Nous retrouvons nos héros après leurs aventures en mer de Chine. Ils arrivent au royaume (polynésien) de Kule-Kule. C’est la suite du Conte, une suite dont il ne nous reste que le début.
Donc, Joseph et Barthélémy et le palefroi arrivèrent en vue d’une terre inconnue qui se profilait à l’horizon et dont la brise leur apportait le parfum de miel et d’ambre. Le palefroi toujours coiffé de sa casquette à laquelle, depuis son voyage en Chine il avait cousu un bouton de culotte, commanda d’une voix de stentor : « Terre ». Il n’ajouta rien parce qu’il s’était fait très mal à la gorge et qu’il avait des difficultés à garder sa dignité.
– Voire ! dit Barthélémy. Et des fois qu’il y aurait des sauvages.
– On ne se laissera pas faire kaï-kaï comme ça, dit Joseph qui connaissait l’argot polynésien.
En fait rien ne laissait supposer que l’île soit habitée et la pinasse se rapprocha jusqu’à une encâblure sans qu’aucune trace de vie se manifeste sur le rivage.
– Tout le monde sur le pont ! hurla faiblement le palefroi en massant sa gorge. Les hommes aux porte-manteaux. Mettez le grand canot à la mer.
Les hommes, c’étaient Joseph et Barthélémy et ils n’avaient pas du tout envie de travailler. Comme l’eau semblait transparente et profonde, Joseph proposa que l’on se rapproche du rivage.
On n’avait pas fait cinq mètres que du fond de l’eau sortit un grand mugissement. Une forme monstrueuse sembla monter des profondeurs, l’eau devint toute noire et la pinasse s’agita violemment. Voyant cela, le palefroi bondit précipitamment par l’écoutille et alla se terrer dans un coin du bateau en se cognant violemment le paturon sur le panneau. Joseph et Barthélémy, plus courageux, se contentèrent de changer de haut-de-chausses.
Une demi-heure plus tard le palefroi réapparut.
– J’avais été voir si « ça » n’avait pas fait de trou dans la coque tenta-t-il d’expliquer. Puis voyant que les deux autres avaient changé de culotte : « Mille sabords, vociféra-t-il ! En avant ! N’ayez pas peur, ajouta-t-il d’un ton avantageux. Avec moi vous ne craignez rien. »
Pourtant c’était l’esprit de Kulekule, le vieux diable des coraux, qui avait quitté sa retraite pour voir qui venait troubler sa quiétude et peu de temps s’écoula avant qu’une vague haute comme une maison emporte la pinasse sur sa crête et la lance sur le rivage où elle se fixa à la cime d’un énorme cocotier.
– C’était beau ! dit Joseph.
– Oui ! mais c’était mouillé quand même ! répondit le palefroi. Puis il se mit en devoir de reconnaître sa position mais ses mouvements désordonnés firent osciller la pinasse qui bascula et se fracassa sur le sol.
– Tu trouves toujours ça beau ? demanda Barthélémy d’un ton sarcastique, car Joseph avait une énorme bosse au front.
– Ha Ha ! très drôle ! gloussa le palefroi. Mais il se reprit. Nom de Zeus ! où est ma casquette !
– Ta casquette, on s’en fout ! brama Joseph que sa basse rendait irascible. Je voudrais bien savoir quel est le triste sire qui nous a joué ce tour.
Alors les singes dans les arbres se mirent à rire car ils connaissaient bien le vieux Kulekule.
Joseph pourtant ne comprenait pas, et ça le tracassait car il n’était pas dénué de sens critique et il aimait bien savoir le pourquoi des choses.
– Il s’est produit un phénomène, voilà tout, dit le palefroi qui excellait à donner une interprétation simple des choses. Il n’y a pas de quoi se mettre martel en fontanelle (c’était un vieux dicton berrichon qu’il ressortait dans les grandes occasions).
Cette explication satisfit Joseph, qui n’insista pas, et les trois amis se mirent en devoir de descendre du cocotier. Pour Joseph et Barthélémy, cela alla bien, mais le palefroi trouva plus expéditif de faire un faux pas et de choir cinq mètres en-dessous. Après quoi il leur vanta l’excellence de sa méthode mais la bosse qu’il avait au crâne démentait la commodité du procédé.
– On construit une cabane ? dit Barthélémy.
– Tope ! répondirent ensemble les deux autres. Puis ils se chamaillèrent vingt minutes pour savoir à qui c’était de le dire.
– Au fait, dit Barthélémy, et ta casquette ?
– Nom de Zeus, hurla le palefroi ! au fait ! c’est exact !
– On t’en fera une ! dit Joseph conciliant.
– Ben alors et le bouton ?
– Tiens, en voilà un, dit Barthélémy, qui en arracha généreusement un de sa culotte. (D’ailleurs il portait une ceinture, car les bretelles lui donnaient la migraine.)
– Thanks ! dit le palefroi qui savait l’italien.
Ils commencèrent la construction de la cabane. Mais au bout d’une demi-heure, comme la mer commençait à monter, ils se dirent qu’il était préférable de la faire à l’intérieur des terres et se mirent en devoir d’explorer le pays.
Au bout de cent mètres, ils tombèrent sur un petit ruisseau plein d’écrevisses et de crabes de cocotiers en slip et soutien-gorge qui jacassaient à qui mieux mieux. Le site plut au palefroi qui commanda :
– Sac à terre. Repos.
Et ils s’assirent pour discuter sur les conditions de réalisation de leur demeure. Quand ils eurent décidé le mode de construction, l’emplacement, l’orientation, etc., Joseph et le palefroi prirent une hache et s’avancèrent dans la forêt pour couper des arbres.