Contes III

Description des contes de Mirbeau Il est clair que le romancier n'accordait

que peu d'importance � une besogne qui, � ses yeux, �tait avant tout

alimentaire. En effet, le conte joue alors un r�le de premier plan dans la

grande presse et il est, avec la chronique, un genre fort pris� du public, qui

permet � la plupart des �crivains de gagner leur vie beaucoup plus s�rement

que par la publication de leurs livres. Pour les quotidiens, il est une

mani�re de fid�liser leurs lecteurs en leur offrant un espace ludique et en

leur apportant une dose mod�r�e d'�motion ou de gaiet�. Mirbeau y voit aussi

une occasion pr�cieuse de faire ses gammes en y traitant des sujets et en y

brossant des personnages et des d�cors auxquels il entend donner des

d�veloppements dans ses oeuvres romanesques. Mais, pour lui, il n'est pas

question pour autant de r�duire ses r�cits de presse � de vulgaires

divertissements, et il entreprend de subvertir le genre: au lieu de rassurer

et d'entretenir le mison�isme et la bonne conscience de ses lecteurs

bourgeois, il va les inqui�ter et les obliger � regarder M�duse en face .

L'humour grin�ant et l'horreur qu'il affectionne n'ont rien de gratuit et

servent au contraire � perturber le confort moral et intellectuel du lectorat

pour le contraindre � r�agir: tout vaut mieux que cette indiff�rence des

troupeaux que l'on m�ne � l'abattoir... ou aux urnes. Les th�mes abord�s

suscitent un choc p�dagogique: le tragique de l'humaine condition et l'horreur

d'�tre un homme; la souffrance consubstantielle � l'existence; le sadisme, les

impulsions homicides et la loi du meurtre sur laquelle reposent les soci�t�s;

l'incommunicabilit� et la guerre entre les sexes; et la d�risoire existence

larvaire d'�tres humains d�shumanis�s par une soci�t� oppressive et ali�nante.

Avant Le Jardin des supplices, Mirbeau y dresse l'inventaire des infamies

humaines et de l'universelle souffrance: L'homme se tra�ne pantelant, de

tortures en supplices, du n�ant de la vie au n�ant de la mort Les contes de

Mirbeau, farcis d'allusions pol�miques � l'actualit�, sont le compl�ment de

ses chroniques journalistiques. Il s'y livre � un contestation radicale de

toutes les institutions et y attaque toutes les formes du mal social de la fin

du si�cle: le cl�ricalisme qui empoisonne les �mes, le nationalisme qui pousse

au crime, le revanchisme fauteur de guerre, l'antis�mitisme homicide, le

colonialisme g�nocidaire, le cynisme des politiciens qui arnaquent les

�lecteurs, le sadisme des �mes de guerre, la mis�re des prol�taires des villes

et des campagnes, la prostitution, l'exploitation des pauvres et l'exclusion

sociale. Loin de n'�tre qu'un inoffensif d�rivatif, les contes cruels de

Mirbeau constituent une v�ritable entreprise de d�mystification.