple que ça. Aucune compassion, aucune sollicitude, rien.

Nathan se tait un instant, la gorge serrée. Ses lèvres se mettent à trembler, il a les yeux humides. Derrière la caméra, je lève le pouce. Il continue.

— Je ne savais pas quoi répondre. J'étais sous le choc. Gene n'a pas tenté de s'enfuir. Gene a été assassiné.

Il essuie une larme du dos de la main.

— Je suis désolé, murmure-t-il.

Là, il souffre vraiment ; ce n'est plus du jeu, c'est de la pure émotion.

— Coupez, dis-je, et nous nous accordons une pause.

Gwen se précipite avec un pinceau et des mouchoirs.

— Magnifique, absolument magnifique ! s'exclame-t-elle.

Nathan se lève et marche vers le ruisseau, perdu dans ses pensées. J'invite Slade à filmer ces images-là aussi.

Nous restons trois heures sur le site, à tourner et retourner des scènes que je crée au vol ; à 13 heures, nous avons faim et nous sommes fatigués. Nous trouvons à Bluefield un fast-food où nous nous gavons de hamburgers et de frites. Sur la route du retour vers Radford, nous gardons le silence tous les trois, jusqu'à ce que je prie Gwen de téléphoner à Tad Carsloff, l'un de mes associés à Miami. Ce nom de Carsloff a été mentionné par la secrétaire, chez CRS, quand Nathan a appelé le numéro de notre bureau sur place, deux jours plus tôt.

Gwen simule une conversation réelle.

— Salut, Tad, c'est Gwen. Oui, super. Et toi ? Oui, bon, on rentre à Radford avec Nathan, là. On a passé la matinée sur le site où son frère a été assassiné, un truc assez fort. Nathan a été fantastique, il a joué le rôle du narrateur. Il n'a pas besoin de script, ça lui vient naturellement.

Je glisse un regard vers Nathan. Il ne peut réprimer un petit sourire satisfait.

Gwen poursuit son dialogue à sens unique.

— Sa mère ? – Un silence. – Pour l'instant, elle n'a pas changé d'avis. Nathan dit qu'elle ne veut rien avoir à faire avec ce film et qu'elle n'approuve pas. Reed voudrait réessayer demain. – Un silence. – Il envisage de se rendre dans leur ville natale, filmer l'emplacement de la tombe, parler à de vieux amis, peut-être à des types avec qui il avait travaillé, ce genre de choses. – Encore un silence ; Gwen écoute attentivement... le néant. – Oui, ici, ça ne pourrait pas mieux se passer. Reed est emballé par les deux premières journées, et travailler avec Nathan, c'est vraiment merveilleux. De la matière vraiment forte. Reed te signale qu'il te rappellera plus tard cette après-midi. Ciao.

Nous roulons en silence sur deux ou trois kilomètres, le temps que Nathan achève de digérer tous ces compliments.

— Alors, demain, on va à Willow Gap ? finit-il par demander.

— Oui, mais vous n'êtes pas forcé d'y aller si vous n'avez pas envie. J'imagine qu'après ces deux jours vous en avez assez.

— Alors vous avez terminé avec moi ? en conclut-il tristement.

— Oh non ! Après-demain, je rentre à Miami et je vais passer quelques jours à visionner ce qu'on a tourné. On va entamer le montage, essayer d'élaguer un peu. Ensuite, dans deux semaines, dès que vous serez disponible pour travailler de nouveau avec nous, nous serons de retour pour tourner une autre série de séquences.

— Tu as parlé à Nathan de l'idée de Tad ? demande Gwen.

— Non, pas encore.

— Moi, je trouve que c'est super intelligent.

— C'est quoi ? veut savoir Nathan.

— Tad est le meilleur monteur de la société, et on collabore sur tout. Comme ce film concerne trois ou quatre familles différentes, des meurtres différents, il m'a suggéré de vous réunir tous au même endroit et de simplement laisser tourner les caméras. On vous installe tous dans la même pièce, un cadre très confortable, et on laisse la conversation s'engager. Pas de script, pas d'indications, rien que les faits, si brutaux soient-ils. Comme je vous l'ai expliqué, nous avons effectué des recherches sur une demi-douzaine d'affaires, et elles présentent de remarquables similitudes. Nous retiendrons les trois ou quatre meilleures...

— La vôtre est franchement la meilleure, s'empresse de préciser Gwen.

— Nous vous laisserons comparer vos histoires, vous, les victimes. Tad estime que ça pourrait être très fort.

— Il a raison, renchérit Gwen. J'adorerais voir ça.

— Je suis assez d'accord, dis-je.

— Où est-ce qu'on se retrouverait ? veut savoir Nathan, pratiquement convaincu.

— Nous n'en sommes pas là, mais ce serait sans doute à Miami.

— Vous êtes déjà allé à South Beach, Nathan ? insiste Gwen.

— Non.

— Alors, là, mon vieux ! Pour un célibataire, la trentaine, vous ne voudrez plus jamais repartir. C'est la fête non-stop et les filles sont... Comment tu les décrirais, Reed ?

— Je n'ai rien remarqué, moi, dis-je, fidèle à notre scénario.

— Ça ne m'étonne pas de toi. Elles sont juste ultra belles et ultra sexes.

Je réprimande mon assistance :

— Il n'est pas question de faire la fête ! On pourrait aussi organiser la rencontre dans la région de Washington, ce serait sûrement plus commode pour les familles.

Nathan ne réagit pas, mais je sais qu'il a déjà voté pour South Beach.

 

Vanessa et moi passons l'après-midi dans une chambre d'hôtel, à Pulaski, en Virginie, à une demi-heure au sud-ouest de Radford. Nous revenons sur mes notes et j'essaie fébrilement de comprendre ce qui a pu alerter Nathan. L'entendre prononcer le nom de Malcolm Bannister était glaçant, et il s'agit de repérer ce qui a pu lui mettre la puce à l'oreille. Quand il réfléchissait, Malcolm se pinçait le nez. Il se tapotait le bout des doigts quand il écoutait. Il inclinait légèrement la tête sur la droite quand il était amusé. Il rentrait le menton quand il était perplexe. Il pointait l'index de sa main droite contre sa tempe quand la conversation l'ennuyait.

— Tiens tes mains tranquilles et loin de ton visage, c'est tout, me conseille Vanessa. Et parle d'une voix plus grave.

— J'avais une voix trop aiguë ?

— Elle a tendance à retrouver sa tonalité normale, quand tu parles beaucoup. Sois plus silencieux. Utilise moins de mots.

Nous débattons de la gravité des soupçons de Cooley. Vanessa est convaincue que Nathan est complètement embarqué et qu'il est impatient de faire un voyage à Miami. Elle est certaine que personne appartenant à mon passé ne pourrait me reconnaître. J'ai tendance à être de son avis, même si je reste stupéfait de cette vérité : Nathan a prononcé mon ancien nom. Parfois je me laisse aller à croire qu'il avait une étincelle dans l'œil, comme pour me dire : « Je sais qui tu es, et je sais pourquoi tu es ici. »