❏
Le mot est passé en français avec le sens de « partie supérieure du corps humain », longtemps en concurrence avec
chef, mais l'acception étymologique de « pot » (v. 1200) est elle aussi représentée en ancien français. En parlant de l'être humain,
teste, puis
tête désigne spécialement le visage quant à ses expressions (dep. 1080, plus nettement au
XIIIe s.) et, dans le domaine psychologique, la tête considérée comme siège de la pensée (1080), des idées, du jugement et des états psychologiques, d'où
perdre la tête (
teste, v. 1160),
teste fole (mil.
XIIIe s.), ou de la volonté (d'où
faire à sa tête [
teste, 1461]), et aussi du souvenir (
avoir en tête, 1376).
◆
On ne compte pas les syntagmes lexicalisés, expressions et locutions (surtout à partir du
XVIe s.) dans lesquels
tête entre avec ces différentes valeurs, concrètes et abstraites : par exemple
monter en la tête (
XIIIe s.) puis
à la tête, mal en la tête (mil.
XIVe s.) puis
mal à la tête et
mal de tête (1597),
avoir sa tête à soi (1773),
toute sa tête, ne savoir où donner de la tête (1586) « où porter son attention ».
Faire qqch., calculer de tête « mentalement » apparaît au
XVIIIe s. C'est aussi avec la valeur d'« esprit, siège de la pensée » que
tête entre dans des expressions populaires comme
avoir, attraper la grosse tête « se croire important, intelligent, être prétentieux », ou encore
prendre la tête (à qqn), prise de tête « obséder ; obsession ». L'exclamation
ça va pas la tête ! (parfois interrogative) correspond à « t'es pas fou ! ». Tous ces emplois sont attestés à partir des années 1970-1980, et sont entrés dans l'usage familier courant, en français de France. Ces expressions mettent en œuvre les différents aspects du signifié, souvent mêlés, comme dans la locution adverbiale
tête à tête (av. 1250, puis 1549), (se rencontrer, se voir
tête à tête), remplacée ensuite par
en tête à tête (
XVIIIe s.) et qui évoque le visage, mais aussi une situation intime :
Cf. ci-dessous le composé un tête-à-tête.
◆
Une métaphore sur le sens de « personne » et « pensée » a créé
laver la tête de qqn « réprimander » (fin
XVe s., Commynes).
◆
Par métonymie, le mot désigne la personne elle-même, considérée dans un ensemble (v. 1275 ; v. 1283,
par teste), puis, qualitativement, en emploi qualifié (
mauvaise tête, 1538 ;
forte tête, 1690) « esprit qui raisonne bien », puis « frondeur » (1904) ou déterminé (
tête de bois [1847], de pioche [1894], de boche [fin XIXe s., sans allusion aux Allemands], tête à claques, fin
XIXe s.). Avec le même sémantisme que dans
tête à claques, à gifles « figure ridicule »,
tête désigne la partie sensible de l'individu, comme
gueule, par exemple dans
faire une grosse tête (à qqn), mettre la tête au carré (années 1950) « battre, corriger »
Cf. casser la gueule.
■
Par une autre métonymie, tête a désigné une monnaie (XVe s.), puis le côté de l'effigie (1690), remplacé aujourd'hui par face ; il désigne spécialement la représentation artistique de la tête (1645, Poussin) et la mesure de cette partie du corps (1671). L'expression tête de Turc, retenue par l'usage à propos d'un être en butte aux railleries de qqn, vient de la foire : on y appelait ainsi (1866) une sorte de dynamomètre sur laquelle on frappait une tête coiffée d'un turban.
◆
Utilisant le sens de « visage », tête se dit d'une personne grimée et parée pour se divertir (1888), notamment dans dîner de têtes « dîner travesti ».
◆
Le langage du sport met l'accent sur le coup donné au ballon avec la tête (1905), par exemple dans faire une tête.
◆
Dès le XIe s., tête s'applique aussi aux animaux, spécialement aux bois des bêtes fauves (v. 1180 : cerfs). À partir du XVIe s., il a servi à former nombre de désignations d'animaux.
Par ailleurs, la situation de la tête en haut ou à l'avant du corps a suscité de nouveaux emplois comme de la tête aux pieds. Dans les oppositions, tête est souvent opposé à queue. Ainsi, la locution faire tête à queue, employée d'abord à propos d'un cheval (1855), a donné TÊTE-À-QUEUE n. m. (1902) pour « volte-face (d'un véhicule) ».
◆
◆
D'expressions telles que se jeter en tête la première, vient sans doute le sens de « plongeon » (1805 ; piquer une tête, 1842).
◆
Cette idée de situation supérieure, parfois mêlée à l'analogie de forme, se retrouve dans l'emploi de tête pour « extrémité arrondie (de certains végétaux) » (1260), par exemple dans tête d'ail, tête d'un arbre (1590), etc.
◆
En ne gardant que l'idée d'antériorité spatiale, tête désigne l'extrémité antérieure d'un objet (XVe s. teste de clou), orienté ou en mouvement (1559), par exemple dans les locutions en tête (1580), de tête, à la tête de... (à la teste d'une trouppe, 1580 Montaigne) [Cf. ci-dessous un autre sens]. De là aussi tête de liste (1885), tête de série en sports (1905) et tête d'affiche (att. 1941).
◆
Cette valeur s'applique notamment, depuis le milieu du XIXe s., aux véhicules longs et aux lignes de communication : tête de ligne (1869), voitures de tête, etc. Des locutions techniques, comme tête chercheuse (d'une fusée) [1954] ou tête de lecture (d'un appareil de reproduction sonore), relèvent aussi de la notion d'extrémité.
◆
Abstraitement, le mot s'applique aussi au premier élément d'une série (tête de vin, 1740 ; avant tête de cuvée) et à la première d'une série d'opérations, notamment à propos des produits de tête (ou de queue) d'une distillation (1892) ou du tirage de tête d'un livre.
◆
Une autre métaphore, où la situation supérieure et le rôle psychique du cerveau se mêlent, aboutit au sens abstrait de « position supérieure et dirigeante » (Cf. chef), notamment dans à la tête de... (1580), et à celui de « personne qui dirige » (1636, Corneille).
❏
Tête a produit un certain nombre de dérivés et (surtout) de composés.
■
TÊTIÈRE n. f., d'abord testière (v. 1175), désignait une pièce d'armure couvrant la tête d'un guerrier, de son cheval (XIIIe s.) ainsi qu'une coiffe d'enfant (1680).
◆
De nos jours, le mot désigne la partie supérieure de la bride d'un cheval (XIIIe s. isolément, puis 1530) et une garniture de siège, à l'endroit où l'on appuie la tête (déb. XXe s.). Il est également employé en technique pour désigner une pièce disposée à la « tête » d'un objet ou d'un appareil (en marine, 1771 ; en typographie, 1769).
■
L'adjectif TÊTU, UE (1237, testu) a d'abord qualifié concrètement une personne ayant une grosse tête (Cf. ci-dessous têtard), ceci jusqu'au XVIIe s., avant de prendre le sens figuré courant d'« obstiné » (1284), où il est aussi substantivé (1659). Dans cet emploi courant, le mot est à peu près démotivé (Cf. pour la même évolution, crâneur, de crâne).
◆
Têtu est également employé comme nom pour désigner un genre de marteau (1384), sens avec lequel il a donné lieu au verbe technique TÊTUER v. tr. (1876).
◈
TÊTARD a d'abord été adjectif (1303,
testard) au sens d'« obstiné », où il a été éliminé par
têtu (ci-dessus), puis pour « qui a une grosse tête » (
XVe s.) ; cet adjectif a disparu.
◆
La valeur concrète a été seule retenue pour les substantivations,
un têtard se disant d'abord (1560) d'un poisson à grosse tête, sens archaïque depuis que le mot s'applique aux larves de batraciens (1611).
◆
L'idée de « grosse tête » appliquée aux objets (1421, « poutre »), puis aux arbres (1751, « arbre écimé », aussi en apposition), n'a produit que des acceptions techniques.
■
Revenant à la notion initiale de « grosse tête humaine », têtard s'applique en argot puis familièrement à un enfant (fin XIXe s.).
◆
En argot il désigne aussi une personne dupée (1924, être fait têtard), produisant TÉTARER v. tr. (XXe s.) « duper ».
◈
En dehors de quelques autres dérivés sortis d'usage comme
TESTONNER v. tr. « coiffer » (1515),
tête n'a guère donné encore que
TÉTOIR n. m. (1755), terme technique ayant trait aux têtes d'épingles,
TÊTEAU n. m. (1777), terme d'arboriculture, « arbre étêté, lorsqu'il commence à refaire ses branches ».
◈
TESTARD, ARDE adj. et n., attesté en 1931 en français de Marseille, est un emprunt au provençal
testard, correspondant au français
têtard, mais avec le sens figuré de
têtu ou
entêté. Le mot est courant en français de Provence, du Gard, de la Lozère, comme adjectif et comme nom.
◆
TESTARDISE n. f. est la francisation du provençal
testardige (
testardugi à Marseille) pour « entêtement ».
◈
Tête a produit des noms composés désignant des objets ayant un rapport avec la tête humaine, tels
APPUI-TÊTE n. m. (1853),
SERRE-TÊTE n. m. (1573),
casse-tête (→ casser), ou procédant d'un sens analogique de
tête comme c'est le cas pour
en-tête (ci-dessous).
■
Plusieurs composés correspondent à des dénominations imagées, comme TÊTE-DE-NÈGRE n. m., nom de couleur (1818), employé aussi comme adjectif invariable (1874) et désignation d'un bolet (1907, n. f.), TÊTE-DE-MOINEAU n. m., nom usuel d'une centaurée (1793) puis d'une forme d'anthracite moulée (1877). TÊTE-DE-LOUP n. m. (1814) désigne une brosse ronde munie d'un long manche, pour le nettoyage de lieux inaccessibles autrement (plafonds, notamment).
◆
TÊTE-DE-MAURE n. m. (mil. XIXe s.) s'emploie en terme de blason pour l'image de la tête d'un homme à la peau noire (meuble de l'écu). C'est aussi le nom (surtout régional : sud-ouest de la France) d'un fromage de Hollande sphérique, à croûte rouge. Il a été altéré en TÊTE-DE-MORT.
◆
TÊTE-DE-CLOU n. m. (1837, puis 1884 pour « caractère typographique usé »), désigne en archéologie un ornement de pierre en forme de petite pyramide à quatre faces, notamment dans l'art roman.
■
TÊTE-À-TÊTE n. m. (1670) est la substantivation de la locution tête à tête (ci-dessus) et s'applique à la situation de deux personnes qui se trouvent seules ensemble.
◆
Ce même composé sert à désigner un petit canapé à deux places (1780), un service à thé (1890) ou café pour deux.
■
EN-TÊTE n. m. utilise le sens figuré de tête avec en- et désigne une inscription en haut d'une feuille de papier (1838), puis une vignette. En informatique, il désigne la portion initiale d'un message.
■
TÊTE-BÊCHE loc. adv. est l'altération moderne (1820) de la locution plus ancienne à tête beschevet (av.1577 ; 1534, teste a teste beschevel), renforcement de bêchever, formé avec l'ancien bes-, du latin bis « deux fois » (→ bis) et chevet* ; l'expression n'étant plus comprise, elle a été altérée.
◆
Elle signifie « en position inverse » en parlant de deux personnes ou de deux choses orientées et parallèles.
◈
S'il n'existe pas de verbe dérivé de
tête, deux dérivés verbaux préfixés sont en usage.
■
ÉTÊTER v. tr. (XIIIe s.) « couper la tête à » se dit essentiellement à propos d'un poisson, d'un arbre (1552), d'une épingle ou d'un clou (1690).
◆
Ce verbe a pour dérivés ÉTÊTEUR n. m., surtout usité dans le domaine de la pêche, à propos de l'ablation de la tête des poissons pêchés (1740) et ÉTÊTEMENT n. m. (1611, estestement), opération d'arboriculture.
◈
L'autre composé verbal,
ENTÊTER v. tr. (v. 1175,
entester), a d'abord signifié « frapper à la tête » et « mettre sur la tête », emplois aujourd'hui disparus.
◆
Il a développé les sens figurés de « porter à la tête » en parlant d'un vin (1275) et de « (s')enivrer avec du vin » (
XIIIe s.), sortis d'usage mais qui sont à l'origine du sens moderne, « incommoder (en agissant sur la tête) », le sujet désignant les vapeurs du vin, une odeur, etc. (
XIVe s.), sens auquel correspond l'adjectif plus courant
ENTÊTANT, ANTE (1860), employé dans les mêmes contextes.
◆
L'autre sens figuré de
entêter, à l'origine « emplir la tête », est courant sous la forme pronominale
s'entêter « s'obstiner » et remonte également au
XIIIe siècle.
◆
D'autres acceptions, comme « affermir (qqn) dans un dessein » (
XIVe-
XVe s.), « prévenir en faveur de (qqn) » (1611) et, à la forme pronominale, « tirer vanité de » (
XVIe s.) puis « s'engouer de » (
XVIIe s.), fréquentes dans la langue classique, sont sorties d'usage.
■
Le nom d'action correspondant, ENTÊTEMENT n. m. (1562), a suivi le même développement, ne conservant que deux valeurs principales du verbe : « étourdissement dû aux vapeurs de l'alcool » (1562) et « obstination excessive » (1798).
■
Enfin, entêter fonctionne comme l'antonyme de étêter au sens technique de « mettre des têtes à (des épingles) » (1755, Encyclopédie), d'où un sens spécial de entêtement (1907) et le dérivé ENTÊTEUR n. m. (1765), sorti d'usage avec la disparition du métier qu'il désigne.
◈
TÉTIGUÉ interj., juron de paysan dans le théâtre classique (attesté en 1666, Molière), est l'altération euphémistique, populaire et rurale, de
tête* Dieu, d'après la locution ancienne
jurer la teste Dieu « jurer par la tête de Dieu ». On relève également les formes
par la teste-bleu (1659),
tête-bleu (1660), et les composés altérant
dieu en
gué, guenne, etc. :
testiguenne (1668),
tastigué (1678),
testiguienne (1721),
tetigoine (1721), déjà archaïques et ruraux dans l'usage classique et qui ont dû disparaître complètement au début du
XIXe siècle.