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Le lendemain…

L’Océan plongea avec Onodera, Tadokoro et Yukinaga à bord. Ils voulaient atteindre le fond de la fosse du Japon. Le bathyscaphe commença à s’enfoncer doucement à la vitesse de quatre kilomètres à l’heure.

A cent mètres au-dessous du niveau de la mer, l’eau ne bougeait presque plus.

A sept cents mètres, la clarté près des hublots, vaguement bleue, disparut.

A mille mètres, c’était déjà un monde parfaitement obscur, l’intérieur du bathyscaphe se refroidit.

A mille cinq cents mètres, Onodera alluma les phares. Parfois des poissons de forme bizarre défilaient devant leurs yeux.

« Trois mille mètres, dit Onodera. A notre gauche commence la pente de la fosse. Distance, onze kilomètres. Inclinaison, vingt-cinq degrés. »

A quatre mille cinq cents mètres, la température intérieure était de 16° ; celle de l’eau, de 3°. Le manomètre indiquait 420 de pression atmosphérique.

A cinq mille mètres, en entendant de petits bruits, Yukinaga promena des regards inquiets autour de lui.

« Ce n’est rien, dit Onodera en devinant les pensées de Yukinaga. Les éléments de nos appareils qui sont fixés aux parois se contractent à basse température.

Dois-je allumer le chauffage ?

— Non, répondit Tadokoro. Atteindrons-nous bientôt le fond ?

— Profondeur : cinq mille sept cents mètres, annonça Onodera, à mille neuf cent cinquante mètres du fond… »

La température de l’eau était tombée à 1,8° et à 13° à l’intérieur. Depuis le début de l’opération, une heure et quarante-deux minutes s’étaient déjà écoulées.

A sept mille mètres, Onodera lâcha du lest pour diminuer la vitesse de plongée. Mais au même moment, l’Océan fut fortement secoué sous l’effet de chocs contre ses flancs. La proue fut déplacée de plus de vingt degrés sur la gauche, puis de trente degrés sur la droite.

« Qu’est-ce que c’est ? demanda vivement Yukinaga. Un accident ?

— Non, répondit Onodera calmement. Il me semble qu’il s’agit d’un courant sous-marin…

— A un endroit aussi profond ? demanda Tadokoro. Comment a-t-il pu être aussi violent ? Pour quelle raison ?

— Je ne comprends pas. J’ai déjà vu ça, mais c’est la première fois qu’il s’agit d’un courant d’une telle intensité. Il filait plus de trois nœuds et demi.

— Tant que ça… dit Yukinaga, comme s’il ne pouvait y croire. Existe-t-il des courants aussi rapides à une profondeur de sept mille mètres ?

— Je l’ignore… Mais c’est déjà fini. Cela s’est déroulé sur une dénivellation d’environ cent cinquante mètres. Quatre cents mètres du fond… cinquante mètres… Maintenant, nous avons atteint le fond de la fosse… Profondeur, sept mille six cent quarante mètres, ajouta Onodera d’une voix rauque.

— Regardez ! » dit Tadokoro en montrant un endroit.

Yukinaga regarda à son tour. Ils aperçurent de nombreuses traces ondulées. « Je pense qu’un courant très violent a récemment parcouru le fond d’ouest en est, dit Yukinaga. Les anciennes marques vont du sud au nord et elles se voient encore là-bas… »

De plus, ils virent des fossés larges de sept à huit mètres qui s’étendaient à perte de vue d’ouest en est. Quelque chose d’inconnu et de gigantesque avait bougé en ce fond marin…

Ils avancèrent d’environ deux kilomètres en suivant un fossé à la vitesse de trois nœuds. La largeur du fossé avait doublé.

« Nous sommes descendus jusqu’à sept mille neuf cents mètres, dit Onodera. Le fond est plus incliné.

— L’eau est trouble », fit Tadokoro.

En effet, il devenait de plus en plus difficile d’y voir quelque chose, surtout le fond.

L’Océan a vança encore de trois kilomètres. Il restait toujours à soixante mètres du fond, mais on ne voyait pas à plus de dix mètres. Trois heures s’étaient déjà écoulées depuis le début de la plongée. Ils lancèrent une fusée éclairante.

« !... » Ils étaient trop surpris pour prononcer un seul mot.

A leurs yeux était apparue une chaîne de montagnes de boue jaune et grise, comme une masse de nuages.

Onodera lança une deuxième fusée éclairante et actionna la détection sonore. A sa grande stupéfaction, il constata que le fond qu’il imaginait à soixante mètres au-dessous du bathyscaphe n’était qu’une masse de boue, et découvrit le vrai fond, bien plus bas, à cent mètres au-dessous. Plongeant encore de cinquante mètres, ils recueillirent un peu d’eau de mer.

Onodera lança une troisième fusée éclairante.

L’Océan reçut un choc formidable sur le côté.

(Tremblement de terre ? songea Onodera. Ce serait ma première expérience à cette profondeur…)

Contrairement à son habitude, Tadokoro s’écria vivement : « C’est un courant mêlé de boue !

— Mais… fit Yukinaga, à un niveau aussi profond ?

— Remontons, dit Onodera. La surface de la mer aussi commence à s’agiter… »

Pour alléger l’Océan, il lança les trois fusées éclairantes qui restaient. Il se sentit glacé jusqu’aux os en comparant ce mur d’eau énorme, noir et monstrueux, à l’infime existence de l’homme et à ses connaissances minuscules. Les deux autres, saisis par la même pensée, fixaient le hublot, suffoqués, immobiles dans l’obscurité.

Que se passait-il là-haut ?