TURC, TURQUE n. et adj., (v. 1080), est emprunté au grec byzantin Tourkos, mot persan et arabe issu du turco-mongol Tūrkūt, à l'origine de la forme türk (en turc). L'ancien français connaît aussi l'adjectif dérivé turquois (XIIIe s.), à l'origine de tricoises. Ce dut être d'abord le nom d'une seule tribu ou plutôt le nom d'une famille de souverains, signifiant peut-être « force, puissance ».
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Le mot a été introduit en français pour désigner un habitant de la Turquie.
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Son usage comme nom (avec majuscule) et adjectif ethnique se réfère en partie à l'Empire ottoman (1300-1919) fondé par des peuples d'origine asiatique apparentés aux Mongols et influencés par ceux-ci ; cet emploi a suscité vers la fin du
XVIe s. une valeur figurée : comme le More*, le Turc a symbolisé pour les chrétiens au
XVIIe et au
XVIIIe s. et sans doute depuis les croisades, le mécréant, l'ennemi brutal. Le mot s'est employé pour « musulman » (v. 1504), sens aujourd'hui disparu, encore réalisé au
XIXe s. dans la locution
se faire turc « devenir musulman ». D'où le sens figuré classique (1660) de
turc n. m. « homme brutal et cruel » et la locution sortie d'usage
traiter qqn de Turc à Maure (1623,
...à More). Auparavant était aparu dans ce contexte
fort comme un turc (1457) qui a perdu sa connotation péjorative.
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Au
XVIIIe s., ce thème est corrigé en partie par celui du
Turc généreux, dans les pièces et opéras.
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L'adjectif est entré comme qualificatif dans quelques syntagmes comme
point turc (1694),
rondeau turc en musique (1876) ou
rondeau à la turque (1872), d'après l'italien
alla turca, la locution
à la turque étant employée depuis le début du
XVIe s. ;
bain turc (1899) signifie « hammam »,
café turc « café à l'orientale ». L'expression
tête de Turc (1866) fait allusion au dynamomètre de foire dont la partie frappée représente une tête ornée d'un turban ; elle signifie au figuré « souffre-douleur » (1857).
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En histoire, le mot s'emploie dans le syntagme
le Grand Turc (av. 1453), nom donné autrefois aux sultans ottomans, et
Jeunes Turcs (1907), allusion aux révolutionnaires turcs qui prirent le pouvoir en 1908, appliqué par figure aux éléments jeunes d'un mouvement politique qui souhaitent une évolution (1951, Camus).
Le mot a été repris (1697), aussi écrit Türk, pour qualifier et désigner les peuples d'Asie centrale parlant des langues du groupe ouralo-altaïque et qui envahirent au Xe s. le Moyen-Orient et l'Anatolie (devenue ensuite Turquie). Le turc, au sens restreint, fait partie des langues de ce groupe (1457, n. m. ; 1820, langue turque), ainsi que le tatar.
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Turc a produit quelques dérivés.
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TURQUERIE n. f. (1576) est le nom donné anciennement à une pierre dont les Amérindiens s'ornaient le nez, par confusion entre les deux « Indes ».
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Au XVIIe s., il a servi à désigner un caractère impitoyable (1668).
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De nos jours, il ne s'emploie plus que pour parler d'une composition artistique dont l'inspiration relève d'une Turquie fantaisiste à la mode aux XVIIe et XVIIIe s., cette acception n'étant repérée qu'en 1831.
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TURQUETTE n. f. (1633) est un des noms d'une plante, la herniaire glabre, aussi nommée par périphrase herbe du turc (1565).
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L'élément
TURCO- entre dans la formation de quelques noms didactiques.
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TURCOMAN, ANE adj. et n. (1697) a été remplacé par TURKMÈNE adj. et n. (1895), d'abord écrit turckmann (1765), mot d'origine persane.
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TURCOMONGOL, OLE adj. et n. m. désigne l'ensemble des langues turques (türk) et mongoles. On parle plutôt aujourd'hui de langues altaïques. TURCOPERSAN, ANE adj. et n. m. (XXe s.) se dit des emprunts au persan par le turc.
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TURCO n. m. est l'emprunt (1856) d'un mot du sabir algérien, proprement « (soldat) turc », l'Algérie étant restée sous la domination turque jusqu'en 1830 ; il est emprunté à l'italien
turco « turc » correspondant au français
turc*. Le mot a été appliqué aux tirailleurs algériens au service de la France pendant la campagne de Crimée ; il a disparu.
❏ voir
TURCIQUE, TURQUIN, TURQUOISE ; TRICOISES.
TURCIQUE adj. (1721) est une adaptation du latin moderne turcicus, dans l'expression signifiant « selle à la turque », et, en anatomie, où selle turcique désigne la face supérieure de l'os sphénoïde, en forme de selle, où est logée l'hypophyse.
TURDIDÉS n. m. pl. a succédé à turdoïdes (1846), tiré du latin turdo « grive », comme nom d'une famille de passereaux comprenant grives, merles, rossignols, rouges-gorges, traquets.
TURELURE n. f. d'abord refrain de chanson (XIIIe s. ; → turlututu), s'est employé pour « cornemuse » (fin XIVe s.). On le considère généralement comme onomatopéique, mais P. Guiraud lui donne aussi des bases sémantiques : il y voit un composé de loure « musette (instrument de musique) » (XVIe-XVIIe s.) et « flageolet », d'où lourer « jouer de la lure », que Wartburg rattache à un latin °lŭra (u bref) « outre ». P. Guiraud rappelle que la forme latine étant lūra (u long), on aurait dû obtenir en français °lure, alors que loure supposerait une variante expressive °lŭrra. Il propose enfin, pour l'élément ture-, le latin torus « renflement », représenté en français par le franc-comtois toura « bouder » et l'angevin teur « renflé ». Le vocalisme de tur- proviendrait d'une assimilation onomatopéique avec lure. Cette explication ingénieuse est très hypothétique.
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Le mot s'est employé dans la locution c'est toujours la même turelure « c'est toujours la même chose » (1771 ; 1729, c'est la même turlure), puis seul au sens de « air rebattu », comme rengaine, chanson.
❏ voir
TOURLOUROU, TURLUTUTU.
TURF n. m. est emprunté (1828) à l'anglais turf, d'abord « tourbe, motte de gazon, pelouse » (XIIIe s.), spécialisé depuis le XVIIIe s. (1755) comme terme de sports pour le terrain des courses de chevaux. Le mot anglais a la même origine francique que le français 2 tourbe*.
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Turf, attesté en 1828 dans le Journal des haras pour désigner le terrain gazonné où se disputent les courses de chevaux, est l'un des plus anciens emprunts à l'anglais dans le domaine du sport. De nos jours, cette acception a vieilli au profit de champ de courses et hippodrome.
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Par extension, le mot désigne le sport hippique et les activités qui s'y rattachent (1828), ainsi que l'ensemble des amateurs de sports hippiques (1837), cette dernière acception étant sortie d'usage avec l'emploi du dérivé turfiste (ci-dessous).
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Turf est passé en argot avec le sens figuré de « voie publique où se pratique le racolage » (1864), d'où « prostitution » (1925), par exemple dans la locution faire le turf (1926) « se prostituer » ; il est alors synonyme de trottoir ; en outre, par métonymie (1935), un turf s'est dit d'une prostituée.
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Le mot a pris aussi le sens de lieu de travail, usine, atelier et, par extension, de « travail » (1945 ; 1929 « ouvriers »).
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Le mot a produit TURFISTE n. (1853) « personne qui joue aux courses », pseudo-anglicisme propre au français.
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TURFEUSE n. f. s'est employé (1926) pour « prostituée ».
❏ voir
URF.
TURGESCENCE n. f. est emprunté (1741) au latin médiéval turgescentia, nom dérivé du latin turgescens, participe présent de turgescere « se gonfler, s'enfler ». Ce verbe est le dérivé à valeur inchoative de turgere « être gonflé, enflé », mot ancien (Caton, Ennius) que semble avoir évité la prose classique et qui a été repris par la poésie impériale. Son origine est inconnue.
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Ce verbe a été emprunté isolément au XVIe s. (1584) et à la fin du XVIIIe s. sous la forme turgir et au participe turgent (1561).
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Turgescence a été emprunté comme terme de physiologie à propos de l'augmentation de volume d'un organe provoquée notamment par rétention de sang (par exemple dans l'érection).
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Il s'est quelquefois employé avec la valeur figurée de « gonflement » dans la langue littéraire (1801).
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TURGESCENT, ENTE adj. a été emprunté, pour lui servir d'adjectif (1812), au participe présent latin
turgescens.
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TURGIDE adj., emprunt antérieur (1463) au latin
turgidus « dur et gonflé », dérivé de
turgere, apparaît en français comme terme de médecine et de botanique. Rare avant le
XIXe s., il a été repris dans la langue littéraire avec la valeur de « gonflé, enflé » (1812), mais ne s'est pas imposé.
TURION n. m., mot attesté en moyen français (1486, puis 1555, isolément), et repris au début du XIXe s. (attesté à partir de 1803), est emprunté au latin turio, onis « jeune pousse végétale ». Ce terme de botanique désigne le bourgeon, souterrain ou à fleur de terre, d'une plante vivace (turions d'asperges).
TURISTA → TOURISME (TOURISTA)
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TURLUPIN n. m. et adj. (XIVe s.) est un mot d'origine inconnue. Il a désigné un membre d'une secte hérétique et, également au XIVe s., est relevé au sens de « rieur, badin » ; le caractère expressif du mot fait supposer à P. Guiraud qu'il a pu être compris comme un composé tautologique de turlu(ete) « flûte de berger » et du dialectal pine « sifflet d'écorce », ce qui pourrait expliquer l'évolution des sens.
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Turlupin a qualifié un faux dévot (1378), une personne qui ne prend pas au sérieux les choses religieuses (1485), d'où le sens de « coquin » chez Rabelais, où il est altéré en tirelupin, et peut-être celui de « fainéant, parasite » au XVIIe s. (1640). Tous ces emplois ont disparu.
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Le mot est pris au début du XVIIe s. comme surnom (1618) d'un personnage hypocrite créé par Henri Legrand (1583-1634), comédien de l'Hôtel de Bourgogne. De là il est employé comme nom commun pour désigner un comédien de la foire qui débite des plaisanteries de mauvais goût et, par extension, un mauvais plaisant (1653). En ce sens, il a vieilli. Il a refait son apparition dans le vocabulaire politique contemporain en 1978.
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Lié au théâtre, turlupin a été employé aussi pour « mauvais acteur » (1879, Huysmans).
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Il a produit
TURLUPINER v., qui s'est employé au sens de « se moquer de (qqn) » (1615,
tr.) et « faire des plaisanteries de mauvais goût » (1680,
intr.). Ces acceptions sont sorties d'usage, le mot prenant le sens de « tourmenter (qqn) » (1790).
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TURLUPINADE n. f., tiré (1636) de turlupiner ou de turlupin, a d'abord désigné une plaisanterie de mauvais goût, sens vieilli, et s'est dit pour « tourment, inquiétude » (1808).
1 TURLUTTE n. f. est une altération (attestée en 1891) de turlotte (1708), métathèse probable de trolotte, nom d'un engin de pêche dont parle l'Encyclopédie, lui-même dérivé de trulle, variante de truble. Le mot s'applique à un engin de pêche constitué d'une tige de plomb armée d'hameçons disposés en couronne.
3 TURLUTE ou TURLUTTE n. f., dérivé du même radical, s'emploie en français du Québec, d'Acadie, de Louisiane, pour une manière de chanter sur des syllabes arbitraires une mélodie rapide (les turlutes de Gilles Vigneault).
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De là TURLUTER ou TURLUTTER v., et TURLUTEUR, EUSE n.
TURLUTUTU exclam. et n. m. est une formation onomatopéique (v. 1490) qui contient peut-être le radical de loure (→ turelure).
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Le mot apparaît d'abord dans des refrains de chanson (v. 1490, turlututu, chapeau pointu). L'usage moderne l'emploie comme exclamation moqueuse (1839).
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Le nom a vieilli pour désigner une flûte, un mirliton (1844, Balzac) par retour à son ancien emploi onomatopéique.
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Il a eu en argot (XIXe s.) le sens métonymique de « pénis ».
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TURLUTAINE n. f., lui aussi formé (1746 écrit
turlutene) sur le radical de
loure, est d'abord relevé au sens de « serinette (petit instrument musical) », sorti d'usage, puis (1843) désigne un propos sans cesse répété, par le même développement que
turelure.
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2 TURLUTTE n. f., du sens argotique de turlututu, s'emploie (v. 1950, faire une turlutte) pour « fellation ».
TURNE n. f. est emprunté (1480-1500) à l'alsacien türn « prison », forme dialectale de l'allemand Turm « tour » et aussi « prison » dans les parlers populaires. Le mot remonte au moyen haut allemand turra, turris, résultant probablement d'un emprunt au latin turris « tour » (→ 1 tour). Les autres formes, plus problématiques, pourraient être issues d'un radical tor-, tur-, venant peut-être de turris, ou se rattacher au latin tornare (→ tourner) ; le français a de même tournelle à côté de tourelle.
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Turne est d'abord un mot du jargon, relevé pour désigner une maison et repris en 1799 avec ce sens dans l'argot des voleurs et « chauffeurs ». Cet emploi a disparu, mais le mot est bien implanté dans l'usage familier pour désigner une maison ou une chambre sans confort et sale (1822). Il est passé ironiquement dans l'argot scolaire (1854) pour désigner une chambre d'étudiant ou une petite salle où travaillent les internes, notamment à l'École normale supérieure (1882) avec la variante thurne.
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CO-TURNE n. m., formation plaisante (Cf. cothurne), désigne (XXe s.) un compagnon de chambre, à Normale supérieure.
TURNEP n. m. est un emprunt (1758, turneps au plur. ; 1754, turnipes au plur.) à l'anglais turnip (1533), nom donné à une variété de navet fourrager, dérivé de to turn « tourner » (de même origine que le français tourner) à cause de la racine pivotante de la plante, croisé avec l'anglo-saxon naep ou nep « navet », du latin napus (→ navet).
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Turnep et sa variante turneps sont encore employés mais chou-rave est plus courant.
TURNOVER n. m. (1972 dans les dictionnaires français) est un anglicisme pris à un mot formé de to turn « tourner » et over « par-dessus », spécialisé en anglais pour la rotation d'un stock de marchandises. Ce sens est passé en français, surtout à propos du renouvellement rapide du personnel dans une entreprise (et de manière plus technique, du taux de ce renouvellement).
TURONIEN, IENNE adj. et n. m. (dans le dictionnaire de d'Orbigny, 1842) est dérivé par les géologues du latin Turonia « Touraine », de Turrones, emprunt au gaulois désignant un peuple celte, riverain de la Loire. Il se dit de l'étage du crétacé qui correspond à la craie marneuse du Bassin parisien.
TURPITUDE n. f. est emprunté (v. 1390) au latin turpitudo, -inis, rare avec son sens physique premier, « laideur, difformité » et surtout employé pour « laideur morale », avec les nuances de honte, infamie. Le mot est dérivé de turpis « difforme », « laid » (au sens physique et moral), qui a dû s'appliquer à l'origine à un défaut physique précis. L'étymologie de turpis est inconnue : c'est peut-être une forme dialectale apparentée à torquere (→ tordre).
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Turpitude a été emprunté avec son sens moral pour désigner le défaut (la turpitude) puis une action, une parole ou une pensée qui le manifeste (1470, une, des turpitudes).
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Le sens physique, emprunté au XVIe s. (Paré), ne s'est pas implanté. Le mot est aujourd'hui littéraire ou plaisant.
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TURPIDE adj., lui-même emprunté comme nom (v. 1390), puis comme adjectif (déb.
XVIe s.), au latin
turpis au sens d'« ignominieux », est d'un usage encore plus littéraire. Il semble avoir disparu au
XVIIe s. pour être repris au
XIXe s. (1830, dans Balzac), notamment par les auteurs de la fin du
XIXe s., tel Huysmans qui emploie aussi
se turpider (1881) « se conduire d'une façon honteuse ».
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On relève également à la Renaissance la forme
turpe adj. (v. 1530), reprise isolément au
XIXe s. (1831) puis abandonnée.
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TURPIDEMENT adv. (1844, Balzac) est littéraire et rare.
❏ voir
ESTROPIER.
TURQUIN adj. m. est emprunté (1447, bleu turquin, puis 1471) à l'italien turchino « bleu foncé », proprement « bleu de Turquie », dérivé de turco « turc », de même origine que le français turc*.
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Adjectif de couleur pour une nuance bleu foncé, turquin appartient au style littéraire. Il s'emploie dans marbre turquin, bleu avec des veines blanches (1812 ; 1694, marbre bleu turquin), ou turquin n. m. (1842).
❏ voir
TURQUOISE.
TURQUOISE n. f. et adj. inv. est le féminin substantivé, d'abord sous la forme turkeise (v. 1200) puis turquoise (XIVe s. ; déb. XIIIe s. écrit turkoyse), de l'ancien adjectif turquois (XIIIe s.), antérieur (v. 1210) sous la forme turcheïs, proprement « de turc », dérivé de turc*.
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Turquoise, avec le sens de « pierre précieuse mate de couleur bleue », a éliminé le masculin turcois, turquois encore employé au XVIe siècle. La référence à la Turquie vient de ce que la pierre, originaire d'Asie et notamment de Perse, transitait au moyen âge par l'empire ottoman. Le féminin a aussi servi à nommer une étoffe croisée fabriquée en Turquie (1778), acception sortie d'usage, ainsi qu'un petit papillon de couleur bleu turquoise (1762).
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Il se dit aussi d'un lit de repos créé au XVIIIe s., à deux chevets symétriques (1771).
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Son emploi adjectif pour qualifier ce qui est de couleur turquoise est attesté en 1867 (T.L.F.), bleu turquoise étant relevé dès 1617.
❏ voir
TURQUIN.