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Les valeurs principales de
toucher sont acquises dès les premiers emplois ; dans
La Chanson de Roland (1080), le verbe transitif signifie « entrer en contact avec (une personne ou qqch.) », par l'intermédiaire d'un objet ou avec la main, plus tard avec une autre partie du corps (v. 1121) ; le contact peut impliquer l'agressivité :
toucher (qqn, qqch.) signifie (v. 1125) encore à l'époque classique « s'attaquer à ».
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Le verbe s'emploie également au sens de « porter la main sur qqch. » (v. 1155), pour prendre, palper, etc., sans que le contact soit violent ; d'où autrefois
toucher la main à qqn, en signe d'amitié (1456) ou d'accord (v. 1530). Le contact a un rôle particulier dans la conception traditionnelle du roi thaumaturge :
toucher signifie « guérir (en posant la main sur le corps) » (1560).
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La relation à l'objet touché peut viser à une intervention (1636,
toucher à qqch.), spécialement dans
ne pas toucher à la nourriture « ne pas manger » (1564).
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Toucher connaît, toujours avec l'idée de mouvement, plusieurs extensions. Il s'emploie à propos d'un instrument de musique (v. 1200,
toucher d'un instrument), transitivement et dans la locution figurée
toucher la corde sensible (1774 ; au
XVIe s.,
toucher une mauvaise corde, [1579]).
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Il prend très tôt une valeur érotique, « caresser » (1280) et « avoir des rapports sexuels » (v. 1145), mais le pronominal
se toucher « se masturber » est plus récent (1655).
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Le sens de « frapper (qqn) », relevé isolément à la fin du
XVe s., réapparaît au
XVIIe s. (1611,
toucher sur qqn) mais n'est bien établi qu'au
XIXe s. ; le verbe s'emploie à partir du
XVIe s. avec un sujet de chose pour « entrer en contact avec (qqch.) » (1529, en parlant d'un navire), puis « heurter violemment » (v. 1698) et pour « atteindre avec un projectile » (1547), d'où l'exclamation
touché ! (opposé à
raté !).
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D'autres emplois concrets sont plus récents, au billard (1740,
toucher la bille), d'où au figuré
toucher sa bille (v. 1970) « bien connaître un domaine, réussir », en escrime (
XIXe s.).
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Le contact peut aussi être opéré par l'intermédiaire de la parole ;
toucher a signifié « mentionner brièvement » (v. 1138) et « dire » (v. 1290), puis « effleurer un sujet » (fin
XVe s.), emploi vieilli sauf dans la locution
toucher un (deux...) mot(s) de qqch. (à qqn) (fin
XIIIe s.) ; il a pris une valeur plus générale, « s'occuper, se mêler de (qqch.) » (1283), et s'emploie couramment depuis le
XIXe s. pour « joindre (qqn) », par une lettre ou un coup de téléphone. À l'époque classique il se disait pour « exprimer par l'écriture ou la peinture » (1608).
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Par ailleurs le contact s'opère avec l'argent,
toucher signifiant « recevoir, percevoir (une somme d'argent, qqch.) » (1311, puis 1573
toucher argent). Le verbe suggère souvent que ce gain est excessif ou illicite. En français d'Afrique,
toucher a pris, sans connotation négative, le sens de « gagner de l'argent »
(il touche beaucoup, bien) et de « percevoir son salaire »
(on a touché avec un mois de retard).
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Un autre emploi est connu depuis le XIIe siècle, « parvenir jusqu'à (un point) » (v. 1176), aujourd'hui littéraire au propre, par exemple dans toucher au port (v. 1150, d'un bateau), toucher au but (1530), et au figuré (1547) ; il est aussi littéraire à propos d'un point situé dans le temps, au propre (1635) et au figuré dans toucher à sa fin (1673).
Enfin le verbe signifie aussi dans les premiers textes « être contigu à » (v. 1150), comme transitif, toucher qqch., aussi comme transitif indirect dans toucher à qqch. (v. 1175), enfin au pronominal se toucher (1690). Par extension, toucher à équivaut à partir du XVIIe s. à « être très proche de » (1668). Mais dès l'ancien français toucher à s'emploie avec une valeur abstraite, « avoir un rapport avec (qqch.) » (1267), d'où ensuite les sens « avoir pour objet » (1538) et « être très voisin de » (1739 ; cela touche au délire).
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Parallèlement, la contiguïté concerne une personne (fin XIIIe s.) ; toucher signifie en particulier « avoir un lien de parenté avec (qqn) » (1567), aujourd'hui dans toucher de près (de loin) (1751), d'abord au pronominal se toucher (1640).
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Au sens concret, se toucher s'est spécialisé, d'abord en argot, pour « se masturber » ; au figuré, (il) se touche la nuit (1903, argot de Saint-Cyr) « se faire des illusions ».
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Le déverbal
TOUCHE n. f., dès l'ancien français (v. 1160), désigne un objet servant à toucher, d'abord un bâtonnet crochu pour lever les jonchets
(toche) puis, sorti d'usage, une gaule pour faire avancer les animaux (1380).
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De nos jours, le mot sert essentiellement à désigner les leviers d'un clavier (1636, d'un clavecin) et, dans les instruments à cordes, la pièce collée sur le manche et où s'appuient les doigts (1640 ; fin
XVe s.,
touce) ; au
XIXe s., il s'est étendu aux éléments d'un clavier de machine (1858).
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Avec ce même sémantisme,
touche s'emploie en français d'Afrique centrale pour le crayon d'ardoise.
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Le nom s'est dit du résultat de l'action, signifiant « fait d'être atteint par une maladie » (v. 1250). Il désigne l'essai de l'or et de l'argent (1260), par figure ce qui sert à faire apprécier la qualité de qqch. (1285), essai pratiqué avec la touche (v. 1313), emploi métonymique, puis la pierre de touche (1562), expression aussi prise au figuré (1549). Voir ci-dessous le dérivé touchau.
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Touche a désigné l'action de frapper (1280), d'où le sens de « coup (de poing, de couteau) » (v. 1310), sorti d'usage.
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Le mot s'emploie dans divers domaines avec la valeur d'« action de toucher » et concrètement de « résultat de l'action » : en musique « note d'un clavier » (v. 1310) ; en escrime (1555) ; plus tard au billard (1845) et à la pêche (déb. XXe s.) pour « action de toucher », « coup par lequel on touche ». En peinture (1622), c'est l'élément coloré posé par la brosse, le pinceau, sens repris au figuré en littérature (av. 1690), comparable à couleur locale.
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Il désigne en particulier la manière de toucher pour améliorer qqch. (1690).
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Sans doute par le biais des ateliers de peintres, le mot se dit familièrement (1872) de l'aspect d'ensemble que présente une personne ou une chose (avoir une drôle de touche).
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Faire une touche « rencontrer une personne qui répond à une invite galante » (1925) est peut-être lié à une valeur ancienne de touche, « émotion » (fin XVIIe s.) et, en tout cas, à des emplois vivants de toucher (ci-dessus).
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Depuis la fin du
XIXe s. (1889), le mot est employé dans les jeux de ballon pour désigner la partie du terrain à l'extérieur des limites latérales du champ de jeu : ce sens est un emprunt à l'anglais
touch, d'abord employé à propos du joueur qui fait toucher le sol au ballon au-delà des lignes (d'où
mettre en touche). Une locution au départ technique,
dégager, botter en touche, a été reprise au figuré pour « se dégager habilement en déplaçant l'objet du débat ».
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Le diminutif
TOUCHETTE n. f., autrefois « pierre de touche » (v. 1504), désigne (1844) chaque petite pièce incrustée dans le manche d'un instrument à cordes et, familièrement, un choc sans gravité entre deux automobiles (v. 1970).
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TOUCHER n. m., emploi substantivé du verbe (1226, toukier), désigne le sens du tact puis l'action (v. 1150) et la manière (1636) de toucher, enfin la qualité d'un corps au toucher (1762). Le mot s'est spécialisé en musique (1690) et en médecine (1872, toucher vaginal).
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TOUCHAU n. m. (1721 ; 1399, toucheau « or essayé avec la touche ») est un terme technique au sens de « pierre de touche », restreint dans le travail du métal en bijouterie.
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Le nom d'agent TOUCHEUR, EUSE n. (1611) a désigné une personne conduisant les bestiaux en les aiguillonnant. Le mot a un sens technique en imprimerie (1836).
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Toucher a aussi donné des adjectifs avec
TOUCHABLE adj. (déb.
XIVe s.) et son antonyme
INTOUCHABLE adj. (1569), qui s'emploie spécialement comme nom pour désigner une personne qu'on ne peut toucher sans se souiller, notamment des hors-castes ou parias des Indes (1923).
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Le participe présent adjectivé TOUCHANT, ANTE, d'abord appliqué à des choses contiguës (1611), qualifie ce qui fait une forte impression (1639), puis ce qui séduit avant de se restreindre à « attendrissant » (1660 ; 1679, le touchant).
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Touchant prép., au sens de « au sujet de » (v. 1250), a vieilli.
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Quelques composés ont été formés entre le
XIXe et le
XXe s. avec l'élément verbal
touche comme premier élément :
TOUCHE-À-TOUT n. m. (1836) « personne, notamment enfant qui touche à tout »,
TOUCHE-PIPI n. m. (1935) d'usage très familier pour « attouchements sexuels » et
à touche-touche loc. adv. (1920) « en se touchant, en se suivant de très près », familier.
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Le préfixé
ATTOUCHER v. tr. s'est employé du
XIIe jusqu'au
XIXe s. au sens d'« être près de (qqch.) » (1121,
atuchier a).
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Il a aussi signifié (1536) « être uni à (qqn) par la parenté », acception sortie d'usage dès la fin du
XVIIe siècle.
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Rare au sens général de « toucher (qqn) légèrement » (1121), il s'emploie encore avec une valeur érotique (v. 1170).
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Son dérivé ATTOUCHEMENT n. m. est vieilli pour « action de toucher » (apr. 1170) dans l'emploi général, spécialisé pour parler d'une caresse, notamment sexuelle (XIIIe s.), d'où par euphémisme le sens de « masturbation » (1845), en médecine, etc.
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ATTOUCHEUR, EUSE adj., attesté chez les Goncourt (1869), est rare, appliqué à ce qui effleure.
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ATTOUCHEUSE n. f. s'est employé (apr. 1850) pour « prostituée ».