TROMPER v. tr. serait antérieur aux premières attestations connues (v. 1352 se trouver trompé « être dans une situation délicate »), et devrait avoir été en usage dès le XIIIe s., si l'on en juge par les dérivés trompeur et tromperie. Les emplois transitifs proviennent de l'ancien verbe pronominal se tromper de qqn « se jouer, se moquer de qqn » (1388), dans lequel on peut voir un emploi figuré de l'ancien verbe tromper « sonner de la trompe, annoncer à la trompe » (1217), dérivé de trompe*. Cette évolution est contestée par P. Guiraud qui fait remonter le verbe au latin triumphare (→ triompher) avec un développement de « triompher » à « se moquer de » d'où « abuser ».
❏  Parallèlement à cette forme pronominale, vivante en ancien français puis employée au sens de « faire une farce » (1636) et sortie d'usage (déb. XVIIIe s.), tromper, en emploi transitif, a immédiatement son sens moderne, « induire volontairement en erreur » (1420). ◆  À partir du XVIe s., tandis que la forme pronominale commence à prendre le sens réfléchi de « s'abuser » (1534), tromper signifie « donner lieu à une méprise » (1553), tromper la faim, les peines « se distraire de (la faim, des peines) » (1552) et tromper l'attente « décevoir, faire ou dire ce qui est contraire à (l'attente) » (1580). ◆  L'emploi spécial pour « être infidèle en amour par rapport à (qqn) » (1665) et celui de « déjouer (la surveillance, la vigilance) » (1672, Racine) sont très fréquents à l'époque classique. ◆  La construction se tromper de (route, heure...) « prendre une chose pour une autre » est apparue ultérieurement (1812). ◆  Tromper figure dans quelques expressions usuelles de la conversation, comme si je ne me trompe (1671) et c'est ce qui vous trompe (1835).
❏  Le dérivé TROMPEUR, EUSE adj., ancien (1225 ; v. 1390 selon T. L. F.), rare avant le XVe s., désigne et qualifie (1538) la personne qui trompe, induit en erreur. Il a supplanté le doublet trompeux (XVIe s.) et a produit TROMPEUSEMENT adv. (1554) qui semble sorti d'usage après 1660 et repris après 1850 (1872).
■  TROMPERIE n. f. (v. 1385) désigne l'action d'induire en erreur ; il n'a conservé ni le sens général, « fait de se tromper » (1580), ni celui de « fausse apparence » (1553). 2 TROMPE n. f. « fait de se tromper, erreur », s'emploie en français d'Acadie.
■  Par préfixation, tromper a fourni RETROMPER v. tr. (v. 1550), vivant au XVIe s. et repris au XXe s., qui est demeuré rare.
■  DÉTROMPER v. tr. (1611), formé avec dé- (→ dé-) signifie « faire que (qqn) cesse d'être trompé ou de se tromper », c'est-à-dire « faire connaître la vérité à (qqn), alors qu'il croyait autre chose ». Le verbe est également employé à la forme pronominale (1640). ◆  Le dérivé DÉTROMPEMENT n. m., attesté une première fois au XVIIe s., est rare.
L'élément verbal trompe- a servi à former des composés.
■  TROMPE-L'ŒIL n. m. inv. (1800), terme de peinture, est également employé dans la locution en trompe-l'œil (1825) et pris avec une valeur figurée (1867).
■  Sur le même modèle ont été formés TROMPE-OREILLE (1918, Apollinaire), TROMPE-L'ESPRIT (1919, Cocteau) et TROMPE-CŒUR (1953, Cl. Roy), mots d'auteur d'usage poétique et plaisant.
■  Quant à TROMPE-LA-MORT n. m. inv., attesté pour la première fois en 1803, repris par Balzac comme surnom de Vautrin, personnage de La Comédie humaine inspiré par Vidocq, il se dit (1868) d'une personne qui a échappé à la mort et semble à l'abri des accidents mortels.
L TRONC n. m., dont la forme actuelle (v. 1175) succède à trunc (1155), est issu du latin truncus, nom d'une partie de l'arbre et du corps humain et, par analogie, « fût d'une colonne ou d'un piédestal », « fragment, morceau détaché ». Le mot latin existe à côté d'un adjectif homonyme truncus, apparu postérieurement, qui signifie « mutilé », « privé de ses membres », « tronqué », au propre et au figuré : tous deux sont d'origine incertaine, peut-être à rapprocher du groupe de trux, trucis « farouche » (→ truculent) ou, avec des réserves, du verbe grec truein « user en frottant » qui appartient à la racine indoeuropéenne °ter- de même sens (→ 2 tour).
❏  Le mot est passé en français pour désigner la partie ligneuse d'un arbre et, par métonymie et spécialisation de fonction, une boîte munie d'une fente pour recevoir les offrandes, taillée à l'origine dans un tronc d'arbre (XIIIe s.). ◆  Comme en latin, il a connu un certain nombre de développements analogiques : il a pris en anatomie le sens de « partie principale d'un nerf ou d'un vaisseau » (1314), et abstraitement s'est dit de la ligne directe des ascendants et descendants d'une famille (v. 1245). ◆  Comme en latin, le mot a désigné le buste humain (1559) [Cf. torse], puis celui d'un vertébré (1611).
■  En architecture, tronc correspond à « fût ou partie d'un fût de colonne » (1636). En géométrie (1875), il désigne dans les figures solides la partie comprise entre la base et une section plane parallèle, par exemple dans tronc de pyramide. Le syntagme le plus courant est tronc de cône, d'où dérive tronconique (ci-dessous).
■  Avec l'idée d'« origine », il entre dans la locution tronc commun, qui prend vers 1960 le sens figuré de « partie commune » (d'un ensemble complexe : enseignement, etc.).
■  L'emploi argotique pour « tête » (1926) est moins courant que le féminin tronche (ci-dessous). Tronc de figuier fut une expression raciste (1913) pour « Arabe maghrébin ».
❏  Le diminutif TRONCHET n. m. (v. 1260) a eu le sens de « billot de bois », aujourd'hui limité à l'usage régional ou à des spécialisations techniques : « gros billot à trois pieds des tonneliers » (1680) et « billot sur lequel est fixée la bigorne des orfèvres » (1765).
■  Quant au féminin TRONCHE n. f. (1298) « bûche », puis « billot de bois » (1554), encore en usage régionalement et « arbre de futaie dont on coupe régulièrement les branches » (v. 1550, chez le poète R. Belleau), il s'est dit spécialement d'une grosse bûche que l'on faisait brûler le soir de Noël (1704). Ces emplois ont disparu de l'usage général.
■  Le mot a pris dès la fin du XVIe s. l'acception familière de « tête » avec une connotation ironique ou péjorative (1596), aujourd'hui emploi le plus vivant du mot dans l'usage général. L'argot a modifié le mot en 2 tranche. Cf. 2 tranche (de cake).
TRONCONIQUE adj., de tronc et cône dans tronc de cône, d'après conique (1868), qualifie ce qui constitue un tronc de cône.
■  TRONCULAIRE adj. est un dérivé savant (1897) du latin trunculus, diminutif de truncus. ◆  Le mot qualifie en anatomie ce qui concerne un tronc nerveux ou vasculaire.
❏ voir TROGNON, TRONÇON, TRONQUER.
TRONCHER v. tr., d'usage argotique puis populaire, est l'altération (1893) de trancher, apparu dans ce sens presque simultanément, pour « pénétrer, posséder sexuellement ». Comme intransitif, il correspond à « faire l'amour (pour un homme) ».
❏  TRONCHAGE n. f., TRONCHE n. f. (1901, Bruant) « coït » ; TRONCHEUR n. m. (1953) et le pseudo-anglicisme TRONCHMAN n. propre employé dans aller chez Tronchman (1901, Bruant) sont des argotismes vieillis.
TRONÇON n. m., altération (v. 1135), probablement d'après tronc, de trunçun (1080), est dérivé de l'ancien français trons « tronçon » (attesté v. 1180), lui-même issu d'un latin populaire °trunceus, altération du latin classique truncus « élagué, mutilé » (→ tronc).
❏  Dès ses premières attestations, le mot désigne la partie d'une chose coupée plus longue que large. Ses extensions sont limitées à des acceptions particulières, « partie coupée du corps (de certains reptiles, vers et poissons) » (1240), « billot scié dans un tronc » (1470), « partie détachée d'un corps animé » (1690) et, spécialement en architecture, « morceau taillé d'un fût de colonne » (1701) [Cf. tronc]. ◆  Certains emplois, à propos de la petite partie d'un objet, d'un morceau d'aliment, d'un brin d'osier, de soie, sont sortis d'usage. ◆  Tronçon s'emploie aussi à propos d'une portion de voie, de route, de chemin de fer (1835). ◆  Les emplois figurés, pour « élément séparé, brutalement détaché », sont assez rares.
❏  Son unique dérivé est TRONÇONNER v. tr. (v. 1200), employé aussi intransitivement avec un sens réfléchi et sans la nuance d'action volontaire qu'il a dans l'usage actuel (1393, à propos de poissons, de reptiles). ◆  L'emploi du verbe pour « mettre en pièces (une personne) », « mutiler (une statue, un homme) » (1559), est devenu rare.
Tronçonner a plusieurs dérivés.
■  TRONÇONNAGE n. m., d'abord tronchonnage (1421), a été repris sous sa forme actuelle à partir de 1933 ; il est plus courant que TRONÇONNEMENT n. m. (1559), d'abord employé à propos d'une mutilation puis comme nom d'action en général (1600).
■  TRONÇONNEUR, EUSE, autrefois employé comme adjectif pour qualifier ce qui coupe en morceaux (1606), a été repris comme nom pour désigner l'ouvrier qui découpe des tronçons de bois en forêt (1933). ◆  Son féminin TRONÇONNEUSE n. f. « machine-outil pour découper du bois en tronçons » (1920) est devenu usuel avec l'instrument portatif qu'il désigne, une scie à chaîne mue par un moteur à essence ou électrique.
Le préfixé ÉTRONÇONNER v. tr., tiré au XVIe s. de tronçon, avec le préfixe e- (de ex-), s'emploie en arboriculture pour « tailler (un arbre) en enlevant la tête et les branches, de manière à le réduire à un tronçon ».
TRÔNE n. m. est un emprunt précoce (v. 1120, throne) au latin thronus, lui-même pris au grec thronos, mot désignant un siège élevé, dit notamment du trône d'un roi (au propre et au figuré), du siège de la Pythie. Le mot s'est beaucoup employé en grec chrétien pour désigner un trône épiscopal, le trône de Dieu, du Christ. Il se rattache à une racine indoeuropéenne °dher- « soutenir, porter », attestée dans le sanskrit dadhā́ra et dans quelques mots grecs (thranos « banc, escabeau »). Très fréquent dans la Vulgate, thronus fut emprunté par la plupart des langues médiévales, soit directement au latin (italien, espagnol trono, portugais, catalan trona), soit à l'ancien français (moyen anglais trone, moyen haut allemand trôn, néerlandais troon). Il a été emprunté en ancien provençal dès le XIe s., puis en ancien français au XIIe s. par la littérature religieuse. L'accent circonflexe de trône provient d'une confusion entre trone et trosne.
❏  Emprunt religieux au sens de « siège allégorique d'où Dieu est censé régner sur le monde » (v. 1120), d'où l'emploi métaphorique pour « firmament, voûte du ciel » (v. 1170), le mot est introduit dès le XIIe s. par les traducteurs des livres historiques de la Bible avec la valeur laïque de « siège d'apparat où prend place un souverain » (v. 1120). ◆  Cette acception concrète entraîne aussitôt le sens métaphorique de « puissance, autorité d'un souverain » (v. 1120) et par extension celui de « souverain lui-même » (1701) et de « régime monarchique » (1756).
■  Par ailleurs, au XIIIe s., Trônes n. m. pl. désigne (v. 1265) spécialement en théologie l'un des trois ordres existant parmi les trois chœurs des anges ; cette acception venant de la désignation rabbinique des chœurs angéliques d'après des attributs divins.
■  À partir du XVIe s. apparaissent quelques expressions et locutions liées à la valeur symbolique du mot : monter sur le trône « accéder à la royauté » (1640 ; 1550, s'assoir sur le trône), descendre du trône (1664), les conseillers du trône (1842), etc. L'expression discours du trône, à propos du discours prononcé par le souverain à l'ouverture de la session parlementaire, est enregistrée par l'Académie en 1835.
■  Trône est devenu plaisamment l'appellation du siège des cabinets d'aisance (1808), d'abord en argot puis dans la langue familière.
❏  Des deux verbes qu'il a servi à former, le plus ancien est le composé préfixé DÉTRÔNER v. tr. (1584) « déposséder de la puissance souveraine » et, figurément, « faire cesser la prééminence, la vogue de » (1775). ◆  Il a pour dérivé DÉTRÔNEMENT n. m. (1730). ◆  La tentative faite sous la Révolution d'introduire DÉTRONISER v. tr. (v. 1792) est restée sans lendemain.
■  Le dérivé TRÔNER v. intr. (1801) a d'abord le sens de « régner », qui a cédé la place à l'emploi pour « occuper la place d'honneur » (1833), d'où l'acception ironique « faire l'important » (1835) et au sens didactique de « siéger sur un trône » (1831).
INDÉTRÔNABLE adj., attesté dans les années 1970, s'emploie pour « qui ne peut être détrôné », au figuré, c'est-à-dire « inamovible » (un champion, une célébrité indétrônable).
❏ voir INTRONISER.
TRONQUER v. tr. est emprunté (1495) au latin truncare « amputer », également « éplucher (des légumes) », « massacrer (des cerfs) » et au figuré « raccourcir (des vers) en changeant le mètre », dérivé de truncus (→ tronc).
❏  Le type tronquer, qui s'est imposé aux dépens des formes populaires tronkier (XIIIe s.), tronchier (v. 1200), signifie comme eux « élaguer (un arbre) », puis en général « mutiler, couper en retranchant (une partie importante de qqch.) » (1538). ◆  L'usage moderne emploie surtout le verbe au figuré pour « retrancher (à tort) d'un ouvrage, d'un texte » (1607).
❏  Son participe passé TRONQUÉ, ÉE est adjectivé avec les emplois correspondants, aussi bien au propre (v. 1568) et dans des acceptions spéciales (technique, botanique, géométrie) qu'au figuré (1845). Le verbe n'a produit aucun autre dérivé.
TRONCATION n. f., emprunt (1495) au latin truncatio, du supin de truncare, est le nom d'action de tronquer. Sorti d'usage au XVIIe s., le mot a été repris (mil. XXe s.) à propos du procédé consistant à abréger un mot par suppression d'une ou de plusieurs syllabes.
■  TRONCATURE n. f. (1797) est une création savante faite sur le latin truncatus, participe passé de truncare, avec le suffixe -ure. ◆  Ce nom désigne l'état d'une chose tronquée et s'emploie en minéralogie à propos du remplacement d'une arête de cristal par une facette (1808).
G TROP adv. est issu par métathèse (1050) d'un francique °thorp « village », représenté par l'ancien anglais thorp, le gotique thaurp (allemand Dorf) et par ailleurs par le bas latin truppus ou troppus, attesté (v. 700) au sens de « troupe » (→ troupeau). On évoque également, en celtique, le gallois tref « ville » et l'ancien breton treb « habitat », ainsi que le nom d'une tribu gauloise Atrebates « les occupants », qui peuvent faire supposer un radical gaulois apparenté.
❏  Trop signifie dans les premiers textes « d'une manière excessive, plus qu'il ne faudrait », modifiant un verbe, un adjectif ou un autre adverbe (v. 1250, trop peu). Il s'emploie, d'abord dans la locution en faire trop (fin XIIIe s.) pour parler d'une quantité, d'un nombre excessif (1611, trop d'argent), en particulier dans trop de... pour « plus qu'il ne faut de, pour... » (1659) et dans c'en est trop ! « cela dépasse la mesure » (1672) ; par trop avec un adjectif (v. 1350) équivaut à « d'une manière excessive ». ◆  À partir du XVIe s., il entre dans des locutions adverbiales ou adjectives : rien trop (1580) devenu rien de trop (1678), de trop correspondant à « en excès » (1643), aussi dans être de trop « superflu » en parlant de choses (1669) et « importun » à propos d'une personne (1670) ; à l'époque classique (c'est) trop de deux, etc. (1647), de la moitié (1669) « deux, la moitié en trop ». Trop peut lui-même être précédé d'un adverbe (1652, pas trop « pas beaucoup »), en particulier pour indiquer le degré de l'excès (1669).
■  Parallèlement à ces emplois, trop a eu le sens (1080) de « très, beaucoup », sans indiquer l'excès, valeur toujours vivante à l'époque classique où l'on disait trop bien « très bien » (v. 1175), trop mieux (v. 1360), trop plus (1381). ◆  Cet emploi comme superlatif est aujourd'hui considéré fautif, de même que l'emploi de de trop avec ce sens (il y en a de trop) ; cependant il demeure usuel dans des formules de politesse (1671, vous êtes trop aimable), dans des tours hypocoristiques (il est trop mignon, ce petit) et ne... que trop (1580, je ne le sais que trop), à côté de ne pas... trop (1652) employé pour marquer un degré faible comme sans trop (1885), etc.
■  Trop s'emploie également dès l'ancien français comme substantif, avec un article (v. 1250, le trop), d'où le trop peu (1694), ou sans article (v. 1265), notamment dans c'est trop ! (v. 1450), trop c'est trop (1678), auparavant trop est trop (1611) ; le (ce) trop de avec un nom est littéraire.
Le langage des jeunes emploie trop (v. 1970) avec une valeur quasi adjective, en attribut (il est trop), peut-être par calque de l'anglais too much.
❏  Trop a produit deux noms composés. Le plus ancien, TROP-PLEIN n. m. est relevé chez Mme de Sévigné (1671) au sens figuré pour « sentiments que l'on ne peut garder en soi et que l'on a besoin de communiquer », employé ensuite plus généralement pour ce qui est en excès (v. 1790). Ce composé développe au XVIIIe s. un sens concret, désignant ce qui excède la capacité d'un récipient (1740), ensuite par métonymie (1863) un dispositif évacuant l'excédent.
■  TROP-PERÇU n. m. désigne (1899) ce qui a été perçu en plus de ce qui était dû, employé spécialement en droit fiscal (1936).
❏ voir TROUPEAU (et TROUPE).
TROPE n. m. est emprunté (1554) au latin de la rhétorique tropus, lui-même emprunt au grec tropos (→ tropique, tropisme), dérivé de trepein « tourner, diriger vers » (→ trophée). Tropos désigne la direction et, abstraitement, la manière, la façon de se comporter ; il est appliqué spécialement, en rhétorique, à la façon de s'exprimer, au style, en particulier à la figure de style et, en musique, au mode, à la mélodie, au ton.
❏  Trope a été emprunté comme terme de rhétorique, d'emploi plus technique que figure. Le traité de du Marsais (1729) sur ce sujet a contribué à diffuser le mot (qui était peu connu : un grand s'enquérait de quelle peuplade le Traité des tropes pouvait s'occuper). Depuis le XIXe s. (1842), employé au pluriel, le terme a pris une acception spécialisée en philosophie (tropes de suspension), désignant un ensemble d'arguments utilisés par les sceptiques grecs en faveur de la suspension du jugement. ◆  Il a été repris en histoire de la musique médiévale (1852) d'après l'emploi spécialisé du grec tropos, puis du latin médiéval tropus « paraphrase du chant liturgique par addition ou substitution » (à partir du IXe s.).
❏  Antérieurement à trope, le français a emprunté TROPOLOGIE n. f. (1295) au latin tropologia, lui-même repris au grec tropologia « langage figuré », composé de tropos, et de l'élément -logia (→ -logie). ◆  Le mot, didactique, est passé en français en gardant son sens latin. Il désigne spécialement (1834) l'étude des tropes et la science des symboles (1884).
■  TROPOLOGIQUE adj. est emprunté (1374) au dérivé bas latin tropologicus « métaphorique, figuré » dont il reprend d'abord le sens. Il a développé en sciences (v. 1950) la valeur de « qui est de la nature spatiale de la courbe ».
2 TROPIQUE adj., très rare, est un emprunt du XVIe s. (1531) au dérivé latin tropicus, de tropus, pour qualifier ce qui a rapport aux tropes. Son homonymie avec 1 tropique rend son emploi difficile.
❏ voir 1 TROPIQUE, TROPISME, TROUVER.
-TROPE, -TROPIE, TROPO- → TROPISME
TROPHÉE n. m. est un emprunt (1488) au bas latin trophaeum (IVe s.), altération du latin classique tropaeum « trophée » et, métaphoriquement, « monument, souvenir ». Celui-ci est emprunté au grec tropaion, qui désigne un monument de victoire élevé avec les armes de l'ennemi à l'endroit où avait commencé la déroute (en grec, tropê). Tropaion est le neutre substantivé de tropaios « qui fait tourner », « qui met en fuite », dérivé de tropê « tour », « changement de direction », appliqué spécialement au moment du combat où l'ennemi prend la fuite, et employé également comme terme de rhétorique (→ trope). ◆  Tropê est lui-même un nom correspondant à trepein « tourner », dont l'étymologie n'est pas claire : on a pensé à une base °trep- permettant de rapprocher le sanskrit trápate « avoir honte, être embarrassé » et aussi à une base °trekw-/°trokw- qui serait confirmée soit par le mycénien toroqo « torsade de laine », soit par un rapprochement avec le latin torquere (→ tordre). Cette seconde hypothèse est, selon Chantraine, plus vraisemblable.
❏  Le mot est passé en français comme terme d'antiquité pour désigner les dépouilles d'un ennemi vaincu puis, dans le contexte moderne, un assemblage d'armes, de drapeaux disposés avec art pour attester et conserver le souvenir d'une victoire (1509). ◆  Dès le XVIe s., le mot s'emploie dans le domaine de la représentation artistique pour un groupe d'attributs divers servant d'ornement (1554) et se spécialise pour « motif décoratif formé d'armes, de drapeaux groupés autour d'une armure » (1559), puis « monument représentant un trophée » (1788). ◆  À partir du milieu du XVIIe s. (1652, Bossuet), il est attesté avec le sens métaphorique de « signe, témoignage d'une victoire », sens réalisé dans la locution faire trophée de « tirer gloire de » (1669), vieillie, et dans l'emploi métonymique pour « victoire » (XVIIe s., Voiture). Au XIXe s., le mot a développé deux autres acceptions dans le domaine de la chasse : « objet attestant d'un succès » (1857), et de la décoration : « groupe d'armes réelles disposées autour d'une cuirasse » (1860, Sainte-Beuve), l'idée de victoire passant alors au second plan.
❏ voir ENTROPIE, TRÉPONÈME, TROPE, TROPIQUE, TROPISME, TROUBADOUR, TROUVER.
TROPHIQUE adj. est un dérivé savant (1830) du grec trophê « nourriture », « action de nourrir », dérivé de trephein « nourrir » (→ atrophie).
❏  Le mot s'applique en biologie à ce qui concerne la nutrition des tissus, troubles trophiques désignant les dystrophies.
❏  On a également dérivé à partir de trophê les termes didactiques TROPHIE n. f. (1904) et TROPHISME n. m. « processus de la nutrition des tissus et organes ».
Les éléments TROPH-, TROPHO- et -TROPHE, -TROPHIE, tirés du grec trophê, entrent dans la composition de termes savants comme DYSTROPHIE n. f., de dys-, « trouble de la nutrition » (1878), qui a fourni DYSTROPHIQUE adj. (1879).
TROPHOBLASTE n. m., terme d'embryologie (1903, de -blaste), désigne le tissu vivant formant un mince feuillet enveloppant l'œuf, qui se fixe au tissu de l'utérus maternel et joue un rôle nourricier.
❏ voir ATROPHIE, HYPERTROPHIE, LIMITROPHE.
1 TROPIQUE n. m. et adj. est emprunté (1377, Oresme) au bas latin tropicus adj. « tropical », substantivé pour désigner chaque parallèle de la sphère qui passe par les points du solstice. C'est un emprunt au grec tropikos, adjectif formé sur tropos (→ trope) qui qualifie généralement tout ce qui concerne le changement, également employé en rhétorique pour ce qui concerne les figures de style (tropes). Tropikos (sous-entendu kuklos « cercle »), substantivé, désigne le cercle du tropique ou solstice.
❏  Le mot est passé en français pour désigner chacun des deux parallèles de la sphère terrestre, ainsi nommés parce que, « quand le soleil est venu ou arrivé à chacun, il s'en retourne vers l'équinoxial (l'équateur) » (XVIe s.). Il entre dans les syntagmes tropique du Cancer (1532), aussi tropique du Cancre (1562, sorti d'usage au XVIIIe s.) et tropique du Capricorne (1562), désignant le tropique de chaque hémisphère. ◆  Par métonymie, le mot désigne couramment, surtout au pluriel, la région comprise entre les deux tropiques (1765), spécialement dans maladie des tropiques « fièvre jaune » (1845), et dans oiseau de tropique (1765), puis du tropique « phaéton ». ◆  Le mot est employé adjectivement (1691), surtout dans année tropique (1751 ; après an tropique, 1691) « intervalle qui s'écoule entre deux retours consécutifs du Soleil à l'équinoxe de printemps ». Cet adjectif n'est plus en usage pour qualifier une plante dont les fleurs s'ouvrent au lever du soleil et se ferment à son coucher (1783).
❏  En est dérivé assez tardivement l'adjectif TROPICAL, ALE, AUX (1801). Tropical qualifie ce qui appartient aux tropiques, aux zones proches des tropiques (Cf. intertropical) et, par extension, une chaleur comparable à celle qui règne sous les tropiques (1859), avec des spécialisations pittoresques connotant l'exotisme (rythmes tropicaux, musique tropicale « d'Amérique latine », etc.).
■  Le composé INTERTROPICAL, ALE, AUX adj. (1802, inter-tropical), qualifiant la zone située entre l'équateur (Cf. équatorial) et les deux tropiques, a été concurrencé par tropical, qui a pris à peu près la même valeur.
■  Tropical a aussi produit SUBTROPICAL, ALE, AUX adj. (1876), souvent employé couramment comme synonyme de intertropical, et plus récemment, TROPICALISER v. tr. (mil. XXe s.), technique ou littéraire, pour « protéger des effets du climat tropical (un matériau, un tissu) », surtout TROPICALISÉ, ÉE, et TROPICALISATION n. f.
❏ voir TROPISME.
TROPISME n. m., à l'imitation d'un terme proposé en allemand par I. Loeb et attesté en anglais depuis 1899, est la substantivation (1897) de l'élément -tropisme que l'on rencontre dans des mots existant antérieurement (héliotropisme, phototropisme, géotropisme) et tiré du grec tropos « tour, direction » (→ trope).
❏  Le mot désigne en biologie une réaction d'orientation causée par des agents chimiques ou physiques. Il est passé dans l'usage littéraire en parlant d'une force obscure, inconsciente qui pousse à agir d'une certaine façon (1914, Gide) et a fourni à Nathalie Sarraute le titre d'un roman Tropismes (1939), avec l'idée de « réaction psychologique élémentaire peu exprimable ».
❏  -TROPE, -TROPIE et TROPO- sont des éléments tirés, comme -tropisme, du grec tropos.
■  Ils entrent dans la formation de termes scientifiques comme TROPOSPHÈRE n. f. (av. 1913), « partie de l'atmosphère située entre le sol et la stratosphère », avec pour dérivé TROPOSPHÉRIQUE adj. (mil. XXe s.).
❏ voir ALLO-, ISOTROPE.
TROPO-, élément tiré du grec tropos « tour », a servi à former plusieurs composés savants, tels TROPOPAUSE n. f. (1936) « zone de transition entre la troposphère et la stratosphère », et TROPOSPHÈRE n. f. (avant 1913) « partie de l'atmosphère située entre le sol et la stratosphère ».
? TROQUER v. tr., réfection (1472) de troquier (v. 1280), trochier (fin XIVe s.), est un mot d'origine discutée, représenté en latin médiéval (1257, trocare), en espagnol (v. 1330, trocar) et en ancien provençal (déb. XVe s., trucar). L'hypothèse la plus courante est celle d'une formation sur un radical expressif trokk- « frapper (dans les mains) », d'après la manière de conclure un échange en se frappant dans la main (Cf. toper). L'hypothèse (défendue par Diez, reprise par Guiraud) d'une dérivation d'un latin populaire °tropicare, fait sur tropicus « relatif au changement » (→ tropique), paraît irrecevable phonétiquement.
❏  Le verbe signifie « donner en échange » dans le cadre d'une transaction commerciale, cet échange s'opposant à celui qui s'opère au moyen d'une valeur symbolique commune (telle la monnaie), et, par extension (fin XVIe s.), s'emploie sans idée de valeur marchande. L'expression technique troquer les aiguilles (1723) « enlever les fragments d'acier subsistant après le perçage des chas » correspond à une technique archaïque.
❏  Le déverbal féminin torche (1453), troche (1474), puis troque (1520), a disparu vers la fin du XVIIIe siècle.
■  Le masculin TROC l'a supplanté. Il désigne (1464) un échange de marchandises et par figure l'action d'échanger (v. 1590). En histoire, le mot désigne les formes d'économie qui ignorent l'emploi de monnaie (économie de troc).
■  TROQUEUR, EUSE n. (1588), précédé par trocheur (1550), « personne qui fait des trocs, des échanges », est rare.
■  TROQUE n. f. a été dérivé (1876) comme nom technique pour le fait de troquer (ci-dessus) les aiguilles.
TROQUET → MASTROQUET
TROTTER v. intr. est emprunté (v. 1130) au francique °trottôn « courir », postulé par le moyen haut allemand trotten (allemand trotten). C'est une forme intensive de la famille de l'allemand treten « marcher, fouler aux pieds » qui remonte au moyen haut allemand trêten, ancien haut allemand tretan, drêtan « aller, marcher », avec des correspondants dans l'anglo-saxon trêdan (anglais to tread), le gotique trudan « marcher », etc. Selon Kluge, ce groupe appartiendrait primitivement à la même racine indoeuropéenne que le grec dromos « course » (→ -drome).
❏  Trotter signifie d'abord « faire aller son cheval au trot » et pour un cheval « aller le trot » (v. 1181), appliqué ensuite au cavalier (déb. XIIIe s.). Par extension, il s'est appliqué de bonne heure à une personne qui va çà et là, marche vite (XIIIe s.) et, en moyen français, se dit par métaphore d'un objet qui va et vient, passe d'un endroit à l'autre (v. 1480). Ce dernier sens reste en usage en parlant d'un objet abstrait, avec la nuance de « se livrer à sa fantaisie » (1546), pour une plume, une imagination, un esprit (1675), notamment dans une idée trotte dans la tête de qqn (1722), puis une idée trotte par la tête (1834). ◆  L'emploi de la forme pronominale se trotter (XVe s., Villon) demeure dans l'usage familier pour « se sauver ». ◆  Le verbe s'emploie transitivement dans le vocabulaire de l'équitation où l'on dit que le cheval trotte l'amble et que l'entraîneur trotte le cheval (1680) « le fait trotter ».
❏  Le déverbal TROT n. m. (v. 1155) désigne une allure du cheval intermédiaire entre le pas et le galop. ◆  Par extension, il s'est dit d'une manière rapide de marcher (XIIIe s.) mais n'a conservé ce sens que dans des expressions figurées ou familières, telles mener une affaire au grand trot (1798) « de manière expéditive », (aller) au trot « à vive allure ». ◆  Dans le domaine hippique, on relève au XIXe s. course au trot et trot attelé (1859).
■  Dès le XIIe s., on relève TROTTINER v. intr., sous la forme trotiner (v. 1155), appliqué à une personne qui marche à petits pas pressés et d'une allure sautillante ; on a aussi trotigner au XVIe s. (1552). ◆  Le verbe s'applique à un cheval qui va à un trot très court (1775).
■  Les dérivés du verbe sont tardifs. TROTTINEMENT n. m. (1845) sert de nom d'action, au propre et au figuré ; le moyen français avait trotinage n. m. (1599) « inconstance des affections ». ◆  TROTTINETTE n. f. (1902), nom d'un jouet d'enfant également nommé patinette (→ patin), semble avoir existé antérieurement comme variante féminine de trottine (1867), trottinet (1843), qui désignait des souliers (de dame). Le mot est par ailleurs un équivalent familier de « (petite) automobile » (1952). ◆  TROTTINEUR, EUSE n. (XXe s.) est rare.
■  TROTTE-MENU adj. inv., d'abord relevé comme surnom d'une personne sous la graphie Trotemenu (1261), est formé de l'élément verbal trotte-, et de menu* pris adverbialement. ◆  Il a servi à qualifier une personne qui trotte à petits pas (1488) et on dit encore par allusion littéraire la gent trotte-menu (1668), expression de La Fontaine pour désigner les souris. Trotte-menu s'est employé au sens figuré de « sautillant, animé d'un rythme vif » (1870).
D'autres dérivés apparaissent en moyen français.
■  TROTTE n. f., déverbal de trotter, d'abord écrit trote (v. 1390), a servi de synonyme à trot. ◆  Son emploi moderne pour « distance assez longue à parcourir » (1680) est d'abord non marqué ; sa reprise dans le langage familier est assez récente (1867). Il entre dans la locution familière (tout) d'une trotte (1907).
■  TROTTEUR, EUSE n. a qualifié (v. 1215) un cheval destiné à trotter. Employé ensuite comme nom (XVe s.), il s'est spécialisé au XIXe s. dans le domaine des courses (1859). ◆  L'emploi pour « vagabond, rodeur » (1539) ne s'est pas maintenu. ◆  Trotteur s'est appliqué familièrement à une personne qui marche beaucoup, fait de nombreux déplacements à pied (1788 ; 1660, au féminin), et trotteuse s'est dit d'une prostituée (1888). ◆  Au XXe s., dans le vocabulaire de la mode, le mot s'est dit d'un vêtement permettant de marcher vite (1901, costume trotteur, jupe trotteuse), puis désigne un type de chaussures de ville à talon large et bas (1928).
■  TROTTEUSE n. f. s'est spécialisé (1894) pour désigner l'aiguille des secondes (d'une montre, d'un chronomètre).
■  TROTTERIE n. f., d'abord écrit troterie (XVe s.), a désigné l'endroit où l'on fait fouler. Le mot s'est employé à propos d'un petit voyage (1680, Cf. trotte, ci-dessus).
TROTTOIR n. m. apparaît au XVIe s. dans la locution figurée être sur le trottoir « être l'objet de l'attention du public » (1577, sur le trottouer). Le mot est attesté au XVIIe s., employé seul, pour désigner un espace surélevé aménagé sur le côté d'une rue à l'usage des piétons (1625, écrit trouttouer ; 1660, trottoir) et ne se répand qu'à partir du XIXe s., avec la généralisation de ce type d'accotement. ◆  Il a aussi désigné une piste où l'on faisait trotter les chevaux (1660) et un chemin surélevé longeant certains quais ou ponts (1762, Académie). Après l'emploi moderne apparaît trottoir roulant (1900) « tapis roulant ». Dans les premiers emplois figurés, on relève se jeter, se mettre sur le trottoir « se mettre en évidence » (Montaigne), expression disparue comme être sur le trottoir (1694) à propos d'une fille bonne à marier. Cette valeur de passage commun, de rencontre publique, s'est effacée devant d'autres connotations, qui dépendent de celles de rue. ◆  Ainsi, avec l'emploi moderne du mot, apparaît au XIXe s. la locution familière faire le trottoir « se prostituer » (1852) [Cf. bitume], d'où le trottoir, pour « le monde de la prostitution » (1867).
TROTTIN n. m., attesté au XVe s. comme nom propre (1488), a désigné des pieds de mouton (1532), un animal qui trotte (1594). ◆  À partir du XVIIe s., il s'est dit d'un petit gamin qui fait les courses (1648, Scarron), emploi sorti d'usage, puis de l'apprentie d'une modiste chargée des courses en ville (1831) ; cette valeur n'existe plus que par référence à l'époque des années 1900. ◆  À partir du milieu du XIXe s., surtout après 1880, plusieurs dérivés du verbe trotter, certainement par l'influence des connotations du mot trottoir, entrent dans le champ sémantique de la prostitution. C'est le cas de trotteuse « prostituée de rue » (1885), de trottiner « racoler » (v. 1900, Bruant), de trottin (ci-dessus) dont le sens initial excluait l'idée de prostitution, même occasionnelle.
❏ voir RADIO (RADIO TROTTOIR).
TROTSKISTE adj. et n. est dérivé (1925) du nom de Trotski, Trotsky, pseudonyme de Lev Bronstein.
❏  Le mot désigne un partisan de Trotski et de ses théories marxistes, révolutionnaires, opposées au léninisme, puis au stalinisme. La tendance trotskiste s'est regroupée en 1938 dans la IVe Internationale.
❏  Il a pour dérivé TROTSKISME ou TROTSKYSME n. m. et pour composés ANTITROTSKISTE adj. et n. (1926) et ANTITROTSKISME n. m. (1935), tous deux écrits aussi avec un y.
L TROU n. m. (v. 1250), antérieurement trau (v. 1175), est issu d'un latin populaire °traucum, attesté en latin médiéval sous la forme traugum (VIIIe s., Loi des Ripuaires). Il s'agit peut-être d'un emprunt au gaulois mais il n'est pas représenté dans les autres langues celtiques ; le mot pourrait venir d'un des peuples qui occupaient la Gaule avant les Celtes. À côté du type trou, par exemple en ancien provençal (trau), on trouve pour exprimer la même idée l'ancien français pertuis* et des dérivés de forer (ancien gascon forat ; forure → forer).
❏  Dès les premiers textes, le mot désigne une ouverture traversant un corps, puis une plaie profonde (v. 1225), une solution de continuité produite par l'usure, un choc, etc. (1279). Il se dit aussi d'une cavité plus ou moins profonde, spécialement d'une cavité, naturelle ou non, servant d'abri à un animal ou à un homme (déb. XIIIe s.). Il s'est employé très familièrement (v. 1250) en parlant des parties sexuelles de la femme. Le sens de « vagin » se trouve chez les auteurs libertins des XVIIe-XVIIIe siècles (voir ci-dessous le composé trou du cul). En argot, la bouche s'est appelée le trou aux pommes de terre (1867), le trou à légumes (1901, Bruant). Auparavant (1844), on trouve l'expression avoir un trou sous le nez pour « dévorer ».
■  Plusieurs extensions de sens apparaissent à partir du XVe s. ; relevé au sens de « taverne » chez Villon (v. 1460), il désigne dès le XVIe s. une petite localité à l'écart (1525), puis une maison, une retraite où l'on s'isole (1592) ; ces emplois sont restés vivants, en général péjoratifs, mais pas toujours (un petit trou pas cher). Le mot a eu au XVIe s. le sens de « détroit » (1534). Au XVIIe s. apparaissent des expressions figurées aujourd'hui oubliées, faire un trou à la nuit (1623), à la lune (dans Furetière, 1690) « disparaître (souvent après une faillite, par jeu sur le “trou” dans la caisse) », encore employée au XXe s., stylistiquement. ◆  Par ailleurs, il se spécialise comme terme de jeu (1680, au jeu de paume), aujourd'hui au billard, au golf (1895) où les parcours sont caractérisés par le nombre de trous. ◆  Trou commence aussi au XVIIe s. à désigner une dette (1640), une perte d'argent dans des expressions comme déboucher un trou pour en reboucher un autre (1640) devenue faire un trou... (1669), boucher un trou (1690 ; 1668, au pluriel). La métaphore est reprise dans la locution plaisante le trou de la Sécu « le déficit de la Sécurité sociale ». ◆  Il s'emploie aussi par figure dans boire en trou (1651, Scarron), aujourd'hui boire comme un trou (1649), plus tard dans trou normand (1876) « verre d'alcool bu entre deux plats », pour « creuser » l'estomac. Une autre métaphore, d'après « percer un mur, ce qui enserre », donne lieu à une locution figurée, faire son trou (1833) « réussir ». ◆  Au XVIIIe s., trou devient un nom de la prison (1725), dans l'usage poissard, continué par l'argot (être mis, collé au trou). Plus tard, l'argot emploie le mot pour « tombe » (1881). ◆  Avec l'idée de manque, trou désigne l'endroit d'un tableau où des objets mal regroupés laissent voir le fond (1767) et plus tard s'emploie abstraitement pour parler d'un passage faible d'une œuvre (1871). Il est par ailleurs employé pour « lacune, marque » (1842), en particulier dans trou de mémoire. ◆  Les extensions techniques se sont multipliées avec trou d'homme (1840 ; 1838, trou de l'homme), trou du chat (1831), en marine pour différentes sortes de passages et d'ouvertures, trou du loup (1845) en fortifications, et avec trou « abri pour les bâtiments » en marine (1872), sorti d'usage. Le trou du souffleur (1800) désigne le dispositif pratiqué au centre de la scène de théâtre, d'où le souffleur, dissimulé sous celle-ci, pouvait rappeler leur texte aux acteurs. ◆  D'autres emplois sont plus récents, comme trou d'air (1915) « brusque dépression », trou pour un défaut de la défense au rugby (1905), et l'expression trou noir en astronomie. ◆  L'argot des écoles a diffusé au XXe s. la prononciation plaisante trohu.
❏  Le dérivé TROUER v. tr. existe dès le XIIe s. au sens de « creuser, évider » (v. 1130) et (v. 1155) « percer, faire un trou ». L'intransitif s'est dit pour « devenir troué » (v. 1170), sens repris par se trouer (1611). À partir du XIXe s., le verbe signifie « faire une trouée dans » (1829), « traverser (un milieu) » (1828), « former une ouverture dans (qqch.) » (1867, Zola).
■  Son participe passé TROUÉ, ÉE est adjectivé (v. 1160) pour qualifier un objet percé et s'emploie aussi au figuré (1848, troué de). Un diminutif plaisant de trouer est 2 TROUILLOTER v. tr. « faire des trous avec une TROUILLOTEUSE n. f. » une perforeuse (années 1990).
■  TROUÉE n. f., réfection (1611) de trauwée (fin XVe s.), désigne une large ouverture, un trou laissant le passage. Il a développé une acception militaire, « ouverture faite dans les rangs de l'armée ennemie » (1798), d'où par figure la locution sortie d'usage faire sa trouée (1840), comparable à faire son trou, et au rugby faire la trouée (1936). ◆  Trouée du ciel (1849) se dit d'un espace entre les nuages, et, en géographie, trouée désigne un passage dans une chaîne de montagnes (1892). ◆  TROUAISON n. f. est un terme d'arboriculture pour l'opération qui consiste à pratiquer des trous pour planter des arbres fruitiers.
■  Trou lui-même entre dans quelques mots composés dont TROU-MADAME n. m. (1571), nom d'un ancien jeu, le composé familier TROU DU CUL n. m. « anus » (1314), puis (XIXe s.) dit péjorativement d'un imbécile (1857), parfois abrégé en TROUDUC (1947 ; troudu, 1909). L'expression en a entraîné beaucoup d'autres avec trou de... (trou de balle, 1862 ; déjà trou de bise dans Rabelais, 1534). Trou du souffleur a eu assez naturellement le même sens (1867). Par ailleurs trou du cul a pris un sens érotique, sans forcément évoquer la sodomie, dans partie de trou du cul « ébats sexuels ». Au figuré, le trou du cul du monde reprend sur le mode comique l'emploi de trou pour « endroit perdu » (ci-dessus). ◆  Au sens sexuel, le composé a produit l'adjectif TROUDUCULIER, IÈRE pour « pornographique » (1963 dans A. Boudard), alors que TROUDUCULERIE n. f. signifiait « sottise, ineptie » (1912). La forme à redoublement TROU-TROU n. m. (v. 1960) désigne un ornement de lingerie.
❏ voir BOUCHE-TROU (art. BOUCHER) ; TROUFIGNON, TROUFION (art. FION).
TROUBADOUR n. m. est emprunté (1575) à l'ancien provençal trobador (XIIe s.), cas régime de trobaire « poète », de trobar « trouver » (v. 1050), spécialement « faire des vers », « inventer » (XIIe s.), la substantivation en trobar clus (« fermé ») désignant une forme de poésie ésotérique opposée à trobar leu (« léger », clair). Trobar est de même origine que trouver*.
❏  Le mot apparaît tardivement en français d'oïl, puis semble oublié jusqu'à la fin du XVIIe s. (1690) ; l'ancien français a cependant connu estrobadour (fin XIe s.) à propos d'une personne qui invente des histoires. Troubadour, terme occitan parallèle à trouvère (→ trouver), désigne un des poètes lyriques qui, aux XIIe et XIIIe s., fondèrent la littérature de langue d'oc et introduisirent en Europe ce que l'on a nommé ensuite l'amour courtois. C'est le seul emploi vivant du mot qui a connu de nouvelles acceptions au XIXe s., avec la vogue du moyen âge à partir des années 1820. Il est en apposition pour qualifier ce qui rappelle les troubadours et leurs valeurs, d'abord employé ironiquement (1843, Gautier), puis à propos d'un style pseudo-gothique en architecture (1851, style troubadour) et d'un genre littéraire qui prétend imiter la poésie courtoise (1876, genre troubadour). ◆  L'image conventionnelle et erronée du troubadour, le poète qui chantait de château en château, le caractère romantique de sa poésie, produit des emplois sortis d'usage, « chevalier errant » chez Flaubert, « chanteur de société » (1845), et au XXe s. swing troubadour (v. 1940), inspiré du jazz américain et mis à la mode par Charles Trenet.
❏  Le mot a produit de rares dérivés au XIXe siècle.
■  TROUBADOURESQUE adj. (1846) « qui est d'une sentimentalité fade » s'emploie aussi, comme TROUBADOURISME n. m. (1846, Gautier), à propos de ce qui tient du genre troubadour dans le romantisme du XIXe s. ; les deux mots sont archaïques.
■  Troubadour est passé dans l'argot du XIXe s. pour désigner un soldat (1833), par attraction phonique de troupier* et troufion (→ fion) et par assimilation du fusil à un instrument de musique ; il a donné par apocope TROUBADE n. m. (1859), mot familier pour un soldat, sorti d'usage vers la fin du XIXe s. (Cf. tourlourou).
⇒ encadré : Le tzigane ou tsigane