Professeurs De Désespoir

Les écrivains Samuel Beckett, Elfriede Jelinek, Thomas Bernhard, Milan Kundera

et Michel Houellebecq ont en commun une enfance malheureuse, voire tragique

dans certains cas. Cette blessure, nous apprend Nancy Huston dans _Professeurs

de désespoir_ , serait à l'origine de leur prose nihiliste fondée sur le

mépris pour la vie terrestre et le dégoût du féminin. Nostalgiques d'une

époque où le mâle détenait le monopole de la vie spirituelle, ils détestent

leur famille, les enfants (qu'ils ont pris garde de ne pas engendrer) et même…

leurs lecteurs. Si on s'y laisse prendre, toutefois, la fréquentation des

grands textes nihilistes peut être une expérience exaltante. Nous y trouvons

notre compte parce que nos propres souffrances y sont portées à

l'incandescence par la beauté littéraire. Nous pouvons aussi apprécier ces

textes parce que la pensée du désespoir est une pensée religieuse, notamment

en ceci qu'elle affirme, sur le mode `magique', des choses contraires à la

raison.

Avec un rare courage, dans un style vif, porté par une solide érudition, Nancy

Huston s'attaque ici aux plus grandes figures de la modernité, nos Christ en

croix, nos saints torturés. Elle ne craint pas de comparer Thomas Bernhard à

Hitler, d'opposer la sagesse de Suzanne Jacob à la hargne de Kundera (oui, la

petite Suzanne contre le grand Milan), de prendre la défense des plaisirs

simples contre l'absolutisme destructeur des nihilistes. Ce faisant, elle nous

divertit, nous fait réfléchir, nous apaise même. _Professeurs de désespoir_

est un grand essai. -- _Hélène de Billy_