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Quelques heures plus tard, nous revenons lentement à la vie. La gueule de bois et la fatigue sont compensées par l'excitation de la tâche qui nous attend. Pour un jeune homme comme Dee Ray, qui a vécu aux marges d'une petite organisation passée experte dans l'acheminement clandestin de substances illicites, le défi de l'acheminement de notre or est de la petite bière. D'après ce qu'il nous explique, nous sommes désormais des fanas de plongée sous-marine. Il a acheté une panoplie impressionnante qu'il a rangée dans de gros sacs marins en toile bien lourds ; marqués du logo officiel des U.S. Divers, ils sont tous fermés par une robuste fermeture Éclair et un petit cadenas. Dans l'appartement, nous nous affairons à sortir des masques, des tubas, des palmes, des détendeurs, des bonbonnes, des ceintures lestées, des gilets de stabilisation, des manomètres, des combinaisons, et même des fusils sous-marins, qui n'ont encore été jamais utilisés – dans un mois, tout cela se retrouvera sur eBay. Le matériel est remplacé par un assortiment de sacs étanches, tous remplis de lingots d'or. Le poids de chaque sac est contrôlé à plusieurs reprises ; ils sont massifs et lourds, mais ni plus ni moins que s'ils étaient remplis de matériel de plongée. En plus, Dee Ray a accumulé tout un assortiment de valises, les plus robustes possible et toutes à roulettes. Nous glissons de l'or dans des chaussures, dans des nécessaires de rasage, dans des trousses de maquillage, et même dans deux casiers pour la pêche en eau profonde. Quand nous y ajoutons quelques vêtements pour le voyage, nos bagages paraissent assez lourds pour couler un beau bateau. Le poids, c'est important, parce que nous ne voulons pas éveiller les soupçons. Plus important encore : la totalité des cinq cent vingt-quatre lingots est désormais emballée, sous clef, en sécurité, ou du moins l'espérons-nous.

Avant de partir, je jette un dernier coup d'œil à l'appartement. Il est jonché de matériel de plongée et de restes d'emballages. Sur la table de la cuisine, je vois des boîtes de cigares Lavos vides et j'en ai un pincement au cœur de nostalgie. Elles nous ont bien servi.

À 10 heures, un gros van arrive et nous chargeons les sacs de plongée et les bagages à l'intérieur. Il y a tout juste assez de place pour tous les quatre. Vanessa s'assied sur mes genoux. Un quart d'heure plus tard, nous nous arrêtons sur un parking à la Washington Marina. Les quais sont hérissés de pontons, et des centaines de bateaux de toutes formes se balancent doucement sur l'eau. Les plus gros sont tout au bout. Dee Ray pointe dans cette direction et indique au chauffeur où aller.

Le yacht est un navire racé, magnifique, une trentaine de mètres de long, trois ponts, d'un blanc éclatant, et il est baptisé le Rumrunner, ce qui me semble vaguement approprié. Huit passagers peuvent y coucher confortablement ; l'équipage compte dix hommes. Un mois plus tôt, Dee Ray l'a loué pour une rapide croisière aux Bermudes, et il connaît donc le capitaine et l'équipage. Il les appelle par leur nom. Deux porteurs nous aident avec les sacs de plongée. Ils doivent fournir un gros effort, mais, enfin, ils ont déjà eu affaire à de vrais plongeurs. Le steward récupère les passeports et les emportent sur la passerelle de commandement. Celui de Quinn est faux, et nous retenons notre souffle.

Il nous faut une heure pour inspecter nos cabines, nous repérer et nous installer pour la traversée. Dee Ray explique aux matelots que nous voulons garder les sacs de plongée avec nous car nous sommes très sourcilleux en ce qui concerne notre équipement. Ils les transbahutent de la cale de rangement jusque dans nos cabines. Quand les moteurs démarrent, nous nous changeons, enfilons un short et nous regroupons sur le pont inférieur. Le steward nous apporte la première bouteille de champagne et un plateau de crevettes. Nous sortons du port au moteur, à petite allure, et nous débouchons sur le Potomac. Nous attirons quelques regards depuis les bateaux que nous croisons. Peut-être est-il inhabituel de voir un yacht plein d'Afro-Américains. Il s'agit d'un passe-temps réservé aux Blancs, n'est-ce pas ?

Le steward revient avec nos quatre passeports, et il a envie de bavarder. Je lui explique que je viens d'acheter une maison à Antigua et que nous y allons pour une fête. Il finit par me demander ce que je fais dans la vie (en d'autres termes, d'où vient tout cet argent ?), et je lui réponds que je suis réalisateur. Une fois qu'il est parti, nous portons un toast à mon acteur préféré – Nathan Cooley. Bientôt, nous sommes dans l'Atlantique, et la côte s'estompe au loin.

Notre cabine est vaste, si l'on en juge au format standard, pourtant, avec quatre bagages et deux sacs de plongée, nous avons du mal à nous retourner. Le lit, en revanche, est une merveille. Vanessa et moi faisons l'amour avant de dormir deux heures.

 

Trois jours plus tard, nous glissons dans Jolly Harbour, à l'extrémité ouest d'Antigua. Sur cette île, la voile est une affaire sérieuse, et la baie est remplie de bateaux au mouillage. Nous les dépassons paisiblement, en ne laissant presque aucun sillage, et nous admirons la vue sur les montagnes qui nous entourent. Les grands yachts sont regroupés le long d'une des jetées, et notre capitaine manœuvre lentement le Rumrunner vers un ponton entre deux autres beaux navires, l'un à peu près de la taille du nôtre et l'autre bien plus grand. Dans ce moment fugace où nous vivons comme les riches, il nous est impossible de ne pas comparer la longueur des yachts. Nous contemplons le plus long et nous songeons : qui en est le propriétaire ? que fait-il ici ? d'où vient-il ? Notre équipage s'affaire en tous sens pour amarrer le bateau, et, une fois les moteurs éteints, le capitaine récupère de nouveau les passeports. Il s'éloigne d'une centaine de mètres à pied, vers un petit bâtiment des douanes, où il doit remplir un certain nombre de papiers.

Une semaine plus tôt, alors que je tuais le temps et que j'attendais l'arrivée de Vanessa à Antigua, j'étais allé flairer autour du quai de Jolly Harbour jusqu'à l'arrivée d'un yacht. J'avais observé le capitaine, qui s'était rendu au bâtiment des douanes, tout comme le nôtre à cette minute. Et, surtout, j'avais remarqué que personne, aux douanes, n'avait inspecté le bateau.

Le capitaine revient ; tout est en ordre. Nous sommes arrivés à Antigua avec l'or, et sans éveiller aucun soupçon. J'explique au steward que nous souhaitons monter l'équipement de plongée à ma villa, où il sera plus facile de le manipuler. Et, tant que nous y sommes, nous prenons aussi nos bagages. Nous nous servirons sans doute du yacht pour plonger autour des îles, et pour un long dîner ou deux, mais, pour ce premier jour, nous allons rester chez moi. Le steward n'y voit aucun inconvénient. En attendant l'arrivée des taxis, nous aidons les matelots à décharger nos sacs et nos bagages sur le quai. Cela représente un monceau d'affaires, mais qui soupçonnerait que nous cachons pour dix millions de dollars en or dans des bagages et du matériel de plongée ?

Vingt minutes plus tard, nous arrivons à la résidence de Sugar Cove. Une fois que tout est à l'intérieur, après une séance générale de tape-m'en-cinq, nous plongeons dans l'océan.