from FRAGMENTS OF A FORGOTTEN GENESIS

[…]

In the beginning was the cry

and, already, discord

Behold the man

the heir

doubting everything

at odds with himself

He speaks

with fear in his belly

and a twisted mouth

He spits out his words

draining the abscesses of skull

and liver

into the great funnel of indifference

He speaks

or speaks to himself

as if delivering slaps

and bursting out laughing at a discovery:

Homme dites-vous ?

Admettons

Je mets par commodité ce nom

sur mon visage

prends la place désignée

dans la barque

Que peut dire un galérien

de ses chaînes

de ces genèses apocryphes

au bout desquelles

il se retrouve

dans la même arche trouée

avec les mêmes compagnons d’infortune

drogués

guettant en vain la terre promise ?

Tant de chaînons manquent

à la belle aventure

et je suis le chaînon de trop

Il suffit que je bouge

que j’inspire ou expire

pour que l’harmonie se rompe

Man you say?

Let’s suppose so

I inscribe this word for convenience

on my face

and take my assigned place

in the boat

What can the galley slave say

about his shackles

about those false beginnings

at whose end

he finds himself

in the same leaky ark

with the same companions of misfortune

drugged

and vainly looking out for the promised land?

So many links are missing

for a great adventure

and I am a link too many

All it takes is that I budge

that I breathe in or out

for harmony to be broken

et qu’une chape de laideur

s’abatte sur la tendre palette de l’aube

Il suffit d’un lapsus

d’une bulle qui crève

dans la mare délétère de mes manques

pour que le monstre se réveille

et bondisse dans l’arène

affamé

inventif

amoureux à l’insu de sa proie

plus vif que la gazelle de l’utopie

Il suffit d’un faux pas

d’un moment d’inattention

pour que le sablier de ma mémoire

se renverse

et que je m’ébranle à reculons

vers ma mort

en un vagissement de bête blessée

par la vie

Il suffit d’un passage à vide

pour que je me méprise

for a curtain of ugliness

to fall over dawn’s delicate palette

All it takes is a slip

a bubble bursting

in the noxious pond of my shortcomings

for the monster to wake

and bound into the arena

famished

resourceful

unknowingly in love with his prey

livelier than the gazelle of utopia

All it takes is one false step

a moment of distraction

for the hourglass of my memory

to turn upside down

for me to stumble backwards

towards my death

whimpering like an animal wounded

by life

All it takes is a bad patch

for me to fall into self-contempt

D’une nuit blanche

pour que je change de couleur

de religion

et d’habits de clown

Il suffit d’un tremblement

aux contours des objets

pour que la connaissance s’envenime

et m’apparaisse le gnome du ridicule

Il suffit d’une seule confidence

pour que je me retrouve

sans défense

nu

malade de ma vérité

Homme dites-vous ?

Admettons

Je me joins au troupeau

qui s’achemine gaiement vers l’abattoir

et je bêle à pleins poumons

Ma petite cervelle de mouton

ne m’avertit pas du danger

Or a sleepless night

for me to change color

religion

and clown suit

All it takes is a tremor

in the contours of things

and knowledge becomes venomous

and the gnome of ridicule appears to me

All it takes is a single confidence

and I find myself

defenseless

naked

sick with my truth

Man you say?

Let’s suppose so

I join the flock

gaily making its way to the slaughter

and I bleat with all my might

My little sheep’s brain

warns me of no danger

Et la rumeur court

s’amplifie

L’heure a sonné

C’est le jour des comptes et châtiments

Voici la balance

les videurs du paradis

les péripatéticiennes de l’enfer

et le visage hilare du dieu vainqueur

Courage ô mes brebis

nous mourrons à quatre pattes

dignes

comme il sied à l’espèce des ruminants

 

According to a rumor

growing louder and louder

The hour is nigh

The day of judgment and retribution is at hand

As witness the scales

the bouncers of paradise

the streetwalkers of hell

and the laughing face of a triumphant god

Courage oh my ewes

we shall die on our four hooves

with dignity

as befits the race of ruminants

 

[…]

J’ai appris à lire et à écrire

pour mon malheur

Que disait le texte

gribouillé dans la langue oubliée

maudite ?

Seul l’évadé pourra le déchiffrer

Tends-moi la main ô mon frère proscrit

Je n’ai pas ton courage

car j’ai encore peur pour les miens

J’ai peur de ne trouver auprès de toi

qu’un paysage minéral

sans la caresse de l’amie

ni la fille prodigue du raisin

J’ai du mal à quitter

ce qui me fait mal

et me dresse contre le mal

 

[…]

Unfortunately for me

I learnt to read and write

What was the meaning

of that text scribbled

in a forgotten

and accursed language?

Only the escapee could decipher it

Give me your hand oh my banished brother

I do not have your courage

for I still fear for my kin

At your side I am afraid to find

only a mineral landscape

without the touch of a woman

without the prodigal daughter of the grape

I find it hard to quit

what hurts me

and braces me to fight it

Frère

tends-moi la main

non pour m’attirer à toi

avec ta violence légendaire

mais pour m’offrir la clé

dont tu n’as que faire

Toi

tu es libre maintenant

Dégagé de la connaissance

et du sens

De la lutte

et de la représentation

De la vérité

et de l’erreur

De la justice des hommes et des dieux

Dégagé même de l’amour

et de la ménagerie des désirs

Brother

hold out your hand

not to draw me to you

with your legendary violence

but to offer me the key

that you have no more use for

As for you

you are free now

Detached from knowledge

and meaning

From struggle

and from representation

From truth

and error

From the justice of men and gods

Detached even from love

and the menagerie of desires

Tu manges peu

et bois à peine

Tu ne redoutes plus les yeux inquisiteurs

L’apaisement t’indiffère

Tu n’attends plus du soir

le supplément d’âme de sa musique

et de l’aurore

ses promesses rarement tenues

Ta couche

c’est là où te surprend le rêve

où tu te meus avec des ailes ou sans

Un coin frais

derrière une porte

sur un banc

tout lieu est le lieu

où viennent s’offrir à toi les prémonitions

d’une vie

que l’on n’a pas besoin de vivre

pour en être rempli

You eat little

and barely drink

You no longer dread inquisitorial eyes

Relief means nothing to you

From the evening you no longer expect

soul-strengthening music

nor from the dawn

its promises rarely kept

Your bed

is where dreams take you by surprise

where you move with wings or without

A cool corner

behind a door

on a bench

anywhere

is where

premonitions offer themselves to you

of a life

that one does not need to live

in order to be filled by it

Qui aurait l’idée de t’enseigner

de te convaincre

toi qui as cessé de vouloir convaincre

et ne parles

que pour les reptiles facétieux de ta tête

Qui pourrait t’en vouloir

toi qui as renoncé à tout ?

 

Who would ever think

of trying to teach you

to convince you

you who no longer wish to convince

and speak only

for the facetious reptiles in your head

Who could have anything against you

you who have given up on everything?

 

Je te connais bien mon frère

Nous nous sommes rencontrés souvent

au fil des épreuves

La première fois, c’est le tortionnaire qui nous a présentés l’un à l’autre. Même avec le bandeau sur les yeux, nous nous sommes reconnus. Puis je t’ai entendu crier, crier, et j’avais hâte de prendre ta place, d’offrir ma chair à l’insupportable qui vrillait ta chair.

Plus tard, nous nous sommes retrouvés dans l’attente. Le mur qui nous séparait était si friable. Nous en avons fait un cahier de musique. Chaque nuit, nous échangions de sobres partitions :

– Qu’as-tu mangé

– Que lis-tu

– As-tu reçu une lettre

– Qu’as-tu vu dans la lune

– Le moineau à la patte cassée t’a-t-il rendu visite

– L’aimée a-t-elle répandu du parfum sur ton oreiller ? Lilas ou jasmin ? Musc ou ambre ?

Parfois je t’entendais crier dans ton sommeil et je revivais la scène. Toi ou moi, aux prises avec la forme et son ombre. Ta poitrine ou la mienne ouverte par un rat-chirurgien fouillant dans nos viscères, cherchant on aurait dit à extirper notre âme.

I know you well my brother

We have often met

in the course of our ordeals

The first time, it was the torturer who introduced us. Even blindfolded we recognized one another. Then I heard you screaming, screaming, and was eager to take your place, to offer my own flesh up to the unbearable drilling of yours.

Later we met again as we waited. The wall dividing us was so flimsy.

We used it to make music. Each night we exchanged sober vocal partitions:

“What did you eat”

“What are you reading”

“Did you get a letter”

“What did you see on the moon”

“Did the sparrow with the broken leg visit you”

“Did your beloved sprinkle perfume on your pillow? Lilac or jasmine? Musk or amber?”

Sometimes I heard you crying out in your sleep and I relived the scene. You or I grappling with form and shadow. Your chest or mine opened up by a rat of a surgeon pawing through our innards, striving, apparently, to destroy our soul.

Bien plus tard, c’est dans un désert glacial que nous nous sommes croisés. Un écran de neige nous séparait, et nous avions du mal à trouver belle la neige. Ta bouche nommait l’exil avant d’être scellée. Et sur tes yeux, je voyais palpiter le papillon de la dernière image. Une terrasse blanche où pousse cette plante aux fleurs jaunes appelées « crottes de chat ». Faute de maison, une terrasse chaulée où flotte le linge de l’enfance telles les voiles du prodigieux navire.

Je te connais bien mon frère

et tu me connais

aussi bien que la poche lourde

aqueuse

de ta tête

Alors

tends-moi la main

donne-moi la clé

dont tu n’as que faire

Much later on it was in a frigid desert that we ran into one another. A sheet of snow separated us, and it was hard for us to find the snow beautiful. Your mouth named the place of exile before being closed forever. And in your eyes I saw the flashing butterfly of the last image. A white terrace where the yellow flowers known as cat droppings grow. For want of a house, a whitewashed terrace where the laundry of childhood flaps like the sails of a magical ship.

I know you well my brother

and you know me

as well as the heavy

watery

pouch

of your head

So

hold out your hand

give me the key

that you have no more use for

 

[…]

Homme dites-vous ?

Admettons

Ceci

ou autre chose

à quoi bon se torturer ?

Peu importe l’enveloppe

l’étiquette

le masque que l’on ne peut plus ôter

sans décoller la peau

Je fais face

faussement serein

mais je fais face

Dans ce périple

je n’ai choisi ni la monture

ni l’itinéraire

À peine si j’y ai mis

mon grain de sel

 

[…]

Man you say?

Let’s suppose so

That

or something else

why rack our brains?

What matter the envelope

the label

the mask you cannot remove

without ripping off skin

I face up to it

my calm is fake

but I face up to it

On this journey

I chose neither mount

nor route

I hardly had

a word to say about it

Je me suis rendu invisible

pour essayer l’autre regard

et ne pas me voir du dehors

pantin parmi les pantins

Je compte derechef les jours

Diable ce qu’ils sont longs

et affreusement courts

De banalité en banalité

je m’étiole

me rétrécis

Je suis là

dans la marge qui m’a choisi

tenant à la main

ma fleur

poussée dans le béton

Qui voudra de ma fleur ?

Personne ne m’appellera ici

par mon nom

ne poussera ma porte

I made myself invisible

to test the other’s scrutiny

and to avoid seeing myself from outside

just another puppet

From now on I count the days

My god how long they are

and how horribly short

From one triviality to the next

I fade

I shrink

Here I am

on the fringe that is my lot

holding in my hand

my flower

grown in concrete

Who would like my flower?

No one here will call me

by my name

or push my door open

pour demander de l’aide

ou une pincée de sel

Il pleut

et fait soleil

bonnet blanc et blanc bonnet

Le vent n’a pas de voix

Les oiseaux se cachent

pour chanter

Les volcans sont loin

les séismes frappent ailleurs

Dans la rue

les passants

y compris les chiens

ne sont que des passants

Faute d’un visage rayonnant

je dis bonjour au magnolia du coin

à la branche de menthe plantée hier

à la chaise vide devant moi

to ask for help

or a pinch of salt

It rains

the sun shines

six of one and half a dozen of the other

The wind has no voice

The birds hide

before they sing

Volcanoes are far away

earthquakes strike elsewhere

In the street

the passersby

including the dogs

are just passersby

Seeing no radiant face

I say good morning to the magnolia on the corner

the sprig of mint planted yesterday

and the empty chair in front of me

Est-elle vraiment vide ?

Je sais que non

Nombreux sont ceux qui viennent s’y asseoir

sans rien dire

Chacun d’eux

a pris de moi quelque chose

Curieux cette façon qu’ont les fantômes

de vous piller

et de vous rappeler vos défauts

Je vis et laisse vivre

La chaise est solide

elle nous survivra à tous

J’écris

je ne sais dans quelle langue

l’oubliée ou la maudite

j’imite les caractères du talisman

qui m’a révélé le labyrinthe

Is it really empty?

I know the answer is no

Many are those who come and sit there

without a word

Every one of them

took something from me

Odd the way ghosts have

of robbing you

and reminding you of your shortcomings

I live and let live

The chair is solid

it will outlive all of us

I write

I don’t know in which language

forgotten or accursed

I copy the characters of the talisman

that showed me the labyrinth

Je m’applique comme je peux

Me relis sept fois

pour ne pas contrevenir à la règle

De phrase en phrase

je m’étiole

me rétrécis

La page elle

s’élargit

se rallonge

jusqu’à recouvrir entièrement la table

et déborder

Mon calame m’échappe

saute par la fenêtre

Le ciel me claque sa porte au nez

J’assiste

impuissant

à la rébellion de mes outils

I apply myself as best I can

Re-reading myself seven times

so as not to break the rule

From one sentence to the next

I fade

I shrink

As for the page

it grows larger

longer

until it covers the whole table

and goes over the edge

My quill slips from my fingers

flies out of the window

Heaven slams the door in my face

Helplessly

I witness

the rebellion of my tools

Il est temps de se taire

de ranger les accessoires

les costumes

les rêves

les douleurs

les cartes postales

Il est temps de fermer la parenthèse

arrêter le refrain

vendre les meubles

nettoyer la chambre

vider les poubelles

Il est temps d’ouvrir la cage

des canaris qui m’ont prodigué leur chant

contre une vague nourriture

et quelques gobelets d’eau

Il est temps de quitter

la maison des illusions

pour le large d’un océan de feu

où mes métaux humains

pourraient enfin fondre

Time to stop talking

to put away my effects

suits of clothes

dreams

pains

postcards

Time to close the parentheses

halt the refrain

sell the furniture

tidy up the bedroom

empty the trashcans

Time to open the cage

of the canaries who have offered me their song

against some vague food

and a few dishes of water

Time to leave

the house of illusions

for an ocean main of fire

where my human metals

may melt at last

Il est temps de quitter l’enveloppe

et s’apprêter au voyage

Nos chemins se séparent

ô mon frère l’évadé

J’ai de la folie

mon grain propre

Un choix autre

de la séparation

J’ai ma petite lumière

sur les significations dernières

de l’horreur

Une fois

une seule fois

il m’est arrivé d’être homme

comme l’ont célébré les romances

Et ce fut

au mitan de l’amour

Time to leave the envelope

and get ready for the journey

Our paths are diverging

oh my escapee brother

I have my own

touch of madness

Another way of choosing

separation

I have my little light to shine

on the ultimate meaning

of horror

Once

just once

I was able to be a man

of the kind celebrated in the Romances

And it was

in the midst of love

L’amour

quoi de plus léger pour un havresac

Alors je m’envole

sans regret

j’adhère au cri

l’archaïque

rougi au feu des déveines

et je remonte d’une seule traite

la chaîne des avortements

Je surprends le chaos

en ses préparatifs

Je convoque à ma transe noire

le peuple majoritaire des éclopés

esprits vaincus

martyrs des passions réprouvées

vierges sacrifiées au moloch de la fécondité

aèdes chassés de la cité

dinosaures aussi doux que des colombes

foudroyés en plein rêve

ermites de tous temps

ayant survécu dans leurs grottes

aux bulldozers de l’histoire

Love

what could be lighter in a knapsack

So I fly off

with no regrets

I endorse the cry

the ancient cry

reddened in the fires of ill fortune

and in a single stint trace back

the whole chain of miscarriages

I take chaos by surprise

during its preparations

To my dark trance I invite

the majoritarian people of cripples

defeated souls

martyrs to censured passions

virgins sacrificed to the Moloch of fertility

ediles banished from the city

dinosaurs gentle as doves

blasted as they dream

hermits of all time in their caves

who have survived

the bulldozers of history

Je ne me reconnais d’autre peuple

que ce peuple

guéri du rapt et du meurtre

du vampirisme des besoins

des adorations

des soumissions

et des lois stupides

Je ne me reconnais d’autre peuple

que ce peuple

non issu de la horde

nuitamment nomade

laissant aux arbres leurs fruits

aux animaux la vie sauve

se nourrissant du lait des étoiles

confiant ses morts

à la générosité du silence

Je ne me reconnais d’autre peuple

que ce peuple

impossible

Nous nous rejoignons dans la transe

I acknowledge no people

other than this people

survivors of rape and murder

of the vampirism of needs

pieties

submissions

and stupid laws

I acknowledge no people

other than this people

not sprung from the horde

nomadic by night

who leave fruit on trees

and let animals live

feeding on the milk of the stars

and entrusting their dead

to the generosity of silence

I acknowledge no people

other than this impossible

people

We all join together in the trance

La danse nous rajeunit

nous fait traverser l’absence

Une autre veille commence

aux confins de la mémoire

 

Dancing rejuvenates us

carries us across absence

Another watch begins

at the frontiers of memory

 

La saison du dire est close

De tout ce que l’homme a proféré

que restera-t-il ?

Çà et là

quelques bribes

La saveur des mots

qui ont donné la vie

et l’ont reprise

L’histoire d’un amour vaincu

Le chant désespéré

d’une espérance folle

Une clé

jetée au fond d’un puits

Le dernier râle d’un taureau

traîné comme une loque

hors de l’arène

The talking season is closed

Of everything man has offered

what will remain?

A few traces

here and there

The flavor of words

that gave life

and renewed it

The history of a defeated love

The desperate song

of a mad hope

A key

tossed down a well

The last roar of a bull

dragged like an old rag

from the ring

Un collier d’énigmes

au cou translucide de la beauté

La saison du dire est close

Derrière la parole

se profile l’oubli

Avec sa lyre enchantée

Ses grandes mains effaceuses

Sa toge d’apparat aux mille replis

Et les rubis fondants de sa coupe

L’oubli

ce suborneur

sans délicatesse aucune

Il regagne la taverne de ses aïeux

s’installe sur son trône

et verse à ses ouailles

le breuvage illicite

A collar of enigmas

about the translucent neck of beauty

The talking season is closed

Behind words

lurks Oblivion

With his enchanted lyre

His great eraser hands

His ceremonial toga with its thousand folds

And the fading rubies of his chalice

Oblivion

that suborner

so devoid of delicacy

He returns to the tavern of his forebears

settles on his throne

and serves forbidden libations

to his flock

À son banquet

personne ne manque à l’appel

Il y a là

tout excités

les convertis de la vingt-cinquième heure

les vieux routiers de l’utopie

amers et sombres

les tortionnaires à la retraite

grands-pères et jardiniers émérites

les généraux

poètes du dimanche

tueurs du lundi et des autres jours

les banquiers des organes

et du sang impur

les marins fabulateurs

les faiseuses d’anges

les terrassiers de la juste voie

les petits artisans de la corruption

les ténors de la prudence

les maquereaux du ciel

les rois nus

coiffés de bonnets d’âne

les clowns du désert

les dompteurs du rêve

Nobody is missing

at his banquet

Here

in high excitement

are converts of the twenty-fifth hour

hardened seekers of utopia

bitter and somber

retired torturers

venerable grandfathers and gardeners

generals

Sunday poets

Monday killers (also other days)

bankers of organs

and impure blood

fable-spinning seamen

backstreet abortionists

roadbuilders of the correct path

petty craftsmen of corruption

tenors of prudence

pimps of heaven

naked kings

in their dunce’s caps

clowns of the desert

dream tamers

la meute au complet

des délateurs

Il y a là

vautrés au pied du trône

la masse des repentis

les fatigués du voyage

des libertés pour rien

de la misère sans fond

de la roue arracheuse de vérité

Il y a là

derrière le trône

posant pour la photo

l’aréopage des anciennes victimes

au torse bombé

armées jusqu’aux dents

Il n’y a là

que des vieux

ou des jeunes vieillis avant l’âge

des enfants sadiques

au cou ridé

aux mains velues

and the whole pack

of informers

Here

prostrate at the foot of the throne

are the mass of penitents

those weary of the journey

of worthless freedoms

of depthless poverty

of the wheel that snatches away the truth

Here

behind the throne

posing for a photo

is the areopagus of former victims

bodies bent

armed to the teeth

Here

are only the old

or the young old before their time

sadistic children

with wrinkled throats

and hairy hands

des femmes à la poitrine plate

au cheveu rare

La taverne est bondée

l’odeur irrespirable

On n’attend plus que le dîner

qui enfin arrive

Les serveurs

en tenue rayée de bagnard

remplissent les assiettes

d’énormes quartiers de chair

crue

avariée

et disent

à qui veut les entendre :

Mangez-vous les uns les autres !

Les convives s’en donnent à cœur joie

déchirent

avalent

et se pourlèchent

women with flat chests

and thinning hair

The tavern is chock-full

the stench insufferable

They wait only for dinner now

which arrives at last

The servers

in convicts’ stripes

pile the plates high

with enormous hunks of meat

raw

tainted

and say

to any who care to listen:

Go on, devour one another!

The guests have at it delightedly

tearing at the food

swallowing

and licking their lips

La boisson coule à flots

Une musique « moderne » fuse

Les plus vaillants quittent les tables

forment une ronde

se déhanchent comme ils peuvent

La musique devient vulgaire

les hommes aussi

Les femmes quittent leurs habits

le reste de leur féminité

L’orgie

si l’on peut dire

bat son plein

L’oubli trône

au fond de la taverne

Déguste son pouvoir

Drink flows abundantly

“Modern” music erupts

The boldest leave their tables

form a circle

and loosen their hips as best they can

The music becomes vulgar

the men too

The women shed their clothes

and what is left of their femininity

The orgy

so to speak

is in full swing

Oblivion

sits on his throne

at the back of the tavern

Savoring his power

La taverne de l’oubli

est maintenant vide

Les reliefs du banquet

dispersés par le vent

La horde a repris ses chemins obscurs

ses tribulations

La scène est prête

pour accueillir d’autres drames

Pas de répit pour les saltimbanques

pas de pitié

pour les éternels spectateurs

Tiens

une parodie de l’apocalypse !

Ce qu’il faut pour frapper les esprits

jusqu’à l’extinction de l’esprit

Il y aura

cette fin de règne

et les appétits qu’elle réveille

The tavern of oblivion

is empty now

The remains of the feast

blown away by the wind

The hordes are back on their obscure paths

with their tribulations

The stage is set

to welcome other dramas

No respite for the performers

no pity

for the eternal spectators

Hey

a parody of the apocalypse!

Just what is needed to unsettle minds

until the mind is no more

There will be

this end of a reign

and the appetites it awakens

Les signes

de la grande cassure

au centre de la terre

au cœur des idées

La dérive de la raison

et son morcellement

L’opaque dressant son airain

entre la chose et son contraire

Les fléaux et les miracles habituels.

Mal inconnu à la racine. Mutation du sang. Confusion des cinq sens.

Dérèglement de la lumière, des métaux, du coït.

Un siècle de pluies. Un siècle de sécheresse.

L’éclipse annoncée de longue date, souvent reportée. L’arbre qui saigne. Les statues somnambules. La licorne qui s’anime, saute de sa tapisserie et s’envole par la cheminée.

Réapparition de l’espèce éteinte des lutins. Disparition de l’île des rencontres. Morts suspectes au moment de la prière amoureuse.

Évasion collective de tous les asiles et des bagnes secrets. Tarissement de la source de vérité, de l’océan intérieur. Suicides en série des athlètes et des tribuns adorés par le peuple. Invasions de sauterelles mécaniques, de puces hautement intelligentes.

The signs

of the great break

at the center of the earth

at the core of thought

The drift

and crumbling

of reason

Opacity placing its iron bar

between the thing and its opposite

The usual plagues and miracles.

Evil of unknown origin. Mutation of the blood. Confusion of the five senses. Disordering of the light, of metals, of copulation.

A century of rains. A century of drought.

The long-foretold eclipse, so often postponed. The bleeding tree.

Sleepwalking statues. The unicorn that comes to life, leaps from his tapestry and flies off up the chimney.

Reappearance of the extinct race of pixies. Disappearance of the island of encounters. Suspicious deaths at the moment of the loving prayer. Mass breakout from all asylums and secret prisons. Drying up of the spring of truth, the inner ocean. Serial suicides of athletes and leaders beloved of the people. Invasions of mechanical locusts and highly intelligent fleas.

Avancée allègre

du désert

dans les cœurs

Il y aura

dans les bagages du désert

le messager

le mal-aimé de son vivant

Candidat au martyre

Il sortira de la dune

aux sept vierges enterrées vivantes

du manuscrit aux pages arrachées

de la légende

ou d’une baraque de bidonville

Il aura les yeux de l’albinos

le visage mal rasé des mutins

le nez sans équivoque du loup de mer

les mains brûlantes

de l’esclave-laboureur

Il avancera

sous le soleil livide

Lively progression

of the desert

into hearts

In the desert baggage train

will be

the messenger

ill-loved in his lifetime

Candidate for martyrdom

He will emerge from the dune

of the seven virgins buried alive

from the legendary manuscript

with pages ripped out

or from a hovel in a shantytown

He will have an albino’s eyes

a mutineer’s unshaven face

a sea dog’s unmistakable nose

and the burning hands

of a slave laborer

He will proceed

under a pallid sun

au milieu de la horde incrédule

dans le décor des misères morales

On entendra

les hurlements de la trompe archaïque

une rafale de caquètements

un coup de gong au goût de rouille

Puis dans le silence précurseur

des hauts récits

qui vont accéder à la mémoire

il essuiera de ses lèvres

les relents du mensonge

fixera les rangées de têtes immatures

avant de dire :

Voici venir l’ère

des famines

et de l’égorgement

Ô peuple de cancrelats lubriques

prépare-toi à l’épreuve

La roue des destinées a tourné

et s’est arrêtée

through the incredulous horde

against a backdrop of moral poverty

The wail of the ancient horn

will be heard

a burst of clucking

a rusty-sounding gong struck

And then in the silence preceding

the grand testimony

about to be lodged in memory

he will wipe the remnants of the lie

from his lips

look straight at the ranks of immature heads

and say:

The time

of famine

and slaughter

is at hand

Oh people of lustful cockroaches

prepare for the ordeal

The wheel of destiny has turned

and stopped

Tu as joué

et perdu

Tu n’as su lire aucun signe

Du jardin qui t’a été confié

tu as fait un dépotoir

De la graine sacrée

déposée en toi

tu as tiré le pain amer

qui ne peut se partager

Tu as consacré l’intelligence

aux alibis des crimes parfaits

Tu as ôté aux pauvres

la bouée de l’espérance

Aux femmes

la parure de l’être

You have played

and lost

You were unable to interpret any sign

You have treated

the garden entrusted to you

as a garbage heap

From the sacred seed

planted within you

you have created the bitter bread

that cannot be shared

You have devoted your intelligence

to alibis for perfect crimes

You have deprived the poor

of their buoy of hope

Women

of the adornment of their being

À tes enfants

tu as légué tes œillères

l’appât du gain

et le lexique de la haine

À ceux qui t’ont offert un miroir

pour débusquer le monstre en toi

et compter tes lâchetés

tu as crevé les yeux

Et moi

moi qui te parle et te préviens

je sais quel sort tu me réserves

Voilà

j’offre mon corps à l’absurde

de ton ingéniosité sadique

Je te maudis

et maudis en même temps

cette tradition de l’holocauste

qui me fait m’agenouiller

écarter les bras

tendre le cou

pour que tu t’éprouves

To your children

you have bequeathed your blinkers

the lust for money

and the lexicon of hate

You have gouged out the eyes

of those who handed you a mirror

to discern the monster within you

and to inventory your acts of cowardice

And as for me

speaking to you and warning you

I know what fate you have reserved for me

Here then

I offer my body to the absurdity

of your sadistic ingenuity

I curse you

and at the same time I curse

the tradition of the burnt offering

that makes me kneel

stretch my hands wide

present my neck

so that you will put yourself to the test

avant de trancher la gorge

de l’agneau sans défense que je suis

et dont l’âme

s’il a une âme

ne trouvera jamais le repos

 

before cutting the throat

of the defenseless lamb that I am

a lamb whose soul

if it has one

will never find rest

 

Le messager prêchera longtemps

dans le vide

La curée qu’il redoutait

et désirait

n’aura pas lieu

La foule se détournera de lui

Il restera seul

torturé par ses visions

S’enfoncera peu à peu

dans le sable

Le soleil continuera à éclairer

l’ordinaire horreur

La nuit à recouvrir

le sordide inavouable

Le ciel ne se prononcera pas

L’apocalypse ne sera pas

une resucée du déluge

après la destruction des cités pécheresses

The messenger will preach for a long time

in a void

The spoils that he feared

and wished for

are not forthcoming

The crowd will turn their backs on him

He will remain alone

tormented by his visions

Sinking little by little

into the sand

The sun will continue to light up

everyday horror

The night to obscure

unmentionable squalor

Heaven will have no comment

The apocalypse will not be

a replay of the flood

that followed the destruction of the sinful cities

Pour ceux qui auront appris à lire

elle se déroulera

en un coin perdu

dans la boue d’une tente de réfugiés

là où un enfant décharné

couvert de vermine

exhale son dernier souffle

Dans ses yeux

qui prennent la moitié du visage

il n’y a ni question

ni réponse

Il n’y a rien de ce que les humains partagent

ou se disputent

Rien de ce qui les attache

à ce que l’on appelle vie :

la chamade de la pluie

quand elle embaume la terre

la fenêtre de l’aube

ouverte sur le jasmin

et le beignet ruisselant de miel

la litanie pieuse d’une tourterelle

semant le trouble

For those who have learnt to read

it will take place

in a dim corner

in the mud of a refugee tent

where an emaciated child

crawling with vermin

breathes its last

In his eyes

that fill half his face

is no question

no answer

Nothing of what human beings share

or fight over

Nothing of what attaches them

to what we call life

the drumbeat of the rain

perfuming the earth

the window of dawn

opening onto jasmine

and a pastry dripping with honey

a turtledove’s devout litany

prompting anxiety

dans le cœur fermé au mystère

le pain chaud

qu’on recouvre avec une serviette à carreaux

les fruits qu’on dépose amoureusement sur la table

la coupe

dont on contemple la robe

avant de la défaire

à petites gorgées savantes

la caresse qui s’attarde

sur chaque grain de la peau

et se dirige vers la source des sources

la vue de la mer

après une longue incarcération

– miracle des vagues libres

délices de l’horizon

poème qui s’énonce clairement –

le seuil frais d’une maison

où les vieux jours s’égrènent

en rêveries aux couleurs de friandises

la nouvelle de la chute d’un despote

celle de la mort d’un ami

les nuits blanches

où l’alezan de l’espoir

s’ouvre les veines

les coquelicots du bord de la route

in hearts immured against mystery

warm bread

covered by a check napkin

fruit placed lovingly on the table

the glass of wine

whose hue we contemplate

before emptying it and savoring each sip

the caress that lingers

on every pore of the skin

as it makes for the spring of springs

the sight of the sea

after a long imprisonment

– the miraculous freedom of the waves

the delight of the horizon

a poem so clearly voiced –

the cool threshold of a house

where the days of old age

pay themselves out

in candy-colored revery

news of a dictator’s fall

or of a friend’s death

sleepless nights

when the palomino of hope

opens its veins

poppies by the wayside

quand le train ralentit

laisse passer un ange

et remplit la poche

d’une menue monnaie de jubilations

l’heure où l’on éteint

pour se retrouver avec soi-même

lire dans son dédale

à la bougie du rêve

Dans les yeux de l’enfant

il n’y a que l’absence

Il y a une autre connaissance

Les yeux de l’enfant

ne sont pas des yeux

Ils n’ont pas de larmes

pas plus de cils

Leur éclat glacial

est celui d’un astre insoumis

détaché de la matrice

depuis les origines

when the train slows down

lets an angel pass over

and fills your pockets with

with the small change of joy

the moment when you switch the light off

to be alone with yourself

and explore your labyrinth

by dream’s candle

In the child’s eyes

is only absence

a different kind of knowledge

The child’s eyes

are not eyes

They have no more tears

than they have lashes

Their icy gleam

is that of a rebel star

separated from its matrix

at birth

Hors de la course

à contre-courant

il vogue dans la prison de l’infini

en quête d’une lézarde

d’un trou par où s’échapper

s’éjecter dans l’ailleurs

Là où rien ne se crée

rien ne se transforme

Un au-delà immatériel

où il pourra sans attendre

crever l’abcès de la vie

et retourner à la poussière

L’apocalypse trime

se fait oublier

puis donne de ses nouvelles

Quelle autre fin imaginer ?

Il n’y a pas de fin

Out of the race

against the current

it roams the prison of the infinite

searching for a crack

a hole to crawl through

and project itself

into an elsewhere

A place where nothing is created

nothing is transformed

A non-material beyond

where it might immediately

burst the abscess of life

and return to dust

The apocalypse labors

gets itself forgotten

and then sends a message

What other end can be imagined?

There is no end

Le cauchemar

épouse un cercle parfait

Cela se nomme l’éternité

Un bocal hermétique

qu’aucune magie ne peut ouvrir

 

The nightmare describes

a perfect circle

It is called eternity

A tightly sealed vessel

that no magic can open