Le Berceau des lucioles

Jacques Barbéri

Elle est le grand vide, l’ÉTOILE d’où TOUT fut graduellement formé et qui conduit TOUT vers la libération du cycle sans fin…

Vajrayana Tantra (Tara)

 

[…] Dis à cette âme de chagrin chargée si, dans le distant Éden, elle doit embrasser une jeune fille sanctifiée que les anges nomment Léonore. Le Corbeau dit : « Jamais plus ! »

Edgar Allan POE

 

Mais attention, à Nice, la baie des Anges qu’on imagine être un coin de paradis tire son nom d’un poisson qu’on y trouve, l’ange de mer, une sorte de petit requin.

Denis ABOAB

 

J’avais un problème avec l’art contemporain. La plupart du temps, je trouvais ça intéressant, mais aucune porte ne s’ouvrait. Je restais planté devant l’installation en essayant de piger l’intention de l’artiste. Et c’était cuit. L’émotion ne viendrait plus. Je réfléchissais. C’était foutu…

 

L’expo était un hommage au mouvement Supports/Surfaces. L’arrière-garde de l’avant-garde : « L’objet de la peinture, c’est la peinture elle-même ». OK.

 

L’un des artistes, Martial Klein, organisait une soirée dans un petit hôtel particulier qui surplombait la baie des Anges, niché sur le flanc sud-ouest de la colline du château. Fred le connaissait bien, il avait déjà travaillé pour lui, et on s’était incrustés.

Je me demandais encore pourquoi…

L’appartement était superbe, mais l’ambiance plutôt guindée. Je m’étais avachi dans un fauteuil près de la baie vitrée du salon. La vue était splendide. La mer ressemblait à une plaque de métal froissé. Le reflet de la lune, pleine et dorée, flottant sur la ligne d’horizon, y traçait une route de lumière. Les anges devaient sûrement passer par là pour venir danser sur la plage.

Fred revenait du bar avec deux Americano.

J’en bus aussitôt une rasade.

— Génial !

Fred fit la grimace.

— Ce n’est pas trop mon truc.

— Alors pourquoi tu en prends ?

— Le barman est pas mal. Quand il fait vibrer son shaker, ça m’excite.

— Je ne crois pas au coup de foudre.

— Qu’est-ce que tu racontes, Jack ?

Elle paraissait venue de nulle part. Je jetai un œil à la passerelle de lumière qui enjambait les flots comme si j’allais y trouver un indice pouvant expliquer sa soudaine présence.

Elle portait un pantalon noir, moulant, un T-shirt kaki avec de fines bretelles. Elle avait les cheveux noirs, longs et bouclés et les yeux noisette. Elle semblait planer à quelques centimètres du sol. Elle m’a regardé. Probablement parce que je la regardais.

Et elle est venue vers moi.

Je n’aurais probablement jamais dû lui parler.

— Vous cherchez quelqu’un ?

— Oui, vous.

— Ça m’étonnerait…

Elle ne souriait pas. Elle n’était ni sérieuse ni triste. Elle était… ailleurs.

— Où êtes-vous ?

— Je ne sais pas. Et vous ?

— Je ne sais plus.

L’ombre d’un sourire éclaira son visage comme un reflet de lumière sur la paroi d’une grotte. Fred s’éclipsa sans dire un mot. Le salon avait pris la forme d’un œuf, noir et doré, aux murs nappés de poussière de lune. L’air était saturé d’écume.

Le DJ ne fut probablement pas insensible à cette soudaine métamorphose car son choix fut miraculeux.

 

Open your eyes and don’t be blind

Can’t you see we’re two of a kind ?

I’ve got to say this, I hope you don’t mind

I love you, we’re two of a kind

 

— Ah ! Syd…

— Superbe chanson. On n’a jamais réellement su qui l’avait écrite. Barrett ? Wright ?

J’étais de plus en plus sidéré. Cette fille était un miracle.

— Je pense que le texte est de Syd et la musique de Rick.

— Oui, Barrett est un poète. Barrett est un ange éclaboussé de lumière. Wright travaille dans l’ombre. La gloire des ténèbres n’a qu’un temps. Syd est immortel… Vous êtes musicien ?

— Plutôt écrivain. Et vous ?

— Je ne sais pas. Humaine, je crois… mais ça reste à prouver.

Je la pris délicatement par le bras et l’entraînai vers le bar.

Fred discutait avec le barman. Il me servit lui-même un Americano.

— Et pour…

— Tara.

Elle tissait son nom de sa langue, de sa salive, des frémissements de sa peau.

— Joli prénom. Il me rappelle Tara King.

— Je préfère Emma Peel.

Je raccrochai aussitôt la conversation. Je ne voulais pas mettre Fred dans la boucle.

— Vous lui ressemblez.

— À qui ?

— Diana Rigg.

— Vous êtes à des années lumière de John Steed. Dommage…

Elle sourit, trempa ses lèvres dans mon Americano, puis approcha son visage du mien. Elle ferma les yeux. Je crus qu’elle allait m’embrasser.

Elle tourna légèrement la tête sur le côté.

— Suivez-moi…

J’avais l’impression d’halluciner. Cette fille m’avait abordé par hasard. Elle ne me draguait pas. Ça se voyait. Elle improvisait. Avec talent, certes, mais avec détachement aussi. Elle était toujours ailleurs. Je ne savais ni d’où elle venait ni où elle allait, et lorsque je fixais la petite étincelle dorée qui brillait dans ses yeux, j’avais la chair de poule. Je ne savais pas ce qu’elle voulait de moi, mais j’étais totalement magnétisé. Je la suivis sans hésiter.

— Où allons-nous ?

— J’ai envie de prendre un bain. Pas vous ?

Je m’attendais à ce qu’elle m’entraîne vers la sortie, vers une plage de rêve, mais elle m’entraîna vers l’escalier qui conduisait à l’étage.

Elle se moquait de moi. Ou elle était sous acide.

 

Just ask yourself and you will find

We go together, we’re two of a kind

No use protesting, be resigned

Baby you know, we’re two of a kind

 

Ah, Syd !

Arrivés en haut de l’escalier, nous empruntâmes un couloir. Elle ouvrit la dernière porte.

C’était une salle de bains.

Elle était immense. Un parquet en bois très clair, grisé, probablement du peuplier, avec une pièce d’eau au carrelage azurin qui se prolongeait au-delà de la baie vitrée sur une imposante terrasse. Un alignement de pierres cendrées, harmonisées au parquet, conduisait à un jacuzzi central légèrement surélevé.

Tara me prit par la main et me fit pénétrer dans la pièce.

— Vous êtes inquiet ?

Je ne compris pas quel était le sens de sa question. Elle dut sentir mon désarroi.

— Je vous ai emmené là pour vous violer, vous torturer, vous planter un couteau dans le cœur et regarder votre sang s’étaler dans l’eau bleutée du bain…

Je souris.

— Non… J’ai juste l’impression que la réalité est en train de déraper. Comme un retour d’acide… Vous voyez ce que je veux dire ?

Je ne savais pas ce qu’elle voyait, je ne savais même pas si elle m’écoutait, elle bondissait, aussi légère qu’une fée, sur les pierres grises qui conduisaient au jacuzzi. Elle ouvrit un robinet en forme de sirène, libérant un nuage de vapeur.

Puis elle revint vers moi.

— Mettez-vous à l’aise.

Elle enleva son T-shirt et son pantalon. Elle n’avait pas de soutien-gorge, juste une petite culotte rouge qu’elle ôta d’une jambe et expédia en l’air de l’autre, tel un papillon arraché au butinage de ses douceurs intimes.

Elle était nue. Ses seins étaient lourds mais fermes. Sa peau était blanche. Un triangle noir, délicatement bouclé, descendait de son ventre rebondi. Jardins suspendus de Babylone…

La lune planait au centre de la baie vitrée. Tache de lait sur la toile cirée du ciel. Le jacuzzi était un bassin en pierre de taille au cœur d’une ville des siècles passés. Nœud de matière égaré dans le temps.

— Le bout du monde.

Elle pencha de nouveau la tête. Un geste hybride, pas totalement humain, entre l’insecte et le félin.

— Quel monde ?

— Celui de Paul Delvaux… J’ai l’impression de contempler un de ses tableaux. Vous êtes… splendide… Mais également… irréelle !

Elle éclata de rire. La peinture se mit à couler. La lune retrouva ses couleurs dorées. La vasque son eau bleutée. Tara se reprit aussitôt. Comme si elle avait soudain honte de s’être ainsi abandonnée. Elle m’ôta délicatement l’Americano des mains, en but une gorgée et le posa sur le rebord du jacuzzi.

— Vous venez ?

Elle fit un geste de la tête, yeux fermés, lèvres entrouvertes vers l’eau bleutée.

— Comme ça ?

— Habillé ? Je ne vous le conseille pas…

Elle déboutonna ma chemise.

— Voilà, le plus dur est fait.

Je n’avais aucun problème avec la nudité, bien au contraire, mais je me sentais soudain un peu pataud.

— Je n’ai pas votre élégance. Un homme qui se déshabille, c’est parfois ridicule.

— Pour qui ?

Elle se retourna et se dirigea lentement vers le jacuzzi. En toute autre circonstance, son déhanchement lascif et ses somptueuses fesses blanches auraient capturé mon regard et ne l’auraient plus lâché. Mais la femme qui me subjuguait n’était pas faite de chair, d’os ou de nerfs. C’était une poésie, une chanson, un rêve… Et elle me laissait tout simplement le temps de me mettre en tenue d’Adam.

Lorsque je la rejoignis, elle était déjà installée dans le coin droit du jacuzzi. Je me laissai glisser dans la partie gauche.

— Je ne mords pas.

Elle me dit cela le plus sérieusement du monde, comme si je pouvais réellement en douter.

— Que faisons-nous là ?

Elle s’approcha de moi en laissant glisser son dos contre le carrelage, les bras écartés sur le rebord du jacuzzi.

— Nous prenons un bain au clair de lune. Vous ne trouvez pas ça agréable ?

— Si, bien sûr, mais je me sens un peu… Comment dire… Importun. Oui, c’est cela, importun.

— Ah, bon ? Et vous importuneriez qui ?

— Je ne sais pas moi… Le propriétaire des lieux, peut-être.

Elle sourit en adoptant de nouveau une gestuelle animale.

— Aucun problème. C’est mon ex-mari. Alors, nous sommes ici un peu chez moi. Relax…

Elle glissa ses doigts entre mes cheveux. Des étincelles crépitèrent sur mon crâne.

Coup de foudre ?

J’approchai mon visage du sien. Au moment où je voulus l’embrasser – un instant suspendu, d’une telle évidence, qu’il n’aurait pu en être autrement – elle détourna la tête. J’eus l’impression d’entendre comme un bruit de chitine.

— Nous ne sommes pas là pour ça, me dit-elle.

— Ah…

Elle ferma les yeux.

— Je me suis mal exprimée, désolée… Mais… je préférerais éviter de faire l’amour avec vous…

— Je croyais pourtant que…

Une trace de contrariété brisa la perfection de son visage.

— C’est ce qui vous intéresse ?

— Non… Être avec vous me suffit.

Ses bras passèrent par-dessus mes épaules, en souplesse, telles des anguilles. La paume de ses mains se plaqua contre mes reins. Une légère pression… Elle se colla langoureusement contre moi.

— Je regrette… Vraiment…

Des larmes coulaient sur ses joues. Je me serrais contre elle. J’avais l’impression d’avoir remonté le temps, d’être revenu à mes premières amours d’adolescent.

Nous sommes restés ainsi, nos corps glissant l’un contre l’autre pendant un temps qui échappait à tout espace, jusqu’à ce que les chairs fondent et explosent en une pluie de lumière.

Je m’étais assoupi dans ses bras. Le jacuzzi était réglé sur une houle hypnotique. Je sombrais mollement vers le sommeil lorsqu’un bruit sourd me fit brusquement ouvrir les yeux. Je glissai des mains de Tara et bus une gorgée d’eau. Un bruit plus sec me fit définitivement sortir de ma torpeur. Je levai les yeux vers la baie vitrée. Une masse noire la percuta violemment. Une autre boule sombre suivit rapidement la première. Cette fois-ci, je distinguai un bec et des griffes. La peur souffla un vent glacé sur ma nuque.

Des corbeaux !

Ils se succédèrent d’abord à quelques secondes d’intervalle, puis s’abattirent en rafales. Un bruit qui sentait le sang et la chair broyée. J’étais tétanisé. Je n’arrivais pas à détacher mon regard de cette scène ahurissante. Le verre commença alors à se fissurer. Je me tournai vers Tara. Elle flottait, à moitié allongée sur le dos, les yeux clos. Elle paraissait dormir d’un sommeil paisible, comme si aucun bruit ne pouvait franchir la barrière des songes.

Je la secouai.

— Réveillez-vous !

Elle entrouvrit un œil, esquissa un sourire puis replongea dans ses rêves.

Tout se passa alors très vite.

La baie vitrée était constellée de points d’impact en forme de toiles d’araignée.

Un ultime choc. Et le verre céda.

Un nuage noir s’engouffra dans la pièce en une explosion de sang, de plumes et de vitre brisée.

Mais les créatures qui s’abattirent sur nous étaient faites d’un mélange de cendre et de pois, plus noires que la nuit, gluantes et étouffantes, mortes, crachées par les ténèbres et rongées par le temps.

Je me mis à hurler. Puis la marée noire m’emporta.

 

Je m’étouffais.

— Jack !

J’ouvris les yeux. Tara était penchée sur moi. Son visage toujours aussi parfait, sans la moindre griffure ou égratignure. Je desserrai les lèvres. Ma mâchoire s’ouvrit en grand. D’un coup. J’aspirai une énorme goulée d’air puis regardai aussitôt la baie vitrée. Elle paraissait intacte.

— Que s’est-il passé ?

— C’est à vous qu’il faudrait le demander. Vous vous êtes assoupi, puis vous avez crié.

— J’ai dû m’endormir… rêver, peut-être…

— Vous aviez l’air terrorisé.

— C’était si réel. Je n’arrive pas à croire que…

Les lèvres de Tara étaient tièdes et sa langue lécha les dernières cendres qui tapissaient ma bouche d’une odeur de cauchemar.

Elle m’embrassa du bout des lèvres, puis se redressa ruisselante et magnifique en contre-jour lunaire.

— Allons faire un tour. J’ai quelque chose à vous montrer.

 

* *

*

 

J’étais assis dans une Volkswagen Karmann-Ghia bleu ciel. Capote baissée, étoiles filantes dans les cheveux de Tara. Ses mains gantées de blanc sur le volant bleu. Pommeau du levier de vitesses et cuir des sièges assortis. Sur la droite, les palmiers au feuillage de crépon vert bruissaient dans l’air couleur pétrole de la baie des Anges. Sur la gauche, la mer était une flaque d’huile noire où s’engluait le reflet des étoiles lointaines. Sirènes muettes des rêves d’enfants et des astronautes morts.

La Karmann-Ghia filait sur l’asphalte huilé en palpitant liquide telle une goutte de temps.

— Où allons-nous ?

— Le plus près possible des étoiles.

— Sur la crête des vagues ? Ou dans vos yeux ?

— Poésie ou flatterie ?

J’étais amoureux. L’air était tiède. La promenade des Anglais traversait l’univers. Je roulais dans une voiture de luxe, à côté d’une femme au profil de star. J’imaginais que nous étions en route pour la Croisette, le festival. Les flashes crépiteraient sur sa peau blanche… Je la regarderais monter les marches, souriant et heureux… Un moment de plénitude absolu qui devrait me combler de joie. Mais quelque chose m’en empêchait. Une sourde angoisse qui remuait comme un abdomen d’araignée derrière le cartilage bombé de ma glotte.

— À quoi pensez-vous ?

— J’ai l’impression de rêver. Je vais bientôt me réveiller et…

— Où ça ?

— Pardon ?

— Où allez-vous vous réveiller ?

— Je ne sais pas… Probablement dans mon lit.

— Seul ?

— Avec vous, peut-être…

Elle sourit, se pencha vers moi pour m’embrasser. Ses lèvres touchèrent ma joue. Mon cœur fit un bond. La voiture aussi.

Tara rétablit la trajectoire d’un petit coup de volant.

— Ce serait bête d’avoir un accident.

— C’est toujours le cas, non ?

— Pas si on souhaite mourir.

Elle prit mon poignet et le serra très fort.

— Vous n’avez pas envie de mourir, n’est-ce pas ?

Je hochai la tête, étonné par cette question.

— Surtout pas.

— Et moi…

Elle se mordilla la lèvre. Sa main revint vers le volant. Elle le bloqua fermement comme si elle avait peur qu’il échappe à sa volonté.

— Dites-le… Dites-le à ma place.

L’air avait brusquement fraîchi. J’avais l’impression de voir les vagues se briser sur la plage en poussière de glace.

— Vous… non plus.

Sa tension se relâcha d’un coup.

— Regardez !

La lune était posée, énorme, sur la ligne d’horizon.

— Elle est pleine et sur le point de se coucher, ce qui signifie que l’aube n’est pas loin. Dépêchons-nous !

— Vous ne supportez pas la lumière du soleil ?

— Si nous n’étions pas si pressés, je ferais bien une petite halte pour planter mes dents dans votre cou.

— Je ne résisterais pas un seul instant.

— Vous feriez ça ? Vous m’aimez donc vraiment ?

— Depuis toujours.

— On ne se connaît que depuis quelques heures.

— Le temps n’existe pas.

Et je mis ma main sur sa cuisse pour garder le contact avec la réalité. Au-delà de toutes les drogues, et l’amour est la plus forte, rode l’irrésistible envie de se perdre, d’abolir la durée, de disparaître et de renaître dans un instant d’éternité.

 

* *

*

 

Les dernières lumières du quartier de la Madeleine tremblaient derrière nous tels des feux follets.

— Vous connaissez cet endroit ?

— Oui, le chemin du Génie. Il grimpe sur la colline de Saint Pancrace.

Coup de volant sur la gauche.

— Eh bien nous allons le quitter pour aller…

Elle tourna son visage vers moi.

— Au paradis ?

Elle sourit.

— Pas vraiment, mais nous n’en serons plus très loin.

La route devint de plus en plus étroite, puis le macadam disparut. Les feux de croisement découpaient des tranches d’écorce, de feuillage, des instantanés photographiques aussitôt dévorés par la nuit.

— Pourquoi vous ne mettez pas vos phares ?

— Pour ne pas trop effrayer les animaux.

Au même instant une forme gigantesque traversa les rais de lumière qui cisaillaient les virages.

— C’était quoi ? Une chauve-souris géante ? Où m’avez-vous emmené ?

— La Karmann-Ghia est une machine à remonter le temps. Nous sommes à la limite crétacé-tertiaire et nous allons bientôt arriver au paléogène…

— Ça m’étonnerait !

— Pourquoi ? Vous ne croyez pas au voyage dans le temps ?

— Si, bien au contraire, mais si nous étions vraiment au crétacé, nous serions actuellement sous plusieurs millions de mètres cubes d’eau.

— Bien vu. Le territoire correspondant à la France était effectivement aux trois quarts englouti, mais Nice était à la limite de l’isthme durancien et avait peut-être les pieds au sec.

— Vous êtes une scientifique, n’est-ce pas ? Une chercheuse, peut-être…

— Je l’ai été.

— Vous ne l’êtes plus ?

— Je vous ai dit que je n’étais plus rien.

— Je ne vous crois pas.

— Je ne vous demande pas de me croire.

La Volkswagen ralentit, se gara sur le bas-côté : une petite parcelle de terrain dégagée à la lisière d’un bosquet de chênes.

— On continue à pied.

— Ah bon ?

— Vous n’aimez pas la nature ?

— Bien au contraire, mais je ne suis pas un grand marcheur et puis… La lune est presque couchée et il fait bien noir, vous ne trouvez pas ?

— L’obscurité vous fait peur ?

— Un peu, mais pas l’inconnu. Ce serait même plutôt le contraire, il m’attire et avec vous… j’irais en Enfer s’il le fallait.

Elle m’embrassa sur la bouche, puis frôla mon oreille de ses lèvres et murmura :

— Je ne vous le conseille pas.

Elle s’engagea dans un tout petit sentier qui s’enfonçait entre les chênes.

Je m’empressai de la suivre, à la fois excité et terrorisé.

 

* *

*

 

Le chemin s’enfonçait de plus en plus dans les ténèbres et la silhouette de Tara se diluait parfois dans l’obscurité. J’aurais bien aimé lui prendre la main, mais le sentier pierreux était bien trop étroit et je devais me contenter de la suivre, me fiant à sa respiration, aux craquements des branches sous ses pas.

Il y avait également le chuintement berceur, de plus en plus présent, d’un cours d’eau.

Je sentis soudain un souffle d’air frais et toute lumière disparut. Je levai les yeux vers le ciel. Les étoiles n’étaient plus là…

— Que se passe-t-il ?

— Pas de panique… Nous sommes au fond du vallon obscur, dans un endroit où les parois du canyon se rejoignent presque à une vingtaine de mètres au-dessus de nos têtes.

Le faisceau lumineux d’une torche jaillit soudain devant moi et se promena lentement sur une paroi recouverte de mousses et de fougères.

— Vous aviez une torche et on a fait tout ce chemin dans le noir ?

— La nature, moins on la bouscule mieux elle se porte… Regardez plutôt.

Elle fit aller la torche de droite à gauche. Il n’y avait guère plus d’une dizaine de mètres entre les parois du canyon. Puis elle dirigea le pinceau lumineux vers les hauteurs. L’une des parois se recourbait en auvent et touchait presque l’autre versant. Je me sentis soudain partir en arrière.

— Je ne me sens pas très bien…

— Vous êtes claustrophobe ?

— Non… Mais c’est un peu trop…

— Quoi ?

— Tout. Vous. La soirée. Cet endroit…

— Surprenant, n’est-ce pas ?

Elle dirigea le faisceau de la torche vers le sol.

— Ça va mieux comme ça ?

La sensation de vertige avait instantanément disparu.

— Oui, merci…

— Il y a une dizaine de vallons obscurs dans la région, dont la moitié tout près de Nice. Des écosystèmes à la biodiversité étonnante. Bien qu’ils aient été classés espaces naturels d’intérêt communautaire, à part une poignée de randonneurs et quelques vieux du coin, personne ne connaît ce genre d’endroits. Les habitants des villes ne connaissent d’ailleurs plus rien. Ils ne s’intéressent qu’aux arrêts de bus, aux stations de métro, aux centres commerciaux, aux complexes cinématographiques et aux parcs tirés à quatre épingles où les chiens n’ont pas le droit de faire leurs besoins et où les enfants sont tenus en laisse…

— Vous exagérez un peu.

— À peine.

Elle éteignit la lampe. Je sentis sa tiédeur irradier ma peau. Elle m’embrassa et je me mis à flotter, comme si le vallon obscur n’était plus régi par les lois de la gravité.

Et une étoile clignota, puis deux, puis trois…

— Un nouveau tour de magie ?

— Oui, nous voguons dans l’espace… Vous aimez ça ?

— Lorsque j’étais enfant, je voulais être cosmonaute.

— Vous vous en souvenez ?

— Comme si c’était hier.

— Vous avez de la chance.

Je ne compris pas sa remarque, mais elle ne me laissa pas le temps d’y réfléchir. Elle me mit la torche entre les mains.

— Allumez-la.

Je m’exécutai, sans réfléchir. Elle pouvait me demander tout ce qu’elle voulait.

Elle tendit son petit sac à dos devant moi. Je l’éclairai. Elle en sortit un objet étrange, entre la montre et le bracelet éponge. Elle le fixa autour de son bras et pressa un bouton. Le bracelet se mit à pulser en émettant une lumière verte, un peu comme celle des…

— Me voilà transformée en ver luisant, dit Tara en s’avançant vers les étoiles.

 

Elle dansait au cœur du vallon obscur et les lucioles tournoyaient autour d’elle par milliers. Elle était nue et sa peau se recouvrait peu à peu d’insectes. Fée verte.

Je m’imaginais au cœur d’un astéroïde en compagnie d’une reine des étoiles, lorsqu’une pipistrelle vint se poser sur mon épaule. Assez bizarrement, je ne fus pas effrayé. Le plus étrange se produisit cependant juste après. Lorsque le petit chiroptère tendit vers mon visage son museau de teckel et ses gros yeux noirs de lémurien.

— Tu devrais t’en tenir là, Jack.

Je secouai la tête pendant un bon moment, d’un mouvement parkinsonien, me demandant si je n’avais pas ingurgité sans le savoir des champignons hallucinogènes.

— Tu ne veux pas te souvenir du futur et je peux le comprendre mais tu ne pourras rien y changer…

— Mais qu’est-ce que tu racontes ? Tu sors d’où d’abord ?

Tara était entièrement recouverte de lucioles et j’eus soudain peur qu’elle s’étouffe. Une sourde angoisse me submergea. Je jetai un regard noir à la bestiole ridicule qui jacassait sur mon épaule.

— Tu sors d’où, bordel ? !

— Mais de ta tête, Jack, grimaça la pipistrelle. Et si tu ne veux pas que ça finisse en eau de boudin, je te conseille d’en faire autant.

Je voulus l’arracher de mon épaule d’un geste rageur, mais elle s’envola juste avant.

Il y avait maintenant tellement de lucioles que le vallon ne pouvait plus être qualifié d’obscur. Il était baigné d’une lumière verte, radioactive, si intense qu’elle finit par me brûler les rétines. Et la conscience en prime.

 

* *

*

 

Le soleil. C’est la première chose qui me vint à l’esprit lorsque je me réveillai. Le soleil. Il existait encore. Il irradiait la chambre, le lit, mon corps en sueur entortillé dans les draps… Ces dernières heures avaient été marquées si fortement par l’empreinte de la nuit, de la lune et des étoiles que…

Tara !

Je me redressai. J’étais seul. Mes pensées étaient embrouillées. J’avais du mal à faire le tri entre les rêves et la réalité. La virée dans le vallon obscur, les torpédo-punch à la jetée promenade, le petit déjeuner à la Réserve avec son étonnant voilier en ciment érigé sur un rocher… Comme si le niveau de la mer avait brusquement baissé de plusieurs mètres. J’avais du mal à déterminer si tout cela s’était passé la nuit dernière ou un siècle plus tôt. Irrémédiables marées du temps…

Une douleur lancinante me vrillait le crâne. Je buvais trop et depuis trop longtemps… L’alcool avait peut-être fini par décoller les restes de vieux acides piégés dans des forêts de synapses.

Je me levai avec peine, allai ouvrir la porte. Je reconnus le couloir. J’étais bien dans l’hôtel particulier de… l’ex-mari de Tara ? Je n’en étais plus très sûr, c’est ce qu’elle m’avait dit, me semblait-il. Je me dirigeai vers la salle de bains. Tara y était peut-être et me rafraîchir ne me ferait de toute façon pas de mal.

Le sol tanguait légèrement. J’avais l’impression d’être sur le pont d’un navire.

 

Lorsque je pénétrai dans la salle de bains, j’eus l’impression de contempler les pièces d’un puzzle. Il y avait des choses que mon esprit s’attendait à trouver : le parquet en peuplier, la pièce d’eau qui se prolongeait sur la terrasse au-delà de la baie vitrée, l’alignement de pierres cendrées, et le jacuzzi juché sur son piédestal…

Mais il y en avait d’autres que le peu de cartésianisme qui me restait associait au monde du rêve ou plus précisément des cauchemars.

La baie vitrée était brisée et des cadavres de corbeaux aux corps transpercés d’éclats de verre ou complètement broyés, comme déchiquetés par une explosion, s’entassaient un peu partout… La pièce d’eau était rouge… Et…

La saignée du coude était appuyée contre le rebord du jacuzzi… L’avant-bras pendait mollement… Les doigts libéraient goutte à goutte des perles rouges que le soleil transmutait en rubis.

Je voulus gémir, puis hurler, mais ma gorge était si nouée que j’étais incapable d’émettre le moindre son.

Je m’approchai avec une lenteur infinie. Je voulais voir et surtout ne pas savoir.

Ses genoux étaient deux îles blanches crevant un océan de cire rouge. Plus loin émergeaient les épaules et le cou. Le visage, penché en avant, était à moitié masqué par ses cheveux. Un corbeau dont les pattes avaient été tranchées par un débris de verre était couché sur le côté, tout près de sa tête. Les plumes du corbeau et les cheveux de Tara étaient du même noir profond. Elle avait l’air de dormir, mais je savais qu’il n’en était rien. La voix de Syd s’insinua dans ma tête…

 

I knew it when I saw you

I felt it a little more when

I talked with you at first

All my blues dispersed

I couldn’t disguise

My complete surprise

When you were feeling it too

I’m in love with you, I’m in love with you…

 

Une journée.

On m’avait tout donné et on m’avait tout repris.

Je n’étais plus rien.

 

Le corbeau tourna lentement sa tête vers moi, comme une mécanique rouillée. Son bec s’ouvrit en grinçant et il éructa d’une voix de crécelle :

— Je t’avais prévenu, Jack. Tu aurais pu t’épargner ce triste spectacle… Qu’allons-nous faire, maintenant ?

 

* *

*

 

Elle avait glissé un billet dans la poche de mon jean. Je l’avais lu et relu, essayant de comprendre pourquoi. Mais je la connaissais si peu… Je ne savais même pas dans quelle direction chercher.

Je le froissai machinalement en le répétant mentalement pour la millième fois.

 

Jack,

Lorsque tu as croisé ma route, j’allais en finir. Tu m’as offert un sursis de quelques heures. La cigarette du condamné. La dernière et, j’en suis certaine, la meilleure… Je me souviens encore de toi au moment où j’écris ces lignes, mais ce ne sera peut-être plus le cas dans une heure, dans un jour, dans un mois, alors je préfère figer ce souvenir pendant qu’il en est encore temps. J’aimerais te dire de ne pas me suivre en Enfer, mais ça ne servirait à rien puisque je t’y ai déjà emmené. J’espère simplement que ta douleur ne sera jamais aussi forte que la mienne. Je t’aime…

 

Je m’étais un peu tenu à l’écart pendant l’enterrement. Je ne connaissais quasiment personne et je ne voulais pas discuter avec des inconnus. Fred avait vite compris que cette histoire m’avait terrassé car il ne me quittait plus. Il devait sentir que ma vie ne tenait plus que par un fil… J’étais en train de boire un café dans un bar près du cimetière, lorsqu’il me rejoignit en compagnie d’une jeune femme, blonde, d’une trentaine d’années environ.

— Je te présente Myriam, la sœur de Martial Klein, l’ex-mari de Tara. Elle aimerait bien discuter un moment avec toi.

Personnellement je n’en avais pas du tout envie, mais vu les circonstances, il m’était difficile de refuser. Je lui serrai la main et lui indiquai d’un geste la chaise voisine. Fred afficha un petit sourire pincé.

— Je vous laisse.

Myriam fit un peu bouger ses lèvres. Elle ne savait manifestement pas comment démarrer la conversation.

Je lui demandai si elle voulait boire quelque chose.

— Non, merci.

Elle se racla la gorge puis se lança.

— Je sais que le suicide de Tara vous a profondément affecté.

— Pourquoi, vous non ?

— Pardon ?

— Excusez-moi, je ne suis pas dans mon état normal…

— Je comprends… Vous vous demandez sûrement pourquoi je viens vous importuner alors que vous désirez vous recueillir seul.

— C’est un peu ça, en effet…

— Eh bien… J’ai pensé que vous aimeriez en savoir plus sur Tara.

Elle dut sentir que ma distance s’effritait car elle poursuivit d’une voix un peu plus assurée.

— Tara travaillait dans une unité de recherche en neuroscience qui dépendait en partie du CNRS. Je dirigeais et dirige toujours cette unité. Nous travaillons sur des mécanismes de localisation des souvenirs, pour essayer de guérir certaines amnésies ou pouvoir effacer certains blocs de mémoire en cas de traumatismes sévères. Nos souvenirs sont répartis un peu partout dans le cerveau, c’est ce qui nous permet de ne pas tout perdre lors d’un traumatisme cérébral ou d’un AVC, mais lorsqu’une personne fait travailler sa mémoire pour évoquer un souvenir précis, on a constaté une forte activité de l’hippocampe.

— Je ne vois pas où vous voulez en venir.

— Vous allez bientôt comprendre… Nous avons récemment découvert que cette activité intense signifiait que l’hippocampe récupérait les divers aspects d’un événement disséminé dans différentes régions du cerveau. Il y a alors émergence d’un souvenir dans un endroit localisé où il est possible de s’en occuper…

— Vos travaux ont l’air très intéressants, mais je n’ai vraiment pas la force et le temps de…

— Excusez-moi, je ne peux pas m’empêcher de m’étendre. On me l’a souvent reproché… J’en viens à l’essentiel : nous avons bien sûr expérimenté nos théories sur des animaux, mais tout ce qui touche aux souvenirs et plus précisément à la conscience de ces souvenirs…

— D’accord. Je commence à piger… Il vous fallait tester ça sur des humains.

— Exact. Mais trouver des cobayes est toujours compliqué, les procédures sont contraignantes, surtout lorsqu’il s’agit d’injecter des substances expérimentales dans le cerveau…

— Et Tara…

— … s’est portée volontaire, oui.

Je ne savais toujours pas où était réellement le problème mais j’en devinais l’inéluctable cheminement.

— Et ça s’est mal passé.

Elle acquiesça en pinçant les lèvres.

— On peut même dire que ça s’est très mal passé. Dans un premier temps, la procédure s’est impeccablement déroulée. Il faut dire que le souvenir ciblé était pour Tara une véritable obsession. Toutes les composantes mémorielles qui y étaient associées se sont condensées dans l’hippocampe, comme prévu. Le marqueur utilisé a fonctionné à merveille. On pouvait en faire ce qu’on voulait.

— Et alors ?

— Tara voulait s’en débarrasser, entièrement l’éradiquer. Et là nous avons eu un gros problème. Nous avons mal évalué le temps de condensation, et lorsque nous avons initié la procédure d’effacement, les données avaient recommencé à migrer vers les zones du cerveau où elles avaient été primitivement enregistrées. La procédure d’effacement s’est ainsi… propagée, contaminant des réseaux de neurones de plus en plus étendus… gommant des pans entiers de mémoire… Nous n’avons pas réussi à enrayer le processus, même après l’élimination de tous les produits d’injection…

J’étais de plus en plus effaré. Tara avait servi de cobaye à une expérience de merde qu’aucun humain sensé n’aurait acceptée.

— Vous l’avez tuée.

Myriam devint livide.

— Je redoutais cette réaction, mais vous ne pouvez pas dire ça. Elle avait déjà fait une tentative de suicide et elle tenait vraiment à éradiquer ces souvenirs. Si nous avions refusé sa proposition vous ne l’auriez peut-être même pas connue…

— Aurais-ce été un mal, ou un bien, pour elle comme pour moi ?

Myriam ne répondit pas. Elle n’avait certainement pas la réponse, et moi non plus. Mais ce qu’elle ajouta me sidéra.

— Nous pensons que la procédure est maintenant au point. Nous avons toujours besoin de… volontaires. Et nous avons pensé que vous seriez prêt à tenter l’expérience.

D’accord, je comprenais mieux… Elle m’avait déballé tout ce baratin pour en arriver là !

— Je crois que vous m’avez mal évalué. Cette situation est pour moi difficilement supportable, certes, mais je n’ai pas envie d’effacer Tara de ma mémoire.

— Ce n’est pas exactement en ces termes que fonctionnerait le deal.

Cette fille me déplaisait de plus en plus, et j’avais envie de la voir partir le plus vite possible… mais je sentais qu’elle me piégeait. Qu’elle m’avait déjà piégé.

Je baissai le regard et vis qu’une araignée s’approchait de notre table. Elle avait l’allure d’une mygale obèse. Elle s’arrêta à quelques centimètres de mon pied, leva la tête vers moi et remua ses pédipalpes. Je fus instantanément persuadé qu’elle allait me parler. M’ordonner de ne pas écouter ce qu’allait me proposer Myriam… Je l’écrasai sauvagement du pied.

Myriam n’avait rien remarqué et s’était remise à parler.

— Pendant la phase de condensation hippocampique vous revivez vos souvenirs en temps réel.

Elle ne dit rien d’autre et me laissa mariner dans mon jus.

— Vous voulez dire que…

Elle acquiesça.

— Je crois que vous avez bien compris. Le contrat est simple : vous revivez vos souvenirs, puis vous nous les confiez. Alors ?

Je ne répondis pas tout de suite, mais il m’était impossible de refuser.

 

* *

*

 

On venait de me faire une piqûre.

— Cette injection va vous plonger dans un état intermédiaire entre l’hypnose et le sommeil. Vous n’aurez plus aucune conscience de l’univers « réel », mais vous ne serez pas vraiment en train de dormir. S’il y a un problème, nous nous débrouillerons pour vous faire passer une information.

Mes pensées s’effilochaient. Je sentais que je n’allais pas tarder à partir. J’eus alors une désagréable sensation de déjà-vu.

— J’ai l’impression d’avoir déjà vécu cette scène, dis-je tout en pensant « Myriam va dire : Merde, c’est pas bon du tout ! ».

Myriam se pencha sur moi en faisant une grimace.

Et je l’entendis grommeler du fond d’un entonnoir de coton : « Merde, c’est pas bon du tout ! »

 

* *

*

 

Elle paraissait venue de nulle part. Je jetai un œil à la passerelle de lumière qui enjambait les flots comme si j’allais y trouver un indice pouvant expliquer sa soudaine présence.

Elle portait un pantalon noir, moulant, un T-shirt kaki avec de fines bretelles. Elle avait les cheveux noirs, longs et bouclés et les yeux noisette. Elle semblait planer à quelques centimètres du sol. Elle m’a regardé. Probablement parce que je la regardais.

Et elle est venue vers moi.

Je n’aurais probablement jamais dû lui parler.

— Vous cherchez quelqu’un ?

— Oui, vous.

— Ça m’étonnerait…

Elle ne souriait pas. Elle n’était ni sérieuse ni triste. Elle était… ailleurs.

— Où êtes-vous ?

— Je ne sais pas. Et vous ?

 

Je ne sais plus.

 

 

 

 

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