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L ANGLE n. m. est issu (v. 1170) du latin angulus « coin », puis « angle », sans doute apparenté au grec ankon « coude » qui, comme ankura (→ ancre), se rattache à un thème °ank- exprimant l'idée de courbure, thème bien attesté dans les langues indoeuropéennes (→ angon, angora) ; angulus a pour correspondants le grec ankulos « recourbé » (→ ankylose), l'arménien ankiwn « coin », cousin du latin uncus « crochet ».
❏  En français, le mot est d'abord concret, désignant le coin d'une construction, d'une rue ; il s'emploie ensuite abstraitement (1370, Oresme). Il a en ancien français des valeurs extensives, « espace étroit, coin ou recoin » (XIIe-XIVe s.), qu'il cédera à coin. Son emploi en géométrie donne lieu à de très nombreux syntagmes, angle droit (1377), aigu (1585 ; angle acut chez Rabelais), angle obtus (1542), angle au centre (1751, remplace angle du centre, 1645), angles alternes, internes (1751), angles rentrant et saillant (1694), angle plan (1645) opposé à angle curviligne (1690). ◆  Ces syntagmes sont enrichis par le vocabulaire des fortifications : angle vif, angle mort (1690), angle flanqué (1604) et flanquant (1676). ◆  L'emploi du mot dans d'autres domaines est corroboré par l'apparition de syntagmes nouveaux, en optique (angle d'incidence, de réflexion, de réfraction, 1637, Descartes), en astronomie (angle de position, 1690), en anthropologie physique (angle facial, 1802), en technique (angle d'attaque d'une aile, 1873 ; angle de coupe, 1928), au cinéma et en photo (angle de champ, 1948). ◆  À l'angle de... s'emploie pour situer un lieu dans une voie, une rue (rue X, à l'angle de l'avenue Y). La même valeur, en français d'Afrique, se réalise sans la préposition (il habite cette rue, angle Avenue de l'Indépendance). ◆  Par ailleurs, pierre d'angle (1672) s'est employé pour pierre angulaire et grand-angle en photo pour grand-angulaire (ci-dessous). ◆  Le mot est entré dans des expressions de la langue courante, voir sous un certain angle (1898), sous l'angle de (v. 1920) correspondant à au point de vue de. ◆  Adoucir (1925), arrondir (mil. XXe s.) les angles se dit pour « rendre les choses plus faciles, moins litigieuses ».
❏  Les dérivés français ont vieilli.
■  ANGLET n. m., « coin, recoin » (mil. XIIe s.), puis « coin d'un édifice » et « coin de l'œil » (1611), a eu aussi des valeurs techniques. ◆  Anglot et anglon n. m. (v. 1330 et XIIIe s.) ont disparu, comme anglée n. f. (XIIIe-XIVe s.), repris (1664) pour « pierre angulaire ». ◆  ANGLEUX, EUSE adj. (XIIIe s.) est encore attesté dans noix angleuse.
■  Des formes empruntées au latin angulus (depuis le XVe s.), seul ANGULATION n. f., terme de ski (1966), semble vivant.
ANGULAIRE adj. (1377) est une réfection savante de l'ancien adjectif anguler (XIIIe s.), surtout dans pierre angulere, emprunt au dérivé latin angularis, notamment dans lapis angularis.
■  Le mot a éliminé l'ancien français pierre anglere, ou angliere (1190), issu de l'adjectif latin, et ceci malgré la fréquence du mot angle. Outre pierre angulaire (1451), l'adjectif a servi à former des syntagmes savants, tels artère (1751) et veine angulaire (1814), qui, de même que muscle angulaire (1751), peuvent être substantivés. ◆  Vitesse angulaire (1753) en mécanique et distance angulaire (de deux astres) [1874] sont relativement usuels. ◆  Grand-angulaire (1898), désigne en photo un objectif à courte focale et à angle supérieur à 50° (opposé à téléobjectif).
■  Les dérivés ANGULAIREMENT adv. (1803) et ANGULARITÉ n. f. (1872) sont rares.
ANGULEUX, EUSE adj. est emprunté (1539) au dérivé latin angulosus, formé pour traduire le grec polugonos (Cf. polygone), et a une valeur expressive, signifiant non seulement « qui présente des angles », mais « des angles nombreux, saillants, très visibles ». Dans ces emplois, il est devenu usuel, et se dit d'un visage osseux (1845), d'une personne aux attitudes raides (1866) et dès le XVIIIe s., à l'abstrait, d'une chose incommode (1761), puis d'un caractère âpre, difficile (v. 1820).
■  Le dérivé ANGULEUSEMENT adv. (1500) semble rare avant sa reprise (1883, Huysmans).
De même, c'est la traduction latine des composés savants du grec en -gonos, comme triangulus, rectangulus, et non pas le français angle, qui a servi à former triangle* et rectangle*.
L 1 ANGOISSE n. f. est issu, comme l'italien angoscia, du latin angŭstia, d'abord sous la forme anguisse (v. 1130). Le mot latin, dérivé de angustus « étroit, serré », lui-même du verbe angere « serrer, resserrer » (→ anxieux ; angine), signifiait d'abord « étroitesse » et « lieu étroit, défilé ». Au pluriel et au figuré, angustiae correspond à « gêne », d'où en latin chrétien « angoisses ».
❏  Outre son sens moderne, qui correspond à celui du latin d'Église, anguisse puis angoisse signifie, en ancien français comme en latin classique, « défilé étroit » (XIIe-XVIe s.) et, abstraitement, « embarras » (XIIIe s.), « difficulté, gêne » (XIIe s.) et aussi (XIe s.) « violente colère ».
■  En français moderne, le mot, après une éclipse (« vieux mot », au XVIIe s.), désigne à la fois un malaise physique, sens attesté depuis Chrétien de Troyes (XIIIe s. ; puis sorti d'usage et repris au XVIIIe s.), une oppression et un état moral pénible. Au sens physique, le mot a la valeur générale de « douleur » et, au moral, d'« affliction mêlée de crainte ». La notion moderne d'anxiété se traduisant par un serrement pénible de l'épigastre, nettement définie au XVIIIe s. (1751), est certainement antérieure à cette période. ◆  La phraséologie est peu importante : outre poire d'angoisse (→ 2 angoisse), eau d'angoisse (XVIe s.), expression biblique (pane tribulationis et aqua angustiae), s'est appliqué à la punition des criminels et a eu des emplois figurés (1553). ◆  Au XXe s., le mot a pris des valeurs philosophiques, notamment dans angoisse existentielle, sens lié aux traductions de Kierkegaard, mais aussi des emplois familiers et « branchés », l'angoisse ! concernant, peut-être d'abord dans l'argot des toxicomanes, un état pénible (crainte du « manque », etc.). ◆  En outre, le mot, employé par la psychanalyse (névrose d'angoisse), en a reçu une nouvelle modernité.
❏  ANGOISSER v. tr. (1080, anguisser « harceler ») est issu du dérivé latin angustiare « presser, resserrer », au figuré en bas latin, « troubler par l'angoisse », et correspond très tôt à angoisse, dont il devient le quasi-dérivé.
■  Très courant en ancien français, le verbe signifie d'abord « s'acharner contre (qqn) », puis « tourmenter » et « augmenter (une peine, une douleur) ». Il se dit des choses qui font souffrir (XIIIe s.) et s'emploie dans plusieurs sens extensifs, aussi comme intransitif pour « être dans la peine, l'angoisse » (1080). Tous ces emplois ont disparu au XVIIe siècle. ◆  Le pronominal, d'abord attesté au sens de « faire des efforts, se presser » (soi angoissier, XIIe s.), a lui aussi disparu, avant d'être repris sous l'influence des dérivés (ci-dessous).
■  Le participe passé ANGOISSÉ, ÉE, adjectivé au XVIe s. (1560), pour « qui exprime l'inquiétude » puis « l'angoisse », et le participe présent ANGOISSANT, ANTE adj. (XIIIe s.) « pénible, cruel », ont vieilli, comme angoisse, après le XVIe siècle. Ainsi Bossuet, lorsqu'il emploie angoissé, doit l'expliquer par « resserré dans (son) cœur ». C'est sous l'influence de angoisse, réutilisé normalement au XVIIIe s. (d'abord comme terme savant), que réapparaissent angoisser, considéré comme un néologisme par le Complément de l'Académie (1838) [par ex. chez G. Sand, peut-être par dialectalisme], angoissé et angoissant, redevenus usuels à la fin du siècle. On peut alors les considérer comme des dérivés de angoisse. ◆  Le verbe, normalement employé au pronominal (s'angoisser), acquiert au milieu du XXe s. un nouvel usage intransitif (il commençait à angoisser).
■  Le préfixé DÉSANGOISSER v. tr., déjà attesté au XVIe s. (1554), a été reformé récemment.
ANGOISSEUX, EUSE adj. est issu du dérivé latin tardif angustiosus (VIe s.). Courant en ancien français aux divers sens de angoisse (anguissus, 1080 ; puis angoissous, angoisseux, XIIIe s.), le mot a des valeurs variées passives, « pressé de faim, de désir », « qui souffre », et aussi actives, « violent, cruel », « extrême, pénible (de la chaleur) », « qui cause de l'angoisse » (XIVe s.). Tous ces emplois ont disparu ou sont devenus archaïques au XVIIe siècle.
■  Ensuite, l'adjectif survit dans un usage littéraire ou par allusion au passé, pour « qui cause de l'angoisse » (rare au XVIIIe s., littéraire à partir du milieu du XIXe s.), « qui exprime l'angoisse » (sens ancien, XIIe s. ; repris avec une valeur différente au XIXe s., Goncourt). ◆  À la différence de angoisser et de ses participes, cet adjectif n'est pas rentré dans l'usage courant.
■  Le dérivé ANGOISSEUSEMENT adv. (XIIIe s.), usité jusqu'au XVIe s., n'a été repris que très exceptionnellement.
ANGOR n. m. est un emprunt médical (1845) à un mot latin du même groupe, signifiant « serrement, oppression ». Il désigne en médecine une douleur brusque et angoissante, en général d'origine cardiaque si le siège en est la poitrine (angor pectoris).
❏ voir 2 ANGOISSE, ANXIEUX.
2 ANGOISSE n. f., dans poire d'angoisse (fin XIIIe s.), n'est pas à l'origine dérivé de 1 angoisse mais, comme le disait déjà Ménage, vient du nom d'une localité du Limousin (aujourd'hui en Dordogne) qui produisait depuis le moyen âge une variété de poire appréciée, notamment comme poire d'hiver à cuire ou à sécher et comme poire à cidre (dès le XIIIe s.) ; l'expression s'emploie de l'Artois au Maine et la Normandie. On trouve déjà pera d'engoyssa en ancien provençal (1245, Albi).
❏  L'homonymie, plus encore que l'âpreté de ces poires lorsqu'elles sont consommées crues, a fait que poire d'angoisse a été compris dès le XVe s. comme lié à 1 angoisse et à angoisser. De là manger (puis avaler) des poires d'angoisse (mil. XVe s.) « avoir de grands déplaisirs ». ◆  De là aussi le sens figuré pour désigner un projectile puis (1454) un bâillon métallique en forme de poire et à ressort, placé dans la bouche.
G ANGON n. m., attesté isolément au XVe s., à côté de l'ancien provençal angon (1492) et après les formes du latin médiéval angous (VIIIe-XIe s.) « aiguillon », angones (plur.) « javelot » (VIe s.), vient du francique °ango qui désigne un aiguillon, une arme pointue, un crochet, un hameçon, et appartient à la famille indoeuropéenne °ank-, °ang- « courber », qui a donné le latin angulus (→ angle) et le grec ankulos (→ ankylose).
❏  Le mot a désigné un crochet servant à divers usages, notamment (1771) aux pêcheurs de roche, et surtout, par tradition (1535), le javelot à deux crocs dont se servaient les Francs.
❏  LANGON n. m., formé par agglutination de l'article, désignait (1783) une perche à crochet servant à harponner le poisson.
ANGOR → 1 ANGOISSE
ANGORA adj. et n. m. est la francisation du nom de Ankyra, aujourd'hui Ankara (capitale de la Turquie moderne), toponyme venant probablement du radical indoeuropéen °ank « coin, coude » (→ angle), qui correspond à la situation de la ville. De cette région venait une laine provenant de poils d'animaux autres que le mouton.
❏  Les chèvres (1768), les lapins (1790) et d'abord les chats furent nommés d'Angora (chat d'Angora, 1761, Diderot) pour désigner des races dont les poils étaient longs et soyeux, et par altération d'angola (1767 ; cette variante a disparu). ◆  De là un angora (1792, Florian), d'abord pour le chat.
■  Angora désigne aussi la matière : laine angora et, substantivement, de l'angora (mil. XXe s.).
ANGSTRÖM n. m. a été emprunté en anglais en 1905 au nom du physicien suédois A. J. Ångström (1814-1874), qui avait utilisé une unité analogue pour des mesures de spectroscopie, en 1868.
❏  Le mot désigne l'unité de longueur valant un dix-milliardième de mètre, en microphysique ; il est employé en français dès 1906.
ANGUILLE n. f. provient (1165) du latin anguilla ou anguila, diminutif de anguina (bestia), lui-même dérivé de anguis « serpent », mot « de date indoeuropéenne » (Ernout et Meillet), corroboré par des formes divergentes, mais probablement apparentées, en diverses langues du groupe. Le parallélisme des dérivations entre « serpent » et « anguille » est attesté en germanique, en slave, etc. (Cf. par exemple le vieux prussien angis « serpent non venimeux », angurgis « anguille »). Les synonymes latins de anguis, tels serpens, vipera (→ serpent, vipère), sont des adjectifs latins.
❏  Le mot, qui a des correspondants dans toutes les langues romanes (sauf le roumain), a plusieurs variantes en ancien français (angille, anwille, angalle, anguile, etc.). La prononciation moderne (on disait anguile) est récente. L'anguille, poisson très estimé au moyen âge, où les pâtés d'anguille étaient recherchés, fournit la matière linguistique et symbolique à plusieurs proverbes et locutions où le latin est parfois interprété ; ainsi, de latet anguis in herba « un serpent se tient (se cache) dans l'herbe », on est passé à il y a anguille sous roche (attesté 1563). ◆  Des sens métaphoriques (glisser, se faufiler comme une anguille) reflètent l'expérience concrète du pêcheur. La phraséologie est abondante au XVIe s., avec des locutions pittoresques, sorties d'usage mais souvent citées : les anguilles de Melun, qui crient avant qu'on les écorche (sous des formes diverses, depuis Rabelais, 1534, jusqu'au XIXe s.) signifie « ceux qui crient avant d'avoir mal », et reste inexpliquée ; rompre l'anguille au genou (XVIe s.) « s'y prendre de manière à échouer », puis « tenter l'impossible », est en revanche assez claire, à condition de prendre genou au sens d'« angle du corps de l'anguille », de même que écorcher l'anguille par la queue (XVIe s., N. du Fail). Plus tard, faire avaler des anguilles à qqn (fin XVIIIe s.) est une variante pour couleuvre.
Le mot, qualifié, a des emplois extensifs, anguille de mer (1791) « congre » (très postérieur à l'occitan anguila de mar, v. 1350) ; anguille électrique, ancien nom du gymnote (1791) ; anguille de bois (1546), de haies, « serpent », est inusité, au moins en français central. Anguille de roche se dit en français du Canada (1875) de poissons de mer à corps allongé. ◆  Le mot a servi aussi à désigner des vers (1747).
■  L'idée de forme allongée et celle de glissement sont utilisées dans anguille « pièce de bois contre un navire en lancement » (1740), et aussi d'après anguillade (ci-dessous), « fouet », d'où « coup de fouet » (1820), « mouchoir roulé servant à frapper, dans un jeu », et « ce jeu d'enfants » (1825), tous sens disparus.
❏  Les nombreux dérivés ont presque tous disparu ou sont devenus régionaux : ANGUILLET n. m. (1260) et ANGUILLON n. m. (1373) sont des diminutifs (aussi figurés) ; ANGUILLÈRE n. f. « vivier à anguilles » (XVIe s.) a eu de nombreux emplois techniques, comme ANGUILLER n. m. (1740) « petit canal d'écoulement, sur un navire ».
Outre ses qualités comestibles, l'anguille fournissait avec sa peau une matière utilisée pour faire des fouets ; d'où ANGUILLADE n. f. (XVIe s.) « coup cinglant », employé jusqu'au XVIIIe siècle. Voir ci-dessus, la dernière acception de anguille.
Un diminutif latin de anguilla a fourni à la terminologie zoologique ANGUILLULE n. f. (1845) « ver nématode », avec plusieurs dérivés, dont ANGUILLULOSE n. f., de -ose, pour une maladie surtout tropicale, causée par une anguillule (Strongyloïdés) qui parasite la muqueuse du duodénum.
■  Un préfixé ANGUILLO- a servi à désigner les animaux ; enfin ANGUILLIFORME (1803) désigne chez Cuvier (1829) un ordre de poissons allongés.
ANGUIFORME adj. est formé savamment (1834) sur le latin anguis « serpent » et -forme.
ANGUIVE n. f. est un emprunt ancien des botanistes (1658) au malgache angivy pour désigner une plante solanacée et, couramment en français de l'océan Indien, son fruit rond, semblable à une petite tomate, strié de blanc, de vert, légèrement amer.
ANGUSTURA n. f. (1826), d'abord angusture (1810), est emprunté au nom d'une ville du Venezuela, Angostura ou Angustura, qui deviendra plus tard Ciudad Bolivar, et d'où provenait cette écorce.
❏  Le mot désigne une écorce amère, tonique et fébrifuge, provenant d'un arbre d'Amérique du Sud, puis (1855) l'alcaloïde qui en est tiré.
? ANICROCHE n. f., où l'on reconnaît un composé et l'élément croche, est d'abord attesté (1546, Rabelais) sous la forme hanicroche désignant une arme recourbée en forme de bec. L'élément initial vient soit de l'ancien français ane* « canard », soit, ce qui expliquerait les formes en h, de l'ancien français hain ou ain (→ hameçon). Le second élément est croche (→ croc).
❏  Du sens concret initial, on passe rapidement (1584) à l'acception de « petite blessure, chose qui accroche » et (1608, alors altéré en hemicroche) « petite difficulté, obstacle » (anicroche chez Scarron, 1648).
ANILINE n. f. est emprunté (1855) à l'allemand Anilin (Fritzche, 1841), dérivé du portugais anil « indigo » qui, comme le moyen français anil (1582), est un emprunt à l'arabe an nīl « l'indigo », mot probablement pris au persan, qui le tient du sanskrit nīlī « indigo » (couleur et plante), dérivé de nilā « bleu sombre ».
❏  Le mot désigne une amine isolée dans les produits de distillation de l'indigo, obtenue aujourd'hui par réduction du nitrobenzène. Ce corps sert à la préparation de matières colorantes (rouge d'aniline, la fuchsine), de produits pharmaceutiques.
❏  ANILISME n. m. (1878) désigne l'intoxication par les couleurs d'aniline.
ANIMAL n. m. est emprunté (fin XIIe s.) au latin animal, animalis « être vivant mobile, doté du souffle vital ou anima », substantif dérivé de anima (→ âme). Dès Varron, le mot latin est opposé à homo « homme* », mais normalement il inclut l'espèce humaine et exclut toujours les plantes. La langue familière emploie plutôt bestia (→ bête). Le concept général, englobant les êtres humains, subsiste dans les langues empruntées, notamment en français, animal étant le mot qui traduit le grec zôon, par exemple chez Aristote (« l'homme, animal politique »). La valeur particulière, opposée à homme, a aussi passé dans les langues romanes : ainsi le français aumaille* vient du pluriel neutre animalia.
❏  Rare et savant au moyen âge, animal est repris au XVIe siècle ; son emploi demeure plus général et plus didactique que celui du mot bête ; comme ce dernier, il acquiert (1537) une valeur d'injure légère, adressée à un être humain (plusieurs noms d'animaux, de âne à chien ou à buse, sont dans le même cas). Au XVIIe s., le mot s'applique familièrement aux femmes, par antiféminisme (Molière). ◆  Dans son emploi dominant, animal donne lieu à des locutions, comme le roi des animaux « le lion » ; il s'applique le plus souvent aux « animaux supérieurs » de la science, oiseaux et surtout mammifères, les autres recevant surtout des désignations spécifiques (insecte, etc.). Les animaux domestiques (ou ceux de la ferme) soulignent cette spécialisation, fondée sur le rapport animal-homme, qui est de complémentarité. ◆  L'évolution des connaissances, s'agissant des êtres vivants moins évolués, compromet l'opposition conceptuelle « animal »/« végétal ». Après le composé animal-plante, appliqué (1768) à des zoophytes, une terminologie biologique nouvelle, dans la seconde moitié du XIXe s., a modifié et parfois supprimé la répartition classique entre zoologie et botanique (Cf. des termes comme zoophyte, puis protiste, etc.). ◆  Enfin, l'utilisation littéraire de l'animal pour représenter l'homme, depuis le Roman de Renart jusqu'aux fables et aux contes classiques ou modernes, fait se rejoindre les deux valeurs initiales du mot : parlant des bêtes, il vise des types humains.
❏  Animal, en latin et en français, a de nombreux dérivés.
■  ANIMALCULE n. m., attesté une fois en 1564, a été repris au XVIIIe s. d'après le latin moderne animalculum (Loewenhoek, 1677) ; désignant en sciences les organismes microscopiques, il a vieilli au XIXe s. avec l'apparition de termes comme microbe. Il s'est employé au figuré pour « personnage insignifiant » (1752, Voltaire).
■  ANIMALISER v. tr. apparaît (1742) avec un sens physiologique spécial (« assimiler les aliments ») : il est probablement emprunté à l'anglais médical to animalize, de même origine, puis prend son sens moderne « ravaler au rang de l'animal » en référence à animal, adj., et à animalité.
■  ANIMALISTE n. (1751) et ANIMALISME n. m. (1838) se sont appliqués aux théories préformationnistes.
■  ANIMALIER n. m. (XVIIIe s., chez J.-J. Rousseau) désigne l'artiste qui représente volontiers des animaux, puis (v. 1960) la personne qui s'occupe des animaux destinés aux expériences de laboratoire. ◆  De là ANIMALERIE n. f. (v. 1960).
Quant à ANIMAL, ALE, AUX adj., il vient (fin XIIe s., comme le nom) du latin animalis, « animé, vivant, doué de l'anima » (Lucrèce), adjectif opposé dans la langue chrétienne à spiritalis (→ spirituel) ; cet emploi est passé en français dès le XIIe s. (v. 1190, li animas homs « la partie animale de l'être humain »), d'où la partie animale, les esprits animaux de l'homme, au XVIIe siècle. ◆  Les valeurs courantes de l'adjectif dans règne animal, etc. sont plus récentes, et se réfèrent au substantif, non plus à l'origine latine. Chaleur animale (1753), terme de sciences, est passé à l'usage familier pour « chaleur humaine ».
ANIMALITÉ n. f. est emprunté (fin XIIe s., animaliteit) au dérivé latin animalitas, dans un sens abstrait et philosophique : « caractère de l'être pourvu d'une anima ».
■  Le mot sera repris au XVIIIe s. (Buffon) comme dérivé de l'adjectif animal, avec la valeur de « partie animale (de l'être humain) », puis « ensemble des animaux » (mil. XIXe s., Michelet), sens disparu.
❏ voir ÂME, ANIMER, AUMAILLE.
ANIMER v. tr. est emprunté (1358) au latin animare, dérivé de anima « souffle vital » (→ âme, animal).
❏  Le premier sens est « insuffler la vie », dans un contexte religieux (acte divin). ◆  Puis le verbe acquiert une valeur psychologique, pour « encourager, exciter » (1358), mais aussi pour « irriter » (XVe s.). En français classique, le verbe signifie surtout « entraîner à l'action », avec des valeurs proches de inspirer, exciter, vivifier ou de celles des verbes évocateurs du feu (enflammer, etc.). ◆  Il s'emploie aussi comme pronominal (1575, « s'irriter » ; puis XVIIe s., au sens moderne). ◆  Une autre extension est « remplir d'activité, de mouvement (un lieu, etc.) » (déb. XVIIIe s., Saint-Simon) après animer la nature (du soleil) [1691]. Les emplois pronominaux et ceux du participe passé adjectivé ANIMÉ, ÉE sont fréquents, avec des valeurs spéciales, fortes, pour « doué de vie » : les êtres animés se dit des animaux (XIVe s.). ◆  Dans cet emploi, animé se dit des personnes (déb. XVIIe s., animé de [un sentiment]), des propos (fin XVIIe s.), d'un ouvrage artistique, d'un récit, du teint, du regard (1805, T. L. F.). ◆  Les valeurs de l'ancien et du moyen français (XIVe-XVIe s.), « plein d'ardeur » et « doué de vie », n'ont pas disparu, à l'exception de « en colère, irrité » (attesté encore au XVIIe s.). ◆  Le sens fort réapparaît en linguistique dans genre animé (1897, Meillet) « catégorie linguistique dénotant les êtres vivants », d'où l'animé, repris en sémantique, d'après l'anglais animate.
■  Dessin animé (1916), concurrencé par film d'animation, de sens plus large, correspond à l'idée de mouvement. Au pluriel, le syntagme désigne le genre du cinéma d'animation dessiné. ◆  Si les emplois de animer au cinéma pour « diriger (un acteur) » (1919), puis « mettre en scène (un film) » (1922) ont disparu, le verbe a été repris (v. 1970) pour « rendre plus vivant, plus gai (une réunion, un groupe) », en relation avec animation et animateur.
❏  Le substantif féminin ANIMATION est emprunté (XIVe s.) au dérivé latin animatio, -onis ; il est passé de l'acception ancienne, « colère », au sens fort de animer, « création de la vie » (1488), puis aux valeurs correspondant à celles du verbe (l'animation du regard, etc., v. 1800), « chaleur, vivacité » (1845), « mouvement humain d'un lieu » (mil. XIXe s.), avec quelques spécialisations, l'une d'elles, cinématographique (1923), correspondant à animé dans dessins animés (cinéma d'animation). ◆  Une spécialisation récente (attestée en 1969) concerne la conduite des activités d'un groupe, d'une collectivité, en relation avec animateur. Cette valeur s'est spécialisée politiquement en français d'Afrique, à propos des activités collectives, surtout danses et chants, destinées à sensibiliser les masses à l'idéologie du pouvoir. Le verbe animer a pris le sens de « organiser une telle activité ou y participer ».
ANIMATEUR, TRICE n. est dérivé (1787) du verbe animer au sens fort de « qui donne la vie, créateur » (1803) (un bas latin animator « créateur, qui donne la vie » existait).
■  Ce mot rare est devenu usuel au XXe s. lorsqu'il a pris ses valeurs modernes : « personne qui anime une collectivité », « metteur en scène de cinéma » (1921, sens disparu), « personne qui présente un spectacle » (v. 1960), « auteur de dessins animés, de films d'animation » (1929), enfin « professionnel de l'animation (des groupes, des ventes...) » (1967), et en Afrique, « militant politique chargé d'une animation » (ci-dessus). Dans ce même usage, animateur rural se dit du fonctionnaire chargé de diffuser les méthodes agricoles modernes en milieu rural.
L'adjectif INANIMÉ, ÉE est composé (1478) de in- privatif et de animé ; il qualifie ce qui est sans courage, sans force d'âme, ce qui, par essence, est sans anima, sans vie (1529), puis (1677) ce qui, étant par essence animé, semble sans vie (un corps inanimé). ◆  Au figuré (1665), il signifie « insensible, inexpressif », sens vieilli.
Formés sur animer, le verbe préfixé RANIMER (1549) signifiait à l'origine « rendre la vie, ressusciter », puis « redonner courage à (qqn) » (1596), « faire revenir à la conscience (une personne évanouie) » (XIXe s.) ; dans ce sens, il est concurrencé par réanimer (ci-dessous). ◆  Le verbe ranimer a aussi des valeurs figurées et abstraites d'intensif (« rendre plus vif, plus animé »), et s'emploie concrètement pour « faire reprendre (le feu) » (1690). ◆  Le pronominal se ranimer « revenir à la vie » (1672) se dit du feu qui reprend (1690), d'une personne qui revient d'un évanouissement (1699), ainsi que des sentiments.
■  RÉANIMER v. tr. (XVIe s.), d'abord éliminé par ranimer, a été repris dans réanimer une terre (par l'engrais) [1842] puis (mil. XXe s.) pour « faire revenir à lui (un noyé, un accidenté) », en rapport avec réanimation.
■  RÉANIMATION n. f. a en effet éliminé ranimation qui semble antérieur en médecine pour « rétablissement des fonctions vitales » (1949, Larousse). Les Techniques de réanimation médicale font en 1954 l'objet d'un ouvrage de Hamburger, Richet, Crosnier et coll. De ce sens devenu courant procède service de réanimation, être en réanimation (dans ce service, pour des soins), abrégé familièrement en RÉA.
■  RÉANIMATEUR, TRICE n. (1964) se dit d'une personne, puis (1977) d'un appareil et s'emploie aussi comme adjectif (1983).
ANIMISME, ANIMISTE → ÂME
ANIMOSITÉ n. f. est emprunté (1370) au bas latin animositas, -atis « ardeur », dérivé de animosus « courageux » et « orgueilleux », lui-même dérivé de animus (→ âme) sur le modèle sémantique des dérivés grecs de thumos (→ thymique). Animosus a donné en moyen français animeux, euse adj. (v. 1450-1475) « courageux » et « violent, colérique », sorti d'usage au XVIIe siècle.
❏  Le mot a d'abord eu (XVe s.) la valeur du latin, « courage, ardeur », mais celle de « malveillance active, hostilité », développée à basse époque en latin, l'a emporté au XVIe s. (Ronsard). Cette acception reste vivante, mais est demeurée littéraire. ◆  La valeur affaiblie « animation excessive dans un débat » (1777) est sortie d'usage.
ANIS n. m., nom d'une plante, est emprunté (1236) au latin anisum, du grec tardif anison, à rapprocher de anethon (→ aneth) qui désigne l'aneth ou faux anis, mot d'origine inconnue, probablement emprunté.
❏  Anis désigne en français la même plante aromatique méridionale que le latin anisum, avec plusieurs variantes (anich, ynis, annis), s'employant dans des syntagmes tels que anis musqué (1607), anis vert (anix verd, 1630). ◆  Le mot désigne par métonymie la graine (v. 1250), d'où pain à l'anis (v. 1775) ; cette graine confite (aniz confit, 1400), recouverte de sucre (anis sucré, XVIe s.), constitue une petite confiserie dite aussi anis (annis, déb. XVe s.). Au XVIIe s., anis se dit aussi d'une dragée, d'un bonbon parfumé à l'anis (1690), le plus célèbre étant l'anis de Verdun (1690), puis au XIXe s. les anis de Flavigny (1870). Les anis à la reine (déb. XVIIe s., Cyrano) ou anis reyne (1694) sont connus jusqu'à la fin du XVIIIe siècle. ◆  Puis le mot désigne aussi une liqueur parfumée à l'anis (1811), sens où anisette l'a emporté.
■  Par extension, anis, qualifié ou non, s'applique à des plantes comparables : anis aigre (1671), le cumin, anis bâtard (1885), faux anis (1906) ou anis (au Canada), le carvi, anis étoilé (1780), la badiane, etc. Le mot a une valeur plus générale en français de l'océan Indien, où il s'applique aux graines de carvi, de cumin, les premières étant appelées gros anis (gros lani d'après le créole), les secondes petit anis (p'tit lani d'après le créole tilani), en français mauricien.
❏  Le dérivé ANISETTE n. f. (1771) désigne une liqueur fabriquée avec de l'essence d'anis, bue en apéritif, souvent avec de l'eau, surtout dans les régions méditerranéennes (au XXe s., le mot étant très fréquent en français d'Algérie).
■  Le verbe ANISER v. tr. (1611 ; au participe passé, écrit avec un z, 1564) signifie « aromatiser à l'anis » et ANISÉ, ÉE adj. se dit de ce qui a une odeur d'anis (mil. XXe s. ; déjà au XVIIIe s. dans cerfeuil anisé, 1784).
ANKYLOSE n. f. apparaît chez Ambroise Paré (1564) sous la forme ancylosis (à côté de ancyle, emprunt au grec ankylê) et procède du grec médical ankulosis, dérivé de ankulos « courbé » parce que cette affection « courbe » le corps (Cf. courbature, qui vient de battre, mais est interprété comme rattaché à courbe ou à courbé). Ankulos, comme le latin angulus (→ angle), se rattache à une racine °ank- exprimant l'idée de courbure et bien attestée dans les langues indoeuropéennes (→ angon).
❏  Le mot, d'abord écrit anchylose (1698), anchilose (1759) et enfin ankylose, désigne en médecine la soudure d'une articulation mobile, puis (1709) une « disposition à ce mal » et par extension une gêne dans les mouvements sans cause précise (attesté mil. XIXe s.). Au figuré, ankylose se dit d'une sclérose de la pensée (attesté chez Gide, 1923), ankyloser semblant plus ancien dans cet emploi.
❏  Le dérivé ANKYLOSÉ, ÉE adj. apparaît au sens médical (1743), puis évolue selon les sens de S'ANKYLOSER v. pron. (1838, s'ankiloser) et ANKYLOSER v. tr. (1845). S'ankyloser se dit pour « perdre la mobilité ; paralyser à demi » (Balzac), « perdre la rapidité des réflexes » (1886, Zola) et au figuré « se scléroser (de la pensée) » (1883, Huysmans).
ANKYLOSTOME n. m. est un composé didactique du grec agkulos « courbé, crochu » et stoma « bouche » (1877) pour désigner un ver parasite de l'intestin grêle chez l'être humain, causant une grave anémie, appelée ANKYLOSTOMIASE n. f., maladie très fréquente dans les régions chaudes et humides.
ANNALES n. f. pl. est emprunté (1447) au latin annales, pour libri annales, pluriel substantivé de l'adjectif annalis « annuel », de annus (→ an). L'adjectif latin avait produit en français (1119) l'adjectif annel, anel, puis annal, ale, aux, éliminé, sauf en droit, par annuel (→ an).
❏  Annales, « chroniques annuelles », après livres, histoires annal(e)s (v. 1170, en Normandie ; puis v. 1500), désigne des revues annuelles et notamment un récit historique année par année, strictement chronologique, puis (1789) un recueil scientifique annuel ou périodique. Au XXe s., l'un des emplois les plus notoires du mot concerne les Annales d'histoire économique et sociale, fondée en 1929 par Lucien Febvre et Marc Bloch, qui a donné son nom à l'École française dite des Annales qui a promu ce qu'on a appelé plus tard la « Nouvelle Histoire ». ◆  Les annales de... signifient en style noble « l'histoire de... » et être bien (mal) dans les annales de qqn « être bien (mal) jugé par lui » (1845).
❏  Le dérivé ANNALISTE n. (1560) est didactique.