Discours D'Une Grande Gueule

Discours D'Une Grande Gueule
Authors
Edward, Limonov
Date
2013-09-25T16:36:20+00:00
Size
0.17 MB
Lang
fr
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Discours d’une grande gueule

coiffée d’une casquette de prolo. Avec un tel nom sur la couverture, on ne peut

que repartir de la librairie avec ce bouquin d’Edward Limonov sous le bras. Et

il faut bien avouer que la biographie écrite par Emmanuel Carrère, y est

surement pour quelque chose aussi. Parue à la rentrée littéraire de septembre,

et sobrement intitulée Limonov, elle avait attisée notre curiosité pour cet

auteur au vécu et à la personnalité troubles.

En commençant la lecture, on

s’aperçoit qu’il s’agit d’un recueil de nouvelles. Cinq au total.

En entrée, on a droit à une salade niçoise. Premier texte dans lequel Limonov

porte un regard cynique sur un rassemblement d’écrivains. Il est lui-même

invité à ces journées de la littérature mondiale qui se déroulent sur la Côte

d’Azur.

« Il est étonnant de voir qu’en France aussi le papier appartient, sinon aux

morts, du moins aux vieillards ».

L’écrivain contraste avec le reste de sa profession. L’alcool et la rencontre

d’une jeune femme lui rendent le séjour plus agréable.

Avec la seconde nouvelle,

Ecrivain International, il décrit la vie quotidienne d’un écrivain. Une vie

faite de bohème, mais aussi de précarité et d’incertitudes.

Et si les ouvriers peuvent recourir à la grêve dit-il, lui est bien impuissant.

Au passage, il égratigne les maisons d’éditions qui se soucient peu de sa

condition.

« C’est l’écrivain et non plus l’ouvrier le véritable opprimé dans cette

civilisation, pensai-je avec tristesse. Des fenêtres de ma chambre du Marais,

je peux voir des ouvriers gras et rougeauds construire patiemment le socialisme

français, réparer une vieille maison. Je les envie. »

Plus loin, on lit Mon lieutenant

et East Side, West Side. Dans ces deux nouvelles, il évoque avec la même verve

son rapport avec les femmes, objet du désir sexuel. Mais aussi l’injustice et

les inégalités de deux mondes qui se cotôient, en nous entraînant tour à tour

dans des quartiers aisés ou de classes moyennes, puis dans des quartiers très

pauvres comme le South Bronx.

« Ta vie te semble morne, lecteur ? Un instant, et tu vas comprendre à quel

point tu peux passer près de la guerre, de la mort et de la destruction. Et à

quel point tu es impuissant. »

Discours d’une grande gueule

coiffée d’une casquette de prolo est le nom du livre. C’est aussi le nom du

dernier texte.

Confrontant son expérience d’ouvrier en Union Soviétique, et son regard

d’écrivain prolétaire (sic), il pointe du doigt l’appareil étatique et

technocratique des Russes et des Français, qui empruntent les mêmes travers.

 

« Voilà qu’on nous bassine sans

arrêt qu’on vit à l’ère de l’ordinateur, à l’ère de la révolution informatique.

Quand on voit l’entrée de l’immeuble dans lequel j’habite, au dernier étage,

rue de Turenne, on dirait pas…

De quelle révolution informatique vous causez quand le chauffage, véritable

brontosaure, qui réchauffe mon gourbi rose, pompe l’électricité comme c’est pas

permis, et fonctionne selon un système complètement archaïque…Au pays du

goulag, oui, oui, on rigolerait bien. Dans les pays où il n’y a pas de goulag,

on encule les gens en douce, par-derrière. Ah ! on est en train de m’enculer ?

Qui est là ? Ah le Trésor Public.

On nous dit que la France doit relever la tête, devenir solidaire, que c’est la

crise. On est en retard. En retard sur qui ou de quoi, j’ai du mal à

comprendre. Etre solidaire… »

Sur un ton résolument

provocateur, il décrit les conséquences de cette technocratie, comme une ode à

la corruption.

« En Union Soviétique, en tout cas quand j’y vivais, la corruption était tout à

fait efficace et répandue, pour le bonheur du simple citoyen. Dans une

démocratie, la vie est difficile pour le simple citoyen, car les députés et

autres chefs ont peur de l’aider, en échange de quelque « cadeau ». La presse

finit toujours par tout savoir…Alors qu’en fait la corruption est l’unique

moyen pour lutter contre le côté inhumain de la loi. Je suis pour la

corruption… »

C’est une bonne idée qu’a eue La

Dilettante de rééditer ces textes d’Edward Limonov. Une littérature agréable et

insolente. Filante entre les clairs et les obscurs. L’auteur ne prend aucun

détour, parle cru, fait preuve de cynisme et nous entraîne dans ses histoires.

On suit le sulfureux personnage avec un grand intérêt.