Au côté de Porter, Nikki montait les marches du perron d’une adorable maisonnette jaune. Son cœur battait la chamade.
Etait-ce la perspective de rencontrer la mère de Porter qui expliquait sa nervosité ? Non, voyons ! Alors, elle ne voyait qu’une seule raison : son impatience à lui remettre l’alliance.
— Je vous préviens, elle risque de fondre en larmes, la prévint Porter au moment où il se préparait à frapper.
Avant qu’elle n’ait le temps de réagir, la porte s’ouvrit d’un coup sur une femme au visage angélique, rond et chaleureux.
— Porter ! s’exclama-t-elle.
Mais lorsqu’elle aperçut son plâtre, son sourire s’évanouit.
— Mon Dieu ! Qu’est-ce que tu t’es fait ? demanda-t-elle avec une mine consternée.
— Juste un petit bobo, maman, assura-t-il en se penchant pour la serrer dans ses bras.
— Comment est-ce arrivé ? insista-t-elle alors qu’elle l’étreignait à l’étouffer. Et pourquoi ne m’a-t-on pas informée ?
— Parce que cela ne valait pas la peine de t’inquiéter et d’assombrir ton beau visage.
Nikki, tout en observant d’un œil amusé les retrouvailles entre la mère et le fils, remarqua que la voix de Porter s’était adoucie jusqu’à prendre une tonalité qu’elle n’avait jamais entendue chez lui auparavant et… qu’elle apprécia.
Lorsque Porter s’écarta enfin, sa mère continua à le manger des yeux comme si elle ne pouvait se rassasier de sa vue. Puis, brusquement, elle se tourna vers elle.
— Aurais-tu oublié les bonnes manières que je t’ai enseignées, mon fils ? Qui est cette jolie jeune femme qui t’accompagne ?
Nikki rougit à la pensée de ce que Mme Armstrong imaginait peut-être.
— Maman, je te présente le Dr Nikki Salinger, le nouveau médecin de Sweetness. Nikki, ma mère, Emily Armstrong.
Nikki tendit la main, mais Emily, ignorant son geste, la prit dans ses bras pour la serrer contre sa poitrine. Surprise, Nikki jeta un coup d’œil à Porter par-dessus l’épaule de Mme Armstrong. Il s’amusait visiblement de la scène ! Comme elle, l’instant d’avant.
Lorsqu’elle la libéra enfin, Emily lui adressa un sourire si affectueux que Nikki ressentit avec une acuité terrible le vide affectif dans lequel elle avait passé son enfance. Jamais sa mère ne lui avait témoigné la moindre marque d’amour…
— Comme vous êtes belle ! s’extasia Emily. Et médecin en plus ? Votre mère doit en concevoir une immense fierté !
— Maman…, intervint Porter.
— Oui, murmura Nikki dans un sourire. Elle est très fière.
— Mais les mouches profitent de la porte ouverte pour nous envahir ! Entrez ! Vous allez bien prendre un verre de thé. Essuie-toi les pieds, Porter !
— Oui, maman, répondit-il, jouant au petit garçon modèle avec un coup d’œil complice à Nikki.
Nikki, sous le charme de cette femme pleine d’allant, entra, suivie par Porter sur ses béquilles.
— Comme ma sœur Elaine est prise à la bibliothèque aujourd’hui, la maison est à nous, leur expliqua Emily. Comment buvez-vous votre thé, ma petite ?
— Sans sucre, s’il vous plaît.
— Sans sucre ? De quelle partie du Nord venez-vous ?
— Du Michigan.
Emily hocha la tête d’un air entendu.
— Il me semblait bien avoir détecté un accent. Venez vous asseoir dans le salon, leur proposa-t-elle en les poussant vers une petite pièce agréable, meublée de deux larges causeuses capitonnées disposées de part et d’autre d’une table basse de bois. Installez-vous. Je reviens avec le thé.
Dans les alcôves étaient encastrées des étagères blanches croulant sous les livres et les photos, dont l’une en particulier accrocha le regard de Nikki : celle de trois solides adolescents au sourire radieux et aux yeux d’un bleu intense. Le plus jeune présentait une fossette au menton… Impulsivement, elle promena son doigt sur le bord du cadre en argent.
— Ce sont vos frères et vous ? demanda-t-elle en levant la tête vers Porter.
— Oui. Une des rares photos qui ait échappé à la tornade.
A la vue de Porter enfant, elle se sentit gagnée par un trouble inattendu. Elle ne voulait rien apprendre de plus sur cet homme. Elle ne voulait pas s’attacher à sa mère. Ne voulait pas s’attacher à…
Elle se détourna résolument de la photo.
— Croyez-vous vraiment que nous avons le temps de prendre un thé ? lança-t-elle vivement en se tournant vers Porter. Il ne faudrait pas que vous manquiez votre rendez-vous.
— Quel rendez-vous ? s’enquit Emily qui revenait avec un plateau et trois verres de thé.
Porter s’agita sur ses béquilles.
— Avec un spécialiste à Atlanta, juste pour passer une radio et m’assurer que ma jambe guérit normalement, répondit-il très vite.
Après avoir déposé son chargement sur la table basse, Emily se tourna vers Nikki.
— C’est à votre initiative, ma petite ?
— Oui, en effet. Par simple mesure de précaution.
— Ainsi vous l’avez pris sous votre aile ?
Gênée par l’ambiguïté de la question, elle appela Porter à la rescousse, du regard…
— Oui, le Dr Salinger m’a pris sous son aile, confirma gaiement Porter, s’attirant un coup d’œil meurtrier qu’il ignora superbement.
— Merci d’avoir soigné mon petit garçon, dit Emily avec chaleur.
— De rien, murmura Nikki en désespoir de cause.
— Cette jeune femme a raison, Porter, il ne faut surtout pas que tu arrives en retard à ta consultation. Mais tu vas quand même prendre le temps de t’asseoir deux minutes avec ta mère autour d’un verre de thé.
Porter haussa un sourcil interrogateur vers Nikki, qui donna son accord silencieux avant de prendre place sur le bord d’une des causeuses. Après tout, ils devaient lui remettre l’alliance. Un moment qu’elle craignait à présent, car la perspective d’assister à une scène aussi intime l’effrayait ; elle se sentait… tellement fragile émotionnellement. Après les heures passées en voiture à quelques centimètres de Porter, elle avait les nerfs — ou plutôt les sens — à vif. Impossible d’ignorer l’attirance qu’exerçait sur elle son corps puissant et musclé, la chaleur qui s’en dégageait, son odeur. Mais ce n’était rien à côté du frôlement de son genou contre le sien lorsqu’il s’assit sur la causeuse !
D’autant plus que Emily les observait avec l’œil perçant d’une maman faucon.
— Sans sucre pour vous, Nikki, c’est bien ça ? s’assura cette dernière en lui tendant un verre de thé. Avec, pour toi, Porter.
— Merci, dit Nikki, qui but une gorgée en espérant que la boisson fraîche la calmerait et… ferait baisser sa température intérieure de quelques degrés.
— Etes-vous l’une des futures mariées, ma petite ? demanda soudain Emily d’un air ingénu.
Nikki faillit avaler de travers.
— Les futures mariées ? finit-elle par demander quand elle eut repris ses esprits.
— Oui. Une des femmes qui sont venues à Sweetness en quête d’un mari, précisa Emily.
Nikki chercha ce qu’elle pourrait répondre, mais en vain ; aucun mot ne vint à son esprit, aucun son ne sortit de sa bouche. Heureusement Porter, plus maître de ses émotions, vola à son secours.
— Voyons, maman, les jeunes femmes qui ont répondu à l’annonce ne cherchent pas spécialement à se marier. Pas toutes, en tout cas.
Il dut s’éclaircir la voix avant de poursuivre :
— Le Dr Salinger est venue exercer son métier et, parallèlement, elle participe à la mise sur pied du centre médical. Elle a apporté une contribution inestimable à notre projet.
Un large sourire illumina le visage d’Emily Armstrong.
— Ah ! Si je comprends bien, vous aidez mes garçons à reconstruire Sweetness. C’est une ville très chère à mon cœur, vous savez, ajouta-t-elle avec une soudaine mélancolie, les yeux humides. J’y ai tellement de bons souvenirs ! Et, bien sûr, mon Alton y est enterré.
Elle marqua un petit silence avant de conclure, tête inclinée sur le côté :
— C’est un endroit idéal pour s’établir et fonder une famille, vous verrez.
Porter avait-il accentué la pression de son genou contre le sien ? se demanda Nikki en serrant très fort son verre.
— Oui, c’est ce que l’on m’a dit, laissa-t-elle échapper dans un souffle.
— Maman… Nikki et moi t’avons apporté une surprise.
Il sortit alors de la poche de sa chemise un écrin.
— Vous vous êtes fiancés ! s’écria Emily en joignant les mains. Je le savais ! Dès que je vous ai vus, j’ai pensé : « Ces deux-là se sont trouvés ! Ils forment un couple parfait. »
Ce fut un véritable miracle que Nikki ne lâche pas son verre.
— Maman…
— Franchement, Porter, avec ta réputation de coureur de jupons, je désespérais de te voir te ranger un jour…
— Maman…
— Et jamais je n’aurais imaginé que tu serais le premier de mes trois garçons à tomber…
— Maman !
Emily s’arrêta enfin.
— Quoi ?
— Nikki et moi ne sommes pas fiancés.
Emily plissa le front tandis que son regard allait et venait de l’un à l’autre.
— Vous n’êtes pas fiancés ? répéta-t-elle, peu convaincue.
Nikki aurait voulu que la terre s’ouvre sous ses pieds et l’engloutisse. Elle secoua la tête, incapable de regarder Porter.
— Non, répondit ce dernier. Je peux terminer, s’il te plaît ?
— Je t’en prie, mon fils, répondit Emily en prenant une gorgée de thé.
A l’intonation de la voix de Porter, Nikki comprit que le moment qu’il avait tant attendu était gâché pour lui, et elle en éprouva de la tristesse. Lorsque, glissant un regard vers lui, elle remarqua ses épaules voûtées, elle posa instinctivement la main sur son genou.
— Madame Armstrong, Porter m’a demandé de l’accompagner parce que l’autre jour, en me promenant, je suis tombée par hasard sur quelque chose qui vous appartient.
Emily fronça les sourcils.
— Quelque chose qui m’appartient ? Et quoi donc ?
Porter ouvrit la petite boîte et la tendit à sa mère.
A la seconde où elle vit de quoi il s’agissait, ses magnifiques yeux bleus s’embuèrent de larmes une nouvelle fois. Elle posa son verre si maladroitement qu’elle l’aurait renversé sans l’intervention de son fils.
— Doux Jésus ! Mon alliance ! s’écria-t-elle en contemplant l’écrin. Moi qui pensais ne jamais plus la voir !
D’une main tremblante, elle prit l’anneau d’or que Molly avait méticuleusement nettoyé à la demande de Porter. Il étincelait et brillait comme s’il sortait de chez le bijoutier. Elle le glissa lentement à son doigt. Nul doute qu’elle se remémorait le jour de son mariage, au moment où son mari avait effectué ce même geste, songea Nikki en voyant les larmes ruisseler sur ses joues.
— Alton avait fait faire cette bague spécialement pour moi, expliqua-t-elle en en admirant l’effet sur sa main. Vous n’imaginez pas ce qu’elle représente et le bonheur que j’éprouve à la récupérer.
Essuyant ses yeux, elle se leva, bras tendus vers Nikki.
— Comment pourrai-je jamais vous remercier ?
Prise au dépourvu, Nikki se leva et se laissa une nouvelle fois embrasser avec chaleur.
— Ce n’est pas la peine de me remercier, vous savez, murmura-t-elle.
Emily la serra plus fort en lui tapotant le dos. Une étreinte maternelle… merveilleuse…
Jetant un coup d’œil à Porter, Nikki vit qu’il les observait avec une expression qu’elle ne sut interpréter.
— Maman, tu vas la casser en deux si tu continues, plaisanta-t-il.
Emily s’écarta dans un éclat de rire tout en continuant à se sécher les joues.
— C’est le plus beau jour de ma vie depuis cette fichue tornade, déclara-t-elle en se penchant pour enlacer Porter à son tour. J’ai hâte de rentrer à Sweetness.
— Marcus, Kendall et moi attendons aussi ce moment avec impatience, maman.
Là-dessus, il plaqua un baiser sonore sur la joue humide de sa mère, qui pouffa de rire comme une gamine.
Emue aux larmes, Nikki les observait, essayant d’analyser le méli-mélo de sentiments qui se bousculait en elle. Sentiment d’étrangeté… d’inquiétude… d’envie. Même du vivant de sa mère, ses relations avec elle avaient toujours présenté un caractère… aseptisé. Les câlins avaient été rares et les baisers encore plus. Oh ! Elle n’avait jamais douté de l’amour de sa mère, mais ses témoignages d’affection lui avaient manqué.
Quand elle croisa le regard de Porter, elle fut tentée de se détourner de crainte qu’il ne lise toutes ces émotions qui la bouleversaient. Mais elle était comme hypnotisée. Il finit par lui adresser un clin d’œil en même temps qu’il serrait l’épaule de sa mère.
— Il faut que nous y allions, maman. Le Dr Salinger s’est donné la peine de m’obtenir un rendez-vous avec un éminent spécialiste. Je ne peux pas me permettre d’arriver en retard.
— Bien sûr ! dit Emily, encore bouleversée.
Sur le pas de la porte, Emily étreignit une dernière fois Nikki.
— La façon dont il vous regarde ne m’a pas échappé, lui glissa-t-elle à l’oreille.
Comment ne pas accepter de bonne grâce cette remarque d’une mère, même si cette dernière prenait ses désirs pour des réalités ?
— Je suis enchantée d’avoir fait votre connaissance, madame Armstrong, répondit Nikki, très poliment.
— Vous parlez comme si nous ne devions plus jamais nous voir ! Or nous en aurons l’occasion quand je rentrerai à Sweetness et, d’ici là, vous serez toujours la bienvenue ici.
Nikki sentit peser sur elle le regard de Porter qui, sachant qu’elle aurait quitté Sweetness d’ici le retour de sa mère, attendait avec curiosité sa réponse. Pour éviter un mensonge, elle se borna à sourire.
Puis, afin de laisser à la mère et au fils un moment en tête à tête, elle gagna la camionnette et profita de ce qu’elle était seule pour vérifier son répondeur et ses SMS. Les battements de son cœur s’accélérèrent lorsqu’elle s’aperçut que presque tous les appels venaient de Darren. Il avait raccroché sans laisser de message… sauf la dernière fois.
« Nikki, bonjour… c’est moi. Il faut vraiment que je te parle. Appelle-moi dès que tu peux… s’il te plaît. J’espère que tu vas bien. »
Le simple son de sa voix l’angoissa. Son cœur se mit à cogner dans sa poitrine, ses jambes à trembler. Que voulait Darren ? Qu’elle lui pardonne pour alléger sa conscience ? Elle doutait toutefois qu’il éprouve le moindre remords après sa trahison. Il était plus probable qu’il commençait à s’inquiéter pour sa réputation. Il cherchait certainement à limiter les dégâts et, pour cela, avait besoin de sa collaboration.
Elle laissa errer ses doigts sur les touches, hésitant à appeler Darren. Mais elle ne céda pas à la tentation et écouta plutôt le message de Celia qui voulait juste lui dire bonjour et savoir si d’autres créatures à quatre pattes avaient eu besoin de ses services. Nikki sourit. La voix de son amie la revigorait toujours. Elle l’appellerait ce soir de sa chambre d’hôtel, décida-t-elle. Sa chambre d’hôtel où elle pourrait prendre une longue douche sans craindre de manquer d’eau chaude. Enfin !
Elle rangea son portable et tourna la tête vers la maison. Emily Armstrong serrait le visage de Porter entre ses mains et lui disait quelque chose de drôle, apparemment. Une scène émouvante mais qui ne lui évoquait rien personnellement. Elle se donnait l’impression d’être une sociologue en train d’observer un rituel hélas incompréhensible.
Les adieux s’achevèrent enfin, et Porter clopina jusqu’à la portière qu’elle lui tenait ouverte. Elle le débarrassa de ses béquilles et l’aida à s’installer sur son siège.
— Je suis désolé pour la méprise, tout à l’heure, à propos de l’alliance, dit-il. Maman est dotée d’une imagination fertile.
— Ce n’est pas grave, assura-t-elle d’un ton léger. Elle avait toutes les raisons de se tromper.
— Parce que nous formons un couple idéal ?
— Non ! répondit-elle en se forçant à rire. Ça y est ? Vous êtes bien calé ?
— Oui.
Elle claqua alors la portière, un peu brutalement peut-être, et alla s’asseoir au volant.
La voix de Darren tournait dans sa tête, le corps musclé de Porter semblait vouloir se coller au sien.
Le trajet allait être long.