Chapitre 3
La plupart des gens sont si totalement identifiés à la voix dans leur tête – cet incessant flot de pensées involontaires, compulsives, et d’émotions les accompagnant – que nous pourrions dire qu’ils sont possédés par leur mental. Aussi longtemps que vous êtes complètement inconscient de cela, vous prenez le penseur pour ce que vous êtes. Mais il s’agit en fait de l’ego. Nous lui donnons le nom d’ego car il y a un certain sens de soi, de je (ego) dans chaque pensée, chaque souvenir, chaque interprétation, opinion, point de vue, réaction, émotion. Spirituellement parlant, il s’agit d’inconscience. Il va sans dire que votre pensée, c’est-à-dire le contenu de votre mental, est conditionnée par votre passé, autrement dit par votre éducation, votre culture, votre famille, etc. Le cœur de toute votre activité mentale consiste en un certain nombre de pensées, émotions et réactions répétitives et persistantes auxquelles vous vous identifiez le plus. Cette entité, c’est l’ego lui-même.
Le plus souvent, quand vous dites « je », c’est l’ego qui parle, pas vous, ainsi que nous l’avons vu. L’ego est fait de pensées et d’émotions, d’un fatras de souvenirs auxquels vous vous identifiez en tant que « moi et mon histoire », de rôles habituels que vous jouez sans le savoir, d’identifications collectives comme la nationalité, la religion, la race, la classe sociale ou l’allégeance politique. On trouve également dans l’ego des identifications personnelles non seulement aux possessions, mais également aux opinions, à l’apparence extérieure, aux vieux ressentiments, aux concepts de vous comme étant mieux ou moins bien que les autres, aux réussites et aux échecs.
Même si le contenu de l’ego varie d’une personne à une autre, sa structure est toujours la même. Autrement dit, les egos ne diffèrent que superficiellement et sont, au fin fond, tous pareils. En quoi sont-ils tous pareils? En ce qu’ils se nourrissent tous d’identification et de division. Quand vous vivez par le truchement du moi créé par le mental fait de pensées et d’émotions qu’est l’ego, le fondement de votre identité est précaire parce que, de par leur nature, les pensées et les émotions sont éphémères. C’est ce qui fait que chaque ego se bat continuellement pour survivre et qu’il essaie de se protéger et de se renforcer. Pour maintenir la pensée « Je », l’ego a besoin de la pensée opposée « l’autre ». L’idée de « je » ne peut survivre sans l’idée de « l’autre ». Les autres sont surtout « autre » quand je les considère comme mes ennemis. En bas de l’échelle de ce scénario inconscient de l’ego, on trouve l’habitude compulsive de se plaindre des autres et de leur donner tort. C’est ce à quoi Jésus fit allusion quand il dit « Pourquoi voyez-vous la paille qui est dans l’œil de votre prochain, mais pas la poutre qui est dans le vôtre[1] ? » En haut de l’échelle, on trouve la violence physique entre personnes et la guerre entre nations. Dans la Bible, la question de Jésus reste sans réponse, réponse qui est bien entendu la suivante : parce que quand je critique ou condamne les autres, je me sens plus important, je me sens supérieur.
La récrimination est une des stratégies que l’ego préfère pour se renforcer. Chaque doléance est une petite histoire que le mental invente et en laquelle vous croyez complètement. Que vous vous plaigniez à voix haute ou en pensée ne fait aucune différence. Certains egos n’ayant peut-être pas grand chose d’autre à quoi s’identifier survivent facilement rien qu’avec les récriminations. Quand vous êtes contrôlé par un tel ego, votre habitude c’est de vous plaindre, surtout des autres, et bien entendu de façon inconsciente. Ceci veut dire que vous ne savez pas ce que vous faites. L’attribution d’étiquettes mentales aux gens, que ce soit directement à eux ou plus communément quand vous parlez d’eux à d’autres ou quand vous pensez à eux fait souvent partie de ce scénario. Les insultes sont la forme la plus grossière d’attribution d’étiquettes aux autres et du besoin de l’ego d’avoir raison et de triompher des autres. « Abruti, salaud, salope » sont toutes des interjections sans appel. Au palier inférieur suivant de l’échelle de l’inconscience, vous avez les cris et les hurlements, et pas très loin en dessous, la violence physique.
Le ressentiment est l’émotion qui accompagne les doléances et l’étiquetage mental. Il redonne davantage d’énergie à l’ego. Avoir du ressentiment veut dire se sentir amer, indigné, lésé ou offensé. Vous en voulez aux autres parce qu’ils sont cupides, malhonnêtes et qu’ils manquent d’intégrité. Vous leur en voulez pour ce qu’ils font, ce qu’ils ont fait, ce qu’ils ont dit, ce qu’ils ont dit qu’ils feraient et n’ont pas fait, pour ce qu’ils auraient dû faire ou ne pas faire. L’ego adore ça. Au lieu de fermer les yeux sur l’inconscience des autres, vous l’associez à leur identité. Et qui fait ça ? L’inconscience qui est en vous, l’ego. Parfois, le défaut que vous percevez chez l’autre ne s’y trouve même pas. Il s’agit d’une interprétation totalement erronée, d’une projection du mental conditionné à voir des ennemis partout pour se donner raison et se rendre supérieur. D’autres fois, le défaut est là, mais en mettant l’accent sur celui-ci, parfois à l’exclusion de tout le reste, vous l’amplifiez. Et ce à quoi vous réagissez chez l’autre, vous le renforcez chez vous.
Ne pas réagir à l’ego des autres est une des façons les plus efficaces non seulement de dépasser l’ego chez vous, mais également de participer à la dissolution de l’ego collectif. Mais vous serez en état de ne pas réagir seulement si vous réussissez à reconnaître que le comportement de telle ou telle personne provient de l’ego et qu’il est l’expression du dysfonctionnement humain collectif. Quand vous réalisez que le comportement n’a rien de personnel, il n’y a pour ainsi dire plus de compulsion à réagir. En ne réagissant pas à l’ego, vous réussirez souvent à faire ressortir ce qu’il y a de sain chez les autres, c’est-à-dire la conscience non conditionnée. Il se peut que vous ayez parfois besoin de prendre des mesures pratiques pour vous protéger de gens profondément inconscients, et ce, sans en faire des ennemis. Mais votre plus grande protection, c’est d’être conscient. Une personne deviendra un ennemi si vous personnalisez l’inconscience qu’est l’ego. Ne pas réagir, ce n’est pas faire preuve de faiblesse, mais de force. On pourrait employer le terme pardon à la place de non-réaction. Pardonner, c’est fermer les yeux, ou encore mieux, voir à travers. À travers l’ego, vous voyez ce qu’il y a de sain chez chaque être humain et ce qui constitue son essence.
L’ego aime se plaindre et éprouver du ressentiment non seulement envers les autres, mais également envers les situations. Ce que vous faites avec une personne, vous pouvez aussi le faire avec une situation, c’est-à-dire en faire un ennemi. C’est toujours la même rengaine : ceci ne devrait pas se produire, je ne veux pas être ici, je ne veux pas faire ça, on me traite injustement. Et le plus grand ennemi de l’ego est bien entendu le moment présent, c’est-à-dire la vie elle-même.
Mais il ne faut pas confondre se plaindre avec informer quelqu’un d’une erreur ou d’un manque, afin que la situation puisse être redressée. Et s’abstenir de se plaindre ne veut pas nécessairement dire endurer de la mauvaise qualité ou un mauvais comportement. L’ego n’entre pas en jeu si vous dites à un serveur que votre soupe est froide et qu’il faudrait la réchauffer, du moins si vous vous en tenez aux faits toujours neutres. « Comment osez-vous me servir de la soupe froide.. » En disant cela, vous vous plaignez, vous faites entrer en jeu un « me » qui aime se sentir personnellement offensé par la soupe froide et qui va tirer le maximum de la situation, un « me » qui aime donner tort à l’autre. Le genre de plainte dont il est question ici est au service de l’ego, pas du changement. Parfois, il est évident que l’ego ne veut pas réellement de changement afin de pouvoir continuer à se plaindre.
Voyez si vous réussissez à attraper (remarquer) la voix dans votre tête au moment même où elle se plaint de quelque chose. Reconnaissez-la pour ce qu’elle est, c’est-à-dire la voix dans votre tête, rien de plus qu’un schème mental conditionné, une pensée. Chaque fois que vous remarquerez cette voix, vous réaliserez également que vous n’êtes pas la voix mais celui qui en est conscient. En fait, vous êtes la conscience qui est consciente de la voix. En arrière, il y a la conscience et en avant, la voix, le penseur. De cette façon, vous commencez à vous libérer de l’ego, à vous libérer du mental. Dès l’instant où vous devenez conscient de l’ego en vous, il n’est plus à proprement parler l’ego, mais juste un vieux schème mental conditionné. Comme ego veut dire inconscience, conscience et ego ne peuvent coexister. Il se peut que le vieux schème mental survive et réapparaisse pendant un certain temps puisqu’il suit un mouvement d’entraînement vieux de milliers d’années d’inconscience humaine collective. Cependant, chaque fois que ce vieux schème est reconnu, il s’affaiblit.
Alors que les récriminations sont souvent accompagnées de ressentiment, elles peuvent aussi être accompagnées d’une émotion plus forte comme la colère ou toute autre forme de contrariété. La charge énergétique de la plainte est ainsi plus forte, cette dernière se transformant en réactivité, qui est une autre façon que l’ego adopte pour se renforcer. Bien des gens attendent toujours que certaines situations se présentent pour pouvoir réagir, se sentir agacés ou dérangés et il ne leur faut pas grand temps pour en trouver. « C’est scandaleux », disent-ils. « Comment oses-tu.. » « Je déteste ça. » Ils ont développé une dépendance à la contrariété et à la colère comme d’autres en développent une aux drogues. En réagissant à ceci ou cela, ils affirment et renforcent le sens de leur identité.
Le ressentiment qui dure s’appelle rancune. Porter de la rancune en soi, c’est être en permanence « contre » et c’est la raison pour laquelle la rancune constitue une partie significative de l’ego chez bien des gens. Les rancunes collectives peuvent survivre pendant des siècles dans la psyché d’une nation ou d’une tribu et alimenter un cycle sans fin de violence.
La rancune est une forte émotion négative reliée à un événement ayant parfois eu lieu il y a longtemps et que l’on entretient par la pensée compulsive en se répétant l’histoire dans sa tête ou tout haut sous la forme de « ce que quelqu’un m’a fait » ou « ce que quelqu’un nous a fait ». La rancune contaminera d’autres secteurs de votre vie. Par exemple, pendant que vous ressassez et sentez la rancune, l’énergie émotionnelle négative qui lui est rattachée peut déformer votre perception d’un événement se produisant dans le présent ou influencer la façon dont vous parlez ou agissez avec une personne dans le présent. Une forte rancune arrive à contaminer de grands secteurs de votre vie et à vous maintenir sous l’emprise de l’ego.
Il faut de l’honnêteté pour reconnaître que vous abritez encore de la rancune, qu’il y a quelqu’un, un ennemi, dans votre vie à qui vous n’avez pas complètement pardonné. Si c’est le cas, soyez conscient de la rancune aussi bien sur le plan cognitif qu’émotionnel. En d’autres mots, soyez conscient des pensées qui entretiennent cette rancune et sentez l’émotion que le corps génère en réponse à ces pensées. N’essayez pas de vous débarrasser de la rancune. Essayer de se débarrasser ou de pardonner ne fonctionne pas. Le pardon se produit naturellement quand vous voyez que la rancune n’a d’autre raison d’être que de renforcer un faux sens de soi, de maintenir l’ego. Voir, c’est se libérer. Quand Jésus disait « Pardonnez à vos ennemis », il enseignait essentiellement aux gens à défaire une des principales structures de l’ego humain.
Le passé n’a pas le pouvoir de vous empêcher d’être présent maintenant. Seule la rancune concernant un fait passé a ce pouvoir. Et qu’est la rancune sinon un fardeau de vieilles pensées et de vieilles émotions.
Se plaindre, réagir et trouver les défauts des autres constituent des stratagèmes qui renforcent le sens des limites et de la division de l’ego, et qui en assurent la survie. Ils renforcent également l’ego en lui donnant une impression de supériorité, dont il se nourrit. Il ne semble pas immédiatement évident de quelle façon les doléances – disons au sujet des embouteillages, des politiciens, des « gens riches et cupides », des « gens paresseux au chômage », de vos collègues ou ex-conjoint, des hommes ou des femmes – peuvent vous procurer un sentiment de supériorité. Voici comment. Lorsque vous vous plaignez, il y a le sous-entendu implicite que vous avez raison et que la personne ou la situation dont vous vous plaignez a tort.
Il n’y a rien qui renforce le plus l’ego que le fait d’avoir raison. Avoir raison, c’est s’identifier à une position mentale, un point de vue, une opinion, un jugement, une histoire. Mais bien entendu, pour que vous ayez raison, quelqu’un doit avoir tort. L’ego adore donc donner tort puisque cela lui donne le droit d’avoir raison. Autrement dit, vous devez donner tort aux autres pour acquérir un sens plus fort d’identité. Avec les doléances et la réactivité, ce ne sont pas seulement les gens qui peuvent être dans le tort, mais aussi les situations : « ceci ne devrait pas arriver ». Le fait d’avoir raison vous met dans une position de supériorité morale imaginaire par rapport à la personne ou à la situation qui est jugée et que l’on trouve imparfaite. C’est ce sentiment de supériorité dont l’ego se repaît pour se renforcer.
Les faits existent hors de tout doute. Si vous dites que la lumière se déplace plus rapidement que le son et qu’une autre personne prétend que c’est le contraire qui est vrai, vous avez évidemment raison et l’autre, tort. La simple observation que la foudre précède le tonnerre en est une confirmation. Donc, non seulement vous avez raison, mais vous savez que vous avez raison. L’ego joue-t-il un rôle là-dedans ? Peut-être, mais pas nécessairement. Si vous énoncez simplement ce que vous savez être vrai, l’ego ne joue aucun rôle du tout puisqu’il n’y a aucune identification. Identification à quoi ? Au mental et à une position mentale. Mais une telle identification peut facilement intervenir. Si vous vous surprenez à dire « Croyez-moi, je le sais » ou « Pourquoi ne me crois-tu jamais ? », dites-vous que l’ego a déjà fait son entrée en scène. Il se cache derrière le petit mot « moi » ou « me ». Alors, le simple énoncé « la lumière se déplace plus vite que le son » se retrouve au service de l’ego, même s’il est vrai. Il s’est fait contaminer par un faux sens de « je », il s’est personnalisé et transformé en position mentale. Le « je » se sent diminué ou offensé parce que quelqu’un ne croît pas ce que « je » a dit.
L’ego prend tout personnellement, ce qui suscite des émotions comme la résistance ou l’agressivité. Pensez-vous que vous défendez la vérité ? Non, car la vérité n’a pas besoin d’être défendue. La lumière ou le son n’ont rien à faire de ce que vous pensez ou de ce que les autres pensent. C’est vous que vous défendez, ou plutôt l’illusion de vous-même, le substitut créé par le mental. Il serait encore plus précis de dire que c’est l’illusion qui se défend elle-même. Si le domaine simple et direct des faits peut se prêter à la déformation et aux illusions, qu’en est-il alors des domaines beaucoup moins tangibles des opinions, des jugements et des points de vue, tous étant des formes-pensées pouvant facilement être imprégnées d’un sens d’identité.
Les egos confondent opinions et points de vue avec faits. Qui plus est, ils ne savent pas faire la différence entre un événement et une réaction à cet événement. Chaque ego est un spécialiste de perception sélective et d’interprétation déformée. C’est seulement avec la conscience, pas avec la pensée, que l’on peut distinguer un fait d’une opinion. C’est seulement avec la conscience que l’on peut voir la situation d’un côté et, de l’autre, la colère que l’on ressent à son sujet, et que l’on réalise qu’il existe d’autres façons d’aborder la situation, d’autres façons de la voir et de composer avec elle. C’est seulement avec la conscience que l’on peut voir la totalité d’une situation ou d’une personne au lieu d’adopter une perspective limitée.
Au-delà du domaine des simples faits vérifiables, la certitude que « j’ai raison et que vous avez tort » est une chose dangereuse dans les relations personnelles et dans les relations entres nations, tribus, confessions, etc.
Mais si la croyance « J’ai raison, vous avez tort » est une des façons qu’a l’ego de se renforcer, si vous donnez raison et donnez tort aux autres est un dysfonctionnement mental perpétuant la division et le conflit entre êtres humains, cela veut-il dire que les bons ou mauvais comportements, actes ou croyances n’existent pas comme tels ? Ne s’agirait-il pas du relativisme moral que certains enseignements chrétiens contemporains considèrent comme le grand démon de notre époque ?
L’histoire de la chrétienté est bien entendu un exemple flagrant de la façon dont la croyance d’être le seul possesseur de la vérité, c’est-à-dire avoir raison, peut corrompre vos actes et vos comportements au point de vous rendre fou. Pendant des siècles, on a considéré qu’il était juste de brûler et torturer des gens vivants si leurs opinions divergeaient ne serait-ce qu’un tantinet de la doctrine de l’Église ou des interprétations étroites des écritures (la « vérité ») et que par conséquent ils avaient tort. Ils avaient tellement tort qu’il fallait les tuer. On accordait plus d’importance à la Vérité qu’à la vie humaine. Et cette Vérité, c’était quoi ? Une histoire à laquelle vous deviez croire, ce qui veut dire un ramassis de pensées.
Le million de personnes que le dictateur dément du Cambodge, Pol Pot, a ordonné de tuer incluait tous ceux qui portaient des lunettes. Pourquoi ? Parce que, selon lui, l’interprétation marxiste de l’histoire était la vérité absolue et que selon celle-ci, ceux qui portaient des lunettes appartenaient à la classe instruite, à la bourgeoisie, aux exploiteurs des paysans. Il fallait donc les éliminer pour faire de la place à un nouvel ordre social. Sa vérité était aussi un ramassis de pensées.
L’Église catholique, ainsi que d’autres Églises, est juste quand elle considère le relativisme, cette croyance selon laquelle il n’existe pas de vérité absolue pour guider le comportement humain, comme un des démons de notre temps. Mais vous ne trouverez pas la vérité absolue si vous la cherchez là où elle ne peut être trouvée, c’est-à-dire dans les doctrines, les idéologies, les règles ou les histoires. Qu’ont donc en commun tous ces éléments ? Ils sont faits de pensées. Au mieux, la pensée peut pointer vers la vérité, mais elle n’est jamais la vérité. C’est pour cette raison que les bouddhistes affirment que « le doigt qui pointe vers la lune n’est pas la lune ». Toutes les religions sont également fausses et également vraies, selon la façon dont vous vous en servez. Vous pouvez les utiliser en les mettant au service de l’ego ou bien en les mettant au service de la Vérité. Si vous croyez que votre religion est la Vérité, vous l’utilisez pour la mettre au service de l’ego. Employée de cette façon, la religion devient une idéologie et crée un sens illusoire de supériorité ainsi que division et conflit entre les gens. Mis au service de la Vérité, les enseignements religieux constituent des panneaux indicateurs laissés par des êtres humains éveillés pour vous aider à vous éveiller spirituellement, c’est-à-dire à vous libérer de l’identification à la forme.
Il n’existe qu’une seule Vérité absolue, dont toutes les autres découlent. Quand vous trouvez cette Vérité, vos actes en sont un reflet. Et les actes humains peuvent soit refléter la Vérité, soit refléter l’illusion. Peut-on verbaliser la Vérité ? Oui, mais les mots ne sont pas la vérité. Ils ne font que pointer vers elle.
La Vérité est inséparable de qui vous êtes. Oui, vous êtes la Vérité. Si vous la cherchez ailleurs, vous serez chaque fois déçu. L’Être même que vous êtes est Vérité. C’est ce que Jésus voulait transmettre quand il a dit « Je suis la voie, la vérité et la vie[2] ». Ces paroles sont un des indicateurs les plus puissants et directs de la Vérité, si on les comprend correctement. Par contre, si on les interprète mal, ils se transforment en obstacle. Jésus parle ici du « Je suis » le plus profond, de l’essence de chaque homme et de chaque femme, de chaque forme de vie. Il parle de la vie que vous êtes. Certains mystiques chrétiens ont appelé cette essence le Christ intérieur. Pour les bouddhistes, il s’agit de votre nature de Bouddha. Pour les hindous, c’est l’atman, le Dieu qui réside à l’intérieur. Lorsque vous êtes en contact avec cette dimension en vous – et être en contact avec elle est votre état naturel, pas un accomplissement miraculeux – tous vos actes et toutes vos relations reflètent le sentiment d’unité que vous ressentez profondément en vous. Ceci est l’amour. Ce sont les gens coupés de leur vérité qui ont besoin de lois, de commandements, de règles et de règlements. Ces structures empêchent en général les pires excès de l’ego, mais parfois pas. « Aime et fais ta volonté » a dit Saint Augustin. Les mots ne pourraient pas se rapprocher davantage de la Vérité.
Sur un plan collectif, l’état d’esprit « Nous avons raison et ils ont tort » est profondément et particulièrement ancré, en particulier dans les endroits du monde où les conflits entre nations, races, tribus ou idéologies durent depuis longtemps ou quand ils sont extrêmes et endémiques. Les opposants sont chacun totalement identifiés à leur point de vue, leur propre « histoire », c’est-à-dire à leurs pensées. Les deux sont totalement incapables de voir qu’un autre point de vue, une autre histoire, peut exister et être tout aussi valide. L’écrivain israélien Yossie Halevi dit qu’on pourrait « faire de la place à une histoire autre[3] », mais, dans bien des endroits du monde, les gens ne sont pas encore prêts ou pas disposés à le faire. Les parties opposées croient qu’elles sont en possession de la vérité. Toutes deux se considèrent respectivement comme des victimes et voient l’autre comme le méchant. Et parce que chacune a conceptualisé et, par là même, déshumanisé l’autre en en faisant l’ennemi, elles peuvent tuer et infliger toutes sortes de violences à l’autre, même aux enfants, sans sentir leur part d’humanité ni souffrir. Chacune se retrouve prise au piège d’une spirale démente de perpétration et de rétribution, d’action et de réaction.
Il devient évident ici que l’ego humain dans son aspect collectif de « nous » contre « eux » est encore plus dément que le « moi » contre « toi », même si le mécanisme est fondamentalement le même. Ce sont de loin de respectables citoyens bien normaux au service de l’ego collectif qui ont infligé la plus grande violence à d’autres humains, pas des criminels ni des détraqués mentaux. On peut donc aller jusqu’à dire que sur cette planète, « normal » équivaut à fou. Et qu’est-ce qui se trouve à l’origine de cette folie ? L’identification complète aux pensées et aux émotions, autrement dit l’identification à l’ego.
La cupidité, l’égoïsme, l’exploitation, la cruauté et la violence sont encore présents partout sur la planète. Lorsque vous ne les reconnaissez pas en tant que manifestations individuelles et collectives d’un dysfonctionnement sous-jacent ou d’une maladie mentale sous-jacente, vous faites l’erreur de les personnaliser. Vous élaborez une identité conceptuelle pour une personne ou un groupe en disant : « C’est ce qu’il est. C’est ce qu’ils sont. » Lorsque vous prenez l’ego des autres pour leur identité, c’est votre propre ego qui se sert de cette fausse perception pour se renforcer en se donnant raison et en étant supérieur. Vous réagissez donc en condamnant, en vous indignant et souvent en vous mettant en colère contre celui que vous percevez comme l’ennemi. Tout ceci est extrêmement satisfaisant pour l’ego et renforce le sentiment de division entre vous et l’autre, dont la « différence » est grossie au point que vous ne réussissez plus à sentir votre part d’humanité commune, pas plus que la source de vie, l’essence divine, que vous avez en commun.
Les schèmes de l’ego d’autrui auxquels vous réagissez particulièrement fort et que vous prenez pour leur identité ont souvent tendance à être les mêmes schèmes qui se trouvent aussi en vous mais que ne pouvez ou ne voulez voir. Vous avez donc dans ce sens-là beaucoup à apprendre de vos ennemis ! Qu’est-ce qui vous dérange le plus chez eux ? Leur égoïsme ? Leur cupidité ? Leur soif de pouvoir et de contrôle ? Leur manque de sincérité ? Leur malhonnêteté, leur propension à la violence, etc. ? Tout ce que vous détestez et à quoi vous réagissez fortement chez l’autre est aussi en vous. Mais ce n’est rien de plus qu’une forme d’ego et, comme tel, quelque chose de complètement impersonnel. Ce trait n’a rien à voir avec ce que la personne est ni avec ce que vous êtes. Ce n’est que lorsque vous prenez ce trait pour ce que vous êtes et que vous le remarquez chez vous qu’il devient une menace pour votre sentiment d’identité.
Dans certains cas, il se peut que vous ayez besoin de vous protéger ou de protéger quelqu’un d’une autre personne. Faites attention de ne pas en faire une mission visant à « éradiquer le démon », car vous vous transformerez probablement en la chose même contre laquelle vous vous battez. En vous battant contre l’inconscience, vous tomberez dans l’inconscience. On ne peut jamais battre l’inconscience, le comportement dysfonctionnel de l’ego, en s’attaquant à elle. Même si vous battez votre opposant, l’inconscience sera encore là : elle aura simplement changé de camp ou bien elle prendra une nouvelle forme chez votre opposant. Vous renforcez tout ce contre quoi vous vous battez. Et ce à quoi vous résistez se perpétue.
Actuellement, on entend fréquemment l’expression « la guerre contre » ceci ou cela. Chaque fois que je l’entends, je sais que cette guerre est vouée à l’échec. Il y a la guerre contre la drogue, la guerre contre la criminalité, la guerre contre le terrorisme, la guerre contre le cancer, la guerre contre la pauvreté, etc. Malgré la guerre contre la criminalité et la drogue, il y a eu une augmentation spectaculaire de la criminalité et des délits reliés aux drogues aux cours des 25 dernières années. Le nombre de prisonniers aux États-Unis est passé d’un peu moins de 300 000 en 1980 à 2,1 millions en 2004[4]. La guerre contre les maladies nous a entre autres donné les antibiotiques. Ils ont tout d’abord fonctionné de façon spectaculaire, semblant nous rendre vainqueurs de la guerre contre les maladies infectieuses. Actuellement, bien des experts tombent d’accord pour affirmer que l’usage sans discernement et trop répandu des antibiotiques a créé une bombe à retardement parce que des souches de bactéries résistantes aux antibiotiques, que l’on qualifie de super bactéries, déclencheront une recrudescence de ces maladies et peut-être même des épidémies. Selon le Journal of the American Association, les traitements médicaux aux États-Unis constituent la troisième cause de mortalité après les maladies cardiaques et le cancer. L’homéopathie et la médecine traditionnelle chinoise représentent une alternative intéressante pour soigner des maladies puisqu’elles ne considèrent pas ces dernières comme l’ennemi et, par conséquent, ne créent pas de nouvelles maladies.
La guerre est un état d’esprit et tout acte en émanant renforcera le méchant ennemi ou, si la guerre est gagnée, il créera un nouvel ennemi, un nouveau méchant égal à celui qui a été battu ou pire que lui. Il existe une profonde corrélation entre votre état de conscience et la réalité externe. Quand vous êtes sous l’emprise d’un état d’esprit comme la « guerre », vos perceptions deviennent extrêmement sélectives et déformées. Autrement dit, vous ne verrez que ce que vous voulez voir et vous l’interpréterez mal. Il vous est facile d’imaginer quels actes peuvent naître d’un tel système désaxé. Ou bien, au lieu de l’imaginer, vous pouvez aussi regarder les nouvelles à la télévision ce soir !
Reconnaissez l’ego pour ce qu’il est : un dysfonctionnement collectif, la folie de l’esprit humain. Lorsque vous le reconnaissez pour ce qu’il est, vous ne le prenez plus pour l’identité d’une autre personne. Une fois que vous le voyez pour ce qu’il est, il est plus facile de ne pas y réagir. Vous ne prenez plus les choses personnellement. Il n’y a plus récrimination, reproches, accusations, tort. Personne n’a tort. C’est l’ego. C’est tout. La compassion naît quand vous reconnaissez que tout le monde souffre de la même maladie mentale, certains davantage que d’autres. Alors, vous n’alimentez plus le drame qui est propre à toute relation fondée sur l’ego. Quel est le combustible du drame ? La réactivité. L’ego s’en repaît.
Vous voulez la paix. Tout le monde veut la paix. Pourtant, il y a autre chose en vous qui veut le mélodrame, qui veut le conflit. Peut-être ne le sentez-vous pas en ce moment et vous faudra-t-il attendre une situation propice ou même seulement une pensée qui déclenchera une réaction en vous : quelqu’un qui vous accuse de ceci ou cela, qui ne vous salue pas, qui envahit votre territoire, qui remet en question la façon dont vous faites les choses, une mésentente au sujet de l’argent, etc. Sentez-vous l’énorme vague qui surgit en force en vous, la peur, cachée peut-être par la colère ou l’hostilité ? Entendez-vous votre propre voix devenir cassante, stridente, plus forte ou plus grave ? Réussissez-vous à observer votre mental en train de pédaler pour défendre ses positions, se justifier, attaquer, faire des reproches ? En d’autres mots, réussissez-vous à vous réveiller à ce moment-là d’inconscience ? Sentez-vous que quelque chose en vous est en guerre, quelque chose qui se sent menacé et qui veut survivre à tout prix, quelque chose qui a besoin de mélodrame pour pouvoir affirmer son identité de personnage victorieux dans cette production théâtrale ? Sentez-vous que quelque chose en vous préfère avoir raison que d’être en paix ?
Quand l’ego est en guerre, dites-vous que ce n’est rien de plus qu’une illusion qui se bat pour survivre. Cette illusion pense que c’est vous. Au début, il n’est pas facile d’être la présence-témoin, surtout quand l’ego est en mode survie ou qu’un schème émotionnel du passé a été activé. Mais une fois que vous y avez goûté, la présence prendra de l’ampleur et l’ego perdra de son emprise sur vous. Ainsi arrive dans votre vie une force qui est bien plus grande que l’ego, bien plus grande que le mental. Tout ce qu’il faut pour se libérer de l’ego, c’est en devenir conscient, puisque l’ego et la conscience sont deux choses incompatibles. La conscience de ce qui est représente la force que le moment présent abrite. C’est pour cette raison qu’on l’appelle aussi Présence. La raison d’être ultime de l’existence humaine, ou en d’autres mots la raison d’être, c’est d’actualiser cette force dans le monde. C’est aussi pour cette raison que la libération de l’ego ne peut être un but que l’on atteindra à un moment donné dans l’avenir. Seule la Présence peut vous libérer de l’ego et vous ne pouvez être présent que maintenant, pas hier, ni demain. Seule la Présence peut défaire le passé en vous et ainsi transformer votre état de conscience.
Qu’est-ce que la réalisation spirituelle ? La croyance que vous êtes esprit ? Non, ceci est une pensée. On se rapproche de la vérité si l’on pense que vous êtes celui que votre certificat de naissance dit que vous êtes. Mais il s’agit encore d’une pensée. La réalisation spirituelle, c’est voir clairement que ce dont je fais l’expérience, ce que je pense, perçois ou sens n’est pas finalement qui je suis. C’est voir clairement que je ne peux me trouver dans toutes ces choses qui passent et disparaissent. Bouddha fut certainement le premier être humain à le voir clairement. C’est ainsi qu’anata (l’absence de moi) devint un des points centraux de son enseignement. Et lorsque Jésus a dit « Renie-toi toi-même », il voulait dire « détruis » (donc défais) l’illusion du moi. Si le moi, l’ego, était vraiment ce que je suis, il serait absurde de le renier.
Tout ce qui reste, c’est la lumière de la conscience sous laquelle les perceptions, les expériences, les pensées et les émotions vont et viennent. C’est l’Être, c’est le moi vrai et profond. Quand je me connais comme tel, tout ce qui arrive dans ma vie n’a plus une importance absolue, seulement une importance relative. J’honore ce qui se produit, mais il n’y a plus de sérieux, plus de lourdeur. La seule chose qui compte en fin de compte est la suivante : Est-ce que je peux sentir mon essence en tant qu’Être, le Je suis, en arrière-plan de ma vie en tout temps ? Ou pour être plus précis, est-ce que je peux sentir le Je suis que Je suis en ce moment ? Est-ce que je peux sentir mon identité essentielle comme étant la conscience elle-même ? Ou bien est-ce que je me perds dans les événements, le mental, le monde ?
Quelle que soit la forme qu’elle prend, la pulsion inconsciente sous-jacente à l’ego a comme fonction de renforcer l’image de ce que je pense être, du moi fantôme qui est né lorsque la pensée – un grand bienfait en même temps qu’une grande malédiction – a commencé à prendre le dessus et a fait disparaître la joie simple mais cependant profonde d’être relié à l’Être, à la Source, à Dieu. Quel que soit le comportement manifesté par l’ego, la force cachée le motivant est toujours la même : le besoin de se distinguer, d’être spécial, d’avoir le contrôle et de l’attention, le besoin de pouvoir, le besoin de plus. Et, bien entendu, le besoin d’avoir un sentiment de division, d’opposition, le besoin d’avoir des ennemis.
L’ego veut toujours obtenir quelque chose des autres ou des circonstances. Il a toujours un programme caché, toujours un sentiment de « pas encore assez », d’insuffisance et de manque qui doit être comblé. L’ego se sert des gens et des situations pour obtenir ce qu’il veut, et même quand il y réussit, il ne reste jamais satisfait pendant longtemps. Comme il est souvent contrecarré dans ses objectifs, l’espace entre le « ce que je veux » et le « ce qui est » devient une source constante d’angoisse et de contrariété. La célèbre chanson des Rolling Stones devenue maintenant un classique, I Can’t Get No Satisfaction, est la chanson de l’ego par excellence. L’émotion sous-jacente qui gouverne l’activité de l’ego est la peur. La peur de n’être personne, la peur de ne pas exister, la peur de mourir. Toutes les activités de l’ego cherchent au bout du compte à éliminer cette peur. Mais tout ce que l’ego réussit à faire, c’est à la masquer temporairement avec une relation intime, une nouvelle possession ou une victoire. L’illusion ne vous satisfera jamais, seule la vérité de ce que vous êtes, quand elle est réalisée, vous libérera.
Pourquoi la peur? Parce que l’ego existe du fait qu’il s’identifie à la forme et que, au fin fond, il sait qu’aucune forme n’est permanente. Il sait que toutes les formes sont éphémères. Il y a donc toujours un sentiment d’insécurité autour de l’ego, même s’il a l’air très sûr de lui de l’extérieur.
Un jour, alors que je me promenais avec un ami dans une belle réserve naturelle près de Malibu, en Californie, nous sommes tombés sur les ruines de ce qui semblait avoir été un manoir détruit par un incendie plusieurs décennies plus tôt. En nous approchant de la propriété, depuis longtemps envahie par des arbres et toutes sortes de plantes magnifiques, nous avons vu une pancarte apparaître sur le bord du sentier, plantée là par les responsables du parc. Dessus, il y avait écrit : « Danger. Toutes les structures sont instables. ». Je dis à mon ami : « Ce sutra (écriture sacrée) est vraiment profond ». Et nous sommes restés là, pleins de révérence. Une fois que vous réalisez et acceptez que toutes les structures (formes) sont instables, y compris les structures matérielles qui ont l’air solides, la paix s’installe en vous. Pourquoi ? Parce que, en reconnaissant l’impermanence de toutes les formes, vous vous éveillez à la dimension de l’absence de forme en vous, à ce qui est au-delà de la mort. C’est ce que Jésus appelait la « vie éternelle ».
Il existe de nombreuses formes subtiles de l’ego non remarquées que l’on peut cependant détecter chez les autres et, chose plus importante, chez soi. Rappelez-vous que dès l’instant où vous devenez conscient de l’ego en vous, cette conscience émergente est ce que vous êtes au-delà de l’ego, le « je » profond. Dans la reconnaissance du faux, il y a déjà la naissance du vrai.
Par exemple, vous êtes sur le point de raconter à quelqu’un un événement qui s’est produit. « Devine un peu ? Tu ne le sais pas encore ? Laisse-moi te le raconter. » Si vous êtes suffisamment vigilant, vous pourrez peut-être détecter en vous un sentiment momentané de satisfaction juste avant de raconter votre histoire, même s’il s’agit de mauvaises nouvelles. Ce sentiment provient du fait que pendant un bref instant, aux yeux de l’ego, il y a un déséquilibre en votre faveur entre vous et votre interlocuteur. Pendant ce bref instant, vous en savez plus que lui. La satisfaction que vous ressentez provient de l’ego et du fait que votre sentiment de moi est plus fort que celui de votre interlocuteur. Qu’il s’agisse d’un chef d’état ou du pape, vous vous sentez supérieur à cet instant-là parce que vous en savez plus. C’est pour cette raison que bien des gens aiment faire des commérages. De plus, les commérages permettent d’ajouter un élément de critique et de jugement malicieux sur les autres, ce qui renforce aussi l’ego par la supériorité mentale sous-entendue mais imaginaire qui est là chaque fois que vous jugez négativement quelqu’un.
Si quelqu’un d’autre a plus, sait plus ou peut faire plus, l’ego se sent menacé parce que ce sentiment de « moins » vient diminuer le sentiment imaginaire du moi en rapport à l’autre. Alors il essayera de se rétablir en diminuant, critiquant ou rabaissant la valeur des possessions, des connaissances ou des capacités de l’autre personne. Ou bien l’ego adoptera une autre stratégie et au lieu d’entrer en concurrence avec l’autre, il se rehaussera en s’associant à cette personne si celle-ci est importante aux yeux des autres.
Le phénomène bien connu qui veut qu’on laisse tomber dans la conversation des noms célèbres et donc « importants » de gens avec qui l’on s’associe, de les mentionner comme si de rien n’était, fait partie de la stratégie de l’ego pour acquérir de la supériorité aux yeux des autres et, par conséquent, à ses propres yeux. C’est un vrai fléau que de devenir célèbre dans ce monde parce que vous disparaissez totalement derrière une image mentale collective. Presque tous les gens que vous rencontrez veulent renforcer leur identité, veulent renforcer l’image mentale de qui ils sont par association avec vous. Ces gens ne savent peut-être pas eux-mêmes que ce qui les intéresse, ce n’est pas vous, mais c’est de renforcer le faux sens qu’ils ont d’eux. Ils pensent que, par vous, ils peuvent être plus. Par vous, ils cherchent à devenir complets, ou plutôt par l’image mentale qu’ils se font de vous en tant que personne célèbre, en tant qu’identité collective conceptuelle exagérée.
La surévaluation absurde de la célébrité n’est qu’une des manifestations de la folie de l’ego dans notre monde. Certaines personnes célèbres font l’erreur de s’identifier à la fiction collective, à l’image que les gens et les médias ont créée d’eux, et ils commencent effectivement à se sentir supérieur aux autres mortels. Résultat ? Ils s’aliènent de plus en plus d’eux et des autres, ils sont de plus en plus malheureux et de plus en plus dépendants de leur popularité. Entourés uniquement de gens qui alimentent l’image gonflée d’eux, ils deviennent alors incapables d’entretenir des relations authentiques.
Albert Einstein, qui fut admiré, presque considéré comme un surhumain et dont la destinée fut de devenir la personne la plus célèbre sur Terre, ne s’identifia jamais à l’image que le mental collectif avait créée de lui. Il resta humble, sans ego. En fait, comme il le dit, il s’agissait d’une « grotesque contradiction entre ce que les gens considéraient comme mes réalisations et mes capacités, et la réalité de qui je suis et de ce dont je suis capable[5] ».
C’est pour cette raison que les gens célèbres ont de la difficulté à être authentiques dans leurs relations. Une relation authentique en est une qui n’est pas dominée par l’ego et la recherche d’image et de Moi. Dans une relation véritable, il y a une attention vigilante et une ouverture envers l’autre personne, sans aucun « vouloir ». Cette attention vigilante, c’est la Présence. Celle-ci est obligatoire pour qu’une relation soit authentique. En général, l’ego veut toujours quelque chose. S’il pense qu’il ne peut rien obtenir de l’autre, il reste alors dans une indifférence totale et se fout complètement de vous. Les trois états prédominants de l’ego dans les relations sont les suivants : le vouloir, le vouloir non satisfait (colère, ressentiment, reproches, doléances) et l’indifférence.
[ 1 ] Luc, VI, 41.
[ 2 ] Jean, XIV, 6.
[ 3 ] Halevi, Yossi Klein « Introspection As a Prerequisite for Peace », New York Times, 7 Septembre 2002.
[ 4 ] Ministère de la justice des États-Unis, Bureau des statistiques juridiques, Statistiques des prisons, juin 2004.
[ 5 ] Einstein, Albert, Mein Weltbild, Ullstein Verlag, Frankfort, 25e édition, 1993. Traduit par Eckhart Tolle.