31

— Dis-moi, Porter, c’est à l’armée qu’on t’a appris ça ?

Debout au fond de la salle de télévision bondée et plongée dans la pénombre, Porter se pencha vers Kendall sans quitter des yeux Darren Rocha, qui avait glissé son bras sur le dossier de la chaise de Nikki.

— Qu’on m’a appris quoi ? murmura-t-il.

— Comment désintégrer un ennemi du regard.

Porter, furieux, se tourna vers son frère :

— La ferme !

— Chut ! marmonna quelqu’un devant eux.

Sur le grand écran, un film d’action tenait en haleine les spectateurs. Porter avait douté que les ouvriers répondissent présents à une séance de cinéma collective. A tort. Il ne restait plus une seule chaise libre. Rocha, lui, trônait à la meilleure place de la salle : le siège à côté de Nikki.

Porter fulminait. Nikki avait probablement expliqué à Darren qu’elle était coincée à Sweetness à cause de la panne de sa camionnette. Il était aussitôt venu en courant, tel un chien impatient de déterrer son os.

Un os que Porter lorgnait.

— Que s’est-il passé à Atlanta ? chuchota Kendall.

— Rien.

— C’est pour ça que tu n’es pas à prendre avec des pincettes depuis ton retour ?

— Tu peux parler, monsieur Maussade.

— Chut !

— Vous pouvez pas vous taire ?

— On voudrait regarder le film !

Porter sentit une brûlure familière sur le crâne en même temps qu’il entendit Kendall pousser un grognement. Lui aussi avait reçu une claque.

— Arrêtez de jacasser tous les deux, ordonna Marcus à voix basse derrière eux, et suivez-moi.

Après un dernier regard vers Nikki et son ex-fiancé — nom d’un chien ! Darren avait entouré les épaules de sa voisine ! —, Porter suivit ses frères dans le spacieux vestibule.

— Qu’est-ce qu’il y a ? marmonna-t-il, de mauvaise humeur.

— L’un de vous deux a-t-il vu Riley Bates récemment ? demanda Marcus dont le visage exprimait une réelle inquiétude.

— Non, pourquoi ? demandèrent en chœur Porter et Kendall.

Du menton, Marcus indiqua un coin du hall. Nelson Diggs, l’ouvrier qui s’était coupé la main sur le chantier du dispensaire, était assis là, le visage tordu de douleur. Il tenait devant lui sa main bandée de chatterton. Et enflée, constata Porter. Très enflée.

— Ce n’est pas beau, dit-il. Je vais appeler Nikki.

Marcus le retint par le bras.

— Diggs refuse de voir le Dr Salinger. Il ne veut avoir affaire qu’à Doc Riley, mais je ne le trouve pas.

Porter s’approcha de Diggs.

— Nelson, tu devrais laisser le Dr Salinger t’examiner. Ta blessure s’est peut-être infectée.

Nelson secoua la tête d’un air buté.

— Riley peut me soigner.

— Ce n’est pas un simple bobo, Nelson. Il faut que tu consultes un vrai docteur.

— Inutile d’insister, répliqua Nelson. Ma femme est entrée à l’hôpital pour une égratignure et en est sortie dans un cercueil. Je ne fais pas confiance aux médecins, surtout quand ce sont des femmes.

Porter se retint de justesse de secouer cet imbécile pour lui faire entendre raison. Il était toutefois hors de question qu’il appelle Nikki pour que Nelson l’envoie promener, devant son fiancé par-dessus le marché.

Son ex-fiancé ! se corrigea-t-il en serrant les poings.

— Riley a disparu depuis quelques jours, intervint Marcus.

— Je sais où il plante sa tente quand il va cueillir des herbes, dit Porter. C’est près de Devil’s Rock. Je vais aller le chercher en quad.

— C’est déjà dangereux de circuler dans ce coin en plein jour. Alors la nuit et avec ta patte folle…

— Je peux l’accompagner avec un autre quad, par sécurité, proposa Kendall. Et cela me permettra en outre de ramener Riley avec moi, si besoin.

— Allez-y alors ! Ne perdez pas de temps.

Porter sortit avec Kendall en pestant contre les préjugés ridicules des hommes, leurs superstitions et leur sexisme. Pas étonnant que Nikki cherche à fuir pareil endroit !

Evidemment, il avait aussi sa part de responsabilités après ce qui s’était passé à Atlanta. Il avait eu beau savoir qu’elle était fragilisée par son récent échec amoureux, il n’en avait tenu aucun compte. Il l’avait voulue pour lui-même, en pur égoïste.

Il mit les gaz, furieux contre le sort, furieux contre lui-même.

Même avec les phares à pleine puissance, leur progression s’avéra lente et problématique. En fait de sentier, il n’existait qu’une vague piste serpentant entre les troncs et les rochers. Ils durent s’arrêter à plusieurs reprises pour vérifier leur direction mais, au bout d’une demi-heure environ, Porter aperçut la tente blanche de Riley à travers les arbres.

— Là-bas !

Quand ils eurent coupé leur moteur, des gémissements leur parvinrent.

— Riley ? appela Porter.

— Au secours ! cria faiblement Riley.

Ce fut Kendall qui arriva le premier à la tente, et quand Porter le rejoignit, il vit son frère penché sur Riley Bates. Ce dernier, allongé sur un sac de couchage, suait à grosses gouttes et s’étreignait la poitrine.

— Qu’est-ce qu’il a ? demanda Porter.

— Des douleurs dans la poitrine. Il faut le redescendre. Vite !

Avec ses béquilles, Porter ne se montra pas d’un grand secours pour installer Riley sur le siège arrière du quad de Kendall. En revanche, il les guida jusqu’à la ville en un temps record. Dès qu’ils se garèrent devant le foyer, il se précipita comme il put à l’intérieur pour prévenir Marcus, qui alla aider Kendall, puis se hâta vers la grande salle multimédia où le film n’était pas encore terminé.

— Nikki ! cria-t-il.

Parmi tous les regards qui se tournèrent vers lui, il accrocha le sien.

— Il y a une urgence, dit-il. Que tout le monde reste assis. Laissez passer le docteur.

Nikki s’était déjà levée, imitée, au grand dam de Porter, par Rocha. Heureusement, elle l’envoya chercher sa sacoche dans son bureau.

— Que se passe-t-il ? demanda-t-elle.

— Deux patients, répondit Porter en la conduisant à l’avant du bâtiment où Nelson Diggs était en train de gémir sur une chaise.

Lorsque Nikki lui demanda de lui montrer sa main, il secoua la tête aussi énergiquement qu’il le put.

— Non. Je veux voir Doc Riley.

Avec un soupir, Nikki se tourna vers Porter.

— Où est Riley ? demanda-t-elle.

— Là, répondit-il alors que la porte s’ouvrait sur Riley Bates, soutenu par Marcus et Kendall. Il a des douleurs dans la poitrine.

Alors que Nikki se mettait sur-le-champ en action et chargeait Marcus et Kendall d’allonger Riley sur le sol, Porter expliquait à Nelson que, en raison de l’état de Riley, il devrait autoriser le Dr Salinger à examiner sa main. Mais Nelson serra les mâchoires et se mura dans un silence buté. Après tout, il était majeur, se dit Porter en décidant de ne pas insister et de le laisser réfléchir.

Lorsque Darren arriva avec la sacoche de Nikki, Porter lui suggéra de retourner dans la salle assister à la fin du film — histoire de l’éloigner.

— Non, ça va, répondit Darren. Je vais rester au cas où Nikki aurait besoin de moi.

Porter se mordit l’intérieur de la joue de peur que quelque réplique cinglante ne lui échappe.

— Silence, s’il vous plaît ! ordonna Nikki en les fusillant tous les deux du regard avant de s’agenouiller à côté de Riley pour lui palper le thorax et le questionner.

Bien que Porter n’ait pas réussi à tout entendre de l’échange, il comprit toutefois qu’elle s’inquiétait davantage des remèdes que Riley s’était administrés pour combattre ses douleurs dans la poitrine que des douleurs elles-mêmes.

— Il a pris du laurier des montagnes, annonça-t-elle en levant la tête. Il s’est empoisonné en essayant de soigner un malaise cardiaque. Il faut le transporter au centre médical le plus rapidement possible, sur un brancard de préférence, pour lui pratiquer un lavage d’estomac, pour commencer.

Marcus et Kendall allèrent rapidement chercher le matériel.

Nikki, elle, s’était approchée de Nelson.

— Monsieur Diggs, dit-elle gentiment, je ne doute pas que vous ayez vos raisons pour ne pas vous fier à moi, mais croyez bien que je cherche seulement à vous aider. Je ne voudrais pas voir un homme costaud et adroit comme vous perdre inutilement l’usage de sa main.

— Doc a fait ce qu’il fallait, rétorqua Nelson avec méfiance.

— Naturellement ! Je ne mets aucunement en cause les compétences de M. Bates. Mais les situations évoluent. Votre blessure s’est peut-être aggravée d’elle-même.

Nelson Diggs réfléchit un instant puis, dépliant sa main, la tendit vers elle.

— Oui, on dirait qu’elle s’est infectée, constata Nikki d’une voix égale avant d’adresser à Diggs un sourire rassurant. Je vais changer votre pansement et vous prescrire des antibiotiques.

Mais lorsqu’elle se leva, elle regarda Porter d’un air soucieux.

— Emmenons-le au centre, lui aussi.

Nikki ne disposa pas d’une seule seconde de répit pendant l’heure qui suivit. Une fois que les deux hommes eurent été transportés au dispensaire, elle fit un rapide lavage d’estomac à Riley et lui administra des antalgiques pour calmer ses douleurs dans la poitrine. Elle s’occupa ensuite de Nelson Diggs, qu’elle réussit à convaincre d’accepter les antibiotiques par voie intraveineuse. Une fois la perfusion installée, elle retira avec précaution le chatterton posé par Riley et entreprit de nettoyer et de panser convenablement la plaie.

Porter, silencieux, observait tout derrière une vitre. Les gestes délicats et professionnels de Nikki le gonflaient de fierté… et d’autre chose qu’il ne parvenait pas à identifier. Il avait ressenti une telle gratitude, un tel soulagement de pouvoir s’appuyer sur Nikki dans ces circonstances ! Comment allaient-ils se débrouiller après son départ ? Oh bien sûr, ils finiraient par convaincre un autre médecin de venir dans leur ville naissante, mais posséderait-il le cran de Nikki Salinger ?

— Elle est formidable, non ?

Porter sursauta et jeta un regard noir à Darren Rocha qui l’avait rejoint. Mais il réussit à maîtriser son hostilité et répondit avec le plus grand sérieux :

— Elle représente un énorme atout pour notre communauté.

— Mais est-ce que votre communauté représente un atout pour elle ? répliqua Darren.

Porter essaya de compter jusqu’à 10, mais ne dépassa pas 3.

— Je ne crois pas que vous soyez la personne la mieux placée pour décider de ce qui convient à Nikki, lâcha-t-il.

Darren le dévisagea, un sourcil levé.

— Et je suppose que vous, vous l’êtes ? Vous la connaissez depuis… quoi… quelques semaines ?

— Il ne faut pas longtemps pour savoir qui on a en face de soi, riposta Porter avec un regard appuyé sur la tenue BCBG et les chaussures hors de prix de Darren.

Darren lui rendit la pareille, considérant d’un œil méprisant sa chemise auréolée de sueur et son jean poussiéreux. Une inspection qu’il conclut par un :

— Entièrement d’accord.

La haine que Porter éprouvait pour cet homme était irrationnelle, il en avait parfaitement conscience. Darren Rocha ne lui avait causé aucun tort et ses vêtements, aussi vieux jeu et hors de prix soient-ils, ne signifiaient pas que leur propriétaire était un méchant. La boule qui l’oppressait était en fait… de la jalousie. Il était jaloux parce que cet homme avait rencontré Nikki avant lui et la connaissait assez pour réussir à l’attirer loin de Sweetness.

Non ! Il se montrait injuste. Lui-même n’était pas étranger à la décision de Nikki de partir.

— Excusez-moi, dit-il en quittant brusquement la pièce.

Dehors, il s’installa sur un quad et resta là un moment à se laisser bercer par les senteurs de chèvrefeuille transportées par la brise et à écouter le chant des grillons, le nez levé vers les étoiles. Ici, dans les montagnes, on était proche des cieux… Combien de fois, dans l’aridité inhospitalière du désert, n’avait-il rêvé de la maison de son enfance et pensé que la paix régnerait plus facilement sur le monde si tout le monde pouvait vivre à Sweetness !

Hélas, tout le monde ne semblait pas vouloir y vivre, songea-t-il tristement en faisant démarrer le quad.

Il arriva au foyer au moment où le film se terminait. Lorsque les lumières s’allumèrent, il alla se poster à l’avant de la salle et réclama l’attention de l’assistance. Il parcourut l’auditoire du regard en s’attardant sur les ouvriers qui avaient le plus énergiquement clamé leur refus de consulter un médecin femme. Puis il prit la parole :

— Je veux que tout le monde sache que le Dr Salinger a porté secours à deux de nos habitants ce soir. Il s’agit de Riley Bates, à qui elle a évité de justesse un infarctus et un empoisonnement, et Nelson Diggs qui, sans elle, aurait probablement perdu l’usage de sa main, ou même dû être amputé. Si Nelson avait laissé le Dr Salinger le soigner dès le début, il n’en serait pas là.

Il marqua un temps pour laisser à cette dernière information le temps de faire son chemin dans l’esprit des hommes avant de poursuivre :

— Le Dr Salinger nous a témoigné une bienveillance et un respect que nous n’avons pas su lui rendre. J’ai le regret de vous annoncer qu’elle va nous quitter.

— Elle va partir ? lança une femme. Nous ne pouvons pas vivre ici sans médecin.

Ses compagnes se levèrent dans un même élan pour exprimer leur désarroi sans que Porter tente de les arrêter. Si les hommes se mettaient dans la tête que, en l’absence d’un médecin, les femmes ne resteraient pas, peut-être traiteraient-ils le prochain médecin — quel que soit son sexe — avec davantage de considération ?

Tout à coup, il aperçut Nikki qui entrait. Elle paraissait encore plus petite que d’habitude. Elle avait les traits tirés et semblait… le chercher ! Lorsqu’il croisa son regard, sa poitrine se mit à vibrer… et un coup de tonnerre explosa dans sa tête. Bon sang ! Il était amoureux d’elle ! Voilà qui expliquait cette étrange douleur au niveau du plexus solaire chaque fois qu’il se trouvait près d’elle. Il eut l’impression que son organisme tout entier se mettait à fonctionner en accéléré… jusqu’à ce que Rocha apparaisse derrière Nikki et pose avec autorité une main dans le creux de ses reins.

Progressivement, l’assistance prit conscience de l’arrivée de Nikki. Tout le monde tourna la tête vers elle. Un silence s’installa, bientôt rompu par un des hommes qui se leva en applaudissant. Petit à petit, les autres membres de l’auditoire l’imitèrent pour finalement offrir à Nikki une véritable standing ovation.

Porter, transporté de fierté, exultait.

Nikki, elle, semblait désemparée. Son visage passa par toutes les nuances connues du rouge tandis qu’elle croisait les bras sur la poitrine, geste familier. Elle finit cependant par sourire et serra les mains que les gens lui tendaient avant de sortir.

— J’espère que vous ne partirez pas.

— Restez, s’il vous plaît.

— J’espère que vous allez revenir sur votre décision.

Porter, rayonnant, entendit ces phrases un nombre incalculable de fois.

Seul Darren Rocha paraissait mécontent de ces témoignages d’affection, et il lança à Porter un regard ouvertement hostile lorsque ce dernier les rejoignit.

L’ignorant superbement, Porter s’adressa à Nikki :

— Vous êtes la femme du jour.

Elle avait encore les joues en feu et les yeux pétillants.

— Merci pour cet accueil. C’est très gentil.

— Comment vont vos malades ?

— Pas d’aggravation de leur état, au contraire. Tous les deux dorment. Plusieurs personnes se sont portées volontaires pour se relayer à leur chevet jusqu’à demain matin.

— Parfait !

Elle semblait vouloir ajouter quelque chose…

— Un problème, Nikki ?

— J’ai expliqué à Darren qu’il est interdit aux hommes de passer la nuit au foyer, avança-t-elle.

— Eh oui ! répliqua Porter en faisant mine d’être désolé. Il peut dormir dans un des baraquements des ouvriers.

Nikki le regarda avec un petit sourire.

— Vous voulez bien l’emmener avec vous et l’aider à s’installer ? demanda-t-elle.

Pour ce sourire d’elle, il était prêt à tout — en particulier à empêcher Rocha d’approcher de son lit !

— Pas de problème ! Ce n’est pas si horrible que ça, ajouta-t-il à l’adresse de Darren. Vous avez fait votre service ?

— Non.

— Ah…

Porter se creusa la tête pour trouver une situation analogue qui parlerait à Darren.

— C’est comme… une colonie de vacances.

Nikki le foudroya du regard mais, sans perdre sa jovialité, il gratifia Darren d’une bourrade dans le dos en lançant :

— C’est bon ? On va se coucher ?

— Euh… oui, répondit Darren de mauvaise grâce. A demain matin, ajouta-t-il en déposant un baiser sur l’oreille de Nikki.

Elle hocha la tête, sans le regarder, et avança la main comme pour éviter tout autre contact.

Un geste discret qui aurait pu passer inaperçu si Porter n’avait pas eu les yeux rivés sur elle. Son cœur se gonfla d’espoir. Le moral au beau fixe, ou presque, il conduisit Rocha vers le long bâtiment étroit où logeaient les ouvriers. Le lieu manquait certes de cachet, mais il était propre et bien rangé. Malgré tout, en voyant tous les hommes autour de lui se mettre en caleçon, Darren eut un mouvement de recul.

— Ces lits ne paraissent pas très confortables, fit-il remarquer.

— Ce n’est pas qu’une apparence, répondit Porter. Et il n’y a pas l’air conditionné non plus. Vous savez quoi, mon vieux ? ajouta-t-il, frappé par une idée lumineuse. Je vous laisse mon lit pour cette nuit.

Sans lui laisser le temps de répondre, il conduisit Darren vers un box séparé du reste du dortoir par une cloison, là où ses frères et lui logeaient.

— Voilà, annonça-t-il en tapotant son matelas. Beaucoup plus moelleux et il fait moins chaud ici.

Un mensonge éhonté ! Car ses frères et lui insistaient pour vivre dans les mêmes conditions que leurs ouvriers. Ils s’étaient isolés uniquement pour pouvoir discuter librement entre eux.

— Et vous ? s’enquit Rocha. Où allez-vous dormir ?

— Ne vous en faites pas pour moi, je me débrouillerai, répondit Porter.

Kendall, qui se préparait pour la nuit, lui lança un regard sarcastique. Evidemment, avec sa fichue habitude de lire en lui comme dans un livre !

— Bonne nuit, monsieur Rocha, dit Porter, de son ton le plus poli. Ne vous inquiétez pas pour les moustiques. Vous êtes vacciné contre la malaria, je suppose ?

Darren blêmit.

— Non.

— Ah zut ! Oh ! Ce n’est pas grave. Ça se soigne.

— Bonne nuit, Porter, dit Kendall en martelant son oreiller de coups de poing pour lui donner du gonflant.

Porter, lâchant une de ses béquilles, prit congé des deux hommes sur un salut militaire avant de traverser de nouveau le dortoir, en direction des douches, à l’extérieur.

Sa toilette terminée, après avoir pour la énième fois pesté contre son plâtre qui lui compliquait la tâche, il gagna son quad.

Lorsqu’il arriva au foyer, les lumières étaient encore allumées, aussi bien dans la salle de télévision que dans la cuisine. Pourtant, la porte extérieure était déjà verrouillée. Bien sûr, il possédait une clé, mais il ne voulait pas pénétrer dans le bâtiment à l’insu des femmes. Si elles avaient décidé d’interdire la présence des hommes après la tombée de la nuit, c’était afin de se sentir en sécurité.

Quel prétexte allait-il donc inventer pour être autorisé à entrer ? se demanda-t-il tandis qu’il frappait à la porte.

C’est Rachel qui vint ouvrir, un torchon à la main.

— Porter ! Bonsoir.

— Bonsoir !

Il se contorsionna nerveusement sur ses béquilles avant de poursuivre :

— Je… euh… Il faut que je parle à la toubib.

— Très bien. Je vais la chercher.

— En fait, si vous n’y voyez pas d’inconvénient, je préférerais euh… monter jusqu’à sa chambre et… m’annoncer moi-même.

Rachel le dévisagea avec un petit sourire.

— Enfin ! Je me demandais si vous alliez vraiment rester les bras ballants à regarder son goujat d’ex-fiancé nous l’enlever.

Sur cette déclaration, elle s’effaça pour lui libérer le passage.

— Vous êtes un amour ! s’exclama-t-il en s’arrêtant pour l’embrasser sur la joue.

— Oui, c’est ça ! Dépêchez-vous avant que quelqu’un ne vous voie.

Tel un adolescent se faufilant dans le dortoir des filles, il traversa silencieusement le hall, grimpa l’escalier et se hâta le long du couloir bordé par les portes des chambres que les pensionnaires risquaient d’ouvrir à tout moment. Enfin, il arriva devant celle de Nikki.

Il frappa doucement et attendit. Qu’allait-il donc lui dire ? Il avait beau être un homme simple et direct, il savait que les circonstances exigeaient qu’il pèse soigneusement chacun de ses mots s’il voulait convaincre Nikki de rester à Sweetness… avec lui.

Il entendit du bruit à l’intérieur, puis un rai de lumière filtra et la porte s’ouvrit sur Nikki, ébouriffée, vêtue d’une chemise de nuit transparente. De toute évidence, il l’avait tirée du lit. Elle était si sexy que sa réaction physique fut immédiate.

— Porter ?

La mine inquiète, elle dégagea son visage des mèches qui l’encombraient.

— Un des hommes a-t-il besoin de moi ?

Le cœur cognant bruyamment dans sa poitrine — nul doute que Nikki l’entendait —, il hocha la tête.

— Oui, moi.