Chapitre 1
La Terre, il y a 114 millions d’années, un matin juste après le lever du soleil. La première fleur à apparaître sur notre planète s’ouvre pour recevoir les rayons du soleil. Depuis des millions d’années et avant cet événement capital qui annonce une transformation évolutive dans la vie des plantes, la planète était couverte de végétation. La première fleur n’a probablement pas survécu longtemps et les fleurs en général ne furent que des phénomènes rares et isolés, car les conditions n’étaient pas encore tout à fait favorables à une floraison à grande échelle. Pourtant, un jour, un seuil critique fut atteint et, soudainement, il y eut une explosion de couleurs et de senteurs sur la planète tout entière.. pour peu qu’il y ait eu une conscience pour en témoigner.
Beaucoup plus tard, ces êtres délicats et parfumés que nous nommons « fleurs » joueront un rôle essentiel dans l’évolution de la conscience d’autres espèces. Ainsi, les humains seront de plus en plus attirés et fascinés par elles. Les fleurs furent fort probablement la première chose à laquelle les humains, dotés d’une conscience en développement, attribuèrent une valeur aucunement utilitaire, une valeur sans lien avec la survie. Les fleurs servirent à inspirer d’innombrables artistes, poètes et mystiques. Jésus ne nous dit-il pas de contempler les fleurs et de les laisser nous apprendre à vivre. On dit même que Bouddha tint un jour un satsang* au cours duquel il observa en silence une fleur qu’il tenait dans sa main. Quelques instants plus tard, un de ceux présents, un moine nommé Mahakasyapa, se mit à sourire. On dit qu’il fut le seul à avoir compris ce discours silencieux. Selon la légende, ce sourire (c’est-à-dire l’éveil spirituel) fut transmis par vingt-huit maîtres successifs et, beaucoup plus tard, fut à l’origine de la tradition zen.
À la vue de la beauté d’une fleur, les humains s’éveillaient ainsi, même si ce n’était que brièvement, à la beauté qui fait essentiellement partie de leur être le plus profond, qui fait partie de leur véritable nature. La première fois que la beauté fut reconnue constitua un des événements les plus significatifs dans l’évolution de la conscience humaine étant donné que les sentiments de joie et d’amour lui sont intrinsèquement liés. Sans que nous le réalisions pleinement, les fleurs sont devenues pour nous l’expression manifestée de ce qui est le plus élevé, le plus sacré et en fin de compte le non manifesté en nous. Plus éphémères, plus éthérées et plus délicates que les plantes dont elles sont issues, les fleurs sont devenues en quelque sorte les messagères d’un autre monde, un pont entre le monde physique manifesté et le monde non manifesté. Elles transmettent non seulement une odeur délicate et agréable aux humains, mais également la suavité du royaume de l’esprit. Si l’on se sert du terme « illumination » dans un sens plus large que celui qui est traditionnellement accepté, nous pourrions avancer que les fleurs correspondent à l’illumination des plantes.
On peut dire que toute forme de vie issue de n’importe quel royaume – minéral, végétal, animal ou humain – passe par une « illumination ». Cependant, ceci se produit de façon extrêmement rare puisqu’il s’agit en fait beaucoup plus que d’une progression graduelle. En effet, ce phénomène sous-entend aussi une discontinuité dans son développement, un saut vers un plan totalement différent de l’Être et, chose encore plus importante, une réduction de la matérialité.
Existe-t-il quelque chose de plus lourd et de plus impénétrable que la pierre, la plus dense de toutes les formes? Malgré cela, certaines pierres subissent des changements dans leur structure moléculaire, se transforment en cristaux et deviennent ainsi transparentes. Certains carbones, quand ils sont soumis à des pressions et une chaleur inconcevables, se transforment en diamants et des minéraux lourds, en pierres précieuses.
La plupart des reptiles, les créatures qui sont le plus en contact avec la Terre, n’ont connu aucune transformation pendant des millions d’années. Cependant, certains se sont transformés en oiseaux puisque des ailes et des plumes leur ont poussé. C’est ce qui leur a permis de défier la force gravitationnelle qui les avait maintenus au sol pendant si longtemps. Ils ne se sont pas mis à mieux ramper ou à mieux marcher; ils ont tout simplement transcendé la reptation et la marche.
Depuis la nuit des temps, les fleurs, les cristaux, les pierres précieuses et les oiseaux détiennent une signification spéciale pour l’esprit humain. À l’instar de toutes les formes de vie, ils ne sont bien entendu que des manifestations temporaires de l’Unité sous-jacente, de la Conscience unique sous-jacente. Cette signification spéciale, attribuable à leur caractère éthéré, est la raison pour laquelle les humains ont toujours tellement été fascinés et attirés par eux.
Lorsqu’un humain a acquis un certain degré de présence à ce qui est, une attention vigilante mais quiète dans ses perceptions, il peut percevoir l’essence de la vie divine, la conscience ou l’esprit unique émanant de chaque créature et de chaque forme de vie, et la reconnaître comme ne faisant qu’une avec sa propre essence. Ainsi, il peut l’aimer comme il s’aime lui-même. Mais avant que cela ne se produise cependant, la plupart des humains ne voient que les formes extérieures. Ils n’en perçoivent pas l’essence, pas plus qu’ils ne perçoivent la leur. Ils s’identifient donc à leur propre forme physique et psychologique.
Pour ce qui est d’une fleur, d’un cristal, d’une pierre précieuse ou d’un oiseau par contre, même quelqu’un n’ayant pas ou peu développé le sens de la présence à ce qui est peut à l’occasion sentir qu’il émane autre chose de la forme physique, sans savoir que c’est la raison pour laquelle il est attiré par ces éléments, qu’il a une affinité avec eux. Vu la nature éthérée de ces formes, ces dernières cachent l’esprit qui les habite à un degré moindre que dans le cas d’autres formes de vie, à l’exception des formes de vie nouvellement nées, comme les bébés, les chiots, les chatons, les agneaux, etc. Ces derniers sont fragiles, délicats et pas encore fermement établis dans la matérialité. Il se dégage d’eux une innocence, une douceur et une beauté qui ne sont pas de ce monde. Ils ravissent même les humains les plus insensibles.
Alors, lorsque vous êtes vigilant et que vous contemplez une fleur, un cristal ou un oiseau sans le nommer mentalement, vous avez ainsi accès au non-manifeste. Une ouverture se produit à l’intérieur, même infime, dans le royaume de l’esprit. C’est pour cette raison que ces trois formes « illuminées » de vie ont joué un rôle important dans l’évolution de la conscience humaine depuis les temps les plus reculés. C’est aussi pour cette raison que la fleur de lotus est un symbole prédominant dans le bouddhisme et que la colombe blanche représente l’Esprit saint dans la chrétienté. Ces trois formes de vie ont préparé le terrain à un changement plus profond dans la conscience planétaire, changement qui est destiné à se produire chez l’espèce humaine. Il s’agit de l’éveil spirituel auquel nous commençons à assister.
L’humanité est-elle prête à accueillir une transformation de la conscience, une « floraison » intérieure si radicale et si profonde que, comparée à celle-ci, la floraison des plantes, aussi belle qu’elle puisse être, n’en soit qu’un pâle reflet ? Les êtres humains peuvent-ils perdre la densité propre aux structures de leur mental conditionné et, comme les cristaux ou les pierres précieuses, peuvent-ils pour ainsi dire devenir transparents et laisser passer la lumière de la conscience à travers eux ? Peuvent-ils défier l’attraction gravitationnelle du matérialisme et de la matérialité pour s’élever au-dessus de l’identification à la forme, qui maintient l’ego en place et les condamne à rester prisonniers de leur personnalité ?
L’éventualité d’une telle transformation constitue l’essentiel du message des enseignements des grands sages de l’humanité. En effet, Bouddha, Jésus et d’autres qui ne sont pas connus, sont les premières fleurs de l’humanité. Ce sont des précurseurs, des fleurs précoces, rares et précieuses. Une « floraison » généralisée n’était pas encore possible à leur époque et leurs messages respectifs ont été largement incompris et souvent grandement déformés. Leur avènement n’a certainement pas transformé le comportement humain, sauf chez une minorité.
L’humanité est-elle actuellement plus prête qu’elle ne l’était alors ? Pourquoi en serait-il ainsi ? Que pouvez-vous faire pour déclencher ou accélérer ce changement intérieur ? Quelles sont les caractéristiques du vieil état de conscience, de l’ego, et à quoi reconnaît-on la nouvelle conscience qui émerge ? Autant de questions essentielles, entre autres, sur lesquelles je me penche dans cet ouvrage. Chose encore plus importante, ce livre est lui-même un instrument de transformation qui est le fruit de cette nouvelle conscience. Les idées et concepts qu’il contient sont importants mais secondaires. Ils ne sont rien d’autre que des panneaux indicateurs pointant vers l’éveil. Et à mesure que vous lisez ce livre, un changement s’opère en vous.
Le principal objectif de cet ouvrage n’est pas d’ajouter de nouvelles informations ou croyances dans votre esprit, ni de vous convaincre de quoi que ce soit. Son objectif est d’amener un changement dans la conscience, en d’autres mots d’éveiller. Pris dans ce sens-là, ce livre n’est pas « intéressant ». Par livre intéressant, je veux dire un livre qui vous permet de garder une distance, de jouer avec des idées et des concepts, d’être d’accord ou pas avec ces derniers. Ce livre n’est pas intéressant parce qu’il traite de vous. Soit il changera l’état de votre conscience, soit il sera vide de sens pour vous. Il ne peut éveiller que ceux qui sont prêts. Tous ne sont pas prêts, mais bien des gens le sont. Et avec chaque nouvelle personne qui s’éveille, le mouvement d’entraînement dans la conscience collective prend de l’ampleur, rendant ainsi la chose plus facile pour les autres. Si vous ne connaissez pas le sens du terme « éveil », poursuivez votre lecture. Ce n’est qu’en vous éveillant que vous saisirez le véritable sens de ce terme. Même si vous n’en avez qu’un aperçu fugitif, cela suffira pour enclencher le processus d’éveil, qui est irréversible. Pour certains, cet aperçu se produira pendant la lecture de ce livre. Pour bien d’autres, le processus est déjà entamé, bien qu’ils ne l’aient pas encore réalisé. Ce livre les aidera donc à en prendre conscience. Pour certains, cet éveil a peut-être commencé par de grandes pertes ou souffrances et pour d’autres encore, par le contact avec un maître ou un enseignement spirituel, ou encore en lisant Le pouvoir du moment présent ou tout autre livre spirituellement vivant et par conséquent source de transformation. Il peut aussi s’agir d’une combinaison de ces divers éléments. Mais si le processus d’éveil s’est amorcé pour vous, soyez assuré que la lecture de cet ouvrage viendra l’accélérer.
La partie essentielle de l’éveil consiste en la reconnaissance de votre « vous non éveillé », de l’ego tel qu’il pense, parle et agit, et de la reconnaissance des processus mentaux collectifs et conditionnés qui perpétuent l’état de non-éveil. C’est la raison pour laquelle ce livre s’attarde sur les principaux aspects de l’ego et sur la façon dont ils fonctionnent individuellement ou collectivement. Ceci est important pour deux raisons intimement liées. La première est que si vous n’en connaissez pas les mécanismes fondamentaux et que vous ne savez pas le reconnaître, l’ego vous amènera malgré vous à vous identifier à lui toujours et encore. Ceci veut dire qu’il prend le contrôle, qu’il est un imposteur prétendant être vous. La deuxième raison est que l’acte de reconnaissance lui-même est une des façons permettant à l’éveil de se produire. Quand vous reconnaissez ce qui est inconscient en vous, ce qui rend cette reconnaissance possible est en fait la conscience émergente. C’est l’éveil. Vous ne pouvez pas vous battre avec l’ego et gagner, tout comme vous ne pouvez pas vous battre contre l’obscurité. Il faut simplement que la lumière de la conscience éclaire l’obscurité. Et cette lumière, c’est vous.
Si nous nous penchons plus en profondeur sur les vieilles traditions religieuses et spirituelles de l’humanité, nous découvrons que, au-delà des nombreuses différences superficielles, il existe deux notions fondamentales sur lesquelles la plupart d’entre elles s’appuient et se recoupent. Même si les termes employés pour décrire ces notions diffèrent, ils pointent tous vers une vérité fondamentale en forme de doublet. Le premier aspect de cette vérité est la réalisation que l’état « normal » d’esprit de la plupart des êtres humains comporte un puissant élément propre à ce que nous pourrions appeler « dysfonctionnement » ou même « folie ». Ce sont certains enseignements de l’hindouisme pur qui arrivent le plus près de présenter ce dysfonctionnement comme une forme de maladie mentale collective. Ces enseignements qualifient ce dysfonctionnement de maya, d’illusion. Ramana Maharshi, un des plus grands sages de l’Inde le dit sans détour : « Le mental est pure illusion. »
Le bouddhisme emploie aussi d’autres termes. En effet, selon Bouddha, l’esprit humain dans son état normal engendre dukkha, que l’on peut traduire par souffrance, insatisfaction ou tout simplement misère. Selon le bouddhisme, dukkha est une caractéristique de la condition humaine. Où que vous alliez, quoi que vous fassiez, dit Bouddha, vous rencontrerez la souffrance et, tôt ou tard, elle se manifestera dans toutes les situations.
Selon les enseignements chrétiens, l’humanité se trouve dans un état collectif normal de « péché originel ». Le terme « péché » a grandement été incompris et mal interprété. Dans la traduction littérale de l’ancien grec, langue dans laquelle le Nouveau Testament fut rédigé, pécher veut dire « manquer le but », comme l’archer manque sa cible. Pécher veut donc dire manquer le but de l’existence humaine. Pécher veut dire vivre maladroitement et aveuglément, et par conséquent souffrir et faire souffrir. Ici encore, le terme, une fois débarrassé de son bagage culturel et des mauvaises interprétations, désigne le dysfonctionnement inhérent à la condition humaine.
Les réalisations et les accomplissements de l’humanité sont certes indéniables et impressionnants. Nous avons créé d’incroyables œuvres musicales, littéraires, picturales, architecturales et sculpturales. Récemment, la science et la technologie ont instauré des changements radicaux dans notre façon de vivre et nous ont permis d’accomplir et de créer des choses que l’on aurait considérées comme des miracles ne serait-ce que 200 ans plus tôt. Il ne fait aucun doute que l’esprit humain est hautement intelligent. Pourtant, cette même intelligence est entachée de folie. La science et la technologie ont amplifié l’impact destructeur de ce dysfonctionnement sur la planète, sur les autres formes de vie et sur les humains eux-mêmes. C’est donc dans l’histoire du XXe siècle que l’on constate le plus clairement ce dysfonctionnement, cette insanité collective. Un autre facteur vient s’ajouter à cet état de choses : l’intensification et l’accélération de ce dysfonctionnement.
La Première Guerre mondiale éclata en 1914. Comme toutes les guerres s’étant produites dans l’humanité, elle fut destructrice, cruelle, motivée par la peur, la cupidité et la soif de pouvoir. Dans un autre ordre d’idée, l’esclavage, la torture et la violence généralisée ont toujours été infligés par les humains à d’autres humains au nom de la religion et de l’idéologie. Les humains ont toujours plus souffert à cause d’autres humains qu’à cause de catastrophes naturelles. En 1914, l’esprit humain hautement intelligent avait non seulement inventé le moteur à combustion interne, mais également les tanks, les bombes, les mitraillettes, les sous-marins, les lance-flammes et les gaz toxiques. L’intelligence mise au service de la folie, quoi! Dans la guerre des tranchées qui eut lieu en France et en Belgique, des millions d’hommes périrent pour gagner quelques kilomètres de boue seulement. À la fin de la guerre, en 1918, les survivants jetèrent un regard horrifié et incrédule sur la dévastation laissée par ce conflit : dix millions d’êtres humains tués et un nombre encore plus grand de personnes estropiées, mutilées ou défigurées. Jamais auparavant la folie humaine n’avait été aussi destructrice, aussi tangiblement visible. Ces survivants étaient loin de se douter que ce n’était que le début.
À la fin du XXe siècle, le nombre de personnes tuées violemment par d’autres humains a dépassé les cent millions. Ces personnes sont non seulement mortes dans des guerres entre nations mais aussi dans de grands génocides et exterminations : meurtre de 20 millions « d’ennemis de la classe, d’espions et de traîtres » en URSS sous le régime de Staline ou horreurs indicibles de l’holocauste de l’Allemagne nazie. Ces personnes sont également mortes dans d’innombrables petits conflits internes tels la Guerre civile d’Espagne ou le régime des Khmers rouges au Cambodge. Dans ce dernier pays, le quart de la population fut assassinée.
Il nous suffit de regarder les nouvelles à la télévision pour réaliser que la folie n’a pas diminué, qu’elle se perpétue effectivement au XXIe siècle. La violence sans précédent infligée aux autres formes de vie et à la planète est un autre aspect du dysfonctionnement collectif de l’esprit humain, comme la destruction des forêts qui produisent de l’oxygène, celle des plantes et des animaux, les mauvais traitements infligés aux animaux de ferme, l’empoisonnement des rivières, des océans et de l’air. Poussés par la cupidité et inconscients du fait qu’ils sont reliés au tout, les humains continuent d’adopter un comportement qui, à la longue, ne peut se solder que par leur propre destruction.
Les manifestations collectives de la folie propre à la condition humaine constituent en grande partie l’histoire de l’humanité. Dans une grande mesure, c’est l’histoire de la folie. Si l’histoire de l’humanité concernait les cas cliniques individuels d’êtres humains, les diagnostics se liraient comme suit : illusions paranoïaques chroniques, propension pathologique au meurtre, actes d’extrême violence et cruauté envers ses soi-disant ennemis. Ici, l’inconscience propre est projetée vers l’extérieur. Donc, folie criminelle avec quelques éclaircies de lucidité.
La peur, la cupidité et la soif de pouvoir sont les forces de motivation psychologique à l’œuvre non seulement dans les conflits et les violences entre nations, tribus, religions et idéologies, mais également dans les incessants conflits entre personnes. Ces émotions de peur, de cupidité et de violence amènent une distorsion de la perception que vous avez des humains et de vous-même. Elles créent un filtre à travers lequel vous interprétez mal chaque situation. Ce qui vous amène à agir de façon mal avisée tout simplement pour vous débarrasser de la peur et pour satisfaire votre besoin d’avoir toujours plus, de combler un trou sans fond qui ne peut en fait jamais l’être.
Il est cependant important de comprendre que la peur, la cupidité et la soif de pouvoir ne constituent pas le dysfonctionnement dont il est question ici, mais qu’elles sont engendrées par ce dysfonctionnement. Ce dernier est une illusion collective profondément ancrée dans l’esprit de chaque être humain. Même si un certain nombre d’enseignements spirituels nous disent de lâcher la peur et le désir, dans la pratique, cela ne fonctionne généralement pas. Pourquoi ? Parce que ces enseignements n’ont pas atteint la racine du dysfonctionnement. La peur, la cupidité et la soif de pouvoir n’en sont pas les facteurs causaux ultimes. Il est tout à fait louable et noble de vouloir devenir une bonne ou une meilleure personne. Cependant, on ne peut réussir dans cette démarche que s’il y a un basculement dans la conscience. À vrai dire, le fait de vouloir devenir meilleur appartient encore au même dysfonctionnement, sous une forme plus subtile d’amélioration personnelle, de désir de plus et de renforcement de l’identité, de renforcement de l’image personnelle. On ne devient pas bon en essayant d’être bon, mais en trouvant la bonté qui est déjà en soi et en lui permettant de s’exprimer. Mais celle-ci ne peut émerger que si des changements fondamentaux se produisent dans l’état de conscience.
L’histoire du communisme, idéologie inspirée à l’origine par de nobles idéaux, illustre parfaitement ce qui se produit lorsque les gens essayent de changer la réalité extérieure – créer une nouvelle Terre – sans avoir auparavant changé leur réalité intérieure, c’est-à-dire leur état de conscience. Ils tracent des plans sans tenir compte de l’engramme de dysfonctionnement porté par chaque être humain, sans tenir compte de l’ego.
La plupart des anciennes religions et traditions spirituelles s’entendent sur une notion selon laquelle notre état « normal » d’esprit est altéré par un défaut fondamental. Cependant, de cette notion sur la nature humaine – que l’on pourrait qualifier de mauvaise nouvelle – émerge une seconde notion – que l’on pourrait qualifier de bonne nouvelle : il est possible de transformer radicalement la conscience humaine. Selon les enseignements hindous, et parfois dans les enseignements bouddhistes aussi, cette transformation est appelée illumination. Dans ses enseignements, Jésus la nommait salut. Quant au bouddhisme, il l’appelle fin de la souffrance. On utilise aussi les termes éveil, libération et réalisation pour décrire cette transformation.
Le plus grand accomplissement de l’humanité n’est pas ses œuvres d’art, sa science ou sa technologie, mais plutôt la reconnaissance de son propre dysfonctionnement, de sa propre folie. Il y a très longtemps, certaines personnes isolées ont reconnu cette folie. Un homme appelé Gautama Siddhartha et ayant vécu il y a 2 600 ans en Inde fut peut-être le premier à le voir avec une clarté absolue. Ce n’est que plus tard que le titre de Bouddha lui fut attribué, terme qui signifie « celui qui est éveillé ». Environ à la même époque, la Chine vit naître un autre des maîtres éveillés de l’humanité, Lao-tseu. Ce dernier nous a légué ses enseignements sous la forme d’un des livres spirituels les plus profonds jamais écrit, le Tao-tö-king (Le livre de la voie et de la vertu).
Quand on reconnaît sa propre folie, on permet à la santé mentale d’émerger et à la guérison et à la transcendance de s’effectuer. Une nouvelle dimension de la conscience avait donc commencé à voir le jour sur notre planète. Les rares personnes chez qui elle était advenue s’adressèrent à leurs contemporains, leur parlèrent de péché, de souffrance, d’illusion : « Observez la façon dont vous vivez. Observez ce que vous faites. Regardez la souffrance que vous causez. » Ils leur ont ensuite montré qu’il était possible de sortir du cauchemar collectif de l’existence humaine « normale ». Ils leur ont montré le chemin.
Même si le monde n’était pas encore prêt à les entendre, ces maîtres furent pourtant un élément crucial et nécessaire à l’éveil des humains. Ces rares personnes furent bien entendu incomprises de leurs contemporains ainsi que des générations suivantes. Leurs enseignements simples mais puissants furent déformés et mal interprétés, dans certains cas par leurs disciples, lorsqu’ils consignèrent par écrit ces enseignements. Au fil des siècles, de nombreux éléments furent ajoutés qui n’avaient rien à voir avec les enseignements d’origine. Ils n’étaient que le reflet d’une incompréhension fondamentale. Certains de ces maîtres furent ridiculisés, injuriés ou même tués. D’autres devinrent adorés comme des dieux. Les enseignements qui indiquaient la voie pour dépasser le dysfonctionnement, pour dépasser la folie collective, furent déformés et devinrent eux-mêmes partie intégrante de la folie.
C’est ainsi que les religions, dans une grande mesure, dissocièrent plutôt qu’elles unirent. Au lieu de mettre fin à la violence et à la haine par la réalisation de l’unité fondamentale propre à la vie, elles engendrèrent davantage de violence et de haine, davantage de division entre les peuples, entre les diverses religions et même au sein d’une religion. Les religions devinrent des idéologies, des systèmes de croyances auxquels les gens pouvaient s’identifier et qu’ils pouvaient utiliser pour intensifier le faux sens de soi qu’ils avaient d’eux-mêmes. Ces idéologies et croyances leur permettaient d’avoir raison, les autres ayant ainsi automatiquement tort, et de définir leur identité à travers leurs ennemis, les « autres », les « mécréants », les « non-croyants », se donnant par là le droit justifié de les tuer au besoin. L’homme fit Dieu à son image. L’éternel, l’infini et l’innommable fut réduit à une idole mentale en laquelle il fallait croire et qu’il fallait vénérer comme « mon dieu » ou « notre dieu ».
Et pourtant, malgré tous les gestes déments posés au nom de la religion, la Vérité vers laquelle ces gestes veulent tendre brille toujours et encore. Elle brille toujours, même si ce n’est que faiblement, à travers de multiples couches de déformations et de mauvaises interprétations. Il est cependant improbable que vous puissiez la percevoir à moins que vous en ayez déjà eu quelques petits aperçus en vous. Tout au long de l’histoire, il y a toujours eu quelques rares personnes qui ont connu un basculement de leur conscience et qui ont vu en eux Ce vers quoi toutes les religions tendent. Pour décrire cette Vérité non conceptuelle, ils se sont servis du cadre conceptuel de leurs propres religions respectives.
Par ces hommes et ces femmes, des écoles ou des mouvements virent le jour au sein de la plupart des religions. Ces écoles ou mouvements représentèrent non seulement une redécouverte de la lumière propre aux enseignements originaux, mais une intensification de celle-ci. C’est ainsi que le gnosticisme et le mysticisme virent le jour dans la chrétienté médiévale, le soufisme dans la religion islamique, l’hassidisme et la cabale dans le judaïsme, l’advaïta vedenta dans l’hindouisme, le zen et le dzogchen dans le bouddhisme. Iconoclastes, ces écoles firent pour la plupart table rase de toutes les couches de conceptualisation étouffante et des structures mentales des croyances. C’est pour cette raison que la plupart de ces écoles étaient considérées avec défiance et même hostilité par la hiérarchie religieuse établie. À l’inverse de la religion courante, ces écoles dispensaient des enseignements mettant l’accent sur la transformation intérieure et sur la réalisation. C’est par le biais de ces écoles ou mouvements ésotériques que les plus grandes religions retrouvèrent le pouvoir transformateur de leurs enseignements originaux, même si dans la plupart des cas, seulement une infime minorité de gens y avait accès. En effet, ils ne furent jamais assez nombreux pour avoir un impact significatif sur l’inconscient collectif de la majorité. Avec le temps, certaines de ces écoles devinrent trop rigides sur le plan de la forme ou du fond.
Quel est le rôle des religions établies dans l’émergence de cette nouvelle conscience ? Bien des gens sont déjà conscients du fait qu’il existe une différence entre spiritualité et religion. Ils réalisent que le fait de disposer d’un système de croyances – un ensemble de pensées que vous considérez comme vérité absolue – ne fait pas de vous une personne spirituelle, quelle que soit la nature de ces croyances. En fait, plus vous assimilez vos pensées (croyances) à votre identité, plus vous vous coupez de votre dimension spirituelle intérieure. Bien des gens « religieux » restent pris à ce niveau. Comme ils assimilent la vérité à la pensée, une fois qu’ils sont complètement identifiés à leurs pensées (leur mental), ils prétendent être les seuls possesseurs de la vérité. Inconsciemment, ils ne font que protéger leur identité et ne réalisent surtout pas les limites de la pensée. À moins de croire (penser) exactement comme eux, vous êtes selon eux dans l’erreur. Il n’y a pas si longtemps, ils vous auraient tué pour cela tout en se sentant tout à fait justifiés de le faire. C’est d’ailleurs ce que certains font encore de nos jours.
La nouvelle spiritualité, c’est–à-dire la transformation de la conscience, émerge dans une grande mesure en dehors des structures religieuses institutionnalisées actuelles. La spiritualité a toujours existé dans les religions dominées par le mental. Mais les hiérarchies institutionnalisées se sont toujours senties menacées par elle et ont souvent essayé de la supprimer. L’ouverture à la spiritualité à grande échelle en dehors des structures religieuses est un phénomène entièrement nouveau. Autrefois, cela n’aurait pas pu se concevoir, surtout en Occident, la culture la plus dominée de toutes par le mental, culture où l’Église chrétienne avait une franchise virtuelle sur la spiritualité. Il était foncièrement impossible de discourir sur la spiritualité ou de publier des livres dans ce domaine à moins d’avoir été approuvé par l’Église. Si vous ne l’étiez pas, on vous réduisait illico presto au silence. Mais de nos jours, il y a des signes de changements, même dans certaines confessions et religions. Il est réconfortant et gratifiant de constater le moindre signe d’ouverture, entre autre la visite du pape Jean-Paul II à une mosquée et une synagogue.
En partie à cause des enseignements spirituels issus des religions établies, mais aussi grâce à l’arrivée des anciens enseignements orientaux, un nombre croissant d’adeptes des religions traditionnelles peuvent désormais se détacher de leur identification à la forme, au dogme et aux systèmes de croyances rigides pour découvrir la profondeur cachée originale propre à leur tradition spirituelle. Par la même occasion, ils découvrent cette profondeur en eux. Ces adeptes réalisent ainsi que le degré de spiritualité n’a rien à voir avec ce en quoi vous croyez, mais tout à voir avec votre état de conscience. Et cette prise de conscience détermine la façon dont vous agissez dans le monde et avec autrui.
Ceux qui ne réussissent pas à voir au-delà de la forme s’incrustent davantage dans leurs croyances, c’est-à-dire dans leur mental. Nous assistons donc en ce moment non seulement à une expansion sans précédent de la conscience, mais également, en parallèle, à un fort renforcement de l’ego. Certaines institutions religieuses acceptent de s’ouvrir à cette conscience nouvelle, alors que d’autres durcissent leurs positions et rejoignent les rangs de toutes les autres structures créées par l’homme pour permettre à l’ego de se défendre et de contre-attaquer. Certains cultes, confessions, sectes ou mouvements religieux forment des entités collectives totalement fondées sur l’ego et aussi rigidement identifiées à leurs positions mentales que les partisans de n’importe quelle idéologie politique fermée à une quelconque autre interprétation de la réalité que la leur.
Mais, comme l’ego est destiné à se dissoudre, toutes ses structures rigides, qu’elles soient de nature religieuse, institutionnelle, corporative ou gouvernementale, se désintégreront de l’intérieur, même si elles semblent profondément ancrées. Ce sont les structures les plus rigides, les plus hermétiques au changement qui s’effondreront les premières. C’est ce qui s’est déjà produit dans le cas du communisme soviétique. Ce régime politique ne semblait-il pas ancré à tout jamais, solide et monolithique ? Pourtant, en quelques années, il s’est désintégré de l’intérieur. Personne ne l’avait prévu et tout le monde fut pris par surprise. Quelques autres belles surprises de cet ordre nous attendent !
Quand on se trouve devant une crise radicale, quand la vieille façon d’être dans le monde, d’interagir avec autrui et avec la nature ne fonctionne plus, quand la survie est menacée par des problèmes apparemment insurmontables, soit une forme de vie particulière ou une espèce mourra, soit elle dépassera les limites qui lui sont imposées et fera un bond évolutif.
Les formes de vie de notre planète auraient tout d’abord évolué dans la mer. Alors qu’il n’y avait aucun animal sur la terre, la mer regorgeait déjà de vie. À un moment donné, une de ces créatures marines a dû s’aventurer sur la terre. Elle a probablement au tout début rampé quelques centimètres puis, épuisée par l’énorme force gravitationnelle de la planète, a dû retourner dans l’eau, où la force de gravité étant presque nulle, elle pouvait vivre plus facilement. Puis, après d’incalculables tentatives, elle s’est adaptée à la vie sur terre, a développé des pattes à la place des nageoires et des poumons, à la place des branchies. Une espèce ne s’aventure pas dans un milieu si étranger et ne subit pas une telle transformation évolutive à moins qu’une situation critique ne la force à le faire. Peut-être une grande partie de la mer fut-elle coupée du reste et vit-elle son niveau baisser au fil des millénaires, forçant les poissons à quitter leur milieu et à évoluer ailleurs.
C’est à ce genre de défi auquel l’humanité est confrontée actuellement : l’humanité doit réagir à une situation critique qui menace sa survie même. Le dysfonctionnement de l’esprit (ego), déjà reconnu il y a plus de 2 500 ans par les anciens sages et maintenant amplifié par la science et la technologie, menace pour la première fois la survie de la planète tout entière. Jusqu’à récemment, la transformation de la conscience humaine, également mentionnée par les anciens sages, n’était rien d’autre qu’une possibilité, concrétisée ça et là chez quelques rares personnes, indépendamment de leur culture ou de leur confession religieuse. Un tel avènement de la conscience humaine ne se produisait pas parce que ce n’était pas impératif.
Une portion significative de la population terrestre reconnaîtra bientôt, si ce n’est déjà fait, que l’humanité se trouve devant un choix brutal : évoluer ou mourir. Un pourcentage encore relativement faible mais constamment croissant de l’humanité est en train de faire sauter les vieilles structures de l’ego et d’entrer dans une nouvelle dimension de la conscience.
Ce qui émerge en ce moment, ce n’est pas un nouveau système de croyances, une nouvelle religion, mythologie ou idéologie spirituelle, puisque nous arrivons au bout non seulement des mythologies, mais également des idéologies et des systèmes de croyances. Le changement se situe au-delà du contenu du mental, au-delà de nos pensées. En fait, au cœur de la nouvelle conscience se trouve la transcendance de la pensée, l’habileté nouvellement trouvée de s’élever au-dessus de la pensée et de réaliser une dimension en soi infiniment plus vaste que la pensée. Le sens de votre identité ne vient alors plus de l’incessant flot de pensées que vous preniez pour vous dans l’état de l’ancienne conscience. Quelle libération de réaliser que la « voix dans ma tête » n’est pas ce que je suis ! Mais alors, qui suis-je ? Je suis celui qui voit ceci. Je suis celui qui est là avant la pensée. Je suis la présence dans laquelle la pensée, l’émotion ou la perception se produisent.
L’ego n’est rien d’autre qu’une identification à la forme, principalement aux formes-pensées. Si le diable est un tant soit peu une réalité (pas une réalité dans l’absolu, mais quelque chose d’apparenté), cette définition lui convient bien aussi : complète identification à la forme, qu’il s’agisse de formes physiques, de formes-pensées, de formes émotionnelles. Cette identification se traduit par une inconscience totale de mon lien avec le Tout, avec tout autre être et avec la Source. Cet oubli, c’est le péché originel, la souffrance, l’illusion. Quand cette illusion de division sous-tend et gouverne tout ce que je pense, dis et fais, quelle sorte de monde puis-je créer ? Pour trouver la réponse à cette question, il suffit d’observer la façon dont les humains agissent les uns envers les autres, de lire un livre d’histoire ou de simplement regarder les nouvelles à la télévision le soir.
Si les structures du mental humain restent telles qu’elles sont, nous finirons toujours par fondamentalement recréer le même monde, les mêmes démons, le même dysfonctionnement.
Pour le titre de cet ouvrage, je me suis inspiré d’une prophétie de la Bible qui semble plus appropriée maintenant qu’à n’importe quel autre moment de l’histoire de l’humanité. Cette prophétie, qui se retrouve aussi bien dans l’Ancien que dans le Nouveau Testament, parle de l’effondrement de l’ordre mondial existant et de l’émergence d’un « nouveau paradis et d’une nouvelle terre[1] ». Il faut comprendre ici que le paradis n’est pas un lieu à proprement parler, mais le royaume intérieur de la conscience. Tel est le sens ésotérique de ce terme. C’est également le sens des enseignements de Jésus. Quant à la Terre, elle est la manifestation extérieure de ce paradis intérieur. La conscience humaine collective et la vie sur notre planète sont intrinsèquement liées. Le « nouveau paradis », c’est l’avènement d’un état de conscience humaine transformée, la « nouvelle Terre » en étant le reflet dans le monde physique. Étant donné que la vie et la conscience humaines font intrinsèquement un avec la vie de la planète, et à mesure que l’ancienne conscience se dissout, il est certain que, parallèlement, des bouleversements géographiques et climatiques se produisent à bien des endroits de la planète, bouleversements auxquels nous assistons déjà.
[ 1 ] Révélation, XXI, 1 et Isaïe, CVX, 17.
[ * ] NdT : Par satsang on entend une assemblée d’adeptes assis devant un maître spirituel où ce dernier s’adresse à l’assemblée ou peut également garder le silence.