Porter suivit Nikki du regard. Pourquoi cette subite volte-face ? Alors qu’elle était en train d’admirer les souvenirs des anciens habitants de Sweetness dans la salle des objets trouvés, elle s’était enfuie, sans raison apparente. Quelle mouche l’avait donc piquée ?
Il pensa de nouveau au coup de téléphone qu’elle avait passé ou reçu en haut du château d’eau, tout à l’heure. La situation avait-elle changé à Broadway ? Quelqu’un, là-bas, voulait-il qu’elle revienne ?
Il tourna la tête vers les meubles de sa mère où il puisa comme toujours force et confiance. Oui, ses frères et lui parviendraient à ressusciter Sweetness et à faire revenir leur mère là où elle avait rencontré son mari, élevé ses enfants, enterré des membres de sa famille — y compris son époux. Il ne reculerait devant rien pour réussir. Ce qui signifiait, dans un premier temps, convaincre toutes ces femmes venues de Broadway de rester à Sweetness.
Toutes, y compris le Dr Salinger.
Elle l’attendait dehors, bras croisés sur la poitrine, le regard braqué vers l’horizon, loin de Sweetness visiblement. Elle portait toujours la chemise qu’elle lui avait empruntée. Dieu qu’elle lui allait bien !
— J’appelle le mécanicien, annonça-t-il.
— Parfait, approuva-t-elle d’une voix flûtée.
Quelqu’un se souciait-il de la douleur qui, comme une rage de dent, lui vrillait la jambe ? pesta-t-il intérieurement en tapant le numéro de Kendall.
— Porter ? répondit ce dernier. Où es-tu ? Pourquoi n’es-tu pas en train de nous aider à préparer cette fichue réunion dans laquelle tu nous as embarqués ?
— Je téléphone au sujet de la camionnette du Dr Salinger, répondit Porter en surjouant la politesse pour avertir Kendall de son stratagème.
— Oh ! Je parie que le Dr Salinger se trouve à côté de toi.
— Exactement.
— Tu fais pitié, mon pauvre vieux.
— Peu importe, du moment que vous la réparez.
Kendall ne put s’empêcher de rire.
— J’ai l’impression que cette femme te mène par le bout du nez.
Porter se crispa mais continua son manège.
— Tenez-moi au courant.
Et il raccrocha avant que sa colère ne l’amène à se trahir.
— Qu’a dit le mécanicien ? demanda Nikki d’une voix pleine d’espoir.
Porter hésita. Si elle tenait tant à rentrer chez elle, ne devrait-il pas rebrancher la pompe d’alimentation et la laisser partir ? De toute façon, elle allait gaspiller son talent et ses compétences dans une ville comme Sweetness où l’essentiel de son travail consisterait à soigner des déchirures musculaires et des piqûres d’insectes.
Seulement voilà, ses frères et lui s’étaient fixé un gigantesque défi, et que cela lui plaise ou non, il devait se rendre à l’évidence : cette femme représentait la cheville ouvrière de leur entreprise. Donc…
— D’après lui, le problème vient de la pompe d’alimentation, répondit-il.
— Et ?
— Et… il faut… qu’il en commande une neuve.
— Une pompe d’alimentation neuve ? répéta-t-elle pensivement. Combien de temps cela prendra-t-il ?
— Je ne sais pas. Quelques jours peut-être.
— Ils vont l’envoyer ?
— Oui.
Elle regarda autour d’elle.
— Où se trouve le bureau de poste ? demanda-t-elle.
— Euh… En fait, on ne nous a pas encore attribué de code postal.
— Alors comment pourra-t-on recevoir la pièce ?
— Je m’en occupe ! promit-il avec jovialité. Vous m’avez remis en état, je remettrai votre camionnette en état.
Loin d’être convaincue par cette déclaration, Nikki sembla réfléchir à d’autres solutions. Sans résultat. En désespoir de cause, elle changea de sujet.
— Vous devriez avaler quelque chose, ce n’est pas bon de rester avec l’estomac vide, déclara-t-elle avec une autorité toute professionnelle.
Là-dessus elle l’abandonna et prit la direction du foyer.
Porter étouffa les quelques scrupules qu’il éprouvait à l’avoir trompée. Après tout, personne ne l’avait forcée à répondre à leur petite annonce. Sa décision avait certainement été motivée par un événement grave. Si elle restait ici assez longtemps, peut-être finirait-elle par se rappeler ce qui l’avait poussée à venir. Il allait laisser faire le temps.
— N’oubliez pas la réunion publique ! lui cria-t-il.
L’avait-elle entendu ? Mystère. Toujours est-il qu’elle ne répondit pas.
Le front soucieux, il rebroussa chemin vers le réfectoire. Il y trouva Molly, debout devant une fenêtre, en train d’examiner à l’aide d’une loupe la montre en argent qu’elle venait d’astiquer.
— Alors ? Des indices sur l’identité de son propriétaire ? lui demanda-t-il.
— Des initiales. Deux « C » et un « A », je crois. Mais j’hésite pour la dernière. Dis-moi ce que tu lis.
Mettant ses béquilles sous ses aisselles, il prit la loupe pour observer le bijou dans la paume de la main de Molly.
— On dirait un « W », mais je n’en mettrais pas ma main au feu.
Il émit un petit sifflement admiratif tout en caressant du doigt l’argent finement travaillé.
— En tout cas, elle est belle.
— Oui, elle est magnifique, renchérit Molly. J’espère que nous pourrons un jour la remettre à qui de droit. A propos de beauté, où est passée le Dr Salinger ?
— Je crois qu’elle m’a assez vu, répondit-il en feignant d’être désolé. Et qu’elle a aussi eu son compte de la ville. Elle a décidé de retourner là d’où elle vient dès que sa camionnette sera réparée.
— Ah bon ? Dommage. Elle semblait pourtant avoir la tête sur les épaules. Exactement le genre de personnes dont nous avons besoin ici.
— C’est vrai. Cela dit, je ne la qualifierais pas vraiment de « beauté ».
Molly secoua la tête avec consternation.
— Ouvre les yeux, soldat ! Cette femme possède le style de beauté dont un homme ne se lassera jamais.
— Qui te dit que je ne cherche pas le style de femme dont je me lasserai rapidement ? répliqua-t-il.
— Je m’abstiendrai de rapporter ce commentaire à ta mère pour t’éviter une taloche bien méritée.
— Excuse-moi, marmonna-t-il entre ses dents, la mine contrite. Ma jambe me fait horriblement mal et je meurs de faim. La petite toubib me conseille de ne pas avaler mes antidouleurs avec l’estomac vide. Tu ne peux pas me dépanner ?
— Les repas sont à heure fixe ici. Je ne suis pas à votre disposition vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Il inclina la tête sur le côté avec un sourire charmeur.
— Tu n’aimerais pas être la seule femme de cette ville à me causer de la peine ?
— Bon. Je suppose que je peux préparer une petite omelette.
— Tu es une bonne fille, Molly.
— Pas d’impertinence, soldat !
Porter se redressa et effectua un salut militaire dans les règles qui lui valut un sourire bienveillant.
Par la fenêtre, il aperçut la frêle silhouette de Nikki qui marchait vers le foyer, d’un pas lourd, comme si elle portait le poids du monde sur ses épaules.
Sans le savoir, elle portait en tout cas le destin de Sweetness sur ses épaules, songea-t-il.
* * *
Tandis que Nikki triait distraitement son matériel médical, des images de Darren et de sa jeune stripteaseuse de fiancée enlacés dans toutes sortes de positions plus acrobatiques les unes que les autres venaient la tourmenter. Si Darren et elle n’avaient jamais mis le feu aux draps durant leurs ébats, leur vie sexuelle l’avait cependant comblée, et elle avait cru qu’il en allait de même pour lui.
De toute évidence, elle s’était trompée.
Les larmes lui montèrent aux yeux. Au loin, elle entendait les voix et les rires de ses compagnes dans la cuisine, le ronronnement des machines à laver qui tournaient à plein régime… Toute une animation dont elle se sentait exclue. Comment en était-elle arrivée là ? Elle était allée d’un échec à l’autre, fuyant un lieu pour être piégée dans un autre. C’était pathétique.
Elle tressaillit en entendant quelqu’un qui venait.
Elle s’essuya vivement les yeux.
Rachel. Il ne manquait plus que cette femme belle et provocante pour achever de lui saper le moral… Elle domina sa contrariété. Rachel n’y était pour rien.
— Je te dérange ?
— Non, entre. Tu as utilisé tout le Benadryl ?
Les femmes — elle comprise — étaient dévorées par les insectes et souffraient d’allergies diverses. Pendant toute la matinée, elle avait distribué pommades et antihistaminiques. Pas exactement la vie dont elle avait rêvé pendant ses études de médecine…
— Non, ça va, répondit Rachel en grattant distraitement ses bras criblés de marques de piqûres. Je suis seulement venue te chercher pour la réunion.
— Ah. Oui. La réunion.
Elle hésita un instant.
— Je n’y vais pas, finit-elle par avouer.
Rachel fronça les sourcils et l’observa avec attention.
— Pourquoi ? demanda-t-elle.
Devait-elle lui révéler qu’elle ne comptait pas s’éterniser à Sweetness ? Pour essuyer un feu roulant de questions et devoir se justifier ? Non merci ! Ses compagnes avaient sans aucun doute téléphoné à leur famille et à leurs amis à Broadway. La nouvelle des fiançailles de Darren s’était sûrement répandue. Les filles concluraient qu’elle rentrait pour tenter de récupérer son homme et jugeraient sa démarche pitoyable.
En fait, la vérité se révélait plus pitoyable encore : ce trou perdu, avec ses grands projets, l’effrayait davantage que la perspective des mauvais souvenirs qui l’attendaient à Broadway.
— Je… j’ai du travail, c’est tout, laissa-t-elle tomber.
Mais même à ses propres oreilles, l’excuse lui parut peu convaincante.
— Nikki, nous avons besoin de vous pour poser les bonnes questions et nous soutenir. Nous voulons nous assurer que cette ville va réellement s’équiper au niveau médical.
Rachel avait raison, reconnut-elle. Et puis, même si elle s’en allait, son remplaçant devrait pouvoir exercer son métier dans les meilleures conditions possibles. Elle ne souhaitait pas relever le défi, c’était son droit, mais elle se devait d’aider à préparer sa succession. En prononçant le serment d’Hippocrate, elle s’était engagée à agir en tant que citoyenne responsable et à protéger la santé de ses congénères.
En outre, qu’avait-elle de mieux à faire à cet instant ?
* * *
Dans le réfectoire où se tenait la réunion régnait une atmosphère où se mêlaient impatience et méfiance. Les femmes commençaient à souffrir du manque de confort et de l’absence de magasins. Le climat, les insectes et les divergences de vue avec les hommes célibataires dont on leur avait promis qu’ils les accueilleraient à bras ouverts, n’arrangeaient rien.
Marcus Armstrong ouvrit la séance en décrivant le Sweetness de leur enfance, tel que ses frères et lui l’avaient connu. Il projeta sur un grand écran blanc suspendu au plafond des photographies du quotidien de la petite ville à cette époque. Les gens y apparaissaient simples et heureux. L’Amérique profonde sous son meilleur jour : celle des tournois de football lycéens, des parades du 4 Juillet, des concours du plus gros mangeur de pastèques…
— Mais, économiquement, la ville déclinait, expliqua Marcus. A cause de son isolement, les jeunes partaient en masse. Devant cette hémorragie démographique, les compagnies de télécommunications ont renoncé à investir, aggravant encore la situation. En s’abattant sur nous il y a dix ans, la tornade a porté le coup de grâce à notre ville.
Des réactions horrifiées accueillirent les clichés des dégâts causés par l’ouragan.
Nikki sentit son cœur se serrer. On ne reconnaissait pratiquement rien. La ville avait été réduite à un tas de gravats.
— Le gouvernement fédéral a déclaré l’état de catastrophe naturelle mais les subventions octroyées pour les travaux n’ont pas suffi, reprit Marcus. Les autorités de Géorgie manquaient des moyens financiers nécessaires pour construire de nouveaux établissements scolaires. Alors, les habitants et les chefs d’entreprise sont partis en abandonnant leurs biens.
Nikki pensa à la salle des objets perdus que Porter lui avait montrée. Rien d’étonnant à ce que les gens n’aient pas récupéré leurs affaires dans ce chaos ! Pas étonnant non plus qu’ils aient décidé d’aller tenter leur chance ailleurs.
— Quelques années plus tard, l’Etat fédéral a posé un droit de préemption sur la montagne et a laissé la nature reprendre ses droits, poursuivit Marcus. Des incendies se sont déclarés qui n’ont pas été maîtrisés et ont encore accru l’inhospitalité des lieux. Il y a quelques mois, le gouvernement a fini par nous accorder des fonds, à mes frères et moi, pour que nous défrichions et bâtissions une ville verte avec un budget équilibré. Nous disposons de deux ans pour atteindre les objectifs qui nous ont été fixés et, pour le moment, tout laisse à penser que nous sommes en passe de réussir le pari.
Kendall Armstrong prit le relais pour présenter leur projet d’ensemble basé sur le recyclage et les énergies alternatives — et Nikki fut surprise d’apprendre qu’il avait une maîtrise en ingénierie environnementale. Les entreprises, les écoles, les bâtiments municipaux et les usines fonctionneraient à l’énergie solaire et, dans le pré où s’était déroulé le barbecue, seraient plantées des éoliennes. Afin d’encourager l’achat de véhicules hybrides et électriques, des bornes de chargement seraient installées en nombre. Des dessins en trois dimensions permettaient à l’assistance de visualiser la future ville.
— Pour le moment, expliqua Kendall, comme nous jugeons le diesel préférable à l’essence, nous utilisons ce carburant dans tous nos véhicules. Pour l’électricité et l’eau, nous nous sommes équipés de systèmes permettant d’en économiser la consommation. En résumé, nous mettons en pratique ce que nous prônons.
Kendall passa alors la parole à Porter, qui tenait le rôle du commercial dans le trio. Il en avait incontestablement la fibre, se dit Nikki, mais elle fut malgré tout surprise par son aisance quand il présenta sa vision, celle d’une ville devenant une destination touristique pour les amoureux de la nature.
— Nous voulons que le nom de Sweetness évoque quelque chose de précis aux consommateurs, dit-il. Si nous parvenons à les intéresser à nos produits recyclés, à nos arbres et nos rivières, nous pourrons peut-être alors les éduquer dans ce sens.
Marcus, l’homme d’affaires, monta de nouveau au créneau pour expliquer que la ville allait se constituer en société, avec tous les habitants intéressés aux bénéfices.
— Nous vous offrons le gîte et le couvert pendant deux ans, ainsi que tous les articles de première nécessité. En échange de quoi, vous participerez selon vos compétences au développement de la cité pour le bien de tous.
— C’est l’occasion de prendre une part active à la construction du lieu où vous résiderez et où vous élèverez vos enfants, renchérit Kendall.
— Sweetness sera une véritable entreprise coopérative, enchaîna Porter. Mais nous ne pouvons atteindre cet objectif sans vous.
Il dirigea alors son regard droit sur Nikki, la clouant sur place avec ses incroyables yeux bleus.
— Sans vous toutes, précisa-t-il.
Nikki n’aurait pas été étonnée d’entendre de la musique démarrer. Les frères Armstrong, animés par leur foi dans ce projet, avaient réalisé une prestation très impressionnante. Il n’en restait pas moins qu’il y avait encore loin de leur rêve à la réalité. A en juger par la tiédeur des applaudissements, les autres femmes partageaient cet avis.
— Je n’ai pas vu de policiers ! cria une des femmes. Sommes-nous en sécurité ici ?
— Où peut-on se connecter à internet ? demanda une autre. A moins de posséder un smartphone, ce n’est même pas la peine d’essayer.
— Et le câble ?
— Où se trouve l’épicerie la plus proche ?
— Et le centre commercial ?
— Et l’animalerie ?
— J’ai été obligée de prendre une douche froide ce matin.
— Comment peut-on se débarrasser de cette poussière rouge ?
— Fait-il toujours aussi chaud ?
— Fait-il toujours aussi humide ?
— Vous pouvez chasser les insectes ?
Les frères Armstrong semblaient prêts à s’enfuir. D’un geste du bras, Marcus obtint le silence.
— Mesdames, nous n’avons pas encore réussi à régler l’ensemble des problèmes, mais nous ne demandons pas mieux que de réfléchir avec vous à des solutions, en commençant par ce qui vous semble prioritaire.
Rachel, qui était assise à côté de Nikki, se leva.
— En quelque sorte, vous nous demandez de vous signer un chèque en blanc.
— Oui, d’une certaine façon, dit Marcus avec un hochement de tête.
— J’aimerais savoir ce qu’en pense le Dr Salinger, poursuivit Rachel en se tournant vers Nikki.
Nikki vit avec horreur tous les regards converger vers elle. Rachel s’assit et la poussa du coude pour l’encourager à se lever. De mauvaise grâce, elle s’exécuta. Son cœur battait la chamade. Elle avait la tête vide. Porter Armstrong la fixait, l’implorant silencieusement de donner son aval à leur projet.
Elle se mit à transpirer à grosses gouttes et passa sa langue sur ses lèvres sèches. Pourvu qu’elle parvienne à aligner deux phrases cohérentes !
— Ce que les frères Armstrong essaient de réaliser ici m’impressionne beaucoup. Cela dit, moi aussi je nourris des doutes sur leur capacité à répondre aux besoins quotidiens. L’absence d’installations médicales dotées de personnel est particulièrement préoccupante.
Tout en parlant, elle évitait soigneusement de croiser le regard de Porter, toujours braqué sur elle.
— Pour être parfaitement honnête, j’avoue craindre que votre attachement sentimental au cadre de votre enfance ne brouille votre jugement et n’occulte les centaines, voire les milliers, de mesures que vous devrez prendre pour transformer Sweetness en un lieu sûr et agréable à vivre.
Des murmures et des hochements de tête approbateurs saluèrent son discours.
— Docteur Salinger…
La voix grave de Porter domina le brouhaha.
— Docteur Salinger, pourquoi êtes-vous venue ici ?
Le silence s’abattit de nouveau dans la salle. Nikki s’empourpra. Tant de femmes, dans l’assistance, savaient qu’elle s’était exilée ici pour fuir un fiancé infidèle ! Mais il était hors de question qu’elle l’avoue ouvertement, surtout à Porter Armstrong !
— Comme votre annonce l’indiquait, pour changer de vie, respirer une bouffée d’air frais, répondit-elle d’une voix qu’elle espéra suffisamment maîtrisée pour donner le change.
Porter hocha lentement la tête avant de descendre laborieusement de l’estrade et de traverser la salle, les yeux de tout l’auditoire rivés sur lui. Et à juste titre ! Sur son torse musclé, son T-shirt était tendu à craquer. Son jean descendait bas sur ses reins. Lorsqu’il atteignit la porte, il ouvrit grand les deux battants avec sa béquille. Le soleil inonda aussitôt la pièce. Porter, les yeux fermés, inspira à fond avec une expression de profonde béatitude. Puis il expira bruyamment et ouvrit les yeux.
— L’air ne sera jamais plus frais que ça, dit-il.
Nikki retint un sourire. Ce monsieur savait ménager ses effets. Son sens indéniable de la mise en scène avait d’ailleurs opéré sur la majorité des femmes qui, les lèvres entrouvertes, le regardaient avec des yeux humides et, si Nikki en jugeait par son propre cas, le cœur battant.
Rachel se leva de nouveau.
— Avant de rendre notre verdict, nous aimerions pouvoir discuter entre nous.
Après s’être consultés rapidement du regard, les trois frères sortirent, suivis par les quelques hommes qui étaient venus assister à la réunion. Avant de partir, Porter fixa Nikki droit dans les yeux. Elle détourna la tête.
Dès que la porte se fut refermée, un débat animé mais respectueux s’instaura entre les femmes, débat durant lequel Nikki garda le silence. Elle regrettait d’être venue à la réunion. De quel droit aurait-elle exprimé son point de vue alors qu’elle comptait s’en aller ?
— Personnellement, je fais confiance au Dr Salinger, déclara Traci Miles avant de s’adresser directement à Nikki. Je me rangerai à ta décision.
— Pareil pour moi, renchérit une autre femme. Si le Dr Salinger reste, je reste aussi.
A la stupéfaction de Nikki, la plupart des femmes se rallièrent à cette position.
— On dirait que notre sort dépend de toi, Nikki, conclut Rachel. Devons-nous rester ou partir ?