V

Je ne sais si les Lois sont justes,

Ou si les Lois sont iniques.

Tout ce que nous savons, qui gisons en prison,

C’est que solide est le mur

Et que chaque jour est une année,

Une année dont longs sont les jours.

I know not whether Laws be right,

Or whether Laws be wrong ;

All that we know who lie in gaol

Is that the wall is strong ;

And that each day is like a year,

A year whose days are long.

 

Ce que je sais est que les Lois

Faites par les hommes pour l’Homme,

Depuis que l’Homme, la première fois, tua son frère

Et que naquit ce triste monde,

Épandent le grain et conservent la balle

En usant d’un van malfaisant538.

But this I know, that every Law

That men have made for Man,

Since first Man took his brother’s life,

And the sad world began,

But straws the wheat and saves the chaff

With a most evil fan.

 

Cela aussi je le sais – et ce serait sagesse

Que mêmement le sache chacun :

Toute prison bâtie par les hommes

Est bâtie de briques de honte

Et ceinte de barreaux pour empêcher le Christ de voir

Comment les hommes leurs frères mutilent.

This too I know – and wise it were

If each could know the same –

That every prison that men build

Is built with bricks of shame,

And bound with bars lest Christ should see

How men their brothers maim.

 

Leurs barreaux effacent la bienveillante lune,

Et aveuglent le bienfaisant soleil.

Ils font bien de celer leur Enfer

Car y sont commis des actes

Que ni Fils de Dieu ni Fils de l’Homme

Jamais ne devrait regarder !

With bars they blur the gracious moon,

And blind the goodly sun :

And they do well to hide their Hell,

For in it things are done

That Son of God nor son of Man

Ever should look upon !

**

Les méfaits les plus vils, herbes vénéneuses,

S’épanouissent dans l’air de la prison.

Seul ce qui est bon chez l’Homme

En ces lieux se gâte et s’étiole.

La pâle Angoisse garde la lourde porte

Et le Gardien a pour nom Désespoir.

The vilest deeds like poison weeds,

Bloom well in prison-air ;

It is only what is good in Man

That wastes and withers there :

Pale Anguish keeps the heavy gate,

And the Warder is Despair.

 

Car ils affament le petit enfant terrorisé

Jusqu’à ce qu’il pleure nuit et jour539 ;

Ils flagellent le faible et fouettent l’idiot540,

Raillent le vieillard grisonnant,

D’aucuns deviennent déments, tous méchants,

Et nul ne peut dire mot.

For they starve the little frightened child

Till it weeps both night and day :

And they scourge the weak, and flog the fool,

And gibe the old and grey,

And some grow mad, and all grow bad,

And none a word may say.

 

Les étroites cellules que nous occupons

Sont de sombres et immondes latrines541,

Et le souffle fétide de la Mort vivante

Engorge le fenestron grillagé,

Et tout, fors le Stupre542, est réduit en poussière

Par la machine des Hommes.

Each narrow cell in which we dwell

Is a foul and dark latrine,

And the fetid breath of living Death

Chokes up each grated screen,

And all, but Lust, is turned to dust

In Humanity’s machine.

 

Dans l’eau saumâtre que nous buvons

Stagne une boue répugnante,

Le pain aigre pesé sur la balance

Regorge de craie et de chaux543

Et, loin de se coucher, le Sommeil va errant,

L’œil hagard, en implorant le Temps.

The brackish water that we drink

Creeps with a loathsome slime,

And the bitter bread they weigh in scales

Is full of chalk and lime,

And Sleep will not lie down, but walks

Wild-eyed, and cries to Time.

**

Bien que Faim émaciée et que Soif verdâtre

Se battent comme aspic et vipère544,

En prison peut nous chaut l’ordinaire :

Ce qui glace et tue tout net,

C’est que la pierre soulevée le jour

La nuit devient notre cœur545.

But though lean Hunger and green Thirst

Like asp with adder fight,

We have little care of prison fare,

For what chills and kills outright

Is that every stone one lifts by day

Becomes one’s heart by night.

 

Avec minuit toujours dans le cœur,

Et le crépuscule dans la cellule,

Nous tournons la manivelle, effilochons la corde546,

Chacun dans son Enfer,

Et le silence est plus atroce

Que le son d’une cloche de bronze.

With midnight always in one’s heart,

And twilight in one’s cell,

We turn the crank, or tear the rope,

Each in his separate Hell,

And the silence is more awful far

Than the sound of a brazen bell.

 

Et jamais ne s’approche voix humaine

Pour prononcer un mot indulgent,

L’œil qui surveille à travers le judas

Est impitoyable et dur.

Oubliés de tous, nous pourrissons encore et encore,

Le corps et l’âme abîmés.

And never a human voice comes near

To speak a gentle word :

And the eye that watches through the door

Is pitiless and hard :

And by all forgot, we rot and rot,

With soul and body marred.

 

Aussi faisons-nous rouiller de la Vie la chaîne de fer,

Avilis et solitaires.

Les uns maudissent, les autres pleurent,

Et d’autres encore point ne gémissent.

Mais les Lois éternelles de Dieu sont douces

Qui brisent un cœur de pierre.

And thus we rust Life’s iron chain

Degraded and alone :

And some men curse, and some men weep,

And some men make no moan :

But God’s eternal Laws are kind

A nd break the heart of stone.

**

Et tout cœur d’homme qui se brise

Dans une cellule ou une cour de prison

Est pareil au vase brisé qui livra

Son trésor au Seigneur

Et emplit l’impure mais on du lépreux

Des senteurs du nard le plus coûteux547.

And every human heart that breaks,

In prison-cell or yard,

Is as that broken box that gave

Its treasure to the Lord,

And filled the unclean leper’s house

With the scent of costliest nard.

 

Ah ! Heureux celui dont le cœur se brise

Et gagne ainsi la paix du pardon !

Comment sinon amender son existence

Et purifier son âme du Péché ?

Par quelle autre voie que celle d’un cœur brisé

Seigneur Christ pourrait-il entrer ?

Ah ! happy they whose hearts can break

And peace of pardon win !

How else may man make straight his plan

And cleanse his soul from Sin ?

How else but through a broken heart

May Lord Christ enter in ?

**

Et l’homme à la gorge violacée et enflée,

Aux yeux fixes et farouches,

Attend les saintes mains qui menèrent

Le Larron en Paradis548.

Un cœur brisé et contrit

Jamais le Seigneur ne méprise549.

And he of the swollen purple throat,

And the stark and staring eyes,

Waits for the holy hands that took

The Thief to Paradise  ;

And a broken and a contrite heart

The Lord will not despise.

 

L’homme en rouge qui de la Loi donne lecture550

Lui accorda trois semaines de vie,

Trois courtes semaines pour guérir

Son âme aux prises avec son âme,

Et purifier de toute tache de sang

La main qui tint le couteau.

The man in red who reads the Law

Gave him three weeks of life,

Three little weeks in which to heal

His soul of his soul’s strife,

And cleanse from every blot of blood

The hand that held the knife.

 

Avec des larmes de sang, il purifia la main,

La main qui tint le fer :

Seul le sang peut effacer le sang,

Et seules les larmes guérissent.

La marque cramoisie de Caïn devint551

Le sceau du Christ, blanc comme neige552.

And with tears of blood he cleansed the hand,

The hand that held the steel :

For only blood can wipe out blood,

And only tears can heal :

And the crimson stain that was of Cain

Became Christ’s snow-white seal.