[Gutenberg 47522] • Légendes démocratiques du Nord

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Example in this ebook

POLOGNE ET RUSSIE

KOSCIUSZKO

I

A LA POLOGNE

La France offre à la Pologne, en gage d’une amitié plus forte que le destin, le portrait religieusement fidèle d’un homme cher à toutes deux, d’un des hommes les meilleurs qui aient honoré la nature humaine.

D’autres furent aussi vaillants, d’autres plus grands peut-être ou plus exempts de faiblesses. Kosciuszko fut, entre tous, éminemment bon.

C’est le dernier des chevaliers,—c’est le premier des citoyens (dans l’Orient de l’Europe). Le drapeau si haut porté de l’ancienne chevalerie polonaise, sa générosité sans bornes ni mesure, et par delà la raison; un cœur net comme l’acier! et avec cela une âme tendre, trop tendre parfois et crédule; une douceur, une facilité d’enfant,—voilà tout Kosciuszko.—Un héros, un saint, un simple.

Plusieurs, et des Polonais même, dans leur austérité républicaine, d’un point de vue tout romain, ont jugé sévèrement ce héros du cœur et de la nature. Ils n’ont pas trouvé en lui le grand homme et le politique que demandait la situation terrible où la destinée le plaça. Appelé à la défense d’une cause désespérée, à la lutte la plus inégale, il accepta, crut au miracle, et, comme un chevalier, un saint, embrassa magnanimement les deux chances, victoire ou martyre. Mais, quant aux moyens violents qui pouvaient donner la victoire, il ne fallait pas lui demander d’y avoir recours. Il ne prit pas l’âme de bronze qu’exigeait un tel péril. Il ne se souvint pas, disent-ils, qu’il était dictateur de Pologne, qu’il devait forcer la Pologne à se sauver elle-même, terrifier la trahison, l’égoïsme, l’aristocratie. Il se donna, ce fut tout, demanda trop peu aux autres, se contentant de mourir, les laissant à leurs remords et s’enveloppant de sa sainteté.

Noble tort d’un cœur trop humain!... Ah! nous aurions plus d’un reproche à faire à Kosciuszko, pour la douceur et la tendresse. Il était confiant, crédule, se laissait prendre aisément aux paroles des femmes et des rois. Un peu chimérique, peut-être d’une âme poétique et romanesque, amoureux toute sa vie (mais de la même personne), il suffisait d’un enfant pour le conduire, et lui-même il mourut enfant.

Ces défauts sont-ils ceux d’un homme ou ceux de la nation? Nous les retrouvons bien des fois dans les héros de son histoire. Il ne faut pas trop s’étonner si le grand citoyen moderne n’en est pas moins de leur famille; s’il eût été autre, il n’eût pas représenté d’une manière si complète toute l’âme de son noble pays. Je ne sais si ce sont des taches, mais il fallait qu’elles fussent en ce caractère. Nous l’aimons, même à cause d’elles, y reconnaissant l’antique Pologne... Et nous t’embrassons d’autant plus, pauvre vieux drapeau!

Est-il sûr que Kosciuszko aurait sauvé la Pologne avec plus de rigueur civique? J’en doute; mais ce dont je suis sûr, c’est que la bonté extraordinaire, si grande, qui fut en lui, a eu des effets immenses, infiniment favorables à l’avenir de sa patrie.