Chapitre quatre

a) Adoncques, Joseph chevauchoit, et drues pleuvoient sur lui les gouttes d’un sombre nuage. Et âpre étoit l’odeur d’ozone qui émanoit de la terre humide. Moult longtemps chevaucha-t-il, et l’entrée de LA caverne apparut...

 

b) « Ce style importun ayant pu empêcher la compréhension de cette importante partie de l’ouvrage... » ainsi commençait le livre que Joseph tira de ses fontes pour faire un substantiel repas.

C’était un livre de cuisine du docteur de Po-miane. Alors Joseph prit son arc et alla tuer un poulet dans la basse-cour attenant à la caverne.

La sorcière ne fut pas contente. Elle avait une bosse et des yeux chassieux, et d’un bon pied pendait sur son menton son inférieure lèvre. Ce que voyant Joseph il la tua et la mangea avec le poulet qui avait très faim.

Il commença alors d’explorer son nouveau domaine.

Dans la première caverne, se tenoient trois coffres d’ébène – dans le premier, y avait le linge sale, dans le second, la vaisselle sale, et dans le troisième, la boniche. Joseph coinça la boniche dans un coin et comme il était un peu énervé, elle y perdit son soutien-gorge.

Dans la seconde caverne, il y avait pas le moindre coffre, et la poussière couvrait le sol, ce qui faisait qu’on ne voyait pas la trappe qu’elle dissimulait mais que la boniche l’ayant indiquée à Joseph, Joseph armé d’un engin à ôter ladite poussière réussit à trouver. D’ailleurs il ne put pas l’ouvrir et se fit une bosse au front avec le balai car un chevalier sait manier la masse d’armes, mais le balai, nenni !

Cependant aidé de son palefroi, il travailla trois jours et trois nuits à établir une sorte de palan muni d’une forte chaîne. Il passa le crochet dans l’anneau de la trappe, s’arcbouta contre le mur, le mur céda et il se cassa la figure.

Mais il ne se décourageait pas, et pendant sept jours et sept nuits, il creusa autour de la trappe, et le palefroi regardait ou dormait suivant les moments.

Et comme il s’y attendait le moins, la trappe s’ouvrit avec un bruit sec, et ô ! miracle ! ce n’était pas une trappe mais un morceau du plancher et il dut remettre le tout en place.

Dans la troisième caverne, on pouvait voir une paire de chandeliers en fer blanc, une harpe de Tolède damasquinée, une paire de lunettes en bronze d’art, et une armoire à linge contenant :

 

8 paires de draps

3 serviettes nids d’abeille

17 serviettes éponge

2 gants de toilette

3 culottes « petit vaisseau »

et quelques objets de moindre importance que nous ne nommerons pas.

 

Un rat soudain passa entre les jambes du palefroi et c’est ce qui fit que Joseph prit peur et découvrit la quatrième caverne.

Seulement comme il en avait marre des cavernes, il prit un pic et attaqua la voûte à grands coups de pic.

Il avait mal calculé son quatrième coup à l’occasion duquel un fragment de roche lui tomba dans l’œil et se transforma instantanément en un gros crapaud qui dit :

« Joseph ! tu as trahi ! »

Joseph ne comprit pas, mais pensa que le lieu était ensorcelé et fit brûler une pincée de poudre de pyrèthre pour chasser le crapaud.

Alors la terre s’ouvrit (pas à l’endroit où se tenait Joseph, heureusement) et une grosse bête écailleuse (Cécile Sorel elle-même) sortit dans un nuage d’encens.

Joseph ne la reconnut pas (elle était encore très jeune) et ne s’inclina pas (on ne s’incline que devant les gens qu’on connaît. De Po-miane, page 92).

La fée (c’en était une) avait des souliers (comme tout le monde), une robe (comme beaucoup [les femmes]) et, une baguette (comme les sourciers et les aspirants qui la ramènent).

Cependant elle ne dit rien qu’un mot (cf. guerres de l’Empire).

Et Joseph se réveilla : ce n’était en effet qu’un rêve. Devant lui il n’y avait qu’une fée, une caverne et un crapaud.

La fée lui dit alors une énigme que voici :

Dans le sein d’Osiris au soleil de minuit
Rêve le pélican chenu et misérable
Et le satyre ému, à la lippe adorable
Est tout nu !
Pourtant si le courage indomptable te mène
Creuse à vingt pas d’ici, creuse dans le rocher
Avecques une pioche au long manche de frêne
Et si Merlin t’assiste
Tu seras
Exaucé.

(Elle ne le dit pas en vers, mais c’est mieux comme ça.)

Alors elle disparut dans un nuage de fumée de cigarettes anglaises, et Joseph se demanda s’il n’avait pas rêvé une seconde fois, mais comme se pincer lui faisait aussi mal que la première fois, il se dit qu’il allait encore lui tomber un crapaud dans l’œil.

Et soudain il y eut dans l’air une musique délicieuse, et une lumière céleste, et une autre fée apparut. Ça, c’était une vraie fée. Elle avait une robe de lin garnie d’entre-deux de dentelles, un grand col Médicis, un jabot de dentelle garni de bouillonnés de mousseline, une jupe de brocart soutenue par un vertugadin, des gants d’Irlande véritable agrémentés de jours arachnéens, tout un fouillis de fanfreluches où l’habileté d’une camérière experte aux travaux de l’aiguille se donnait libre cours. Les volants de la jupe étaient travaillés en biais, montés sur un gros grain qui leur donnait à la base une certaine raideur et tout incrustés de point à la rose, faisant autour de la divine apparition comme une vapeur de fils d’où émergeaient des petits souliers d’or garnis de grosses boucles de diamant.

Le chevalier ne lisait pas « le Petit Echo de la Mode » et ne remarqua rien de tout ça. Il fit cependant bonjour ! d’un ton rogue, car il n’était pas dénué d’une certaine politesse naturelle.

« Bonjour ! Joseph ! » lui répondit gracieusement la fée, qui s’appelait Mélanie.

« J’ai du sucre ! ajouta-t-elle, à vingt-six francs le kilog. »

Joseph pensa qu’elle devait faire là-dessus un sacré bénéfice, mais comme il avait très envie d’en avoir, il tira de sa bourse trois maravédis et les donna à la fée.

Le maravédis est une monnaie commode pour les choses qui valent vingt-six francs parce que un maravédis vaut un franc : ainsi c’est très simple, il suffit d’en prendre vingt-six.

La fée lui donna les sept kilogs auxquels il avait droit puis elle disparut en laissant derrière elle un parfum de muscade passée et de poudre d’escampette de chez Caron.

Joseph attendit cinq minutes pour voir si elle revenait pas, puis prenant son sucre il alla le cacher soigneusement dans la deuxième caverne en un endroit où nul mortel ne pouvait le dénicher (étant mortel, il aurait dû se méfier).

Puis il s’endormit du sommeil du juste, la tête appuyée sur un bloc de rocher acéré. Pendant la nuit une goutte d’eau qui allait obscurément son petit bonhomme de chemin à travers les couches de granit formant la voûte de la caverne, arriva enfin à percer un trou suffisant et à choir en plein sur la pomme d’Adam de Joseph, et il fut incontinent frappé d’amnésie foudroyante.

Malgré son habituel agnosticisme (sic) il fut obligé de se rendre à l’évidence : il se souvenait plus de rien.

C’est pourquoi il oublia de s’habiller et c’est d’un homme nu que nous serons dès lors forcés de vous entretenir, tant y a que l’habitude est une seconde nature, et que s’habiller n’est qu’une habitude (il faudrait également mentionner le rôle de la mémoire au point de vue de l’habitude qui ne peut entièrement être rattachée comme le fit Kant aux courants de décharge nerveuse dans l’individu).

Pourtant, comme il y a des grâces d’état, Joseph n’oublia pas de donner à son fidèle palefroi son yoghourt du matin, et il remonta sa depsydre jusqu’à en faire sauter le ressort.

Revenant dans la quatrième caverne, il aperçut alors, gravée en lettres de feu sur les parois, l’énigme bizarre qu’avait conçue la première fée. Et ses habitudes studieuses reprenant le dessus, il prit son pardessus et alla faire un petit tour dans la cinquième caverne.