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Fil, d'abord « brin ténu », se spécialise très tôt et désigne une matière étirée en longueur (v. 1170,
fils d'or), et le brin long et fin d'une matière textile (v. 1176) servant à coudre ou à tisser. De cet emploi viennent des locutions figurées comme
de fil en aiguille (1269),
cousu de fil blanc (1594). Par extension,
fil désigne un brin qui sert à tenir, à attacher (1382), d'où par figure
ne tenir qu'à un fil, avoir un fil à la patte et dans l'usage technique (1824),
fil à plomb servant à montrer la verticale. Le
fil à couper le beurre, outre son sens concret (« fil métallique à poignées ») symbolise l'invention dérisoire. La finesse du fil a suscité des comparaisons,
mince, maigre (1883) comme un fil (Cf. ci-dessous fil de fer).
◆
La technique des métaux a produit de nombreux syntagmes
(fil de cuivre, de laiton) et correspond aux dérivés
fileter, filière, ci-dessous. L'un d'eux,
fil de fer est très courant et a servi à désigner en argot des jambes maigres (1872), puis une personne filiforme (1901, Bruant).
◆
Par analogie le mot s'emploie pour la sécrétion filiforme (dite
filandre) produite par l'araignée (1690), spécialement dans
fils de la Vierge (1755). Par allusion au fil donné par Ariane à Thésée pour s'orienter dans le labyrinthe,
fil d'Ariane (1748) ou
fil conducteur se dit de ce qui permet de se retrouver dans un ensemble complexe. Dans le même sens, on emploie
fil rouge (calque de l'allem.
roter Faden [Goethe] selon Bernet et Rézeau).
◆
C'est par référence aux fils dissimulés qui permettent de mouvoir les marionnettes
(Cf. ficelle) que
fil désigne (av. 1848) un moyen secret d'action.
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Un autre contexte, celui de fil matérialisant l'arrivée d'une course, est exploité dans
arrivée, victoire sur le fil (fin
XXe s.) « de justesse ».
◆
Dans le domaine technique on relève
fil télégraphique (1856),
fil téléphonique, d'où
coup de fil « coup de téléphone », et le sens de « conducteur électrique » (1890) dans
fil électrique. Du fait que les fils électriques qui se touchent peuvent provoquer un court-circuit,
avoir les fils qui se touchent (attesté dans les années 1990) correspond à
péter les plombs (« déraisonner »). De là,
sans fil (ci-dessous
→ sans-fil, dans les composés), qui provient de
télégraphie* sans fil, et
T. S. F. (→ télégraphie).
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Dès la fin du
XIIe s.,
fil s'emploie aussi au figuré au sens de « succession, enchaînement » (v. 1195,
fil des idées) — d'où
au fil des heures (
XVIe s.) — et avec une valeur spatiale pour « sens d'un cours d'eau » (v. 1200), emploi restreint à des locutions comme
au fil de l'eau.
◆
Par analogie,
fil s'emploie (milieu
XVIIIe s.) pour parler de la direction suivie par les fibres du bois, des muscles et à propos d'une veine dans une pierre ; de
droit fil « sens des fils d'un tissu » vient par figure
le droit fil « orientation » (1954).
■
Fil « tranchant d'une lame » (1559) a fourni la locution figurée (XXe s.) [sur] le fil du rasoir.
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FILET n. m., diminutif de
fil (1180, « petit fil »), a plusieurs sens techniques, en anatomie (v. 1290,
filet de la langue), en botanique (1865), en reliure (1690), et aussi dans
filet d'une vis (1690), etc. Couramment il se dit d'un écoulement fin et continu, au propre (1306-1307 ; 1393, du sucre en fusion) et au figuré (1680,
un filet de voix).
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À côté de ces valeurs qui se fondent sur la minceur du fil, le mot
filet a pris le sens particulier de « morceau de viande levé le long de l'épine dorsale (ou de part et d'autre de l'arête d'un poisson) » (1393, surtout dit du bœuf et du veau ; 1718,
filet mignon, surtout à propos du porc), allusion au caractère allongé, et peut-être parce que le morceau est souvent roulé et entouré d'un fil.
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Le mot
filet représente aussi l'altération de
filé n. m. « ouvrage fait de fils » (v. 1380), participe passé substantivé de
filer, d'où le sens de « réseau de fil fait de mailles » (1461) spécialement pour capturer les animaux (
XVIe s.) ; de là au figuré (1615)
tendre un filet, attirer qqn dans ses filets. Ce réseau de fil est aussi employé pour envelopper ou tenir (1690 ; par ex.
un filet de ballon, un filet à provisions) ou utilisé dans certains jeux de balle (1877, pour le tennis).
◆
Parmi les réseaux de fils pour la capture d'animaux, les
filets de pêche sont devenus les plus importants, avec tout un vocabulaire technique selon les modalités de la pêche. Dans ce sens, le mot a pour dérivé
FILEYEUR n. m. (années 1980) « bateau équipé pour la pêche au filet (droit) », distingué du chalutier.
→ chalut.
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Sur
filet ont été formés
FILETER v. tr. (1857 ; 1235,
foilleté « fait de fil fin »), terme technique dont dérive
FILETAGE n. m. (1587), reformé (1857) pour « disposition des filets d'une vis ou d'un objet fileté ».
■
Deux préfixés utilisent le sens de filet en boucherie et en typographie.
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CONTREFILET n. m. « morceau de viande » (XXe s.) et ENTREFILET n. m., d'abord terme d'imprimerie au sens de « paragraphe entre deux filets » (1831) et qui a pris par extension le sens usuel de « court article ».
◈
FILIÈRE n. f., dérivé de
fil, a signifié en ancien français « pelote de fil » (1228) puis « fil » (1352). Outre des emplois spécialisés, il désigne (1382) un instrument pour réduire les métaux en fils et, par extension, pour fileter en vis (1755). Au figuré,
filière désigne en commerce un titre à ordre qui représente une marchandise négociable (1243), rare avant le
XVIIIe s., et par ailleurs (av. 1791) une succession d'opérations à accomplir avant de parvenir à un résultat. C'est aussi, en physique, une famille de réacteurs nucléaires de mêmes caractères (v. 1960).
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De
fil dérivent d'autres termes techniques, comme
FILARDEAU n. m. « jeune brochet » (1392) et « jeune arbre élancé » (1771),
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FILIN n. m. (1611) est le nom générique des cordages en marine, mot usuel.
■
FILERIE n. f. (1962) est un terme technique d'électricité.
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1 FILOCHE n. f., régional, autrefois « filet » (1374,
filoiche ; Cf. ancien lyonnais filochi « corde », XIVe s.), dérivé suffixé de
fil, désigne (1743) un tissu à larges mailles, puis une épuisette pour la pêche. Le mot a survécu dans le centre-est de la France, pour désigner des filets, un filet à provisions, un récipient de mailles métalliques pour le poisson de vivier.
■
Il a fourni 1 FILOCHER v. tr. (1869), terme technique et régional pour « sortir (le poisson) de l'eau avec une épuisette » et, antérieurement, EFFILOCHER v. tr. (1761 ; 1657, effiloché, n. m.), régionalement effiloquer (1798). Ce verbe signifie « effiler des tissus pour les réduire en charpie », d'où couramment s'effilocher (1851), en parlant d'un vêtement usagé.
■
Les dérivés EFFILOCHAGE n. m. (1761), EFFILOCHE n. f. (1838), EFFILOCHURE n. f. (1870 ; 1776, effilogeure) sont techniques.
■
1 FILAIRE adj. se dit d'une transmission par fil (v. 1950). L'expression téléphone filaire s'est imposée quand les téléphones mobiles se sont généralisés (1998).
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BIFILAIRE adj. (1854), très antérieur à filaire, est formé de bi-, fil et suffixe.
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Sur
fil ont été composés des termes techniques, des noms comme
CONTREFIL n. m. (1540),
SERRE-FILS n. m. inv. (1869) ou
FIL-À-FIL n. m. inv. (1930).
◆
Composé avec l'acception spéciale de « fil électrique »,
SANS-FIL s'est dit, d'abord au féminin (av. 1925, Claudel in
T. L. F.) pour
télégraphie sans fil, puis au masculin, pour « message ainsi transmis » (1927, P. Morand). Le mot, qui a produit
SANS-FILISTE n. (1912, écrit
sanfiliste) est sorti d'usage, sauf pour évoquer le passé.
◈
Par ailleurs,
fil a servi à former des verbes préfixés.
■
ENFILER v. tr. signifie « traverser d'un fil » (1187) et « traverser par une épée » (1561) ; par figure le verbe signifie « s'engager tout droit dans une voie » (1609) et, en gardant l'idée du fil qui passe, « débiter de façon continue des propos » puis, familièrement, « passer un vêtement » (1866).
◆
De l'idée de « traverser » vient le sens érotique (XVIIe s.) de « posséder sexuellement » (→ filou).
■
Sur le verbe ont été formés des dérivés comme ENFILADE n. f. (1611) « disposition de pièces qui se suivent », ENFILAGE n. m. (1697), et les préfixés RENFILER v. tr. (1580), RÉENFILER v. tr. (XXe s.), DÉSENFILER v. tr. (1694), rares.
◈
1 DÉFILER v. tr., d'abord dans
soie défilée « qui n'est pas filée » (1299), signifie (1408) « défaire (ce qui est enfilé) », comme
désenfiler.
◆
Le sens familier du pronominal
se défiler « se dérober » (1860) se rattache au sens militaire (1829) de
défiler « soustraire les troupes à l'enfilade du feu ennemi ».
■
Ce verbe a produit DÉFILAGE n. m. (1784) et 1 DÉFILEMENT n. m. (1785).
◈
EFFILER v. tr., d'abord attesté dans
s'esfiler « se défaire fil à fil » (fin
XIe s., attestation isolée), est repris au
XVIe s. (1526) au participe passé
effilé « aiguisé ».
◆
Le verbe est reformé pour « défaire fil à fil » (1611 ; 1606,
pron.) et « rendre allongé et fin, ou pointu » (1781,
pron.).
■
Du verbe viennent EFFILURE n. f. (1685), EFFILAGE n. m. (1780), EFFILEMENT n. m. (1796) et EFFILEUR, EUSE n. (1870).
◈
FAUFILER v. tr. est un terme de couture (1690 ; 1684, au participe passé), altération, par attraction de
faux, de
forfiler, fourfiler (1348), de
fors « hors »
(→ dehors), et
fil.
◆
Au figuré, il a signifié « introduire adroitement » (1696,
intr.), sorti d'usage, mais
se faufiler est bien vivant aux sens de « s'insinuer (dans une société) » (1694), « se glisser à travers des obstacles » (1823).
■
Il a fourni des termes techniques, dont FAUFIL n. m. (1865).
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SURFILER semble formé sur FILER. → Filer.
◈
FILAMENT n. m. est emprunté (1538) au bas latin
filamentum « étoffe de fil », dérivé du latin classique
filum. Il désigne une production organique longue et fine comme un fil, spécialement (1904) un fil conducteur très fin.
■
Il a pour dérivé FILAMENTEUX, EUSE adj. (1571).
◈
FILASSE n. f. est issu (v. 1130,
filace) du latin populaire
°filacea, du radical de
filum. Il s'est employé pour le fil de l'araignée et désigne (
XIIIe s.) une matière textile non encore tissée. Par analogie, il se dit de cheveux de couleur blond pâle (mil.
XVIIIe s.).
◈
2 FILAIRE n. f., emprunt (1809) au latin scientifique
filaria (1787 ; de
filum), désigne en zoologie un ver long et fin comme un fil, parasite de l'homme et responsable d'une maladie nommée
FILARIOSE n. f. (1901 ; de
filaria) ; l'anglais a formé plus tôt
filariasis (1879), puis
filariosis (1888).
◈
FILIFORME adj. composé savant du latin
filum (1762), s'emploie pour « très mince, fin comme un fil ». L'idée de fragilité est réalisée dans l'emploi figuré de
pouls filiforme « très faible, “filant” ».