Le despotisme démocratique

Le despotisme démocratique
Authors
Tocqueville, Alexis de
Publisher
Smashwords Edition
Date
2009-01-01T00:00:00+00:00
Size
0.09 MB
Lang
fr
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Tocqueville n’est pas le premier « intellectuel » français à faire le voyage

américain, quelques-uns avant lui avaient déjà tenté l’aventure, à commencer

par Chateaubriand qui s’y exila après la Révolution, mais n’y trouva jamais,

parmi les Natchez, que le reflet d’une solitude abyssale. Ici, la posture est

autre. Dans les États-Unis d’alors, qui ne comptent encore qu’une vingtaine

d’États, ceux de l’Est, à l’occasion d’une mission somme toute « technique »,

Tocqueville se livre à un ensemble d’observations et d’analyses de la société

américaine et de son système politique. « En politique, dit-il, ce qu'il y a

souvent de plus difficile à apprécier et à comprendre, c'est ce qui se passe

sous nos yeux ». Pour mettre à jour les ressorts de la jeune démocratie

américaine - qui est déjà bien davantage qu’une colonie anglaise fraîchement

émancipée -, et en dégager les modalités structurantes, il faut se défaire des

prismes hérités de la pensée politique classique. Ce qu’il repère de manière

quasi « prophétique », et ce n’est pas la moindre originalité de la démarche,

est moins la naissance d’un nouveau monde, rendu lointain par l’exotisme, que

l’avenir de nos sociétés démocratiques, y compris celles de la « vieille

Europe ».

Il note que c’est l’égalité et non la liberté qui constitue le caractère

distinctif des démocraties et que la tendance à l’égalisation des conditions

(à la fois formelle et réelle) comporte un risque pour la liberté. « Je vois

une foule immense d'hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur

eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils

emplissent leur âme. » Les sociétés modernes sont portées vers une forme de «

despotisme » inédit (bien que les « anciens mots de despotisme et de tyrannie

ne conviennent point »), que Tocqueville s’emploie à définir, faute de concept

disponible. L’égalité des conditions provoque l’atomisation du corps social,

le repli sur eux-mêmes des individus, gagnés par la passion du bien-être et la

multiplication des fortunes médiocres… Une tendance à la « moyennisation » de

la société qui finit par engendrer le conformisme des mœurs et des opinions.

S’installe alors une sorte de servitude douce, la tyrannie d’une majorité -

nécessairement oppressive à l’égard de la minorité - qui s’en remet à l’État

tout-puissant, à charge pour lui d’étendre l’égalité des conditions et de

veiller à la vie paisible de chacun. « Au-dessus de ceux-là s'élève un pouvoir

immense et tutélaire, qui se charge seul d'assurer leur jouissance et de

veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. »

Pour réussir à contrer la dérive non démocratique de la démocratie, pour que

deviennent compatibles l’égalité et la liberté, Tocqueville suggère divers

remèdes qui passent par la re-création de corps intermédiaires (abolit par la

révolution), la défense de la liberté de la presse et l’indépendance du

pouvoir judiciaire. Toute chose susceptible de redonner l’initiative aux

citoyens et de revitaliser le débat politique trop souvent abandonné au profit

de l’abominable « consensus » qui tend à faire taire a priori tout désaccord

fécond.