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Dans les premiers textes, le verbe s'emploie à propos de déplacements dans l'espace ; il signifie « forcer (qqn) à aller quelque part » et « tirer (qqn) après soi », d'où plus tard « se faire accompagner par qqn » (1690) puis « tirer (qqch.) » (v. 1155). Il s'emploie aussi intransitivement au sens de « pendre à terre » (déb.
XIIe s.) en parlant d'un objet.
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Par extension traîner développe l'idée de difficulté à se déplacer, d'abord au pronominal se traîner « avancer avec peine » (XIIe s.), d'où ensuite « suivre difficilement un groupe » (v. 1550) et « aller quelque part à contre-cœur » (déb. XVIIIe s.).
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À partir du XVIe s. apparaissent avec cette valeur des locutions où le verbe est à l'actif : traîner ses pieds (1552), devenue traîner les pieds, traîner la jambe (1690) ou la patte, traîner sa chaîne, au propre (apr. 1550) et au figuré, puis au XIXe s. se traîner aux pieds de qqn, également au figuré.
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Par figure traîner signifie « supporter (qqch.) dont on ne peut se débarrasser » (1440-1475), en particulier une façon de vivre pénible (mil. XVIe s.).
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Par une autre figure, le verbe s'est employé (fin XVe s.) pour « entraîner », en parlant de choses, et pour « séduire », notamment dans traîner les cœurs (après soi) [1667].
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Une autre valeur différente apparaît à la fin du XVIe s. à propos des personnes, « aller sans but », avec une idée d'activités douteuses, déréglées, et à propos des choses, pour « être laissé à l'abandon, en désordre ». De là l'emploi pour « pendre en désordre » (1694) et l'usage abstrait pour « se trouver partout » (1727) à propos d'idées.
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Dès le XVe s. traîner s'emploie avec une valeur temporelle, signifiant « durer trop longtemps » (1440-1475), spécialement à propos de la voix (1549, tr. ; 1861, intr.). En parlant de personnes, il équivaut à « s'attarder, perdre du temps » (1580), d'où « prolonger volontairement (qqch.) » (1636), dans traîner qqch. en longueur, traîner qqn « lui faire attendre l'issue de qqch. » (1680) ; ces emplois transitifs ont disparu, remplacés par l'intransitif dans faire traîner (les choses en longueur), laisser traîner, etc. Le verbe se dit aussi d'une personne qui se laisse distancer (1718), puis de quelque chose qui se dissipe difficilement : brouillard, nuages, etc. (apr. 1850). La même valeur s'exprime au pronominal se traîner « s'étirer en longueur », par exemple d'une conversation (1807), et « se passer lentement et péniblement » (déb. XIXe s.).
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TRAÎNANT, ANTE adj., du participe présent, qualifie un objet qui traîne au sol (v. 1160) puis s'applique à une voix languissante et monotone (1580) et à une œuvre qui s'étire en longueur (1640), emploi tombé en désuétude.
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Au
XIIe s., le verbe a produit les déverbaux
train et
traîne, le premier ayant un développement sémantique très riche étendu sur plusieurs siècles.
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TRAIN n. m. a d'abord désigné (v. 1160) un ensemble de choses, et dans les chansons de geste, de cadavres dont la terre est jonchée, valeur propre à l'ancien français.
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Ses autres sens anciens « convoi de bêtes voyageant ensemble » (v. 1190), « file de bêtes de somme voyageant ensemble avec le personnel de service » (v. 1240) et « ensemble de domestiques, de chevaux, de voitures accompagnant une personne » (v. 1225) ne sont plus employés en français central, mais ils amorcent plusieurs sens modernes en mettant l'accent sur l'idée de file, de suite en mouvement.
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Ce sémantisme s'est néanmoins conservé en français de Suisse, avec des syntagmes comme
train de campagne « exploitation agricole » (1849 dans Amiel), aussi
train et
train de paysan, emplois connus encore au
XXe s. en Bourgogne. Le mot n'a alors aucun contenu impliquant « suite » ou « mouvement ».
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Ainsi,
train se dit aujourd'hui d'une suite de choses tirées ou entraînée à propos de divers véhicules (1660, de bateaux) et en technique d'un ensemble de choses semblables fonctionnant en même temps (1836), tel un
train de laminoir. Le mot est employé dans le domaine militaire (déb.
XIXe s.), autrefois en emploi déterminé (
le train des équipages Cf. ci-dessus tringlot), en parlant des attelages conduisant les munitions, les approvisionnements.
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Dès le
XVIIe s., il s'employait au figuré à propos d'une série de pensées (
XVIIe s.), aujourd'hui d'actes de caractère officiel (v. 1960), par exemple
un train de mesures.
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Une extension concrète de l'idée de « suite, convoi » a connu une fortune particulière, donnant le sens de « locomotive et ensemble des wagons de chemins de fer » (1829), puis par métonymie celui de « voyageurs d'un train » (déb.
XXe s.). Ce sens a engendré un certain nombre de syntagmes (
train rapide, train express, train express régional, en France, abrégé en T. E. R.,
train régional en Suisse) et quelques locutions ; il colore en français actuel l'ensemble des emplois, souvent sentis comme métaphoriques
(prendre, manquer... le train). Le syntagme
train à grande vitesse est abrégé en France en
T. G. V., n. m. très courant.
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Par un autre développement, l'accent est mis sur l'allure, le mouvement, d'abord d'une bête de somme ou de trait (
XVe s.) puis également d'une personne (1580), emploi aujourd'hui marqué comme littéraire en dehors de certaines locutions :
aller son train (archaïque),
train de sénateur (1668) « démarche lente et solennelle »,
du train où vont les choses (1761,
du train dont les choses vont).
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Ultérieurement,
train pour « allure » est employé dans le langage des sports à propos d'une course de chevaux (1855), d'une course cycliste (1885) et d'autres courses.
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Par attraction de l'ancienne valeur de train, « suite d'une maison, domesticité » et aussi « dépenses » (fin XVe s.), le mot a désigné l'ensemble des moyens matériels (fin XVe s.), notamment dans l'expression train de vie (1879) autrefois au sens de « manière de vivre » (1588). Cette valeur survit dans mener grand train (1872).
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Une spécialisation rurale, vivante au Québec, donne à train la valeur de « suite d'activités quotidiennes de la ferme : traite des vaches, travaux, nettoyage... ».
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D'après certains emplois attestés dès le XVe s. avec la préposition en, il est entré dans la locution adverbiale en train « en action, en mouvement, en cours d'exécution » (v. 1480) et dans la locution prépositionnelle en train de (1668) « disposé à », qui n'est plus guère réalisé qu'en phrases négatives. L'emploi moderne de en train de n'exprime plus l'imminence de l'exécution d'une action (1567) mais l'aspect duratif (1731, Marivaux).
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Une autre acception, liée à l'idée de mouvement, déplacement de nombreuses personnes, est « agitation », d'où « tapage » (1768), qui survit dans mener un train d'enfer, passée aujourd'hui au sens de « très vive allure ». Ce sémantisme est actif en français du Canada, pour « bruit, tapage » et « agitation », par exemple dans faire, mener du train, un train, un train d'enfer ; aller faire, aller mener le train (quelque part).
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Enfin, train est pris concrètement dans un certain nombre d'emplois pour désigner la partie d'un objet qui traîne : il s'applique à la partie d'un véhicule qui porte le corps d'une voiture (1467), d'où au XXe s. le train d'atterrissage d'un avion (1912) ; il se dit aussi de la partie de devant, et surtout de derrière, d'un animal de trait et par extension de tout quadrupède (XVIe s.). L'expression train de derrière et le composé arrière-train (ci-dessous) ont suscité l'apparition d'un sens argotique, puis familier, de train, pour « derrière, postérieur » (1878), surtout dans l'expression botter le train.
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Ce sens fournit les composés AVANT-TRAIN n. m. (1704 ; 1628, avantrein) et ARRIÈRE-TRAIN n. m. (1827), dénomination familière du derrière humain.
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Quant à l'expression mise en train, à l'origine employée en imprimerie, elle vient d'un ancien sens de train « partie d'une presse d'imprimerie sur laquelle on posait la forme » (1680).
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La duplication de train en TRAIN-TRAIN n. m. (fin XVIIIe s.) est une corruption de la locution plus ancienne trantran* par attraction phonétique et sémantique de train « allure ».
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Le déverbal féminin
TRAÎNE n. f., d'abord
traïne (1172-1174),
trahine (v. 1180), a été employé dans la locution
a traîne pour qualifier une chose répandue sur une surface, et a eu les sens de « retard » (1172-1174) et de « prison » (v. 1180) en ancien français.
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Le mot est resté jusqu'au
XIXe s. d'usage rare et technique, avec différents sens concrets (1466,« poutre » ; 1457, « traîneau ») et il a développé en marine le sens de « filet qu'on traîne derrière un navire » (1553).
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Le sens de dispositif traînant sur certains sols, sur la neige (sans patins, à la différence de
traîneau), est vivant en français du Québec, notamment avec la locution
traîne sauvage, à propos du véhicule traîné sur toutes sortes de sol qu'employaient les Amérindiens, dit aussi
tabagane (→ toboggan). En général, on dit au Québec
traîne pour
traîneau et
traîneau pour
luge.
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C'est au
XIXe s. que l'on a commencé à dire
la traîne pour le bas d'un vêtement qui traîne (1843) et, régionalement, pour un chemin creux (1832).
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La locution
à la traîne, appliquée à un bateau remorqué par un autre (1718) et à un type de pêche (1876), est passée dans l'usage courant avec le sens figuré de « en désordre, à l'abandon » (v. 1900) et dans l'usage familier pour « en arrière d'un groupe de personnes » (1931).
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Ciel de traîne s'emploie en marine et en météorologie, à propos d'une fin de perturbation.
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TRAÎNEAU n. m., dont la forme actuelle (1549) a été précédée par
trainneaul (fin
XIVe s.) et
traneau (1227), désigne d'abord (comme
traîne) un véhicule dont une partie traîne sur le sol, le plus souvent sur la neige, utilisé pour le transport des marchandises et (fin
XVIe s.) une voiture à patins, valeur spécialisée à propos d'un véhicule se déplaçant sur la neige. Au Québec,
traîneau s'emploie aussi là où on dit
luge en France.
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Le nom désigne aussi un grand filet de chasse ou de pêche que l'on tire (v. 1270) et anciennement, en agriculture, un cadre de bois traîné sur des terres labourées pour les aplanir (fin
XIIIe s.).
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D'autres dérivés restent en relation plus étroite avec le verbe.
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TRAÎNÉE n. f. a d'abord été employé comme terme de vénerie (v. 1354) en parlant d'une trace faite avec des morceaux de bête morte pour attirer le loup dans un piège. Il a pris par généralisation le sens de « trace laissée par une substance répandue sur le sol » (1493, traînée de poudre), aussi au figuré.
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Il s'applique par extension à ce qui s'étale sur une certaine longueur (1602), en particulier à la trace d'un corps en mouvement (1701). Il désigne en termes de pêche une longue ligne de fond (1872).
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Le sens figuré et familier de « groupe de personnes, suite » (1423), quasi-synonyme de train dans ses emplois anciens, est presque éteint de nos jours.
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L'accent se déplaçant sur l'action de traîner, le mot désigne le mouvement de ce qui traîne (1887) et s'emploie en technique (1949), opposé à poussée.
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Un sens métaphorique familier, lié à une acception du verbe traîner pour « aller sans but », spécialisée pour « femme de mauvaise vie » (v. 1488), s'est répandu à partir du XVIIIe s. (Rousseau) ; avant de vieillir, au XXe s., ce fut un terme d'injure méprisante dans le langage bourgeois.
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TRAÎNEMENT n. m., autrefois au figuré « effort » (1295), et au propre « action de traîner un condamné dans une ville » (1501), puis « action de se traîner » (1538), désigne le bruit fait par qqch. qui traîne (v. 1550). Le mot est rare pour « action de traîner ».
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TRAÎNERIE n. f., créé avec les sens anciens de « maladie de langueur » (1555) et « pêche à la traîne » (1560), s'est à peine mieux conservé avec la valeur générale, « fait de traîner » (v. 1600), emploi vivant au Québec, où l'on dit c'est pas, ça sera pas une traînerie pour « c'est, ce sera rapide, vite fait ». Par métonymie on emploie le mot au pluriel, au Québec, pour « choses qui traînent, qu'on laisse traîner ».
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L'autre nom d'action, TRAÎNAGE n. m., d'abord écrit traisnage (1531) « action de traîner un fardeau », est vivant avec des sens très limités, souvent techniques.
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Le nom d'agent TRAÎNEUR, EUSE n., lui-même attesté depuis le XVIIe s., a été précédé par l'ancienne forme de féminin traîneresse (v. 1330) appliquée à celle qui traînait un condamné par les rues.
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Traîneur d'épée (1639 ; v. 1600, traineux) a disparu mais traîneur de sabre, familier pour « soudard » (déb. XIXe s.), s'est maintenu. Le nom désigne une personne qui traîne quelque chose. Il équivaut au figuré à « traînard » (1689, Mme de Sévigné) et familièrement se dit (1873) de la personne qui traîne (qqn) quelque part. La forme régionale et rurale TRAÎNEUX, EUSE adj. et n. s'emploie au Québec là où on dit en France traînard, et aussi pour « personne qui laisse traîner ses vêtements, les objets dont elle se sert, qui ne range rien ».
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TRAÎNASSER v. (1563), précédé par trainacer (1480, dans une locution figurée), sert de doublet péjoratif à traîner. Il s'emploie transitivement avec les sens de « tirer mollement par terre » (XVIe s.) et de « faire tarder » (1749) et intransitivement pour « errer » (1845), « lambiner » (av. 1850).
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On en a tiré un nom d'action péjoratif, TRAÎNASSERIE n. f. (1611 ; 1552, trainacerie).
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À l'époque classique, le dérivé TRAÎNIER adj. (1607) signifie « qui se traîne » ; il a été substantivé (fin XIXe s.), aussi sous la forme TRAÎNIÉ, ÉE à propos de qqn qui traîne dans des lieux mal fréquentés, qui sort la nuit, mais n'est resté vivant que régionalement.
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TRAÎNARD, ARDE adj. et n. (1594) qualifiait autrefois une personne rampant à terre et s'applique à ce qui traîne en longueur. Le nom, employé au XVIIe s. pour « valétudinaire » (1660), désigne en français moderne une personne qui est lente ou qui reste en arrière (1819).
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TRAÎNAILLER v., terme voisin de traînasser, est attesté depuis le XIXe s. (1839).
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Un certain nombre de noms composés imagés avec
TRAÎNE- comme premier élément ont été formés à partir du
XVIIe s. ;
TRAÎNE-MALHEUR n. inv. (1664) a été remplacé par
TRAÎNE-MISÈRE n. inv. (1893) « miséreux ».
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Au
XVIIIe s. les créations sont des noms régionaux d'oiseaux :
TRAÎNE-BUISSON n. m. et
TRAÎNE-CHARRUE n. m., tous deux chez Buffon (1778), le premier comme nom de la fauvette d'hiver, le second pour le traquet. Au
XXe s., outre
TRAÎNE-BÛCHES n. m. inv. (1923), nom donné à une larve aquatique par les pêcheurs, ont été formés au
XXe s.
TRAÎNE-LA-PATTE n. et adj. d'abord figuré (1892 « vagabond » et « paresseux ») désigne concrètement une personne qui traîne les pieds, avance lentement.
TRAÎNE-SAVATES n. inv., TRAÎNE-PATINS n. inv. et
TRAÎNE-SEMELLES n. inv., désignations familières attestées vers le milieu du
XXe s., qui réunissent deux valeurs de
traîner, une concrète « aller lentement, péniblement », l'autre abstraite comme dans
traîne-misère.
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Enfin, un dérivé de
train, dans
train des équipages, est
TRINGLOT n. m. (1863), aussi écrit
tringlos, trin- pour
train- croisé avec un sens argotique de
tringle, « fusil ».
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Le mot a désigné jusque vers 1945, mais surtout de 1863 à 1918, un soldat du train des équipages.