[A lire**** 07] • Les Six Livres De Grabinoulor

[A lire**** 07] • Les Six Livres De Grabinoulor
Authors
Albert-Birot, Pierre
Publisher
Editions J.-M. Place
Tags
littérature française
ISBN
9782871060420
Date
1991-01-01T00:00:00+00:00
Size
2.10 MB
Lang
fr
Downloaded: 18 times

Titre : Les six livres de GrabinoulorAuteur : Pierre Albert-BirotEdition : Jean-Michel PlaceFormats : epub, mobi, odtLien : http://www39.zippyshare.com/v/21492335/file.htmlScans brut : http://www55.zippyshare.com/v/96188310/file.html

Note sur le livre:

Mais

qu'on me permette de revenir un peu en arrière. Vers 1944, je donnai à

Denoël le manuscrit des Amusements naturels. Ce livre devait sortir en

1945 et il était convenu qu'aussitôt après il éditait en un seul énorme

volume le 1er et 2e livre de Grabinoulor inimaginablement remanié, plus

toute la suite qui était écrite à ce moment-là, c'est-à-dire un très

gros 3e livre et une partie du 4e. Hélas, avant même la sortie des Amusements,

Robert Denoël était assassiné. J'allai voir le Directeur littéraire

qui, très ami de Grabinoulor, me dit : "Nous tiendrons les engagements

pris par Denoël". Mais il y avait le Comité directeur à dictature

féminine, non possumus, non possumus. On me proposa ceci : tout ce que

nous pourrions faire serait une nouvelle édition du volume déjà édité

ici, mais à condition que vous ajoutiez partout de la ponctuation. Je

n'ai pas besoin de dire quel effondrement ce fut pour moi. Bien,

j'accepte, je vais tout récrire avec des points et des virgules, mais, à

mon tour, à condition que vous fassiez une ÉDITION TÉMOIN du texte

original sans ponctuation, texte précédé d'une préface racontant

l'histoire. Cette édition-témoin sera dans toutes les grandes

bibliothèques et l'édition ponctuée portera la même préface. On me

refusa net, prétextant un excès de frais, alors que cette édition

vraiment exceptionnelle pouvait être tirée à un très petit nombre

d'exemplaires que les bibliophiles eussent été heureux d'acheter un gros

prix, et ainsi les frais étaient couverts.

C'était fini. Encore

une fois Grabinoulor n'avait pas d'éditeur. Et pourtant, comme je le dis

ci-dessus, j'ai continué à écrire, puisque j'en suis actuellement au

sixième livre. Mais pour les déceptions quo non ascendam.Seconde préface (1955) par Pierre Albert-Birot

Certains écrivains ont besoin, pour se réaliser, d'un double, intercesseur, porte-parole, personnage derrière lequel ils s'abritent et qu'ils projettent devant eux. Pour les uns, ce double est un accomplissement réussi ; pour d'autres, il permet de rester en retrait, ou un peu de côté.Rabelais eut Pantagruel, Sterne eut Tristram Shandy ; plus près de Pierre Albert-Birot et Grabinoulor, nous trouvons Huysmans et des Esseintes, Valéry Larbaud et Barnabooth, Joyce et Stephen Dedalus, Supervielle et Guanamiru, Chirico et Hebdomeros, ajoutons Pinget et Monsieur Songe.Moi exalté de Pierre Albert-Birot — qui dès le Troisième Livre lui adjoindra l'ombre bougonne de Furibar — Grabinoulor est le héros heureux. Démiurgique, il domine le temps et l'espace, accomplissant ainsi le vieux rêve humain. Il est immortel — et pourtant il sait qu'on meurt, dès son Premier Livre —, il ne vieillit pas plus que Mickey Mouse, Tarzan ou Tintin. On le découvre dans la force de son âge, et ils s'en tient là. Il se joue du quotidien qui pourtant le passionne et dont il se plaît parfois à rapporter les moindres détails. Pour son créateur, il demeure l'idéale pierre de touche. Pierre Albert-Birot confronte Grabinoulor à tous les êtres, à toutes les situations, à tous les problèmes qui le préoccupent. Grabinoulor cherche des solutions — sans cesse — et connaît d'ailleurs la vanité de sa quête. Souvent impatienté par l'inertie des êtres, du monde, par la toute-puissance de l'Habitude ou de Lopinionpublique, il tourne les talons ou s'évapore. Au Quatrième Livre, chapitre III, il nous est dit que le plus souvent il ne conduit pas ses projets jusqu'à leur majorité parce qu'il en a trop. Ajoutons que lorsqu'il voit comment les choses peuvent tourner, il passe allègrement à un autre sujet, et s'en amuse...

Pour en savoir plus sur Pierre Albert-BirotA

commentaire de Pierre Malgachie

Bonjour,Un chef-d'oeuvre peu connu, que l'ai eu l'occasion de lire lors d'une édition (la première complète, je crois) en 1991. Je m'étais enthousiasmé, et je vous fais partager mon enthousiasme de l'époque.PierreGRABINOULOR,UN POINT C'EST TOUT!Vingt-quatre ans après la mort de Pierre Albert-Birot, voici enfin son chef-d'oeuvreEn 1918, qui est Pierre Albert-Birot? Pas tout à fait personne. Il a 42 ans. Il a créé, deux ans auparavant, la revue «Sic», devenue très vite un lieu d'accueil pour des écrivains aussi considérables que Drieu la Rochelle, Reverdy, Soupault, Tzara, Aragon, Breton, Radiguet (celui-ci sous un autre nom, il est vrai). Il a, l'année suivante, organisé la représentation des «Mamelles de Tirésias», d'Apollinaire - un beau scandale! -, et a forgé avec lui, à cette occasion, un mot qui a fait florès depuis: «surréalisme». Il a, toujours en 1917, publié un recueil de poèmes qu'Apollinaire, juste retour des choses, a préfacé en le qualifiant de «pyrogène». On en était, à l'époque, à se nourrir d'invention verbale, et la littérature ne s'en portait pas plus mal, même si certains trouvaient parfois ses manifestations pour le moins excessives. Ces trois événements, à eux seuls, auraient bien valu à Pierre Albert-Birot de ne pas disparaître des mémoires - ou des histoires de la littérature.Or, en 1918, il a aussi entrepris ce qui allait être son grand-oeuvre, son chef-d'oeuvre: de son cerveau sort Grabinoulor, tout armé. Grabinoulor est son Pantagruel. Grand dévoreur de temps, d'espace et de mots, il va le tenir en éveil jusque dans les années soixante, jusqu'à cette phrase finale qui vient, au terme du sixième livre (et de la neuf cent quarante-quatrième page de l'édition en volume), comme à regrets: Zut Grabinoulor est parti c'est lui qui commande nous laissons ici pour lui nos meilleurs souvenirs et nous mettons enfin à son livre un point mais il est bon que nul ne sache où est Grabinoulor et par suite il est probable que personne ici-bas ne pourra courir lui montrer cette dernière page de son livre lui qui n'a jamais pu croire à la fin de quoi que ce soit il se serait certainement trouvé mal devant ce point et devant tout le papier blanc qui reste chez tous les papetiers laissons-le donc vivre où il lui plaît et sans fin malgré le POINT.Ce point final est le seul de tout le livre. Pierre Albert-Birot s'en est expliqué dans «La Langue en barre», un texte qui vient comme une postface. La ponctuation, une invention assez récente et que, dans une certaine mesure, on peut attribuer à une époque de décadence, est là pour marquer des intonations, pour faire des effets expressifs. Pour moi, ajoute l'auteur, que tous les Saints m'en préservent, je ne veux point d'intonations, je ne demande point au lecteur d'être expressif, il n'a qu'à lire ces pages avec un minimum d'intelligence évidemment indispensable et un maximum d'articulation, sur un seul ton, et sa lecture devra être, si l'on veut, un ronronnement...UNE COULÉECONTINUECe texte magnifique qui bondit dans tous les sens à chaque instant, qui prend prétexte du moindre carrefour pour emprunter des chemins de traverse, qui investit l'oreille dès le début de la lecture (oui, l'oeil et l'oreille communiquent ici comme ils ont rarement eu l'occasion de le faire!), qui néglige la ponctuation - mais permet quand même au lecteur de reprendre son souffle (oui, le souffle aussi intervient dans la lecture) grâce à un découpage en paragraphes, en chapitres (du moins au début) et en livres -, était, pour l'essentiel, toujours inédit! On s'interroge: comment? pourquoi? les éditeurs sont-ils fous d'avoir négligé un tel livre? Ou plutôt: sont-ils si sages qu'ils n'ont pu oser la démesure offerte par Pierre Albert-Birot?Il a fallu qu'Arlette Albert-Birot entretienne la flamme du souvenir - non, pas du souvenir: de la présence - de PAB, comme elle l'appelle, après sa mort en 1967, que Marie-Louise Letengre aille jusqu'au bout de son «décryptage frappeur» et que quelques autres personnes encore participent à une entreprise menée à son terme par deux éditeurs (Jean-Michel Place en France et Le Cri en Belgique) pour que nous arrivent enfin «Les Six Livres de Grabinoulor» dont on ne connaissait jusqu'à présent que des éditions partielles datant successivement de 1921 (premier livre), 1933 (les deux premiers) et 1964 (un choix dans les trois premiers).La force de cette découverte est à la mesure du volume qui l'enferme - et qui l'ouvre, comme se déploie largement la couverture pour offrir des morceaux de manuscrits. C'est une coulée continue par laquelle on se laisse emporter comme par un torrent de mots, sans retour en arrière possible, parce que le temps qui passe est irréversible et que, si Grabinoulor parfois se permet des plongées dans le passé, elles sont pour nous toujours en avant d'un texte qui nous appelle plus loin...Grabinoulor est un personnage plein de santé, comme le montre Pierre Albert-Birot dès les premières lignes: Ce matin-là Grabinoulor s'éveilla avec du soleil plein l'âme et le nez droitement au milieu du visage signe de beau temps et la couverture étant aimable on pouvait d'un coup d'oeil se convaincre qu'il n'avait pas seulement l'esprit virilement dressé vers la vie.Et cette santé va éclater pendant des heures et des jours de lecture, au fil de rencontres plus étonnantes les unes que les autres. Grabi rencontrera Dame Perspective, Mademoiselle Jardin, Mot Amour, Mot Toujours, l'Univers, Nature et Civilisation, Bôfrizé, Monsieur Stop, Médor, Lérudi, Furibar, etc. Les titres des chapitres, déjà, donnent le ton: Les lamentations de Nature n'empêchent pas Grabinoulor de considérer des théorèmes et des corollaires mais malgré cela Orphée lâche définitivement son Eurydice néanmoins Lérudi ne veut pas être au fond du puits tout seul avec la femme nue advienne que pourra Grabinoulor lui dit good bye et tout à l'heure il s'extasiera devant une foule compacte de roses saoules magnifiquement saoules, pour prendre comme exemple (choisi au hasard: ils sont presque tous extraordinaires!) le titre du chapitre neuvième du cinquième livre. Du coup, la table des matières devient, à elle seule, non seulement une sorte de résumé, mais déjà un avant-goût de ce qui nous attend dans les grandes profondeurs du texte.L'HISTOIRED'UNE ÉDITIONIl faudrait tout raconter, ou tout citer. Mais ce n'est plus nécessaire maintenant, puisque le livre existe, malgré toutes ses mésaventures antérieures. Arlette Albert-Birot (qui avait 22 ans quand elle épousa l'écrivain âgé, lui, de 80 ans) ne se tient plus de joie, et qu'un éditeur belge partage la responsabilité de cette publication lui fait tout particulièrement plaisir. PAB avait en effet noué des liens privilégiés avec les milieux littéraires belges. Il était présent dès les premiers numéros du «Journal des poètes» (qui, soit dit au passage, prend un virage ces temps-ci, avec une nouvelle équipe), il avait publié dans «Marginales», il était accueilli aux Biennales de poésie comme dans sa famille, Monique Dorsel a beaucoup oeuvré pour faire connaître «Grabinoulor»... Cette complicité ne devrait pas disparaître, bien au contraire.La lecture intégrale de «Grabinoulor», si elle ressemble à un tour de force à cause de son ampleur et du temps qu'il faut y passer, devient une expérience indispensable dans la vie de tout amoureux de l'écriture. Il y a ici tout ce qu'on peut rêver, et encore davantage. Il y a du bonheur à chaque ligne, qui semble venir si naturellement après la précédente.Le naturel, il est sans doute présent: Pierre Albert-Birot, les manuscrits que nous avons pu consulter le prouvent, écrivait d'un seul jet. Et ce jet reprenait avec une apparente aisance même quand il s'était interrompu, comme ce fut le cas notamment pendant la Seconde Guerre mondiale: dans le texte (écrit à l'encre), une croix au crayon renvoie à une note, elle aussi au crayon, sur la page d'en face: me suis arrêté ici dans les premiers jours de Mai 1940 et j'ai recommencé le 9 juillet de la même année (La Guerre). S'il n'avait pas écrit cela, personne n'aurait pu le deviner, car l'endroit de la croix ne laisse apparaître aucune rupture de rythme: nous eussions eu tout simplement un hiver torride et un été glacial x mais c'est absurde retourne aussitôt l'Icsse en question... Il n'empêche que le manuscrit est ensuite corrigé, et parfois d'abondance. De la même manière, les deux premiers livres, parus chez Denoël en 1933 (Robert Denoël, qui était belge, avait créé sa maison trois ans auparavant en s'associant avec un Américain, Robert Steele), ont été abondamment revus pour la version finale. Nous avons eu sous les yeux l'exemplaire de travail de Pierre Albert-Birot: les marges sont complètement remplies d'annotations!Il n'est guère d'autre exemple d'une oeuvre d'imagination menée ainsi avec obstination jusqu'à son terme pendant près d'un demi-siècle. Et cependant terminée! Pierre Albert-Birot a vécu 91 ans. Il a laissé, selon un mot devenu célèbre en France, le temps au temps. Nous ajouterons: il a aussi laissé à Grabinoulor, un personnage hors normes, le temps de se gonfler de tous ces mots dont nous souhaitons à tous de partager l'orgie.